CHARLES LE TÉMÉRAIRE
CHARLES LE TÉMÉRAIRE (1433-1477) duc de Bourgogne (1467-1477)
Fils aîné de Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal, Charles le Téméraire attendit trente-quatre ans la succession de son père (1467) et trompa l’attente en voyageant, en complotant et en préparant son règne. Il prit notamment part à la ligue du Bien public (1465) et combattit à Montlhéry contre l’armée de Louis XI. L’État bourguignon dont il hérita finalement n’était que l’union personnelle de principautés diverses, plus ou moins bien tenues en main, qui formaient une mosaïque féodale entre le Jura et la mer du Nord. On y distinguait deux groupes: celui de Bourgogne (le duché et la Franche-Comté, à quoi s’ajoutaient les comtés de Nevers et de Mâcon) et celui des Pays-Bas (Flandre, Artois, Picardie, Hainaut, Brabant). Les duchés de Limbourg et de Luxembourg, ainsi qu’un véritable protectorat sur la principauté des évêques de Liège, constituaient l’amorce d’une réunion territoriale de ces fiefs. Charles voulut, d’emblée, en faire autre chose qu’un assemblage de seigneuries et, en attendant de trouver dans la renaissance de l’ancienne Lotharingie du IXe siècle un prétexte à ceindre une couronne royale qu’il tenta d’obtenir de l’empereur, il renforça la centralisation administrative, se dota d’une forte armée et maintint son indépendance par une habile politique de bascule entre la France et l’Empire. N’ayant pas de fils, il fit de sa fille Marie, unique héritière de l’ensemble de la principauté, l’enjeu d’un marchandage à l’échelle européenne au cours duquel il fut près d’obtenir la couronne impériale, mais où il gagna surtout, en multipliant les dupes, de nombreuses et solides inimitiés.
Audacieux et intelligent, Charles le Téméraire manquait de patience pour tempérer son ardeur; ambitieux, il voulait égaler les héros dont il aimait à se faire lire les exploits. Cultivé, excellant lui-même dans la poésie et la musique, celui qui se voulut grand-duc d’Occident excellait aussi dans les exercices du corps et dans l’art de la guerre. Il réorganisa, assisté de conseillers italiens, l’armée bourguignonne en vue de réaliser son grand dessein: la transformation en un puissant État de ses possessions disparates, résurgence de l’ancienne Lotharingie, capable de tenir tête à la fois à la France et à l’Empire germanique. Pour cela, il lui fallait annexer la Lorraine dont l’indépendance rendait impossible l’unité bourguignonne. Dès son avènement, le Téméraire se mit à réprimer brutalement la révolte des Liégeois contre leur prince-évêque, son parent, révolte encouragée par Louis XI qui cherchait à affaiblir la puissance bourguignonne.
Son ambition dressa contre le duc de Bourgogne ses voisins immédiats (le duc de Lorraine, les cantons suisses), cependant que l’empereur et le roi de France intriguaient sans intervenir militairement. Le duc sut profiter de l’opportune révélation des intelligences entretenues par le roi parmi les Liégeois pour garder prisonnier son suzerain pendant trois jours (Péronne, 1468). Louis XI obtint sa libération au prix de promesses qu’il ne tint pas. En 1474, le roi dut à nouveau compter avec le duc, allié au roi d’Angleterre dont les convoitises se portaient encore vers le continent. Louis XI disloqua cette alliance en achetant le retrait des Anglais, lors de la trêve de Picquigny, 1475.
Après avoir repris Amiens et Beauvais (1471-1472) et envahi sans profit le duché de Bourgogne, le roi de France comprit qu’il lui fallait agir indirectement, en favorisant la coalition des mécontents. Charles le Téméraire se faisait reconnaître comme l’héritier du dernier duc de Gueldre et achetait d’un Habsbourg impécunieux le Sundgau et la Haute-Alsace avant d’exiger du duc René II le droit de faire passer l’armée bourguignonne à travers la Lorraine et d’y établir des garnisons permanentes. Tout ceci suffisait à pousser à l’action ce qui échappait encore à l’emprise bourguignonne dans l’ancienne Lotharingie. Les villes alsaciennes menacées dans leur indépendance formèrent la «Basse Union», contre laquelle une expédition bourguignonne échoua. Les Alsaciens jugèrent même et exécutèrent le bailli qui mettait trop de zèle à servir Charles. C’est alors que les intrigues de Louis XI favorisèrent la réconciliation et l’alliance du duc d’Autriche et des cantons suisses, auxquels se joignirent les villes de la Basse Union (union de Constance, avr. 1474) et le duc René II de Lorraine (août 1474). Les Suisses prirent alors l’initiative des hostilités.
Le Téméraire ne vit pas le danger et perdit son temps et son argent à réprimer la révolte de la petite ville de Neuss, qui secouait le joug de l’archevêque de Cologne, allié du Bourguignon. Les Suisses occupèrent pendant ce temps la Franche-Comté, et les Français la Picardie, la Bourgogne et le Luxembourg (1475), cependant que Louis XI achetait le rembarquement d’Édouard IV d’Angleterre, punissait de mort la trahison du comte de Saint-Pol et, peu après, celle du duc de Nemours, et maintenait par la menace le vieux roi René, duc d’Anjou et comte de Provence, dans une neutralité favorable à la France. Le Téméraire occupa la Lorraine et le pays de Vaud (1475), mais se fit battre par les Suisses près de Granson (2 mars 1476) et devant Morat (22 juin 1476). Les Lorrains de René II, qui avaient aidé les Suisses à Morat, saisirent l’occasion et reprirent le contrôle de la Lorraine. Le Téméraire, malgré l’affaiblissement de son armée et le refus opposé par ses bonnes villes à une nouvelle demande de subsides, tenta d’assiéger Nancy. Une armée de Lorrains, d’Alsaciens et de Suisses, à laquelle les finances françaises n’étaient pas étrangères, vint débloquer la ville et, le 5 janvier 1477, écrasa l’armée du duc de Bourgogne. On trouva, le surlendemain, le corps du Téméraire, à demi dévoré par les loups.
Louis XI mit la main sur la Bourgogne, la Picardie et l’Artois. Marie de Bourgogne apporta en dot à Maximilien de Habsbourg ce qui lui restait de l’État bourguignon: les Pays-Bas.
Encyclopédie Universelle. 2012.