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CHARLES QUINT
CHARLES QUINT

Mêlé au sort de tant de pays divers, Charles Quint, éternel voyageur, a partagé inégalement entre eux son temps. Né à Gand en 1500, il a résidé environ vingt-huit ans aux Pays-Bas, surtout pendant son enfance, dix-huit ans en Espagne (principalement dans sa jeunesse; il devait aussi y mourir en 1558), huit ans en Allemagne à l’époque de la maturité. Il s’est rendu sept fois en Italie, quatre fois en France, deux fois en Angleterre et deux fois en Afrique, tantôt en visiteur pacifique, tantôt à la tête d’une expédition. Il a été appelé par trop de tâches divergentes; aussi sa biographie présente-t-elle des difficultés quasi insurmontables. En suivant l’ordre chronologique, on donne une impression de chaos. En étudiant séparément les grands problèmes qu’il a dû affronter, on laisse dans l’ombre les liens qui les unissent. Cette dernière solution offre cependant l’avantage d’introduire un peu d’ordre dans une matière singulièrement confuse.

Appelé Charles Quint en tant qu’empereur et Charles Ier comme roi d’Espagne, Charles de Habsbourg était le petit-fils de Maximilien de Habsbourg et de Marie de Bourgogne par son père Philippe le Beau, mort en 1506, de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille par sa mère Jeanne la Folle ; il recueillit l’héritage de quatre maisons princières: les Pays-Bas et la Franche-Comté (1507); la Castille et ses possessions d’Amérique; l’Aragon et ses dépendances italiennes, Sardaigne, Sicile et royaume de Naples (1516); les États héréditaires des Habsbourg en Allemagne (1519). Il y joignit la même année le titre impérial après la mort de Maximilien. La réunion sous un même sceptre de tant de territoires a fait de lui le principal personnage de l’histoire politique de l’Europe entre 1519 et 1556, date de son abdication. Il a fallu attendre Napoléon pour retrouver une situation analogue.

L’histoire de Charles Quint a donné lieu à une énorme littérature. Certains ouvrages traitent de l’histoire d’un pays déterminé, sous son règne. D’autres retracent la vie du monarque et tentent de suivre sa politique générale. Des interprétations très diverses en ont été données. Une des plus courantes est celle qui fait de Charles Quint le champion de l’idéal d’unité hérité de la chrétienté médiévale, opposé à la poussée nationaliste qui caractériserait les Temps modernes. Plusieurs historiens se sont attachés à définir ce qu’ils appellent son idée impériale. Selon les savants allemands P. Rassow et K. Brandi, elle aurait été inspirée par le grand chancelier Mercurino Gattinara, un Italien, partisan de la monarchie universelle. Au contraire, selon le grand érudit espagnol R. Menéndez Pidal, Charles Quint aurait suivi les maximes de ses grands-parents, les Rois Catholiques: paix aux chrétiens, guerre aux infidèles. M. Fernández Alvarez a étudié la pensée de l’empereur d’après ses propres écrits, estimant qu’à partir de l’époque de son mariage il avait pris de l’assurance et ne fut nullement le jouet de ses conseillers. D’autres historiens comme J. Vicens Vives, H. G. Koenigsberger, F. Braudel n’accordent pas tant d’importance aux idées de l’empereur. Ils voient surtout en lui l’héritier d’un ensemble disparate de domaines, tiraillé de tous côtés, pris dans le tourbillon de l’histoire et condamné à des solutions du moment. Parler de l’Empire de Charles Quint est abusif car il n’y avait d’autre lien que celui de sa propre personne entre les territoires sur lesquels il régnait. Seul existait réellement le Saint Empire dont il était le chef, mais où ses pouvoirs étaient plus limités que partout ailleurs.

1. Les affaires d’Espagne et la lutte contre les Turcs

Ferdinand d’Aragon avait légué par testament ses possessions aragonaises à sa fille Jeanne la Folle, déjà reconnue reine de Castille depuis la mort d’Isabelle la Catholique (1504). Mais le prince Charles se fit proclamer souverain des deux royaumes, conjointement avec sa mère (1516). Il débarqua sur la côte des Asturies en septembre 1517 et resta en Espagne jusqu’en mai 1520. Pendant ce premier séjour, son entourage de conseillers flamands, avides et ignorants du pays, le rendit impopulaire. Peu après son départ éclata la révolte des Comuneros , qui unit plusieurs villes de Castille contre l’autorité du régent Adrien d’Utrecht, ancien précepteur du souverain. Ce mouvement, xénophobe à l’origine, prit par la suite l’aspect d’une lutte contre la noblesse. Il fut brisé en avril 1521 à la bataille de Villanar. En même temps se produisirent des troubles d’un caractère social plus marqué, les Germanias de Valence et de Majorque (1519-1523). Pendant tout le reste du règne, la paix intérieure fut totale.

Charles Quint revint en Espagne en 1522 et y resta jusqu’en 1529. Ce furent sans doute les années les plus heureuses de son existence, grâce à son mariage avec Isabelle de Portugal (1526) et à la naissance du prince héritier Philippe, l’année suivante. L’Espagne, à cette époque, n’était pas véritablement unifiée. Le royaume de Castille était de beaucoup le plus considérable par son étendue et par le chiffre de sa population (6 000 000 d’habitants environ). Il était relativement homogène, les provinces basques et la Navarre, conquise en 1512, conservant seules une certaine autonomie. Une barrière douanière le séparait des pays de la couronne d’Aragon (Aragon proprement dit, Catalogne, royaume de Valence, Baléares) qui gardaient chacun ses propres institutions et formaient une confédération ayant des prolongements en Italie (Sardaigne, Sicile, royaume de Naples). Comme dans toute l’Europe, la société était foncièrement aristocratique. La présence de minorités officiellement converties au christianisme, juifs et anciens musulmans appelés morisques, qui restaient plus ou moins rebelles à une véritable assimilation, compromettait l’unité morale et religieuse du pays.

À partir de 1529, Charles Quint voyagea beaucoup plus souvent. Pendant ses absences, le gouvernement fut assuré jusqu’à sa mort (1539) par l’impératrice, assistée du Conseil royal du secrétaire Francisco de los Cobos, cheville ouvrière de la bureaucratie castillane. En 1543, le souverain quitta l’Espagne pour une période de treize ans. La régence revint au prince Philippe, puis, après son départ (1554), à sa sœur la reine Jeanne de Portugal. Charles Quint revint en 1556 des Pays-Bas, après son abdication, pour se retirer au monastère de Yuste où il finit ses jours.

Après les révoltes du début du règne, l’Espagne fut le pays qui donna le moins de soucis à l’empereur. Elle constitua le principal support de sa politique internationale, en lui fournissant d’excellents soldats et des ressources financières accrues par les trésors d’Amérique.

Charles Quint resta fidèle à l’une des traditions fondamentales de l’Espagne, la lutte contre les infidèles, poursuivie pendant les siècles de la Reconquista. Les Rois Catholiques avaient inauguré une brillante politique d’expansion en Afrique du Nord, en occupant successivement Melilla, Mers el-Kébir, Oran, Alger, Bougie et Tripoli, et en imposant leur protectorat à plusieurs princes indigènes. La formidable puissance turque, qui s’était accrue au début du XVIe siècle, ne menaçait pas directement l’Espagne. Le danger devint plus redoutable lorsque se constitua, sous la direction de Khayr-al-D 稜n Barberousse, l’État barbaresque d’Alger (1518), qui devint un nid de corsaires. Fidèle à l’idéal de la croisade, Charles Quint fut trop pris par ailleurs pour s’en occuper sérieusement avant 1535. Il conduisit en personne l’expédition qui s’empara de La Goulette et de Tunis, puis forma avec le pape Paul III et les Vénitiens une ligue contre les Turcs, qui se disloqua rapidement après la bataille navale de La Prevesa et la défection des Vénitiens. En 1541, l’empereur tenta de s’emparer d’Alger mais, sa flotte ayant été dispersée par la tempête, il dut rembarquer précipitamment. Après cet échec, la situation s’aggrava. D’une part, à deux reprises, les Français joignirent leurs forces navales à celles des Turcs (siège de Nice en 1543, intervention en Corse en 1553). D’autre part, plusieurs points d’appui africains (Bougie, Tripoli) furent perdus.

2. Les affaires d’Italie et la lutte contre la France

L’Italie fut, dans les dernières années du XVe siècle et la première moitié du XVIe, le principal champ de bataille de l’Europe. La civilisation y était largement en avance sur celle des autres nations. Les Italiens avaient mis au point les techniques nouvelles du grand commerce et de la banque. Ils avaient développé les industries de luxe, telles la soierie et la miroiterie. Nul pays ne comptait autant de grandes villes. La renaissance des lettres et des arts s’y était épanouie de bonne heure. Mais le pays était morcelé entre plusieurs États rivaux, le royaume de Naples, l’État pontifical, les républiques de Florence, Gênes et Venise, les duchés de Milan et de Savoie, et diverses principautés ou républiques de moindre importance. Cette faiblesse politique servit les ambitions des deux grandes monarchies française et espagnole, qui s’affrontèrent à maintes reprises. Successeur de Ferdinand le Catholique, Charles Quint poursuivit la politique traditionnellement tournée vers l’Italie de la maison d’Aragon. En outre, en tant qu’héritier des ducs de Bourgogne, il avait une raison supplémentaire d’entrer en conflit avec la France. Il n’avait jamais renoncé à la Bourgogne ducale annexée par Louis XI. De là une lutte interminable avec François Ier, qui allait se traduire par quatre guerres successives.

Les deux premières, qui se suivirent d’assez près, furent les plus importantes. En 1521, le Milanais fut enlevé à François Ier et rendu à la dynastie des Sforza. Le roi de France tenta à plusieurs reprises de le reconquérir. Vaincu et fait prisonnier à Pavie (1525), il dut, sous la contrainte, signer le désastreux traité de Madrid, qu’il s’empressa de désavouer dès qu’il eut recouvré la liberté. Il trouva un appui diplomatique auprès du pape Clément VII et de plusieurs princes italiens, qui, jugeant Charles Quint trop puissant, conclurent avec lui la ligue de Cognac. L’Angleterre et les Turcs s’y montraient également favorables. Les hostilités reprirent en Italie, où le sac de Rome, perpétré par des troupes indisciplinées au service de l’empereur menées par le luthérien Frundsberg, causa un énorme scandale (1527). François Ier, reprenant les armes, reconquit le Milanais et ses troupes envahirent le royaume de Naples. Mais il perdit l’appui de la flotte génoise, commandée par Andrea Doria et la maîtrise de la mer passa du côté de Charles Quint. La paix de Cambrai ou paix des Dames (1529) obligea François Ier à renoncer à ses prétentions italiennes et à abandonner la suzeraineté de l’Artois et de la Flandre, clauses qui figuraient déjà dans le traité de Madrid, mais il conserva la Bourgogne.

Les deux guerres suivantes furent plus espacées et ne modifièrent pas sensiblement l’équilibre des forces. L’ouverture de la succession de Milan en 1535 provoqua un nouveau conflit. François Ier, qui réclamait le duché pour un de ses fils, occupa la Savoie et une partie du Piémont. Charles Quint riposta en envahissant la Provence, mais il dut battre en retraite. La trêve de Nice interrompit les hostilités (1538). Après que Charles Quint se fut décidé à conférer l’investiture de Milan à son fils Philippe, une quatrième guerre éclata en 1542. Cette fois, il attaqua vigoureusement la France par le nord-est. S’avançant jusqu’à Épernay, il contraignit son rival à signer la paix de Crépy-en-Laonnois (1544), dont les clauses restèrent sans effet.

Il y eut de nouveaux affrontements sous le règne de Henri II, alors que les affaires d’Allemagne étaient passées au premier plan. Le principal fut la guerre de Sienne (1552-1556). Cette ville chassa sa garnison espagnole et demanda l’aide de la France. Le maréchal Strozzi et Montluc, qui furent envoyés pour la secourir, furent finalement battus. Mais la trêve de Vaucelles (févr. 1556), qui suspendit les hostilités sur tous les fronts, laissa les Français en possession de la Savoie et du Piémont. Ainsi, peu de temps après l’abdication de Charles Quint, la domination espagnole était directement établie sur Naples et le Milanais, indirectement sur Gênes et la Toscane, mais la France conservait d’importantes positions dans le Nord-Ouest. Ce n’est qu’à la suite d’une reprise de la guerre et de la conclusion du traité du Cateau-Cambrésis (1559) qu’elle les perdit.

3. Les affaires d’Allemagne et la lutte antiprotestante

Lorsque Charles Quint fut élu roi des Romains – c’est ainsi qu’on appelait l’empereur désigné – le Saint Empire comprenait un immense territoire aux frontières mal définies, qui correspondait au territoire actuel de l’Allemagne, de l’Autriche, des Pays-Bas, d’une partie de la Belgique et de la France du Nord-Est. C’était un conglomérat d’États princiers, ecclésiastiques ou laïques, de villes libres et de minuscules seigneuries. La famille de Habsbourg avait réussi à rassembler de vastes possessions en Autriche, dans le sud de l’Allemagne et en Alsace, auxquelles était venu s’ajouter l’héritage bourguignon aux Pays-Bas et en Franche-Comté. C’est sur cet ensemble que reposait la puissance de la dynastie. Car le titre impérial y ajoutait beaucoup de prestige, mais peu de pouvoir réel. Choisi par les sept électeurs et amené à leur faire beaucoup de promesses, l’empereur n’avait à sa disposition ni armée ni impôts permanents. Il devait discuter avec la Diète pour obtenir des subsides.

Couronné à Aix-la-Chapelle, Charles Quint céda bientôt le gouvernement des États héréditaires à son frère Ferdinand, qui, après la mort du roi Louis II de Hongrie, à la bataille de Mohacs (1526), hérita du royaume de Bohême et d’une partie de la Hongrie. La lutte contre les Turcs devait être son principal souci. Charles Quint n’y intervint qu’épisodiquement, en se rendant à Vienne en 1532.

En revanche, la Réforme luthérienne fut au premier plan de ses préoccupations. Dès 1521, il rencontra Luther qu’il avait convoqué à la Diète de Worms. Scandalisé par son audace, il le fit mettre au ban de l’Empire. Mais, trop occupé par ses guerres contre François Ier, il ne put s’appliquer aux affaires d’Allemagne, lors de la grande crise qui secoua le pays à la suite de la prédication de Luther et souleva successivement contre l’ordre établi les chevaliers et les paysans. Il ne revint en Allemagne qu’en 1530, alors que le protestantisme s’était sensiblement fortifié. À la Diète d’Augsbourg, il invita les princes protestants à se soumettre. Ceux-ci ripostèrent par la constitution de la ligue de Smalkalde, qui devint une puissance politique (1531). Pendant une quinzaine d’années, Charles Quint s’efforça de rétablir l’unité religieuse en favorisant la tenue de colloques et en réclamant de la papauté la réunion d’un concile œcuménique, conformément aux vœux d’Érasme et de ses disciples. Mais il se heurta à l’intransigeance de Luther et à une certaine défiance de la part de Clément VII, puis de Paul III. Celui-ci décida finalement l’ouverture du concile, mais elle fut retardée jusqu’en 1545. La politique française, qui, tout en prônant elle aussi l’unité religieuse, cherchait surtout à dresser les princes contre l’empereur, contraria également ses efforts.

C’est seulement en 1546, après ses campagnes victorieuses contre le duc de Clèves et François Ier, qu’il se résolut à employer la force. Après avoir obtenu de la Diète la condamnation, pour des raisons politiques, de Philippe de Hesse et de l’électeur de Saxe, chefs de la ligue de Smalkalde, et l’appui de certains princes luthériens, comme Maurice de Saxe, il remporta une grande victoire à Mühlberg (1547). Puis il tenta de rétablir l’unité religieuse par l’Intérim d’Augsbourg qui accordait aux protestants quelques concessions, solution qui se heurta à l’opposition de Paul III, puis de son successeur Jules III, ainsi qu’à celle des protestants irréductibles.

Ceux-ci prirent leur revanche en 1552. Maurice de Saxe, qui avait obtenu pour prix de ses services la dignité électorale, passa dans le camp des adversaires de l’empereur. Le traité de Chambord leur assura l’appui de Henri II, à qui fut reconnu le droit d’occuper Metz, Toul et Verdun. Charles Quint, poursuivi par Maurice de Saxe, dut quitter précipitamment Innsbrück. Se retournant contre la France, il assiégea sans succès Metz, défendu par le duc de Guise. Finalement, la paix d’Augsbourg (1555) reconnut aux princes le droit de professer la religion de leur choix et de l’imposer à leurs sujets. À cette date, les luthériens occupaient la majeure partie de l’Allemagne, le catholicisme ne conservant de fortes positions que dans le Sud et la région rhénane. L’échec de Charles Quint était patent.

Les Pays-Bas restaient dans le cadre de l’Empire; mais leur physionomie politique changea sous le règne de Charles Quint. Tout d’abord, six provinces nouvelles, Frise, Utrecht, Overyssel, Groningue, Gueldre et le comté de Zutphen, vinrent compléter les anciennes possessions de la maison de Bourgogne, pour former ce qu’on appela désormais les Dix-Sept Provinces. La transaction d’Augsbourg (1548) les réunit dans un même cercle, celui de Bourgogne. Un autre acte législatif, la Pragmatique Sanction, imposa le même droit successoral dans toutes les provinces, qui furent ainsi plus solidement unies. Charles Quint, qui avait une prédilection pour les Pays-Bas, y fut représenté par sa tante Marguerite d’Autriche, puis par sa sœur Marie de Hongrie.

4. La formation d’un empire dans le Nouveau Monde

Grand voyageur, Charles Quint n’a cependant pas traversé l’Atlantique au-delà duquel s’édifiait un nouvel empire. À son avènement, les Espagnols étaient installés à Saint-Domingue, Cuba, Porto Rico et dans quelques établissements du côté de l’isthme de Panamá. Son règne coïncida avec d’extraordinaires expéditions de découverte, dont la plus célèbre fut le premier tour du monde, commencé par Magellan et mené à bien par Juan Sebastián Elcano (1519-1522). Ce fut aussi celui de la Conquista. D’immenses territoires furent conquis par une poignée d’aventuriers, qui devaient leur supériorité sur les indigènes à l’emploi des chevaux et des armes à feu. La soif de l’or en fut le principal mobile, mais le souci de l’évangélisation n’y fut pas étranger. Hernán Cortés détruisit l’empire aztèque et devint maître du Mexique (1519-1521). Francisco Pizarro ruina l’empire des Incas et s’empara du Pérou (1532-1533). La conquête du Chili, commencée par Almagro, fut poursuivie par Valdivia. Gonzalo Jiménez de Quesada fut le fondateur de l’actuelle Colombie. Le Venezuela fut colonisé avec l’aide d’hommes d’affaires allemands. Enfin, des établissements furent fondés dans les pays de La Plata. Celui de Buenos Aires fut éphémère, mais celui d’Asunción, dans l’actuel Paraguay, eut une existence plus durable.

La conquête s’effectua dans un certain désordre et fut marquée par de nombreux excès; assez rapidement, une administration régulière put cependant être établie. Dans la métropole, le Conseil des Indes, fondé en 1524, eut la haute main sur les affaires d’Amérique. Cortés ne conserva pas le gouvernement du Mexique, confié en 1535 à un vice-roi, don Antonio de Mendoza. Au Pérou, des luttes sanglantes opposèrent deux familles de conquistadores, les Pizarro et les Almagro. Il fallut attendre la mission du licencié Pedro de Lagasca pour rétablir l’ordre (1548) et la vice-royauté du Pérou, créée quelques années auparavant, put fonctionner normalement.

Le sort des indigènes ne laissa pas l’empereur indifférent. Le régime de l’encomienda , inspiré du système seigneurial, les soumettait à l’autorité des colons. Ses excès furent dénoncés par un moine dominicain, le père Las Casas, dont les critiques contribuèrent à la publication des Leyes Nuevas (1542). Elles décrétèrent la suppression de l’encomienda , mais leur application se heurta à la résistance des colons, et l’on en revint à la situation antérieure. Comme il fallait de toute façon une main-d’œuvre servile, on recourut de plus en plus à la traite des Noirs, dont l’esclavage ne fut guère contesté.

L’agriculture américaine fut prodigieusement transformée par l’introduction de nombreuses plantes européennes, dont le blé et la vigne, et par celle du bétail, dont la prolifération fut extraordinaire. Les métaux précieux furent avidement recherchés: l’or d’abord dans les îles, puis de plus en plus l’argent au Mexique, et surtout, après la découverte du gisement du Potosi en 1545, au Pérou. Dès le règne des Rois Catholiques, le commerce avec l’Amérique avait été soumis à l’autorité de la Casa de la Contratación de Séville, ce port jouissant d’un monopole. Les relations maritimes, assurées d’abord par des navires isolés, durent être protégées contre les attaques des corsaires et, après la conquête du Pérou, on commença à organiser des convois annuels. Les historiens se sont attachés à évaluer les importations de métaux précieux en Espagne et le tonnage des navires utilisés. Selon les calculs de Earl J. Hamilton, le montant des importations par période de cinq ans serait passé de 1 191 835 ducats (1516-1520) à 11 838 637 (1551-1555). H. et P. Chaunu ont évalué le tonnage global (aller et retour) des navires pour les mêmes périodes, respectivement à 44 010 et 107 316 tonneaux. Le tonnage des marchandises était beaucoup plus considérable dans le sens Europe-Amérique et comprenait des produits très variés, vins, huiles, draps, tissus. Du Nouveau Monde venaient surtout des cuirs, du sucre et des produits tinctoriaux. Hamilton a mis en corrélation l’afflux des métaux précieux et la hausse des prix qui s’est manifestée en Espagne et dans les pays voisins.

L’œuvre d’évangélisation s’est poursuivie dans toute l’Amérique grâce aux ordres religieux. L’imprimerie fut introduite au Mexique. Des universités furent fondées à Saint-Domingue (1538), à Lima (1551), à Mexico (1553). Au total, une œuvre immense de colonisation fut accomplie sous le règne de Charles Quint, sans que celui-ci, trop absorbé par les affaires d’Europe, en ait peut-être mesuré l’importance réelle.

5. Personnalité de l’empereur

Une telle multitude d’événements, de si prodigieuses transformations en Europe et en Amérique ne doivent pas faire oublier le personnage lui-même. Nous le connaissons grâce à de très nombreux témoignages, bien qu’au cours d’une existence mouvementée il ait changé quelque peu. Son enfance se passa à la cour des Pays-Bas, sous la tutelle de Marguerite d’Autriche et d’Adrien d’Utrecht. Il parlait alors le français et le flamand. Dans sa jeunesse, il fut soumis à l’influence de ses conseillers, principalement Guillaume de Croy, sieur de Chièvres. Peu à peu, il développa sa personnalité et se familiarisa avec la langue espagnole. À la mort du chancelier Gattinara, qui ne fut pas remplacé, ses principaux collaborateurs furent Francisco de los Cobos pour les affaires d’Espagne et Nicolas Perrenot, sieur de Granvelle, pour celles du nord de l’Europe. Tous les auteurs s’accordent à reconnaître la profonde religiosité de Charles Quint, ses vertus familiales, son courage, le souci de ses devoirs d’État. Parmi ses défauts, on signale une tendance à l’avarice et de l’intempérance à table. L’empereur, tourmenté par la goutte, avait un tempérament mélancolique, qui se reflète dans les admirables portraits du Titien et explique en partie son abdication.

Charles Quint
(1500 - 1558) roi d'Espagne (Charles Ier, 1516-1556), prince des Pays-Bas (1516-1555), roi de Sicile (Charles IV, 1516-1556), empereur germanique (Charles V: Quint, 1519-1556), fils de Philippe le Beau, archiduc d'Autriche, et de Jeanne, reine de Castille. Une suite d'héritages lui constitua de vastes domaines: Flandres, Franche-Comté, territ. autrich. des Habsbourg, Espagne, Naples, Sicile, colonies d'Amérique. Candidat à l'Empire, il l'emporta sur François Ier. Désirant imposer à l'Europe sa monarchie universelle et donc le catholicisme, il affronta les princes protestants allemands, soutenus par la France, et les Turcs. L'or et l'argent d'Amérique latine financèrent ses guerres, d'abord victorieuses: contre la France, victoire de Pavie (1525); contre les Turcs, prise de Tunis (1535); contre les princes allemands (1547). Après de graves échecs (Alger, 1541; au Piémont, 1544; en Lorraine, 1552) la paix d'Augsbourg (1555) consacra la division de l'Allemagne en deux confessions. Charles Quint abdiqua ses couronnes (oct. 1555 - janv. 1556), en faveur de son fils et de son frère, puis se retira au monastère de Yuste (Estrémadure). ANGLETERRE Charles Ier (1600 - 1649) roi d'Angleterre, d'écosse et d'Irlande (1625-1649), fils de Jacques Ier Stuart. Son absolutisme, ses démêlés avec les écossais, ses complaisances pour le catholicisme créèrent des luttes avec le Parlement, puis des guerres civiles (1642-1649) opposant les partisans du roi, les "Cavaliers", aux "Têtes rondes", partisans du Parlement, menés par Cromwell. Livré à ce dernier, le roi fut jugé et décapité.

Encyclopédie Universelle. 2012.