CHU CI
Chu ci est le nom d’un recueil de poèmes chinois dont la majeure partie fut composée entre la fin du IVe siècle et le début du IIe siècle avant J.-C. Dans le titre du recueil, ci veut dire «paroles» ou «écriture», Chu désigne le plus méridional des Royaumes combattants; cet ouvrage est ainsi nommé parce que les poèmes qui le composent furent tous écrits dans le dialecte ancien de Chu, par des poètes dont le premier et le plus célèbre fut Qu Yuan.
Composition du recueil
À l’origine, le titre Chu ci paraît avoir indiqué de façon générale toutes les œuvres de l’école de Chu, plutôt qu’un recueil particulier de textes. Dans l’histoire de la dynastie Han, il est rapporté qu’on avait recommandé un savant pour un emploi à la cour impériale comme expert en Chu ci ; ailleurs il est dit qu’un empereur avait appelé à la cour, pour lui faire réciter du Chu ci , un savant si âgé et si faible qu’on avait dû lui faire manger de la soupe chaude après chaque récitation.
Le premier texte connu de Chu ci fut compilé et annoté par le savant Wang Yi au IIe siècle de notre ère. Il contient dix-sept œuvres de longueur diverse, dont la dernière, médiocre d’ailleurs, est de Wang Yi lui-même. Cet ouvrage et les six textes précédents des écrivains de la dynastie Han sont des imitations tardives peu intéressantes.
Wang Yi attribue sept des dix premiers à Qu Yuan (1. Li sao ; 2. Jiu ge ; 3. Tian wen ; 4. Jiu zhang ; 5. Yuan you ; 6. Bu ju ; 7. Yu fu ), les deux suivants à Song Yu (8. Jiu bian ; 9. Zhao hun ); l’auteur du dixième (10. Da zhao ) reste incertain.
Mais la façon dont Wang Yi attribue les textes est extrêmement douteuse. Elle diffère de celle de l’historien Sima Qian, qui mourut presque deux siècles plus tôt, et il suffit de regarder le texte pour se rendre compte que certaines de ces sept œuvres furent écrites par les épigones de Qu Yuan, non par le poète lui-même. Le Li sao , la plus longue et, d’un point de vue littéraire, la plus originale de ces œuvres, serait de lui selon les témoignages les plus nombreux [cf. QU YUAN].
Description
Les Jiu ge (les Neuf Chants ) sont composés d’un ensemble d’hymnes adressés à plusieurs dieux et déesses. Les paroles de ces hymnes indiquent qu’ils étaient destinés à être chantés et dansés par des chamanes. Comme chants religieux, leur caractéristique la plus remarquable est le rapport franchement érotique qui existe entre dieu et adorateur.
Quoique pleins de beauté et de charme, ces chants présentent beaucoup de difficultés de traduction: ce sont des chants dialogués, mais ils ne fournissent aucune indication quant à l’attribution des paroles à telle ou telle personne. Il y a donc autant d’interprétations que de traducteurs.
Wang Yi rapporte que Qu Yuan écrivit ces hymnes en s’inspirant des chants barbares qu’il avait entendus, pendant son exil, dans les fêtes locales du Chu méridional, leur donnant une allure littéraire et les employant pour exprimer en allégorie ses sentiments personnels. Bien que ces chants ne semblent pas comporter d’éléments allégoriques, il est pourtant possible qu’ils soient en effet un embellissement littéraire des matériaux traditionnels.
Le Zhao hun (Le Rappel de l’âme ) et le Da zhao (Le Grand Rappel ) veulent être les paroles qu’employaient les chamanes en rappelant l’âme errante d’un homme mort ou malade, apparemment un roi. On avertit l’âme des monstres et des périls qui la menacent dans tous les quartiers de l’univers, ensuite on lui raconte les délices qui l’attendent si elle veut bien rentrer chez elle: les parcs, les palais, le festin et les belles dames.
Les trois œuvres dont on vient de parler se rattachent explicitement au chamanisme. Le Yuan you (Le Voyage lointain ), qui renferme le voyage céleste du chamane, est toutefois empli d’idées taoïstes et paraît être une imitation du Li sao par un taoïste anonyme, qui ne se termine pas en désespoir et angoisse, comme le Li sao , mais dans l’illumination mystique.
Le Tian wen (Questions célestes ) est un long poème, qui consiste entièrement en énigmes sur des sujets cosmologiques, mythiques et historiques. Commençant à la création du monde, il remonte à la fin du VIe siècle avant J.-C. Beaucoup de légendes auxquelles il fait allusion sont inconnues. Ce fait ainsi que le style hermétique et archaïque à dessein en font un texte d’une difficulté exceptionnelle.
Les Jiu zhang (les Neuf Discours ) et les Jiu bian (les Neuf Discussions ) sont tous les deux des cycles de poèmes. Pour le premier de ces textes, la question de l’auteur se pose: Sima Qian ne mentionne que deux poèmes individuels, le «Ai ying» (Lamentation sur la capitale) et le «Huai sha» (J’embrasse la pierre), comme œuvres de Qu Yuan. Il pourrait aussi se faire qu’il y ait plus d’un auteur. En tout cas, Qu Yuan paraît être leur sujet. On y trouve le Juste Servant du roi, calomnié et banni, qui à l’aide d’allégories et de parallèles historiques exprime son triste sort d’un ton sentencieux. Ils ressemblent un peu au Li sao , le dépassant quelquefois en beauté élégiaque et en richesse de langage, mais l’égalant rarement en fécondité d’imagination. Il faut avouer que leurs plaintes égoïstes deviennent souvent monotones.
Finalement, les opuscules Bu ju (Divination ) et Yu fu (Le Vieux Pêcheur ) ne sont pas des poèmes au sens précis du terme, mais des anecdotes didactiques en prose rimée. Ils ont peu de rapport avec le reste du recueil, à part le nom du poète Qu Yuan, qui y figure à la troisième personne.
Le Shi jing , recueil des anciennes chansons anonymes qui précède le Chu ci de quelque trois siècles, a eu une importance prééminente dans la théorie littéraire. Le Chu ci a eu une influence énorme sur la littérature ultérieure de la Chine; c’est surtout lui qui a inspiré l’imagination et enrichi le langage de la poésie chinoise.
Encyclopédie Universelle. 2012.