gageure [ gaʒyr ] , critiqué mais fréquent [ gaʒɶr ] n. f.
1 ♦ Vx Promesse réciproque de payer le gage convenu si on perd un pari. Soutenir la gageure, l'accepter; fig. persévérer dans une entreprise, comme pour tenir un pari.
2 ♦ (1694) Mod. et littér. Action, projet, opinion si étrange, si difficile, qu'on dirait un pari à tenir, un défi à relever. ⇒ défi. « c'était une entreprise difficile et [...] comme une gageure » (Péguy). C'est une gageure de lui faire confiance.
● gageure nom féminin (de gager) Littéraire. Action, projet peu croyables et ressemblant à un pari hasardeux : C'est une gageure de vouloir raisonner cet entêté. ● gageure (difficultés) nom féminin (de gager) Prononciation [&ph91;&ph85;ʒ&ph109;ʀ], comme pour rimer avec je jure. Recommandation La prononciation [&ph91;&ph85;ʒɶʀ] (comme pour rimer avec nageur) doit être évitée, malgré sa fréquence. Remarque Le e n'a pour fonction, comme dans geai ou geôle, que d'empêcher la prononciation gu-.
gageure
n. f. Litt. Action si étrange, si difficile qu'elle semble relever d'un défi, d'un pari.
|| (Québec) Pari.
⇒GAGEURE, subst. fém.
A. — Vieilli. Action de gager. Tenir, faire, soutenir la gageure. Chacun paria pour ce qu'il croyait véritable. La gageure était sérieuse; elle fut faite et tenue devant notaire (A. FRANCE, J. d'Arc, t. 2, 1908, p. 416) :
• 1. Cette tentative [de courses de chevaux] vint à la suite d'une gageure qu'avait faite à Fontainebleau (...) un gentilhomme anglais (...). Il avait parié mille louis qu'il ferait, en deux heures, le trajet de Fontainebleau à la barrière des Gobelins, et il gagna de quelques minutes.
JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 202.
— Au fig. et fam. Soutenir la gageure. Persévérer dans quelque chose que l'on a entrepris malgré les difficultés; persister dans une opinion malgré les oppositions. La vie, en somme, n'a pas trop mal servi M. Renan, l'a passablement aidé à soutenir sa gageure (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 210) :
• 2. ... annoncer aux nations qu'on se comportera comme si ce qui existe n'existait pas et comme si ce qui n'existe pas existait, c'est une gageure que l'on peut soutenir quelque temps par la distraction ou la confiance du public, la longanimité ou la ruse de l'adversaire; mais, sitôt que le jeu devient sérieux, on perd.
MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, p. 33.
B. — P. méton.
1. Fam. Action étrange, opinion singulière que seul un défi peut expliquer. Je n'ai point à mentionner M. Simond, dont le voyage semble une gageure, et qui s'est amusé à regarder Rome à l'envers (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 437). Nous avons à donner à nos amis une fête qui est une véritable gageure dans ce désert, vous le savez (ANOUILH, Répét., 1950, I, p. 27) :
• 3. Et il faut dire que tout le poème, toute la pièce est comme une gageure. C'est déjà un défi, et c'est risquer gros, c'est jouer gros jeu, pour un moderne, que de se mettre, d'aller se mettre du Du Bellay en épigraphe, et un tel Du Bellay.
PÉGUY, V.-M., comte Hugo, 1910, p. 712.
— Proverbe. Gager sa tête à couper, c'est la gageure d'un fou (Dict. XIXe s.; Lar. 20e, QUILLET 1965).
2. La chose gagée elle-même. Voilà la gageure que je vous dois. Quand me paierez-vous ma gageure? (Ac. 1798-1932).
Prononc. et Orth. : []. Var. [-] unanimement réprouvée; elle correspond d'apr. MART. Comment prononce 1913, p. 240, à une lecture fautive gag-eure pour gage-ure, puisque « le suff. -eure n'existe en fr. que dans quelques féminins de comparatifs de formation anc. : meill-eure, pri-eure, min-eure, maj-eure, et dans les fém. des adjectifs en -érieur ». (MART. date cette prononc. du remplacement de gageure par pari dans l'usage courant). Bien que Thurot n'en ait trouvé aucune trace anc. (BUBEN 1935 § 70), elle est mentionnée indirectement dans Ac. 1740-1878 : ,,On prononce gajure``. Elle est pratiquée par 9 des 17 témoins de MARTINET-WALTER 1973. Étymol. et Hist. 1. a) Fin XIIe s. faire wageure « convention par laquelle deux ou plusieurs parties s'engagent à verser une certaine somme ou à donner un certain objet (enjeu) à la partie qui aura raison » (Cantique des Cantiques, éd. C.E. Pickford, 2939); b) XIIIe s. wagour masc. « la chose gagée elle-même » (Le Dit de la gageure, 123 ds Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t. 2, p. 196, 123), attest. isolée, de nouv. 1636 gageure fém. (MONET); 2. 1678 soutenir la gageure « persévérer dans une entreprise difficile » (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettre du 28 avr., éd. L.-J. N. de Monmerqué, t. 5, p. 437); 3. 1684 « action, projet, opinion si étrange, si difficile qu'on dirait un pari à tenir » (ID., ibid., t. 7, p. 317). Dér. du rad. de gager; suff. -ure. Fréq. abs. littér. : 188.
ÉTYM. Fin XIIe, faire wageure, dr.; de gager, et suff. -ure.
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1 Vx. Promesse réciproque de payer le gage convenu si on perd un pari. ⇒ Pari (→ Amuser, cit. 10). || Faire, accepter une gageure. — Littér. || La Gageure imprévue, comédie de Sedaine.
1 — Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite.
— Et quelle ?
— Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière : il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui.
Molière, l'Impromptu de Versailles, 4.
2 Puis vinrent les immondes gageures; ils s'enfonçaient la tête dans les amphores, et restaient à boire sans s'interrompre comme des dromadaires altérés.
Flaubert, Salammbô, I.
3 (…) une des jeunes filles (…) gagea qu'elle lui demanderait un jour de congé, énormité dans une communauté aussi austère. La gageure fut acceptée, mais aucune de celles qui tenaient le pari n'y croyait.
Hugo, les Misérables, II, VI, V.
♦ Soutenir la gageure : accepter la gageure proposée. — Au fig. Persévérer dans une entreprise, une attitude, comme si on voulait tenir un pari, le gagner.
4 Je lui fais crédit pour sa conduite; tous ses amis se sont si bien trouvés de s'être fiés à lui, que je veux m'y fier encore : il saura très bien soutenir la gageure par la règle de sa vie.
Mme de Sévigné, 688, 28 avr. 1678.
REM. Dans tous les emplois anciens ou archaïques, la prononciation requise est [gaʒyʀ].
2 (1694). Mod. et littér. Action, projet, opinion… qui présente un tel caractère d'étrangeté ou de difficulté qu'on est tenté d'en voir le motif dans un pari à tenir. ⇒ Défi. || C'est une gageure, cela ressemble à une gageure ! || Il a accompli cette gageure de réconcilier deux ennemis mortels. → Tour de force. || C'est une gageure de croire au succès d'une entreprise si mal commencée.
5 Monsieur, je ne sais qui vous a donné le droit de m'écrire dans de pareils termes. Si ce n'est pas une méprise, c'est une gageure ou une impertinence. Dans tous les cas, je vous renvoie votre lettre, qui ne peut pas m'être adressée.
A. de Musset, Nouvelles, « Les deux maîtresses », V.
6 On m'a généralement accordé que c'était une entreprise difficile, et en un certain sens, en ce temps moderne, comme une gageure.
Ch. Péguy, Victor-Marie comte Hugo, p. 29.
7 (…) il (Rimbaud) n'a été que l'occasion, pour Verlaine, de s'enfuir de ce mariage, qui était en lui-même déjà une gageure. La gageure était d'imaginer Verlaine fait pour le mariage.
Émile Henriot, Portraits de femmes, p. 430.
Encyclopédie Universelle. 2012.