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ALTRUISME
ALTRUISME

Généralement, le terme d’altruisme qualifie une attitude morale concrète qui, par-delà toute crainte et même toute norme, privilégie autrui. L’altruisme manifeste un débordement de l’amour propre naturel, calculateur et soucieux de préserver le soi, et du désir érotique qui porte éperdument vers autrui mais un autrui à posséder. Une sorte d’aura entoure le terme d’altruisme. On est aux confins de l’exceptionalité: l’individu, par l’autre et pour l’autre, est élevé au-dessus de lui-même. L’altruisme serait rien moins que naturel. La Bible entière fait de l’amour du prochain, égal à et même critère de l’amour de Dieu, une exigence. Et la célébration de l’amitié dans la philosophie ancienne, stoïcienne et épicurienne, chez Montaigne aussi, exprime remarquablement la rareté et le bienfait inattendu de cette générosité qui met l’autre au-dessus de soi et fait de la relation généreuse le lieu d’une vie nouvelle. L’altruisme n’est pas qu’affaire de sentiment. Il est décision pour l’humanité de tous. Montesquieu en a donné la formule sublime: «Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime.» L’une des plus fines analyses contemporaines est celle de Max Scheler, véritable éloge de la relation à autrui. Celle-ci y est moins un idéal qu’un accomplissement de soi, comme si tout notre dispositif corporel, psychique, moral était en attente d’autrui pour déployer des virtualités sans lui paralysées. Ce n’est pas là ignorer l’hostilité primitive entre individus égoïstes; c’est lui faire arrêt, par le miracle de la sympathie. L’amour triomphe de la discorde, rêve d’Empédocle. Pourtant, à travers cette immense littérature, l’altruisme paraît ne relever que de la morale ou de la psychologie et n’avoir pas d’entrée dans le discours philosophique. Celui-ci, étayé de manières diverses sur une conception substantielle du sujet, passait outre ou achoppait à la question d’autrui, non autre, mais autre moi, simple objet du jugement empirique. «Quand je regarde dans la rue, je ne vois que des manteaux et des chapeaux... je juge que ce sont des hommes» (Descartes).

Mais altruisme peut s’entendre autrement, exhiber ce qu’autrui fait valoir comme loi, désigner peut-être le lieu de naissance de l’éthique. C’est vers cet autre sens, qui radicalise l’étymologie du mot, que s’avance aujourd’hui, avec une force jamais connue dans l’histoire mais que celle-ci éclaire, la question d’autrui: autrui comme autre; altérité, non plus alter ego , différence, territoire inconnu, mais dont la frontière traverse le sujet. Ainsi comprise, la relation à l’autre fait éclater les théories traditionnelles de l’intersubjectivité. La notion d’altérité, avec tout ce qu’elle connote d’altération, de brouillage et de proximité impérative, conduit ainsi, par une sorte de travail de sape, à réviser les conceptions du sujet, de la conscience, des valeurs, du langage, mais aussi à repenser, à l’autre extrême, les pivots de la métaphysique, Nature, Être, Dieu. Cette pensée nouvelle de l’autre est aujourd’hui insistante et multiforme: «Je pense qu’il serait intéressant d’examiner si l’on peut écrire une Critique de la raison altruiste» (Jean-François Lyotard). Toute synthèse serait trompeuse. Seules quelques lignes de fond peuvent être évoquées. Elles n’échappent pas à une rhétorique, laquelle, pour donner lieu souvent à l’emphase et à la confusion, n’est en son principe aucunement exclusive de la logique la plus formelle, puisqu’elle en provient et l’appelle.

Figures de l’altérité

La problématique de l’autre n’est pas un produit de l’immédiate modernité même si celle-ci, par bien de ses traits, permet de mieux comprendre son irruption sur le devant de la scène. Hegel la met en figure de façon très adéquate. Même si, dans la Phénoménologie de l’esprit (1807), la négation se révèle être, au terme, la médiation du concept, la présence de l’esprit que tout lie, «à la fois réhabilitant et systématisant, déchaînant et enchaînant la puissance de l’autre, contre et dans la conscience du même», Hegel a détecté ce moment d’exception dans l’avènement de la conscience de soi qu’est la rencontre d’une conscience avec une autre conscience. La dialectique maîtrise-servitude met très précisément et dramatiquement en acte ce qui fait l’unicité de cet événement: le désir et la mort, la peur dans la rivalité, la jouissance et son coût, bref l’asymétrie intolérable avant toute forme d’entente, autrement dit la violence. Autrui apparaît, dans la logique de la vie, avec l’évidente souveraineté de la lutte à mort, comme radicalement autre que moi et différent de tout phénomène de la nature. Moins d’un siècle plus tard, Freud n’a cessé de traquer avec un raffinement sans pareil «l’inquiétante étrangeté» de l’autre. Ce n’est plus la conscience en général, mais l’homme individué, sexué qui est envahi, occupé, par avance, par la diversité plurielle d’autrui, sexuelle, généalogique, culturelle. Rien de plus illustratif, par exemple, que les études réunies dans La Vie sexuelle : du nourrisson à l’adulte, chez l’homme et chez la femme, à travers l’amour et la mélancolie, dans la sublimation et les pathologies, nous n’assistons qu’aux variations indéfinies de l’instable relation constitutive qui lie autrui au moi et l’entame. Et, parmi tant d’autres textes, La «Gradiva» de Jensen fait voir merveilleusement cet entrelacs au plus ténébreux du délire et des rêves dans la création esthétique, là même où le moi féconde sa solitude.

Plus antérieurement et avec des accents évidemment différents selon les traditions, la mystique religieuse déploie le poème, pourrait-on dire, du sujet érodé par la passion de l’autre, de la divinité sans figure et dont la véhémence du désir et la proximité d’autrui sont la trace et l’annonce. Il a été démontré que l’époque où la mystique chrétienne s’autonomise (XVIe-XVIIIe s.), contemporaine du baroque, donc de la conscience douloureuse de la vanité du monde, mais aussi de la poussée humaniste, fut celle aussi où s’articula remarquablement la forme du discours de l’autre. La mystique, face à un monde bouleversé par le retrait au Moyen Âge et qui reprend force sous l’égide de la raison législatrice, inaugure, selon une économie du sujet désirant, une voie tierce, ni de simple deuil de la substance évanouie ni de soumission au seul ordre de la raison identificatrice. Née du désir de l’autre que n’enferme aucune définition, fût-ce Dieu, la mystique fait ainsi prévaloir le champ relationnel sur celui de l’implication et de ses subordinations. L’énoncé dans le langage devient inséparable de l’acte même de l’énonciation, voué donc à l’imprévisible de l’événement. La femme, l’enfant, le fou, l’ignorant sont censés jouir d’un savoir égal à celui des savants et des autorités, qu’ils inquiètent.
Une «science de l’expérience» lézarde partout le dogme. Enfin – et c’est le secret de sa force –, l’idée de l’autre se présente ailleurs que dans l’instance autoritaire ou l’évidence rationnelle: elle est expérience sensible, celle de corps blessés, livrés au feu du désir, et dont la parole, malaisément classifiable, abondante, crée non pas une représentation d’essence, mais de la fable, une fiction. L’origine comme la visée en sont un mieux-agir dans la relation même, impératif éthique qu’exprime idéalement le terme amour. Plus qu’une thérapie de l’exil et de la désolation, l’amour est retournement du soi, le geste juste face à l’autre.

Cette configuration mystique, historiquement datée dans sa structure chrétienne, fait apercevoir comme par un interstice la source dissimulée et la plus lointaine de l’altruisme actuel. La mystique en effet est l’épreuve, à l’intime de soi, qu’impose tout étranger à la cité, à la clôture, à l’identité subjective. Il n’est pas si étonnant qu’elle s’épanouisse à l’heure où l’Europe vit non seulement des scissions internes, mais la découverte du Nouveau Monde. Le regard retombe sur le barbare, qui fait coupure, séduit, trouble. À lire la littérature sur le sort que toute culture (juive, grecque, romaine...) a réservé à l’étranger, il semble que jamais autant qu’à la Renaissance le barbare n’ait été autant primitif, infiniment étranger, infiniment intrigant. Incompréhensible, excentrique, inférieur, comme il l’était pour les Grecs, mais aussi cruel, ou plutôt quasi synonyme de la nature, mélange inextricable de l’utopie de la bonté et de la spontanéité dévastatrice. Éliminable, souvent éliminé, il résiste, devient une question dans le conquérant lui-même. Au moment où christianisme et philosophie se promettaient l’universalisation par l’usage de la raison, un intrus venait la subvertir, jeter le soupçon sur le rangement des êtres et des choses. Le nouveau marquait la limite. Rabelais, Montaigne, le Neveu de Rameau mènent à leur comble les va-et-vient de l’autre au moi, de moi à l’autre. L’étranger n’est pas assimilable, le moi n’est pas totale présence à soi. «Il y a plus de distance de tel homme à tel homme qu’il n’y en a de tel homme à telle bête» (Montaigne). Telle sera la leçon finale de l’ethnologie: «On s’apercevra non sans mal que les autres peuples ne correspondent pas à nos bizarreries intimes, mais que l’autre est tout simplement... autre» (Julia Kristeva). L’étranger introduit du symbolique dans la cité, tierce dimension, qui brise la ligne droite de l’égal à l’égal et l’harmonie du même. Trouble du spéculaire? Crise de toute spéculation totalisante?

Autrui

Autrui, est-ce une entrave à la raison théorique, unificatrice par essence? Platon remarquait déjà que l’absolument autre est impensable, que donc tout le divers avait à trouver son identité sous la règle de la raison, enchaînante en partie, mais surtout libératrice vers un sens. Hegel, attentif à cet autre mode de diversité qu’est l’histoire, tente de lui trouver une intelligibilité. Aujourd’hui, c’est la cruauté même de cette histoire, à laquelle ont éveillé des mouvements philosophiques tels que l’école de Francfort, mais aussi une conscience générale face à l’événement, qu’il s’appelle génocide, totalitarisme, racisme, exploitation, bref la violence interhumaine, qui met en question la capacité de cette raison. Autrui, «un homme en trop» (Claude Lefort), vient en quelque sorte alourdir la diaphane dialectique platonicienne. Dès lors, ne convient-il pas de réexaminer ce «respect», cheville de l’édifice kantien, ce magnifique équilibre entre une raison qui se sait limitée dans sa visée d’intelligibilité totale, mais seule apte, comme raison pratique, à assurer la paix entre les hommes?

Autrui: l’obligation et la trace

Autrui comme autre que moi, qui se refuse originellement à l’identification, qui pourtant me lie à lui jusqu’à fissurer mon moi, et m’ouvre sans tristesse sur l’abîme des commencements et l’indistinction de la fin, telle pourrait être, simplifiée à l’extrême, la thèse d’Emmanuel Levinas, le penseur le plus radical de l’altérité. Éthique ? Non, si l’on entend par là le corollaire d’une conception du monde, un système de valeurs, de droits et de devoirs. Oui, si on la prend comme «optique», c’est-à-dire une perspective d’intelligibilité qui ne coïncide pas avec la priorité de l’évidence rationnelle, de «la vision des idées».

Indétachable de la tradition phénoménologique (Husserl, Heidegger) mais aussi de la tradition juive pharisienne, la pensée de Levinas se développe non pas à partir d’une déception de la raison, mais d’une sorte de désaveu de son désir premier, celui de l’absolument autre, «le désir métaphysique». Le Bien chez Platon, l’idée cartésienne de l’infini, l’exaltation de la raison pratique chez Kant, le désir de la reconnaissance chez Hegel, le dégrisement de la raison chez Heidegger témoignent de la permanence de ce désir aux ailes coupées par le discours. Or, pour Levinas, ce désir a un point d’ancrage dans l’immédiat, le visage d’autrui.

Le paradoxe du visage est qu’à la fois il se montre et dérobe quelque chose de lui-même en sa monstration, énigme, non-phénomène. Le face-à-face n’est pas co-présence, il est proximité. Celle-ci n’est pas proximité de l’égal à de l’égal, mais asymétrie, primauté de l’autre, renversement donc du geste premier de la conscience, la maîtrise du spectacle. Cette asymétrie revêt un double aspect, autrui apparaît comme «chose» infirme, suppliante, malléable, mais aussi dans la dimension de la hauteur, foncièrement irréductible. Cette misère et cette hauteur arrachent le moi à l’in-différence, font obligation, assignent. Cette assignation ne vient donc pas d’une voix intérieure, elle est imposition du dehors. Le mouvement vers autrui n’est pas élan de générosité ou d’initiative, mais réponse. Et, en raison de son origine dans l’autre, ce mouvement tend à être mouvement extatique, exode, sortie de soi. Son expression première est le souffle dans le dire, cette expiration dans le geste de la parole disant, avant tout contenu, «me voici». Cette relation d’asymétrie obligeante est pour Levinas l’expérience originelle .

Toutefois, la relation éthique est d’emblée relation à tout autre, à tous les autres. Dès lors, si le premier mot est «me voici», les autres appellent à l’exercice du langage de la justice, de la raison calculatrice, visant à l’universel, de la philosophie, «sagesse du désir». Ce caractère second et nécessaire de la thématisation vérifie le caractère originaire de la relation éthique: le désir de l’intelligibilité, âme de la philosophie, ne dirait pas la nature véritable de la pensée. Dans la «logique» du primat d’autrui, la pensée, originairement aussi, serait éveil, réveil, insomnie, question, herméneutique perpétuelle. Et c’est dans cette veille à partir de l’assujettissement à autrui que Levinas se sent autorisé à penser la transcendance absolue, Dieu, ni sujet ni objet, mais dans la dimension de l’illéité, de la troisième personne. Autrui en serait la trace. L’infini est proche, non présent, toujours déjà passé. Nous serions dans l’à-Dieu. Dans cette éthique sans moralisme, autrui déchire la trame du continu; le moi est dans le temps convoqué au Jugement dernier. Le tribunal de l’histoire se rassemble trop tard. Il est foncièrement injuste.

La connaissance d’autrui

Levinas décrit admirablement la percussion d’autrui, révolution post-copernicienne où l’autre a pris la place du soleil. Merleau-Ponty, dans un texte inachevé (La Prose du monde ), d’une rare et subtile élégance, tente de cerner ce qu’est la connaissance d’autrui et son bien incommensurable.

Il part d’un double constat. L’un d’évidence, l’autre de perplexité. D’un côté un livre, un échange révèlent sans conteste l’empiétement de moi sur autrui et d’autrui sur moi. Mais, d’un autre côté, où localiser cet autre sujet percevant? «Autrui ne se présente jamais de face.» Il n’est pas dans les choses, il n’est pas figé dans son corps, pourtant il n’est pas moi. L’expérience première est celle de «mon double errant», en mystérieux décalage, me faisant inévitablement violence puisqu’aussi bien n’étant pas devant moi il est «de mon côté, à mon côté, derrière moi», mais autre aussi, dont je sens qu’il me sent, me décentre, me destitue, sans parade efficace de ma part. L’expérience d’autrui est celle d’une multiplication des sujets percevants, de leur interpénétration, la fin sentie du solipsisme transcendantal.

Comment comprendre ce pluriel? Comment est-il possible que ce qui est dépourvu de la concrétude de l’être, à côté de moi, en moi, ait une pesanteur égale à la mienne? Pour y répondre, Merleau-Ponty relit notre expérience primordiale de l’Être. Elle est celle d’une «infime différence qui me sépare de lui». Et celle-ci est primordialement donnée au sentir, c’est-à-dire à un corps en quelque sorte plus large, plus opaque que la conscience qu’après-coup nous en prenons. Il y aurait ainsi une généralité première du sentir par le corps avant la conscience. Et Merleau-Ponty en conclut magnifiquement: nous trouvons autrui comme nous trouvons non pas notre je, notre esprit, mais notre corps. Autrui est du côté de notre corps, d’où cette impression, cette fois légitimée, que c’est par-derrière, à partir de cette généralité du sentir, qu’autrui se glisse dans ma perception.

La parole expressive, cet «acte unique», ce «pouvoir inouï», est la manifestation de cette co-implication des sujets. Qu’est cette parole? La parole dit toujours plus que ce qu’elle dit mot par mot; elle s’anticipe en l’autre; elle crée de l’universel, qui n’est pas le discours du genre humain, mais l’assemblage de langages fragmentaires. Il ne s’agit pas là de dialogue, mais d’une intrication des uns dans les autres. «Ils se font autres en disant ce qu’ils ont de plus propre.» Dès lors qu’on ose «franchir ces ponts de neige» que sont les paroles expressives, une universalité reconnue , articulée devient la réplique et le renouvellement de la généralité du sentir. «La sursignification de la parole» instaure un sens parmi les hommes, tout autre qu’un algorithme, irréductible à une configuration achevée.

Qu’effectue donc la parole? Un double mouvement. D’un côté, elle entraîne dans l’autre non par un face-à-face réconciliateur, mais de biais, par la séduction que crée un style. «Elle réalise l’impossible accord de deux totalités rivales.» D’un autre côté, par l’incursion de l’autre en moi, par la parole, «ma propriété fondamentale de me sentir a trouvé son témoin nécessaire». Autrui devient le garde-fou qui protège de la possible illusion perceptive, sauvegarde le moi de n’être qu’un songe, arrime à mon corps. Autrui confirme, garantit et le lien à l’Être et la différence. Toutefois, précisément en raison de ce qu’est la parole expressive, pas plus qu’autrui n’est donné en entier, pas davantage il ne réduit l’opacité dernière du moi. Au contraire, par la lumière de la parole, chacun est remis à l’énigme qu’il demeure. «Le mystère d’autrui n’est pas autre chose que le mystère du moi.» Cela, seul autrui le révèle, le fonde, le justifie.

altruisme [ altrɥism ] n. m.
• 1830; de autrui, d'apr. lat. alter « autre »
Disposition à s'intéresser et à se dévouer à autrui (aussi allocentrisme, philanthropie). « Cette charité froide qu'on nomme l'altruisme » (France).
Philos. Doctrine considérant le dévouement à autrui comme la règle idéale de la moralité.
⊗ CONTR. Égoïsme.

altruisme nom masculin (du latin alter, autre, avec influence de égoïsme) Souci désintéressé du bien d'autrui : Agir par altruisme.altruisme (synonymes) nom masculin (du latin alter, autre, avec influence de égoïsme) Souci désintéressé du bien d'autrui
Synonymes :
- bonté
- charité
- générosité
- humanité
- philanthropie
Contraires :
- égoïsme

altruisme
n. m. Propension à aimer et à aider son prochain. Ant. égoïsme.
|| PHILO "Doctrine [...] qui pose au point de départ l'intérêt de nos semblables comme but de la conduite morale" (Lalande).

⇒ALTRUISME, subst. masc.
A.— PSYCHOL. Disposition bienveillante à l'égard des autres, fondée sur la sympathie. Synon. philanthropie; anton. égoïsme, égocentrisme :
1. Partout où il y a des sociétés, il y a de l'altruisme, parce qu'il y a de la solidarité.
É. DURKHEIM, De la Division du travail social, 1893, p. 174.
2. Elle devait en conclure à une guérison possible, si cette déchéance n'était que de la neurasthénie, et cela d'autant plus que toutes les facultés d'Ortègue s'exaltaient à la fois, son altruisme, par exemple. Il avait toujours prodigué son dévouement au service des malheureux.
P. BOURGET, Le Sens de la mort, 1915, p. 92.
3. On n'oublie pas, d'autre part, que la politique libérale — qui ne se déduit point scientifiquement de la théorie de l'équilibre — n'a jamais, du moins sous ses formes intelligentes, refusé de voir l'altruisme à l'œuvre dans les sociétés.
F. PERROUX, L'Économie du XXe siècle, 1964, p. 384.
Spéc., chez A. Comte. Disposition organique; ensemble des penchants sympathiques innés, tels que l'affection, la vénération, le dévouement :
4. Cette relation générale facilite beaucoup le grand problème humain, subordonner l'égoïsme à l'altruisme. En effet, l'énergie supérieure des instincts personnels peut ainsi servir à compenser la langueur naturelle des instincts sympathiques, par une impulsion initiale que ceux-ci n'auraient pas spontanément. Une fois surgie, l'affection bienveillante persiste et grandit d'après son charme incomparable, malgré la cessation de ce grossier stimulant.
A. COMTE, Catéchisme positiviste, 1852, p. 166.
PATHOL. Altruisme morbide. ,,Comportement d'apparence altruiste dont les motifs, l'objet et l'ampleur résultent de causes pathologiques`` (POROT 1960), p. ex. mégalomanie, paranoïaques, psychopathes :
5. Dans certaines psychoses, par exemple dans l'hystérie, on trouve une espèce d'altruisme qui fait que le malade ne peut plus vivre ou sentir par lui-même, et construit son expérience à partir de celle d'un autre, en fonction de la perception, de l'attente ou de la réaction que cet autre aurait dans tel ou tel...
P. NIZAN, La Conspiration, 1938, p. 100.
B.— MOR. Conduite de l'homme responsable qui pose comme but de l'activité morale l'intérêt de ses semblables. Quasi-synon. abnégation, générosité; anton. égoïsme, hédonisme :
6. — Je crois, en effet, Maître, qu'on ferait bien...
— Ah! vous le pensez aussi, Bardamu, je ne vous le fais pas dire! Chez l'homme, voyez-vous, le bon et le mauvais s'équilibrent, égoïsme d'une part, altruisme de l'autre... chez les sujets d'élite, plus d'altruisme que d'égoïsme.
L.-F. CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 117.
7. Cet homme qui rêvait d'être un apôtre, qui n'a jamais hésité à consacrer son temps, son autorité, son intelligence, à de nobles initiatives et à la défense des plus justes causes; qui, tant de fois dans sa vie, a donné d'éclatants témoignages de son altruisme et de son désintéressement, était également capable de méchancetés et de mesquines rancunes.
R. MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques et littéraires, 1955, p. XC.
Prononc. :[]. PASSY 1914 transcrit : [altryism].
Étymol. ET HIST. — 1852 « ensemble des penchants bienveillants de l'individu » (A. COMTE, Catéchisme positiviste, p. 60 : La prépondérance habituelle de l'altruisme sur l'égoïsme, où réside le grand problème humain, y résulte directement d'un concours continu de tous nos travaux, théoriques et pratiques, avec nos meilleures inclinations).
Dér. sur le modèle de égoïsme, du rad. de autrui d'apr. son étymon lat. alter; suff. -isme. D'apr. DAUZAT 1968 et BL.-W.5 ce mot aurait été créé vers 1830 soit par A. Comte soit par Andrieux qui fut un de ses professeurs à l'École polytechnique (cf. M. LEROY, Hist. des idées sociales en France, Paris, Gallimard, t. 3, 1954, p. 103).
STAT. — Fréq. abs. litt. :60.
BBG. — BAILLY (R.) 1969 [1946]. — BAR 1960. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BIROU 1966. — DARM. 1877, p. 209. — DUP. 1961. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GALL. 1955, p. 30, 400. — GOBLOT 1920. — JULIA 1964. — LAFON 1963. — LAL. 1968. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — POROT 1960. — ROMEUF t. 1 1956.

altruisme [altʀɥism] n. m.
ÉTYM. V. 1830, A. Comte (ou l'un de ses professeurs), d'abord didact., répandu par Comte; de autrui, d'après le lat. alter « autre », et pour correspondre à égoïsme.
Disposition à s'intéresser et à se dévouer à autrui. || Il n'agit pas par altruisme, mais par calcul.Philos. Doctrine considérant le dévouement à autrui comme la règle idéale de la moralité.
1 Pour les utilitariens, l'altruisme est l'amour d'autrui pour soi; pour les positivistes, c'est l'amour d'autrui pour autrui.
Goblot, in Lalande, Voc. de la philosophie, art. Altruisme.
2 (…) il a cette charité froide qu'on nomme l'altruisme. Il n'est pas humain parce qu'il n'est pas sensuel.
France, le Lys rouge, p. 63.
3 Il y a une ivresse d'altruisme qu'on peut étudier dans la Révolution française et dans l'Église primitive, et ces crises de fraternité répondent à un besoin aussi violent que la faim, la soif et l'amour.
A. Maurois, les Discours du Dr O'Grady, IV, p. 42.
CONTR. Égoïsme.
DÉR. Altruiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.