CHOSE
CHOSE
Terme de la langue ordinaire dont la référence, une fois exclus les êtres animés, est purement contextuelle: telle «chose difficile», c’est ce sur quoi porte mon action tandis que je parle; «la chose en question», c’est ce dont nous nous entretenons sans lui donner son nom usité; «dites quelque chose» signifie «dites n’importe quoi pourvu seulement que ce soit pertinent dans la situation présente»; de même, «il faut faire quelque chose». Linguistiquement, le mot «chose» a le statut d’une quasi-variable de la langue ordinaire dont le domaine de substitution est défini pour chaque occurrence de manière contextuelle, implicite et pragmatique. Il existe de nombreux équivalents fonctionnels plus ou moins familiers: «truc», «bidule», «machin», entre autres.
Lorsque le mot «chose» a un sens propre, on doit distinguer:
– Chose et fait, chose et événement, la chose étant une réalité permanente statique, substantielle. Le titre d’un film tel que Les Choses de la vie connote le compte rendu d’événements survenant justement comme des réalités toutes familières et présentes à la manière des choses; c’est une métaphore neuve qui transgresse de manière significative l’habituelle distinction de deux domaines.
– Chose et phénomène, distinction avec laquelle on passe de la langue commune à la langue scientifique ou philosophique; c’est le réalisme naïf qui croit qu’il y a des choses, c’est-à-dire des réalités tangibles perçues telles qu’elles sont.
– Chose et objet, celui-ci étant le corrélat soit d’un sujet épistémologique qui le constitue à la manière kantienne, soit d’un sujet producteur qui le fabrique; la chose est indépendante, dans son être, du sujet.
– Chose et réalité, celle-ci s’opposant implicitement au rêve, à l’idéal, à l’illusion. La chose est, si l’on peut dire, tranquille en elle-même et ne s’oppose à rien. On peut noter que Hegel est le premier à donner (au début de la Phénoménologie de l’esprit ) un statut philosophique à la «choséité», simple support statique de propriétés juxtaposées par un «aussi». La chose possède une sorte d’universalité indifférente et passive; elle est un passage du «ceci» à la force.
À un même niveau du vécu, on oppose choses et bêtes ou gens comme autant de manières d’être, de situations ontologiques. En art, la peinture des «choses» donne lieu à ce qu’on a appelé un temps «vies coites», c’est-à-dire muettes, puis natures mortes. «Chose» peut avoir alors un sens laudatif: le poète Rilke a célébré l’intimité sereine et apaisante des choses (ainsi dans les Sonnets à Orphée , II, XIV: «Celui qui les emporterait dans l’intimité du sommeil et dormirait/profondément avec les choses — oh! comme il reviendrait léger/différent en face du jour différent, de la commune profondeur »).
Les choses ont une présence à la fois indépendante et apprivoisée; leur aspect substantiel et élémentaire suscite des rêveries poétiques et philosophantes que décrit Gaston Bachelard dans La Flamme d’une chandelle .
Une distinction juridique fondamentale est opérée par Justinien entre les choses (qui peuvent être échangées, léguées, possédées, détruites, et ne sont pas sujets de droit) et les actions ou les personnes. Cette distinction reçoit en philosophie une portée éthique. Pour Kant, si les choses peuvent être employées comme moyens, les personnes doivent toujours en même temps être traitées comme des fins. «Chose» acquiert un sens péjoratif. Traiter autrui comme une chose, c’est lui faire injure. Pour Sartre, le regard qui se pose sur moi comme il se pose sur les choses me «chosifie», m’aliène et me dénature. Le fétichisme dont Marx fait la théorie revient pour une part à traiter les objets comme des choses, c’est-à-dire à oublier qu’ils ont été fabriqués par des hommes. Dans le même ordre d’idées, le célèbre roman de Georges Perec intitulé Les Choses décrit l’enlisement d’un couple dans la fascination par les choses où s’annihile toute relation humaine.
Le mot de «réification» est utilisé comme un doublet de «chosification»: on parle ainsi de la réification des rapports sociaux.
chose [ ʃoz ] n. f. et m.
• XIIe ; cosa 842; du lat. causa qui a pris le sens de chose en lat. jurid., après avoir éliminé res
I ♦ Terme le plus général par lequel on désigne tout ce qui existe et qui est concevable comme un objet unique (concret, abstrait, réel, imaginaire). ⇒ 2. être, événement , objet. La chose que je redoute le plus, c'est... ⇒ 1. ça, 2. ce, ceci, cela. Imaginer une chose. Chaque chose en son temps, à sa place. Ce n'est pas chose aisée, chose facile. Loc. Toutes choses égales d'ailleurs. C'est la moindre des choses. Avant toute chose : premièrement. De deux choses l'une : il existe deux possibilités (l'une excluant l'autre). ⇒ 1. alternative. — PROV. Chose promise, chose due. — Spécialt
1 ♦ Les choses : le réel. ⇒ 2. fait, phénomène, réalité. Il faut bien voir les choses. — Loc. Regarder les choses en face. Appeler les choses par leur nom. Aller au fond des choses. Faire la part des choses. — Spécialt (opposé à idée, mot) Le nom et la chose. Loc. prov. Le nom ne fait rien à la chose. — Philos. La chose en soi : l'être en tant qu'il existe indépendamment des conditions et des circonstances, par opposition à phénomène. ⇒ noumène, substance.
2 ♦ Réalité matérielle non vivante. ⇒ objet. Les actes, les événements et les choses. Les êtres (vivants) et les choses.
♢ Cour. Objet concret indéterminé. ⇒fam. bidule, machin, 1. truc. Offrir quelques petites choses. ⇒ babiole, bagatelle. Que de bonnes choses à manger !
♢ Dr. Objet matériel susceptible d'appropriation. ⇒ 2. bien, 2. capital, patrimoine, propriété, richesse. Les personnes et les choses. L'esclave était considéré comme une chose. Fig. Être la chose de qqn (⇒ dépendance) . Il n'osait plus « la frapper, la pétrir comme sa chose mauvaise et rétive, mais sa chose à lui » (France).
3 ♦ (Surtout plur.) Ce qui a lieu, ce qui se fait, ce qui existe. ⇒ affaire, circonstance, condition, événement, 2. fait. Vx Leçons de choses. Les choses humaines, de ce monde, d'ici-bas. C'est chose commune. ⇒ banalité. Le cours naturel des choses. C'est dans l'ordre des choses. Par la force des choses. Il a fait de grandes choses. ⇒ 1. acte, 1. action. Il sait un tas de choses. « Rêve de grandes choses, cela te permettra d'en faire au moins de toutes petites » (Renard). Dans cet état de choses. ⇒ conjoncture. En mettant les choses au mieux, au pire : en considérant l'hypothèse la plus favorable, la plus défavorable. Prendre les choses comme elles viennent : accepter les événements tels quels. Voilà où en sont les choses. Ce sont des choses qui arrivent. Il se passe des choses bizarres. — Faire bien les choses : travailler consciencieusement, et par ext. traiter ses invités avec largesse. Ne pas faire les choses à moitié. Le hasard fait bien les choses.
4 ♦ La chose : ce dont il s'agit. Je vais vous expliquer la chose. Comment a-t-il pris la chose ? C'est chose faite. — Loc. prov. Chose dite, chose faite. — Au plur. Mettre les choses au point, au clair. — (Euphém.) Être porté sur la chose (sexuelle). ⇒ 1. ça.
5 ♦ (Avec dire, répéter, etc.) Paroles, discours. Il lui a dit des choses désobligeantes. Je vais vous dire une chose. J'ai plusieurs choses à vous dire (⇒ 1. point) . Parlons de choses sérieuses. Dites-lui bien des choses de ma part : faites-lui mes amitiés. Pop. Bien des choses à votre femme. Il lui répète cent fois la même chose. Parler de choses et d'autres : bavarder sur divers sujets de peu d'importance (cf. De tout et de rien). « Il y a des choses que l'on peut dire aux autres; et d'autres qu'on ne peut dire qu'à soi-même » (Valéry). Ce n'est pas une chose à dire.
6 ♦ (Désignant l'objet du discours ou du jugement) C'est une chose incroyable, extraordinaire. C'est une excellente chose. Voilà une bonne chose de faite. — Ce qu'on isole pour le considérer, pour en juger. Il y a de belles choses (des beautés), des choses intéressantes dans ce livre.
7 ♦ Dr. LA CHOSE JUGÉE : la décision du juge. ⇒ cause. L'autorité de la chose jugée.
8 ♦ (1372; lat. res publica → république ) LA CHOSE PUBLIQUE : ensemble des questions relatives aux intérêts généraux d'un pays, d'une collectivité régionale ou locale.
II ♦ Loc.
1 ♦ AUTRE CHOSE(entraîne le masc.). Je cherche autre chose d'aussi beau. C'est autre chose, tout autre chose. ⇒ différent. C'était bien autre chose que ce qu'il avait prévu. Parler d'autre chose. Penser à autre chose. Avoir autre chose à faire. — Ce n'est pas autre chose que : c'est. Son silence n'est pas autre chose qu'une approbation. Fam. Voilà autre chose ! — Littér. Autre chose de dire ceci, autre chose de le faire. — LA MÊME CHOSE.⇒ même.
2 ♦ Loc. indéf. masc. QUELQUE CHOSE. « C'est quelque chose que j'ai détesté jadis » (Montherlant). Posséder quelque chose. Manquer de quelque chose. Chercher quelque chose. Voulez-vous prendre quelque chose ? un peu de nourriture, une boisson. Avez-vous quelque chose à faire ? à dire ? Faites, dites quelque chose (cf. N'importe quoi). Quelque chose de beau, d'ennuyeux. — Quelque chose me dit que : j'ai l'intuition que. — C'est déjà quelque chose : c'est mieux que rien. — C'est quelque chose tout de même ! c'est un peu fort. — Il est pour quelque chose dans cette affaire : il y a pris part, il y contribue. — Il lui est arrivé quelque chose, un accident, un ennui. Il a quelque chose, mais ne veut pas en parler. ⇒ difficulté, embarras, ennui. — Cela m'a fait quelque chose : cela m'a bouleversé, ému. « Quand on voit des types comme ça mourir, ça fait vraiment quelque chose » (Proust). Il y a quelque chose là-dessous, entre eux, un mystère, du louche. Il y a quelque chose comme une semaine : il y a environ une semaine. — Se croire quelque chose : se prendre pour qqn d'important. ⇒ quelqu'un. Subst. Fam. Offrez-lui un petit quelque chose.
3 ♦ Grand-chose (voir ce mot).
4 ♦ PEU DE CHOSE.⇒ peu (I, 4o).
III ♦ N. m. ou appos. Ce qu'on ne peut ou ne veut pas nommer. ⇒fam. bidule, machin, 1. truc. Donnez-moi ce chose. Un chose pour ouvrir les bouteilles.
♢ S'emploie pour désigner une personne dont on ignore ou dont on a oublié le nom. Madame, monsieur Chose. « Le Petit Chose », d'Alphonse Daudet.
♢ Adj. Fam. Se sentir tout chose : éprouver un malaise difficile à analyser. ⇒ décontenancé, souffrant, triste.
⊗ CONTR. Rien.
● Chose nom Familier. Désigne quelqu'un d'une manière vague (avec majuscule et toujours sans article) : Chose m'a dit…
chose
n. f.
rI./r
d1./d Toute réalité concrète ou abstraite conçue comme une unité.
d2./d Ce que l'on ne nomme pas précisément. Insister serait la dernière chose à faire. Chaque chose en son temps. Il pleut, chose rare en cette saison. Il a très bien pris la chose. Il y a de bonnes choses dans cet ouvrage, de bons passages, de bonnes idées.
|| DR Chose jugée: ce qui a été définitivement réglé par la juridiction compétente. L'autorité de la chose jugée.
rII./r Spécial.
d1./d être inanimé (par oppos. à être vivant); objet matériel (par oppos. à mot, à idée). Les personnes et les choses. Le mot et la chose. Syn. objet.
d2./d Ce que l'on possède en propre. C'est mon bien, ma chose.
d3./d DR Choses communes: biens non susceptibles d'appropriation. L'air, la pierre sont des choses communes.
d5./d La chose publique: l'état.
d6./d (Plur.) Ce qui existe, se fait, a lieu. Les choses étant ce qu'elles sont. Il faut regarder les choses en face. Aller au fond des choses: approfondir un sujet.
d7./d n. m. Désignant un objet que l'on ne peut ou que l'on ne veut pas nommer, ou (Fam.) une personne. Passez-moi le chose, là-bas. C'est chose qui me l'a dit. Syn. machin, truc.
d8./d (Avec valeur d'adj.) Souffrant, fatigué. Je me sens toute chose. Rester tout chose, stupéfait, désorienté.
rIII/r Loc.
d1./d Loc. Pron. indéf., masc. Quelque chose: une certaine chose. Vous prendrez bien quelque chose: vous mangerez ou vous boirez un peu.
|| Suivi de de et d'un adj. au masc. Quelque chose de beau, de nouveau.
|| Il y a quelque chose comme un an que je ne l'ai vu: il y a environ un an...
|| C'est quelque chose!: exprime l'admiration, l'indignation.
d2./d Autre chose: quelque chose d'autre. Passons à autre chose.
d3./d Pas grand-chose: V. grand-chose.
d4./d Peu de chose: quelque chose de peu d'importance, de faible valeur. Il suffit de peu de chose pour le contenter. Nous sommes peu de chose.
d5./d Avant toute chose: tout d'abord.
— De deux choses l'une...: il faut choisir entre deux possibilités.
d6./d Dites-lui bien des choses (de ma part): formule de politesse.
I.
⇒CHOSE1, subst. fém.
Ce qui se manifeste et que l'on ne désigne qu'en tant que tel.
I.— Ce qui est, ce qui existe; réalité de toute espèce, envisagée indépendamment de la durée.
A.— Ce qui existe à titre d'appartenance à quelque chose ou à quelqu'un, ce qui concerne quelque chose ou quelqu'un.
1. Au plur. [L'accent est mis sur l'appartenance à un tout dont les choses sont les éléments]
a) Les choses de + subst. abstr. déterminé. Tout ce qui concerne un sujet, une matière, un domaine. Les choses de la nature, de la religion, de l'amour. La France a, dans les choses de la civilisation, l'autorité que Rome avait dans les choses de la religion (HUGO, Actes et paroles, 1, 1875, p. 130). Ils sont sans allégresse et presque sans envie, Ayant beaucoup souffert des choses de la vie (A. DE NOAILLES, Le Cœur innombrable, 1901, p. 168) :
• 1. Mlle Ampère est gentille, son expression est extrêmement douce et elle a l'air tout à fait étrangère aux choses de ce monde. Elle n'a même pas la plus simple coquetterie extérieure, celle des habillements.
DELÉCLUZE, Journal, 1825, p. 150.
♦ Les choses de Dieu. La religion.
SYNT. Les choses du cœur, de l'esprit, de l'intelligence, du sexe, de la terre; les choses d'ici-bas, d'en haut.
b) Les choses + adj. Les choses humaines. Tout ce qui se rapporte à l'existence et à la vie des hommes. Synon. condition humaine. Des réflexions philosophiques sur la fragilité des choses humaines (FLAUBERT, La Tentation de St Antoine, 1849, p. 385).
SYNT. Les choses corporelles, célestes, divines, éternelles, naturelles, mortelles, pratiques, profanes, matérielles, terrestres, temporelles, sacrées, spirituelles, surnaturelles.
2. Au sing. et, moins souvent, au plur. Propriété, possession, objet dont on fait son usage propre. C'est sa chose, avoir des choses de valeur. Synon. bien3. La guerre contre Carthage était sa chose personnelle; il s'indignait que les autres s'en mêlassent sans vouloir lui obéir (FLAUBERT, Salammbô, t. 2, 1863, p. 11) :
• 2. ... si mon débiteur aliène la chose sur laquelle j'ai un droit d'hypothèque, celui-ci n'est en rien atteint, mais le tiers-acquéreur est tenu ou de me payer, ou de perdre ce qu'il a acquis.
DURKHEIM, De la Division du travail soc., 1893, p. 84.
• 3. ... sa main [de l'organiste] se sent en contact direct avec la matière sonore qu'elle pétrit à plaisir et qui devient sa « chose ».
Ch.-M. WIDOR, Techn. de l'orchestre mod., 1904, p. 180.
— DR. Choses corporelles, incorporelles; la chose prêtée, léguée, déposée, mobilière. Une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes (Code civil, 1804, p. 352).
— Spécialement
a) Fam. Faire de qqn sa chose. Le mettre sous sa dépendance, sa domination :
• 4. Le pauvre fou Jacques Féray, objet de sa pitié, subit son ascendant, se voue à elle [Sibylle] et devient son serf et sa chose.
SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. 5, 1863-69, p. 27.
b) Choses fongibles, consomptibles, communes, hors du commerce. « La mer, disait-il [le droit romain], est une chose commune comme l'air et l'eau de pluie » (VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géogr. hum., 1921, p. 270).
B.— En gén. Ce qui existe et que l'on ne détermine pas ou que l'on détermine par le contexte.
1. [P. oppos. à ce qui n'existe pas] (Toute espèce de) réalité. De belles, bonnes, grandes, petites choses :
• 5. Il s'agit de n'être point
Mélancolique et morose.
La vie est-elle une chose
Grave et réelle à ce point?
VERLAINE, Jadis et naguère, Les Uns et les autres, 1884, p. 336.
— Partic. [Comme obj. ou finalité]
a) [De la connaissance, de la pensée] Fond des choses; connaître, ignorer une chose; la manière de présenter les choses :
• 6. À force d'écrire quotidiennement sur toute sorte de sujets, de lire beaucoup de journaux, d'entendre beaucoup de discussions et d'émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s'aveuglant lui-même avec ses faibles pétards.
FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, t. 2, 1869, p. 12.
SYNT. a) Chose + des. Nature, notion, raison, sens, valeur, connaissance, contemplation, conscience, intelligence nette, vue des choses. b) Verbe + chose. Examiner, étudier une chose; voir les choses telles quelles, comme elles sont, de l'extérieur, de près, de loin, de plus haut, à fond, dans leur ensemble, dramatiquement, en noir, profondément, simplement; apprécier les choses à leur vraie valeur; peser les choses point par point; la manière d'envisager, de considérer, de présenter les choses. c) L'idée et la chose.
♦ Loc. et proverbes. En savoir des choses! Être au courant de beaucoup de détails plus ou moins difficiles ou secrets. Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs. Porter un mauvais jugement.
♦ PHILOS. (en métaphysique, en partic. chez Kant). La chose en soi. Ce qui existe en soi, indépendamment de l'esprit qui l'appréhende. Synon. noumène, substance. Anton. phénomène.
b) [De la parole] Dire une chose, toutes sortes de choses; raconter une chose; un tas de choses à dire.
SYNT. Tant de choses; ce ne sont pas des choses à dire; rabâcher les mêmes choses, dire cent fois la même chose; dire des choses aimables, tendres, désagréables, désobligeants; parler de choses graves, indifférentes, insignifiantes, importantes, sérieuses, terre à terre; passons aux choses sérieuses; raconter une chose amusante, piquante; entre autres choses il lui a dit.
♦ Locutions
Parler de choses et d'autres. Converser à bâtons rompus, aborder toutes sortes de sujets. Synon. parler de tout et de rien. Nous causâmes des petits ennuis quotidiens, puis de choses et d'autres (J. LAFORGUE, Moralités légendaires, 1887, p. 262).
Les choses répétées plaisent. Le proverbe dit que les choses répétées plaisent, mais qu'à la troisième redite elles deviennent fastidieuses (T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 464).
[Dans la lang. des exposés didact.] Il y aurait beaucoup de choses à dire, à redire (à cela).
[Dans le lang. de la politesse] (Dire) bien des choses à qqn. Lui transmettre par un message ses salutations, ses compliments. (Dites lui) bien des choses de ma part, chez vous, à tout le monde; mille choses affectueuses, aimables, amicales, gracieuses, tendres à; tout plein de choses à (vx, fam.). Mille choses aimables à toi et à tout le monde. Napoléon (NAPOLÉON 1er, Lettres à Joséphine, 1806, p. 117). J'ai reçu une lettre de l'honnête Bardoux qui me charge de vous dire mille choses (FLAUBERT, Correspondance, 1862, p. 50).
c) [De l'action] Avoir beaucoup de choses à faire, faire les choses à fond, une chose après l'autre. Chaque chose demande son temps (MUSSET, Revue des Deux Mondes, 30 oct. 1832, p. 368). Louis, tu as fait une chose honteuse! Voilà que tu as vendu ta femme pour de l'argent (CLAUDEL, L'Échange, 1re version, 1894, II, p. 689) :
• 7. Les premières heures furent courtes. On avait un tas de choses à faire, des paquets à mettre en ordre, des dispositions à prendre pour le voyage.
VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 353.
SYNT. a) Chose base du syntagme nom. Ce n'est pas chose aisée, facile. b) Chose dans un syntagme verbal. Avoir un tas, une foule de choses à faire; s'occuper de beaucoup de choses; remettre les choses au lendemain, à plus tard; simplifier, compliquer les choses; faire les choses selon les règles; faire les choses consciencieusement, convenablement, correctement, largement, magnifiquement, mesquinement, naturellement, lentement, progressivement, rapidement, exprès, à fond, à temps, à son idée, en une heure, en grand, en conscience, en cachette, de bonne grâce, avec douceur, avec maladresse, avec règle et mesure, par principe, sans y penser.
♦ Locutions
Faire de grandes choses. Accomplir des exploits.
Ne pas faire les choses à demi, à moitié. Ne rien négliger. Sachons profiter des leçons d'un passé récent; ne faisons pas les choses à demi (JAURÈS, Europe incertaine (1908-11), 1914, p. 18).
Faire bien les choses. Les faire consciencieusement, convenablement; ne pas lésiner sur la dépense, payer tous les frais nécessaires, notamment pour recevoir des invités (infra II B 1 b).
C'est la moindre des choses. C'est le minimum qu'il convient de faire.
Toutes choses cessantes (vieilli). Immédiatement, en abandonnant tout ce que l'on faisait. Synon. toutes affaires cessantes.
♦ Proverbe. À chose faite, conseil pris. Il est trop tard de demander conseil quand le fait est accompli.
d) [Du comm.] Évaluer le prix des choses, acheter des choses inutiles, manquer des choses nécessaires :
• 8. ... si la masse des espèces qui circulent venait à doubler, le prix de toutes choses doublerait, c'est-à-dire que pour avoir le même objet il faudrait donner le double d'argent.
SAY, Traité d'écon. pol., 1832, p. 279.
♦ Spécialement
Belles choses. Articles de luxe ou de qualité moins commune que les autres.
Bonnes choses. Mets savoureux :
• 9. — Je ne suis pas à jeun : le capitaine Singleton m'a donné toutes sortes de bonnes choses et même il m'a fait sauter un œuf à la poêle, un œuf de pétrel, paraît-il.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 116.
2. [P. oppos. à une appréciation superficielle de la réalité ou à sa désignation par le lang.]
a) [L'accent est mis sur l'appréciation] Réalité objective, profonde des choses; rétablir les choses; par la force des choses. Synon. fait, objet, phénomène :
• 10. « ... les Autrichiens vous massacreront s'ils peuvent, malgré le mariage de Marie-Louise et de votre empereur; on commence à voir que les intérêts des rois ne sont pas tout en ce monde, et le plus grand génie ne peut pas changer la nature des choses. »
ERCKMANN-CHATRIAN, Le Conscrit de 1813, 1864, p. 91.
• 11. Acculé, par la force des choses, devant l'hypothèse menaçante, il n'y a plus un seul gouvernement qui ne se dise : « Après tout, c'est une partie à jouer... et peut-être une belle occasion à saisir! »
R. MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 470.
• 12. Il ne se contente pas de l'apparence des choses, mais il voit au-delà, il devine les signes dont l'univers est empli.
BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 486.
— Locutions
♦ C'est dans l'ordre des choses. Cela est imposé par les lois naturelles :
• 13. Ce n'est point là certainement l'ordre de choses qui existe; et s'il étoit réellement tel, nous n'aurions pas de chevaux coureurs de la forme de ceux qui sont en Angleterre; ...
LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 236.
♦ Regarder les choses en face. Ne pas avoir peur d'affronter la réalité :
• 14. ... ce n'est pas la même chose d'opprimer des hommes en secret ou bien à la face du monde. Me taire, ça serait du défaitisme; ça serait à la fois refuser de regarder les choses en face, et nier qu'on puisse les changer; ...
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 372.
Rem. On notera la parenté entre ces syntagmes et ceux groupés sous I B 1 a.
b) [L'accent est mis sur la désignation par le lang.] (Dire) le mot et la chose. On m'a reproché d'avoir mis des brigands sur la scène. Eh! qu'importe le nom quand la chose n'y est pas? (LA MARTELIÈRE, Robert, chef de brigands, 1793, p. V).
— Locutions
♦ Le nom ne fait rien à la chose. Le nom ne change rien à la réalité qu'il exprime :
• 15. ... la vérité dont il doit se nourrir est la vérité d'observation sur la nature humaine, et non l'authenticité du fait. Les noms des personnages ne font rien à la chose.
VIGNY, Réflexions sur la vérité dans l'art, 1829, p. XII.
♦ Appeler les choses par leur nom. Parler franchement, sans détours. L'autre affreux vieillard c'est le pape/Il faut appeler les choses par leur nom (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 135).
♦ Les choses parleront assez d'elles-mêmes. La réalité n'a pas besoin d'être expliquée.
— P. ext., CRIT. LITTÉR. Le fond, les idées, le contenu, par opposition à la mise en forme, au style. Ouvrage plein de belles choses. Il y a de bonnes choses dans cet ouvrage, mais il est colossal et manque de grâce (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 170). Beaucoup de choses peuvent se dire en peu de mots (A. DUMAS Père, Intrigue et amour, trad. de Schiller, 1847, II, 4, p. 223).
3. [P. oppos. aux êtres vivants, en partic. aux hum.] Objet concret, inanimé concret, matériel, du monde extérieur. Les gens et les choses, les choses qui nous entourent, l'immobilité des choses. Synon. objet. Ces montagnards ont des physionomies aussi tranquilles que des choses (JAMMES, Le Roman du lièvre, Almaïde d'Étremont, 1901, p. 160). Un regard positif sur les choses et les personnes (PAUL VI, Hymne à la joie chrétienne, 1975) :
• 16. De quoi est composé ce capital Culture ou Civilisation? Il est d'abord constitué par des choses, des objets matériels, livres, tableaux, instruments, etc., qui ont leur durée probable, leur fragilité, leur précarité de choses.
VALÉRY, Regards sur le monde actuel, 1931, p. 240.
• 17. ... il fallait, à l'improviste, organiser l'évacuation d'une masse de choses et d'une foule de gens. Je m'en occupai jusqu'au soir, tandis que partout on emballait des caisses, que bruissaient du haut en bas de l'immeuble les visiteurs du dernier moment et que sonnaient sans arrêt des téléphones désespérés.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, p. 51.
SYNT. a) Tas de choses, immobilité des choses, aspect des choses. b) Une chose familière, fragile, frivole, futile, lourde, énorme, mangeable, dure, molle, précieuse, utile, vaine; choses jolies, sucrées.
— Spécialement
a) Offrir quelques petites choses. Synon. de babiole, bagatelle, gadget.
b) Leçon de choses. Enseignement des classes primaires dispensé dans le cadre des activités d'éveil pour donner aux enfants à partir de l'expérience des objets usuels et des produits de la nature les notions élémentaires :
• 18. Des souvenirs confus, naïfs, scolaires se pressaient dans l'esprit de Joseph. Il revit un livre de « leçons de choses », avec le dessin de la Grande Ourse.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 66.
♦ P. ext. Expérience décisive, marquante :
• 19. Ma femme de chambre ne voulait pas rester non plus, il y a eu des scènes homériques. Malgré tout, j'ai tenu ferme le gouvernail, et c'est une véritable leçon de choses qui n'aura pas été perdue pour moi.
PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 597.
II.— Ce qui se passe, ce qui arrive dans le temps.
A.— Action.
1. Action en général, en tant qu'elle est conduite ou envisagée par l'homme, et que le contexte peut préciser. Chaque chose en son temps; c'est chose faite! c'est une chose à quoi je ne saurais me résoudre. La poésie reflète ces grands événements [les guerres, les migrations de peuples]; des idées elle passe aux choses (HUGO, Préface de Cromwell, 1827, p. 4).
— Loc. Laisser aller les choses. Ne pas intervenir.
— Proverbes. Il ne faut pas négliger les petites choses. L'attention aux petites choses est l'économie de la vertu.
2. Action précise, dont la dénomination reste vague par convention tacite entre les membres de la communauté linguistique.
— P. euphém. [Avec l'art. déf. sing.] L'acte sexuel. Faire la chose. Faire l'amour. Être porté sur la chose. Être enclin aux plaisirs érotiques :
• 20. — Je te dis que je veux la belle dame rose! ...
— Ç'a t'y du vice!... Ah ça : t'es porté sur la chose?...
T. CORBIÈRE, Les Amours jaunes, 1873, p. 197.
• 21. À mon idée, c'est comme une espèce de garçon manqué, toujours à courir les bois, à rejinguer avec point de souci en tête, et des vouloirs sur la chose que vous savez quoi.
AYMÉ, La Vouivre, 1943, p. 167.
Rem. Pour un autre ex. de convention tacite sur le sens précis de chose, cf. supra I B 1 b : bien des choses à qqn.
B.— Action impliquant des développements, des rebondissements, etc. Synon. affaire, intrigue, entreprise.
1. [Avec une idée de convenance]
a) Au sing., littér., vx. Chose publique (res publica). Ce qui convient au bien du peuple, bien commun géré par l'État. Le soin de la chose publique le retenait ici, près de l'Élysée (J. VALLÈS, Les Réfractaires, 1865, p. 69) :
• 22. Si j'avais l'honneur d'être conservateur à quelque degré (...) je penserais que c'est le moment où jamais de s'unir, de comprendre que la chose publique s'en va dans un morcellement misérable d'intrigues...
SAINTE-BEUVE, Portraits contemp., t. 2, 1846-69, p. 488.
Rem. On rencontre ds la docum. le néol. d'aut. chosard, subst. masc., pour désigner le républicain (cf. A. FRANCE, L'Île des pingouins, 1908, p. 213, 215).
b) Au plur. [Vie mondaine] Bien faire les choses. Recevoir ses invités avec largesse, sans lésiner sur les dépenses. Il a bien (grandement, largement, magnifiquement) fait les choses :
• 23. Je t'assure que, si je n'étais pas en deuil, c'est moi qui aurais mis au bas des invitations : « De la part de la baronne de Lermont... » et puis ce sont des gens qui font les choses bien... Oh! ça, j'en suis sûre... c'est impossible qu'ils ne te donnent pas quelque chose.
E. et J. DE GONCOURT, Renée Mauperin, 1864, p. 183.
2. [Sans idée de convenance]
a) Au sing., lang. jur. Affaire confiée à la justice. Chose jugée. Ce qui a été décidé à l'issue d'un procès. L'autorité de la chose jugée, le respect dû à la chose jugée, jugement passé en force de chose jugée (G. SCELLE, Le Fédéralisme européen, 1952, p. 21).
b) Souvent au plur. Ce qui se passe à un moment donné, action en cours, événement. Les choses présentes, passées, futures, à venir; le cours naturel des choses. J'ignore ce qui s'est passé, mais il doit y avoir eu des choses (HUGO, L'Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 203) :
• 24. Mais, peu à peu (...) les choses se sont gâtées. (...) Les choses ont traîné, les accords ne sont pas intervenus et la situation actuelle a été préparée [au Maroc].
JAURÈS, Europe incertaine (1908-11), 1914, p. 286.
— Spéc. L'état des choses. Ensemble de circonstances, d'événements. En cet état de choses, dans l'état actuel des choses, les choses étant ce qu'elles sont, au point où en sont les choses. Les choses en étaient là quand, soudain, on apprit qu'une nouvelle offensive était à la veille de se déclencher (FOCH, Mémoires, t. 2, 1929, p. 87). Synon. situation, conjoncture :
• 25. Mais ces foules démoralisées, déjà assiégées par l'armée de Saladin, étaient sur le point de capituler à leur tour, quand la nef du marquis de Montferrat apparut dans le port. Son arrivée changea la face des choses. Conrad était vraiment l'homme fort qui convenait à une situation désespérée, ...
GROUSSET, L'Épopée des croisades, 1939, p. 255.
SYNT. Rapporter les choses comme elles sont arrivées; ces choses n'arrivent qu'à moi; ce sont des choses qui arrivent, qui marquent; les choses ont changé de face; les choses tournent mal, au tragique; les choses se corsent, se gâtent, n'iront pas loin; accélérer, précipiter, arranger les choses; ne pas brusquer les choses; n'exagérons pas les choses; c'est forcer les choses; pousser les choses assez loin; cela va faciliter les choses; cela explique bien des choses; les choses vont vite, ont trop duré; nous verrons les pires choses.
— Locutions
♦ Prendre les choses de loin, telles quelles, à la lettre, à cœur, au sérieux, en main, du bon côté, au tragique, bravement, simplement, impartialement, dans leur ensemble.
♦ Prendre les choses comme elles viennent. Accepter dans chaque cas ce qui vous échoit par le sort.
♦ Il se passe des choses bizarres, graves, extraordinaires, singulières, inouïes, énormes, drôles, étranges, troubles, imprévues. Il se passe de drôles de choses (J. LAFORGUE, Moralités légendaires, 1887, p. 43).
♦ Mener les choses rondement, vivement, à leur fin, à sa guise, de front.
♦ Mettre les choses au pire. Supposer la situation très dramatique. Mieux vaut mettre les choses au pis tout de suite, répondit l'ingénieur, et ne se réserver que la surprise du mieux (VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, p. 77).
♦ C'est absolument, exactement la même chose. Il s'agit d'un cas semblable. Anton. c'est différent, c'est autre chose.
c) En partic., au sing. et parfois au plur. Ce dont il s'agit, l'affaire en question, ce dont on parle. La chose est d'importance, le côté piquant de la chose, convenir d'une chose avec qqn. Parlons sérieusement, la chose en vaut la peine (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 109). Elle prend la chose aussi gaiement que moi (DU BOS, Journal, 1922, p. 98) :
• 26. — Fais le tour par la porte de l'Avenue pendant que je vas serrer nos agrès, dit le père Fourchon [à Mouche], et quand tu leur auras dégoisé la chose, on viendra sans doute me chercher au Grand-I-Vert où je vas me rafraîchir...
BALZAC, Les Paysans, 1844, p. 41.
SYNT. En deux mots voilà la chose; je vais vous conter la chose; qu'est-ce que cela fait à la chose? la chose fut résolue; c'est chose réglée, convenue; la chose paraît incroyable, évidente; se douter de la chose; la chose n'est pas rare; la chose ne lui a pas plu; la chose est sans remède; la chose fut bien accueillie; la chose n'est pas simple; apprendre une chose admirable, abominable, bizarre, curieuse, effrayante, extraordinaire, épouvantable, inouïe, incroyable, merveilleuse, monstrueuse, singulière, touchante, triste; les choses ne pressent pas; les choses sont plus claires, sont en bonne voie.
III.— [En emploi anaphorique, souvent avec un adj. dém. et, de ce fait, en concurrence avec un pron. dém. neutre (cf. ce1, ceci, cela)] Ce qui se manifeste, c'est-à-dire est dit ou écrit dans la partie immédiatement postérieure ou parfois antérieure du discours.
A.— [Dans une prop. introductive, ou dans un syntagme nom. syntactiquement hors phrase; pour annoncer ce qui suit] Veux-tu que je te dise une chose? ... Tu ne seras jamais de Bordeaux, toi (E. LABICHE, Un Jeune homme pressé, 1848, I, 6, p. 359). Ils (...) ne demandaient qu'une chose, vivre tranquilles ici, ne plus retourner au front, ne plus voir le feu (VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 388) :
• 27. Une seule chose me chiffonne dans votre retour à Croisset : c'est que j'ai peur que vous remettiez indéfiniment votre voyage aux eaux et que les eaux ne coulent sans vous, ce qu'il ne faut pas faire.
FLAUBERT, Correspondance, 1877, p. 50.
SYNT. Je vais vous dire une chose; cela prouve, signifie une chose; je pense à une chose, je remarque une chose; il y a trois choses à considérer; une chose m'étonne, me tracasse; une chose est sûre; la chose que je redoute le plus, c'est...; la première chose que vous aurez à faire, ce sera...; la chose qui me frappe, c'est que...; je lui dis entre autres choses.
— Spécialement
1. [Pour introduire une alternative, un choix, un dilemme] De deux choses l'une, ou bien... ou bien... :
• 28. De deux choses l'une, alors : ou il suivra le grand chemin, (...) ou il prendra quelque route de traverse, ...
A. DUMAS Père, La Fille du régent, 1846, prol. 1, p. 138.
2. [Pour distinguer deux cas totalement différents] Cf. autre chose, infra chose2 :
• 29. ... la rivalité offensive des égoïsmes contraires est nécessaire pour les contraindre à transiger, quand ils ne savent renoncer dans une abdication spontanée. Mais c'est une chose, pour le sociologue, de reconnaître cette nécessité, et c'en est une autre, pour le psychologue et le moraliste, de s'en représenter exactement le tableau spirituel.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 547.
3. [Avec un adj. épithète] Chose plus grave; cette chose étonnante; c'est une chose grave que de; la seule chose sûre, c'est que.
B.— [En appos., parfois dans une incise introd. ou non par une conj. de coordination; pour reprendre globalement l'énoncé qui vient d'être fait]
1. [Après virgule] Mes préparatifs faits, et la chose ne fut pas longue, je sortis (A. DUMAS Père, Comment je devins auteur dramatique, 1833, introd., p. 3) :
• 30. Il faut, se dit-il, en rentrant à l'hôtel, que je tienne un journal de siège; autrement j'oublierais mes attaques. Il se força à écrire deux ou trois pages sur ce sujet ennuyeux, et parvint ainsi, chose admirable! à ne presque pas penser à Mlle de La Mole.
STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, p. 400.
SYNT. Chose curieuse, étonnante, étrange, admirable, bizarre, extraordinaire, horrible, incroyable, naturelle, singulière, surprenante, unique, rare, digne de réflexion, de remarque.
2. [Après ponctuation forte] Chose + adj., chose qui, que, toutes choses qui, ce sont des choses que :
• 31. Chose contradictoire en apparence, ce pays [l'Italie] célèbre pour la pureté de son ciel, est celui de l'Europe où la terre reçoit le plus d'eau pluviale. C'est que cette eau ne tombe guère que par grands orages.
MICHELET, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 6.
• 32. Certes, vous n'êtes que trop enclin au soupçon. On commence par des ruminations bénignes, on y prend goût, et on finit par devenir insensiblement un véritable paranoïaque. La chose est banale.
BERNANOS, La Joie, 1929, p. 639.
C.— [En emploi exclam., en constr. incise ou exclam.; spéc. pour annoncer ce qui suit] Chose étrange! La belle chose de + inf., la bonne chose que...! Mon ami, quelle bonne chose que la vie, et comme je suis heureux ce matin! (THEURIET, Le Mariage de Gérard, 1875, p. 92). Fâmeuse chose que cette gélatine! (CLAUDEL. Partage de midi, 1949, III, p. 1125).
SYNT. (Choses + adj.). Choses belles, bonnes, claires, communes, créées, curieuses, défendues, difficiles, énormes, extérieures, essentielles, excellentes, exquises, extraordinaires, étonnantes, étrangères, gentilles, grandes, petites, honteuses, horribles, immondes, impossibles, inconnues, importantes, insignifiantes, indifférentes, incompréhensibles, inconvenantes, inertes, inouïes, intéressantes, inutiles, invisibles, lointaines, légères, frivoles, magnifiques, merveilleuses, monstrueuses, matérielles, mortes, nécessaires, nouvelles, oubliées, pareilles, perdues, particulières, permises, précieuses, profondes, rares, remarquables, réelles, saintes, secondaires, semblables, sensibles, simples, solides, sérieuses, terribles, touchantes, tristes, utiles, vieilles, vilaines, visibles, vivantes, vraies.
Rem. gén. 1. À cause même de l'indétermination inhérente au sens du mot, la catégorisation des emplois ci-dessus proposée ne peut prétendre à une extrême rigueur sémantique, et plusieurs des syntagmes cités pourraient être déplacés ou figurer dans 2 cases distinctes sans inconvénient; on a cependant tenu grandement compte, pour établir la grille utilisée, des rencontres contextuelles les plus fréquemment attestées ds la docum. 2. Le plur., partic. fréq. dans les syntagmes les plus usuels, apporte gén. une nuance d'indétermination supplémentaire. Le sing., au contraire, particularise gén. le sens. Les synon., dans l'un et l'autre cas, traduisent bien cette opposition.
Prononc. et Orth. :[]. GRAMMONT Prononc. 1958, p. 19 : ,,Les méridionaux prononcent ouvert et bref l'[o:] fermé long : chose []; rose []; paume []; autre []; baume []; etc.`` Ds Ac. 1694-1932. FÉR. Crit. t. 1 1787 note qu'il convient de mettre l'accent circonflexe sur ô pour marquer la durée : chôse. Étymol. et Hist. A. Subst. 1. 842 cosa « réalité concrète ou abstraite généralement déterminée par le contexte » (Serments de Strasbourg ds HENRY Chrestomathie); ca 880 Niule cose « rien » (Ste Eulalie, 9, ibid.); 1er quart XIIe s. Granz chioses « des choses importantes » (Lapidaire de Marbode, éd. I. Studer et J. Evans, 1re version fr., 411); 1172-75 po de chose [peu de chose] (CHR. DE TROYES, Chevalier charrette, éd. M. Roques, 1434); 1200-06 autre cose (R. DE CLARI, Constantinople, 57 ds T.-L.); 1200-06 d'unes coses et d'autres « [parler] de choses et d'autres » (Id., op. cit. éd. Lauer, CVI, 22 ds IGLF); début XIVe s. quelque chose (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, 172, ibid.); 2. fin XIIe s. sens trivial la cose fere (Roman de Renart, éd. M. Roques, I, 2700); 3. 1352-56 la chose publique (P. BERSUIRE, Tite Live, B.N. 20 312 ter, f° 1 v° ds GDF. Compl.); 4. a) XVIe s. désigne qqc. dont le nom échappe (Farce de frère Guillebert ds Ancien Théâtre François, éd. Viollet-le-Duc, t. 1, p. 326); b) XVIe s. remplace un nom de pers. (Comédie des Proverbes, ibid., t. 9, p. 89). B. Adj. 1739 tout chose (CAYLUS, Les Ecosseuses, Œuvres badines, X, 14 ds IGLF). Du lat. causa (v. cause) qui, à partir du sens de « affaire », a pris en b. lat. le sens de « chose ». L'expr. Chose publique est un calque du lat. Res publica. Bbg. COHEN 1946, p. 68. — DAUZAT Ling. fr. 1946, p. 51. — FOULET (L.). Créature au sens de chose. Romania. 1931, t. 57, pp. 432-436. — HENNING (G. N.). Toutes choses. Mod. Lang. Notes. 1921, t. 36, pp. 438-439. z MELLOT (J.). Sur les côtes de Palerme. Vie Lang. 1957, pp. 134-136. — QUEM. 2e s. t. 2 1971; 2e s. t. 4 1972. — THOMAS (A.). Nouv. Essais 1904, p. 121.
II.
⇒CHOSE2, mot. inv.
[Sans article]
I.— Nom en constr. d'appos. ou d'attribut.
A.— Familier
1. En constr. d'appos. aux appellatifs Monsieur, Madame, Mademoiselle, pour remplacer le nom propre que l'on ne veut ou ne peut pas préciser. Le petit Chose. Si nous nous arrêtions chez Chose ... tu sais, le fameux pâtissier (A. DAUDET, Jack, t. 1, 1876, p. 27). Les sieurs Machin et Chose... — Ils m'agacent avec leurs noms impossibles (G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 60). L'abbé Chose, dont le nom ne marque pas dans ma mémoire (H. BAZIN, Vipère au poing, 1948, p. 82).
2. Pour remplacer toute espèce de mot que l'on ne connaît pas, ou que l'on a oublié, ou que l'on ne veut pas nommer. Synon. truc, machin, bidule (pop.). Je fais la bouche en chose de poule (J. VALLÈS, L'Enfant, 1879, p. 258) :
• 1. Il ... étendit le bras sans rien dire.
— Qu'est-ce que tu veux?
— Mon ... mon ... machin.
— Quel machin?
— Mon ... chose, tu sais bien! ... je dors, nom de Dieu! ... Mon pantalon!
COURTELINE, La Conversion d'Alceste, Margot, 1890, p. 82.
B.— Fam. Nom en constr. d'attribut (plus rarement d'appos.), avec valeur d'adj. caractérisant.
♦ Être un peu chose. Être un peu niais, stupide. Les officiers sont si chose (propos d'un garde national) (GONCOURT, Journal, IV, 11 avr. 1871 ds M. FUCHS, Lexique du Journal des Goncourt, 1912).
♦ Être tout chose. Être décontenancé, mal à l'aise, pour une raison physique ou morale indéfinissable. Un air tout chose; rendre qqn tout chose. Synon. désappointé, embarrassé, interdit, perplexe, souffrant, triste. Hier soir, je me suis aperçu que j'avais froid, que j'étais tout chose (STENDHAL, Correspondance, t. 1, 1800-42, p. 283). — T'es tout chose. — Moi, je suis chose! — Eh oui, t'es chose, t'as l'air d'un enterrement (BALZAC, Œuvres diverses, t. 1, 1850, p. 573). Elle devient toute chose, elle a des frissons, des envies de vomir (ZOLA, Nana, 1880, p. 1472) :
• 2. — Je ne les savais pas [les Navet] si cachottiers, dit M. Bornet. Pour ma part, je n'aurais jamais acheté un bateau à vapeur tout seul, sans eux. Fiez-vous aux amis. Enfin! Je remarquais, ces temps derniers, qu'ils avaient l'air chose. Parbleu, c'était ça.
J. RENARD, La Lanterne sourde, 1893, p. 58.
II.— Mot-outil pour l'expression de l'inanimé; élément nominal formant avec l'élément adjoint un syntagme binaire qui a valeur de pronom ou d'adverbe indéfini neutre.
A.— L'élément adjoint est un adj. pronom. indéf., plus rarement un adj. qualificatif de sens général.
1. Le syntagme peut commuter avec le pron. indéfini neutre tout :
a) Sur toute chose. Par-dessus tout, préférablement. Ce qui reste, par-dessus toute chose, et sur les ruines du mal, c'est cette volonté divine qui a mis le bien dans l'unité et dans la communion (P. LEROUX, De l'Humanité, t. 1, 1840, p. 188).
b) Avant toute chose. Avant tout, en priorité.
2. Le syntagme n'est pas commutable avec tout
a) Quelque chose (cf. infra C).
b) Autre chose. Quelque chose de distinct ou de différent. Dire, proposer, montrer autre chose; parler d'autre chose, penser à tout autre chose; voici bien autre chose, voilà autre chose, il s'agit d'autre chose, à défaut d'autre chose. Il pensait à autre chose et n'avait pas entendu la question (PROUST, Du côté de chez Swann, 1913, p. 131) :
• 3. ... Lorsque j'admire un dramaturge, on me dit : « Soit, mais ce n'est pas du théâtre. » Lorsque j'admire un sportif, on me dit : « Soit, mais ce n'est pas du sport. »... Mais alors, demandais-je : « Qu'est-ce que c'est? » Mon interlocuteur hésite, l'œil dans le vague, et murmure : « Je ne sais pas... C'est autre chose. » J'ai fini par comprendre que cet autre chose était, somme toute, la meilleure définition de la poésie.
COCTEAU, Poésie critique 2, 1959, p. 148.
— [Avec un compl. introd. par que] :
♦ (Bien) autre chose que :
• 4. Je soulevai le seau jusqu'à ses lèvres. Il but, les yeux fermés. C'était doux comme une fête. Cette eau était bien autre chose qu'un aliment. Elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l'effort de mes bras. Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau.
SAINT-EXUPÉRY, Le Petit Prince, 1943, p. 483.
♦ Avoir autre chose à faire que. Avoir quelque chose de plus important que. On avait autre chose à faire que de s'occuper de bibliographie (NERVAL, Les Filles du feu, Angélique, 1854, p. 565).
♦ Ce n'est pas autre chose que. Cela revient à (cf. P. LEROUX, De l'Humanité, t. 1, 1840, p. 185).
— [Pour désigner des faits totalement différents l'un de l'autre] Autre chose (est) de + inf. Autre chose est de s'opposer et autre chose de se contredire (SAINT-EXUPÉRY, Citadelle, 1944, p. 586).
♦ C'est (tout) autre chose! C'est une situation (toute) différente. Synon. ce n'est pas (du tout) la même chose!
c) Grand-chose [Toujours dans un énoncé négatif, à négation composée, et immédiatement précédé de pas, plus ou jamais] De très peu d'importance, presque rien, pas beaucoup. Ce n'est pas, cela ne vaut pas grand-chose. Ne pas faire, espérer, répondre grand-chose. Ne pas y comprendre grand-chose, cela ne signifie pas grand-chose. Pas grand-chose de bon. Mesa. — Vous savez que je ne connais pas grand'chose aux madames (CLAUDEL, Partage de midi, 1949, I, p. 1070) :
• 5. Il m'a d'abord dit qu'on me dépeignait comme étant d'un caractère taciturne et renfermé et il a voulu savoir ce que j'en pensais. J'ai répondu : « C'est que je n'ai jamais grand-chose à dire. Alors je me tais ».
CAMUS, L'Étranger, 1942, p. 1171.
— [Avec absence de l'élément ne] Je suis parti de pas grand chose (QUENEAU, Pierrot mon ami, 1942, p. 46).
— Fam., emploi subst. avec art. indéf. Une personne qui a peu de moralité. Synon. vaurien. Une femme qui a dépassé la cinquantaine et qui ne reçoit que des jeunes gens! Une ancienne pas grand'chose (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 22).
B.— L'élément adjoint est un adverbe de quantité indéfinie antéposé.
♦ Peu de chose. Peu; une chose de peu d'importance. C'est peu de chose; il suffit de peu de chose pour ... Il faut si peu de chose pour me rendre heureux. Le grave est qu'il en faut encore moins pour me détraquer (DUHAMEL, Confession de minuit, 1920, p. 24).
♦ À peu de chose près. Anton. à beaucoup près. C'était, à peu de chose près, la vie d'un petit reporter de province (SIMENON, Les Vacances de Maigret, 1948, p. 141).
C.— Quelque chose [Quelque a valeur d'adj. indéfini, proche pour le sens de l'art. un, dont il représente ici la forme neutre; il sert à exprimer différents modes de réalités dans des constr. figées]
1. Réalité non définie ou peu définie
a) Réalité objectivement indéfinissable ou demeurée parfois provisoirement indéfinie par la volonté du locuteur. Anton. (ne ...) rien. Avoir quelque chose à apprendre, à chercher, à craindre, à découvrir, à dire, à espérer, à faire, à inventer, à oublier, à redire, à trouver, à voir; oublier quelque chose. Si monsieur permettait, j'irais chercher quelque chose chez le traiteur (LECLERCQ, L'Humoriste, 1835, 9, p. 416) :
• 6. Lisa resta inquiète. Quenu la voyait réfléchir, regarder autour d'elle du matin au soir, comme si elle avait perdu quelque chose.
ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, p. 650.
• 7. ARGANTE, avance. — Un fils qui se marie sans le consentement de son père!
SCAPIN. — Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serais d'avis que vous ne fissiez point de bruit.
CLAUDEL, Le Ravissement de Scapin, 1952, p. 1322.
Loc. Quelque chose me dit que ... Mon intuition me dit que... :
• 8. ... j'avais raison, en vous conseillant de marcher un peu vers le Sud avant de rejoindre votre Shikh-Salah. Quelque chose me disait que ce massif d'Éguéré n'avait pas d'intérêt, au point de vue qui vous importe.
BENOIT, L'Atlantide, 1919, p. 66.
b) Réalité relativement définie par la situation et les usages.
♦ Prendre quelque chose. Prendre un peu de nourriture ou de boisson. Synon. consommation. Prendre quelque chose de chaud, un petit quelque chose. Mais entrez, monsieur, asseyez-vous. Vous prendrez bien quelque chose (MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Les Sœurs Rondoli, 1884, p. 1280).
c) Réalité indéfinie mais qualifiée par une précision subséquente. Quelque chose de + adj. inv. Quelque chose de beau, de bon, de grand, de vrai, de vague, de bleu, de neuf, de nouveau, de fâcheux, de merveilleux. Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites. Il a quelque chose de bienveillant dans la physionomie (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 107).
— Ou réalité approximativement définie par une analogie. Familièrement. Quelque chose comme, quelque chose qui ressemble à, quelque chose d'approchant. Synon. Quelque chose d'analogue, de comparable, de la sorte, de ce genre, de cet acabit, dans ce goût. Elle entendit monter de la profondeur quelque chose comme un gémissement et, bientôt, comme un sanglot (G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 212). Il est licencié ès lettres, ou quelque chose dans ce goût (G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 43).
— En emploi adverbial. Quelque chose comme + adj. numéral cardinal. Synon. environ. Il y a quelque chose comme huit jours :
• 9. Depuis quelque chose comme vingt ans, pas une maison écroulée dont il [Gütlight] n'eût contribué à cimenter les pierres! ...
COURTELINE, Les Linottes, 1912, p. 81.
2. Réalité indéfinie ou peu définie, mais valorisée
a) En majoration. Quelque chose qui a de la valeur
— [Pour désigner un inanimé]
♦ Faire quelque chose
Ne pas rester oisif. Faites quelque chose! :
• 10. C'était une journée de pluie, une journée où il n'y avait rien d'amusant à faire.
« Faites-vous quelque chose aujourd'hui? dit Mme Strauss.
— Non, répond Mme Sichel.
— Eh bien, je vous emmène, je vais voir ma tante Mélanie, vous me tiendrez compagnie en voiture ».
E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1890, p. 1162.
Avoir un métier, une situation :
• 11. « Il n'y a plus de temps à perdre. Il est temps que je me trouve une place ». Dans ces trois lettres, M. de Coantré expliquait en quelques mots sa situation, et demandait à « faire quelque chose ». Il insistait sur ses talents d'infirmier.
MONTHERLANT, Les Célibataires, 1934, p. 800.
[Faire] Quelque chose d'efficace, pour venir en l'aide à quelqu'un, pour remédier à une situation. Yanek est arrêté. Il est arrêté, c'est sûr. Il faut faire quelque chose (CAMUS, Les Justes, 1950, II, p. 330). Si vous pouviez faire quelque chose pour lui! Il faudrait faire quelque chose pour lui. Mais comment aider un juge (CAMUS, La Peste, 1947, p. 1415).
[Faire] Quelque chose de grand, d'important, de réussi :
• 12. Les dix livres qui suivent à partir du livre le Revolver sont un drame comme je n'en ai point fait de plus grand, si j'ai fait quelque chose dans ma vie. Je suis content de cette œuvre.
HUGO, Correspondance, t. 2, 1865, p. 511.
♦ C'est (déjà) quelque chose! Quelque chose d'important, un résultat positif. C'est déjà quelque chose que d'avoir séparé nos logements à Paris (CONSTANT, Journaux intimes, 1805, p. 185).
♦ Arriver à quelque chose. À un résultat positif, réussir.
♦ Chercher, trouver quelque chose. Un emploi qui permette de vivre. Il cherche quelque chose qui le fera devenir quelqu'un (PRÉVERT, Paroles, 1946, p. 60).
♦ Avoir quelque chose dans le ventre. Du courage, de la volonté (cf. R. MARTIN DU GARD, Devenir, 1909, p. 21).
♦ Être pour quelque chose dans (une affaire). Contribuer en quelque façon à son succès.
♦ Être bon à quelque chose. Être utile.
♦ Proverbe. À quelque chose malheur est bon :
• 13. Peu importent les raisons personnelles pour lesquelles, au cours de ce semestre, je me suis progressivement détourné du théâtre. À quelque chose malheur est bon : le premier élan de ma liberté retrouvée m'a rejeté vers ma vraie vocation, le roman. Je me suis attelé aux Thibault.
R. MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques, 1955, p. LXXX.
— [Pour qualifier une pers.]
♦ Être quelque chose. Avoir une fonction officielle (cf. être quelqu'un) :
• 14. Risques pour risques, allons piller les possessions espagnoles en vrais marins!... Nous nous battrons en même temps pour la liberté, et nous deviendrons quelque chose; l'ancien sera amiral, et nous, capitaines, lieutenans, officiers, au service des républiques! ...
BALZAC, Annette et le criminel, t. 1, 1824, p. 177.
• 15. ... faites-vous une affaire d'être aimable, ou du moins très poli pour chacune des personnes qui vont dans ce salon. Vous serez quelque chose dans le monde, vous pourrez espérer de plaire à une femme aimable quand vous serez porté par deux ou trois salons.
STENDHAL, Vie de Henry Brulard, t. 2, 1836, p. 434.
♦ Se croire quelque chose. Se prendre pour un personnage important :
• 16. Entre nous, mon père « s'en croyait », il était glorieux. — « S'en croire? ... » Vous voulez dire se prendre pour quelqu'un et quelque chose; par suite avoir des visées...
— Tout juste, monsieur.
PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1932, p. 94.
♦ Compter pour quelque chose (aux yeux de quelqu'un). Avoir du mérite, du prix :
• 17. Si le peuple a été compté pour quelque chose dans la rénovation de ses anciennes assemblées, il doit cette restitution de ses droits aux écrivains patriotiques qui ont démasqué les vues ambitieuses des ordres favorisés, jaloux de perpétuer leur domination; ...
MARAT, Les Pamphlets, Appel à la Nation, 1790, p. 123.
b) En péjoration et p. euphém.
♦ Il lui est arrivé quelque chose. Quelque chose de grave, un malheur :
• 18. « Ah! mon pauvre Tanneguy, qu'avez-vous? Quel malheur nous est survenu? Est-ce qu'il est arrivé quelque chose à ma cousine Amélie? Est-ce que l'asthme de ma tante Augustine va plus mal?
RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, 1883, p. 101.
• 19. Par sa fenêtre, ma mère voit arriver Marinette. Elle va s'asseoir au milieu de la cuisine et se met à pleurer afin que Marinette la trouve en larmes.
— Mon Dieu? Qu'est-ce que vous avez, maman?
— J'ai des idées.
Pas moyen de savoir. On devine que ce sont des idées de suicide. Sûrement, elle a quelque chose.
RENARD, Journal, 1898, p. 496.
♦ Il y a quelque chose. Quelque chose de louche, un mystère inquiétant. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ça n'est pas naturel, vous êtes plus blême que jamais, il y a quelque chose là-dessous (Mme DE GENLIS, Les Chevaliers du cygne, t. 1, 1795, p. 94) :
• 20. Alors, c'est vrai que je vous fais de la peine? Je reconnais cette façon de sourire que vous avez quand il y a quelque chose qui ne va pas... Je ne vous ai pourtant rien dit de désagréable.
MONTHERLANT, Pitié pour les femmes, 1936, p. 1108.
♦ Il y a quelque chose entre eux. Une brouille, une querelle :
• 21. À peine le bruit se répandit-il, comme un léger murmure, qu'il fallait deviner, soupçonner, plutôt qu'on ne pouvait l'entendre, que peut-être il y avait, qu'il allait y avoir quelque chose entre nous, qu'aussitôt, qu'instantanément nous nous sentîmes enveloppés des innombrables cheminements de cette conspiration sourde.
PÉGUY, Victor-Marie, Comte Hugo, 1910, p. 819.
♦ Pop. Prendre quelque chose. Une semonce, des coups. « Bats-moi maman! Mais tais-toi maman! » Elle n'y coupait pas et elle prenait quelque chose comme raclée (CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 332).
♦ Ça me fait quelque chose de/que. Ça me fait de la peine, je suis ému.
— Emploi exclam., fam. C'est quelque chose! Quelque chose d'impressionnant, de terrible, de malheureux. C'est quelque chose que d'être seul, allez, dans des temps comme ceux où nous vivons (VIGNY, Servitude et grandeur militaires, 1835, p. 34). Ça (un obus) a levé une masse de terre, et ça l'a enterré net, d'un coup... C'était quèque chose ed voir ça! (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 156).
— En constr. concessive. Quelque chose que + subj. Quelle que soit la chose que :
• 22. La fascination puissante qu'exerce sur l'âme, comme sur les organes, le passage monotone et continu de quelque chose errante que ce soit, me possède et ne laisse pas mes yeux se détourner un moment de leur spectacle.
M. DE GUÉRIN, Journal intime, 1835, p. 235.
Rem. Dans cet emploi, chose reste subst. fém. variable.
Prononc. et Orth. Cf. chose1. Étymol. et Hist. V. chose1.
STAT. — Chose1 et 2. Fréq. abs. littér. :90 248. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 111 109, b) 128 310; XXe s. : a) 135 197, b) 138 950.
BBG. — GLANVILLE (P.). Old and middle french non pas pour chose que. Rom. Philol. 1962, t. 15, pp. 18-21. — GOUG. Lang. pop. 1929, p. 151. — LÖFSTEDT (L.). Res et causa. Arch. St. n. Spr. 1972-73, t. 209, n° 2, pp. 310-326; Rien et chose. St. neophilol. 1972, t. 44, n° 2, pp. 326-344. — SAIN. Lang. par. 1920, p. 122. — WAGNER (L.). B. Soc. Ling. 1964, t. 59, n° 2, p. 104. — YVON (H.). Les Expr. négatives dans la Queste del Saint-Graal. Romania. 1959, t. 80, pp. 73-74.
chose [ʃoz] n. f.
ÉTYM. XIIe; cosa, 842; du lat. causa qui a pris le sens de chose en lat. jurid., après avoir éliminé res.
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I Ce qui existe de manière identifiable et isolable; être (concret ou abstrait, réel ou apparent, connu ou inconnu). ⇒ Être, événement, objet. || L'auteur, le créateur de toutes choses. || La chose que je redoute le plus, c'est… ⇒ Ça, ce, ceci, cela, cet (ce que, tout ce que). || C'est une chose bien agréable que de rencontrer un ami. || Toutes choses égales d'ailleurs. ☑ Avant toute chose : premièrement. || Chaque chose.
1 Ce qu'on appelle humeur est une chose trop négligée parmi les hommes (…)
La Bruyère, les Caractères, XI, 9.
2 S'il fallait toujours employer chaque chose selon ses principales propriétés, peut-être ferait-on moins de bien que de mal aux hommes.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, V, II.
3 Ce que décident ici-bas les plus petites choses, ce que les objets et les circonstances en apparence les moins importants amènent de changements dans notre fortune, il n'y a pas, à mon sens, de plus profond abîme pour la pensée.
A. de Musset, la Confession d'un enfant du siècle, II, 1.
3.1 Et Ève s'en alla, docile à son Seigneur,
En son bosquet de roses,
Donnant à toutes choses
Une parole, un son de ses lèvres de fleur :
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose qui vole…
Charles Van Lerberghe, La Chanson d'Ève, 1904, « C'est le premier matin du monde ».
1 Les choses : le réel, par oppos. à l'apparence. ⇒ Fait, phénomène, réalité. || Les choses parleront d'elles-mêmes. || Les choses telles qu'elles sont. || Il faut bien voir les choses. ☑ Regarder les choses en face : ne pas craindre d'affronter la réalité. || Aller au fond des choses, jusqu'au bout des choses. || Je n'aime pas sa façon de présenter les choses.
♦ (Opposé à idée, mot). Spécialt. (La chose, les choses). || Le mot (le nom) et la chose. || Les Mots et les Choses, titre d'un ouvrage de M. Foucault. || L'idée et la chose. || Le projet et la chose. ☑ Appeler les choses par leur nom : parler franchement. ☑ Le nom ne fait rien à la chose, ne change rien à la réalité qu'il exprime.
4 Chacun se dit ami; mais fol qui s'y repose :
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.
La Fontaine, Fables, IV, 17.
5 (…) le chemin est long du projet à la chose.
Molière, Tartuffe, III, 1.
6 L'emportement de la satire est inutile; il suffit de montrer les choses telles qu'elles sont. Elles sont assez ridicules par elles-mêmes.
J. Renard, Journal, 23 juil. 1898.
7 Le propre de l'intuition cartésienne, c'est de porter non sur une chose mais sur un acte.
L. Brunschvicg, Descartes, Rieder, p. 24.
8 Les choses tiennent la place des êtres. Les objets ne déçoivent pas; ils donnent toujours exactement le plaisir que l'on attend d'eux. Les objets ne trahissent pas (…)
A. Maurois, Terre promise, XLVI, p. 320.
♦ Philos. || La chose en soi : l'être en tant qu'il existe indépendamment des conditions de perception et des circonstances, par oppos. à phénomène. ⇒ Noumène, substance. (Chez Hegel). || La chose même (die Sache selbst) : l'absolu.
2 Plus cour. Réalité matérielle non vivante (souvent opposable à être). ⇒ Objet; fam. bidule, machin, truc. || Les actes, les événements et les choses. || Les êtres (vivants) et les choses.
♦ Cour. Objet concret indéterminé ou non spécifié. || Offrir quelques petites choses. ⇒ Babiole, bagatelle. || Un tas de choses. ⇒ Attirail. || Il faudrait beaucoup de choses pour meubler cet appartement. || Le prix des choses. — Il aime les bonnes choses, les mets savoureux.
9 J'ai quelques petites choses à vous envoyer.
Racine, Lettres.
♦ (Désignant une réalité qui a été vivante) :
10 Gilieth aperçut, toute noire sur la neige, une chose décharnée et sans tête, le corps de Mulot torturé par les Riffains.
P. Mac Orlan, la Bandera, XVII, p. 208.
♦ Dr. Objet matériel susceptible d'appropriation. ⇒ Bien; capital, patrimoine, possession, propriété, richesse. || Les personnes et les choses. || Choses consomptibles. || Choses fongibles. || Choses communes. || Choses hors du commerce. || Chose léguée. || Chose mobilière.
♦ ☑ Loc. (en parlant de personnes). Être la chose de qqn, être sous sa dépendance, lui appartenir corps et biens.
11 Il n'osait plus la manier brutalement, la saisir, la frapper, la pétrir comme sa chose mauvaise et rétive, mais sa chose à lui.
France, le Lys rouge, XXI.
♦ ☑ Loc. Leçon de choses : enseignement dispensé pour donner aux enfants des notions élémentaires à partir de l'observation d'objets usuels et de produits de la nature. — Par ext. Expérience décisive.
11.1 Ma femme de chambre ne voulait pas rester non plus, il y a eu des scènes homériques. Malgré tout, j'ai tenu ferme le gouvernail, et c'est une véritable leçon de choses qui n'aura pas été perdue pour moi.
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Pl., t. I, p. 597.
3 (Surtout plur.). Ce qui a lieu, ce qui se fait, ce qui existe. ⇒ Affaire, circonstance, condition, événement, fait. || Les choses de la terre. || Les choses humaines. || Les choses de ce monde. || Les choses d'ici-bas. — Les Choses de la vie, titre d'un roman de Paul Guimard. || L'ordre des choses. ☑ Tout ceci est dans l'ordre des choses : tout ceci est normal. || Le cours naturel des choses. || La réalité des choses. || La nature des choses. || Par la force des choses. || Il se passe ici des choses bizarres. || C'est une chose commune. ⇒ Banalité. || Faire de grandes choses, des choses admirables, héroïques, incroyables. ⇒ Acte, action. ☑ Dans cet état de choses : dans cet ensemble de circonstances, d'événements. ⇒ Conjoncture. || Laisser aller les choses. || Les choses vont, tournent mal. || Les choses se corsent, se gâtent, n'iront pas loin. || Il ne faut pas brusquer, précipiter, accélérer les choses. || Il y a (ce sont) des choses qui marquent. — ☑ Loc. Ce sont des choses qui arrivent. — ☑ Faire bien les choses : traiter ses invités avec largesse. ☑ Le hasard fait bien les choses. ☑ Ne pas faire les choses à moitié, à demi : ne rien négliger. — ☑ (1632, in D. D. L.). Toutes choses cessantes (cf. Toutes affaires cessantes). — ☑ De deux choses l'une, ou bien…, ou bien… ⇒ Alternative, choix, possibilité… — ☑ Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs, en mal juger. || La moindre chose l'ennuie. || On ne peut lui demander la plus petite chose. || Aucune, nulle chose ne l'étonne (⇒ Rien).
12 En toute chose il faut considérer la fin.
La Fontaine, Fables, III, 5.
13 Mes amis, dit le solitaire,
Les choses d'ici-bas ne me regardent plus (…)
La Fontaine, Fables, VII, 3.
14 Mais que fait ce discours aux choses d'aujourd'hui ?
Molière, Tartuffe, V, 3.
15 C'est un homme (…) qui ne fait les choses que pour la gloire et pour la réputation.
Molière, le Sicilien, X.
16 La présence et la réputation de ce prince achevèrent de rétablir toutes choses.
Racine, les Campagnes de Louis XIV.
17 Mon ami, me dit-elle, je pars pour Genève; ma poitrine est en mauvais état, ma santé se délabre au point que toutes choses cessantes il faut que j'aille voir et consulter Tronchin.
Rousseau, les Confessions, IX.
18 Quand on n'a point d'argent, on est dans la dépendance de toutes choses et de tout le monde.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, IV, 1.
19 Rêve de grandes choses, cela te permettra d'en faire au moins de toutes petites.
J. Renard, Journal, 9 mai 1894.
20 Les grandes choses sont accomplies par des hommes qui ne sentent pas l'impuissance de l'homme. Cette insensibilité est précieuse.
Valéry, Regards sur le monde actuel, II, p. 68.
21 Qui s'intéresse à beaucoup de choses, beaucoup de choses lui sont données.
Claudel, Feuilles de Saints, sainte Thérèse, p. 67.
22 (…) elle n'a jamais l'idée que les choses puissent tourner mal.
Martin du Gard, les Thibault, t. IV, p. 288.
22.1 Quelle belle nuit nous avons passée ! Dans un petit cabaret où nous échouâmes par hasard (dans notre amitié le hasard fait bien les choses) (…)
Claude Mauriac, le Temps immobile, p. 314.
22.2 Je te faisais remarquer que c'était dans l'ordre des choses et qu'on ne pouvait exiger de ces trusts américains d'engrais chimiques qu'ils facilitent le travail des artisans du Front (…)
Régis Debray, l'Indésirable, p. 166.
♦ ☑ Loc. C'est la moindre des choses : c'est le moins qu'on puisse faire.
22.3 — Le vice-président du Conseil, tout de même… Lorsque je l'ai vu filer comme un voleur j'ai été me présenter à lui. C'était la moindre des choses…
Claude Mauriac, le Temps immobile, p. 437.
4 La chose : ce dont il s'agit. ⇒ Objet, sujet; affaire. || Je vais vous expliquer la chose. ☑ La chose parle d'elle-même, elle est évidente (→ Cela se passe de commentaires). — La chose est d'importance. ☑ C'est la même chose : il s'agit du même cas (opposé à c'est autre chose). — Comment a-t-il pris la chose ? || Prendre une chose à cœur. || Qu'est-ce que cela fait à la chose ? || La chose est décidée. || La chose est faite. ☑ C'est chose faite, réglée, convenue. || Considérez la chose en son entier. || La chose a changé de face. || La chose va bien. || Convenez de la chose avec lui. || Il faut apporter un remède à la chose. || La chose ne lui a pas beaucoup plu. — Les choses (même valeur). || Mettre les choses au point (→ 1. Point, cit. 17).
23 Et les choses n'iront que jusqu'où vous voudrez.
Molière, Tartuffe, IV, 4.
24 (…) s'il est vrai que ce soit chose faite.
Molière, le Dépit amoureux, III, 8.
25 Ayant ainsi raccommodé la chose, la grosse Catherine alla faire sa soupe et n'y pensa plus.
G. Sand, François le Champi, V, p. 57.
26 Le fermier, qui connaissait ces sortes d'affaires, voulut prendre la chose en plaisanterie. Il prétendit que son péché n'était pas si grave, puisqu'il ne consistait qu'en paroles (…)
G. Sand, la Mare au diable, XIV, p. 124.
26.1 — Non… Une danseuse ! je crois qu'elle me trompe !
— Oh ! ça…
— Ce n'est pas pour la chose… mais c'est humiliant…
E. Labiche, la Chasse aux corbeaux, III, 5.
27 (…) Dieu merci, vous ne connaîtrez jamais chose pareille !
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, II, p. 134.
28 Une chose semble sûre : c'est que toutes les mesures d'ordre purement politique ne doivent pas aboutir à grand'chose.
Duhamel, Récits des temps de guerre, IV.
♦ Les choses : les événements. || Les choses n'iront pas loin : cela ne durera pas. || Les choses ne pressent pas. || Les choses se passaient il y a longtemps. || Comment vont les choses, ici ?
29 Tandis que ces choses se passaient dans le Pays-Bas.
Racine, les Campagnes de Louis XIV.
5 (Désignant l'objet du discours ou du jugement). || C'est une chose étrange, effrayante, inouïe, incroyable, incomparable, importante, sérieuse… || C'est une bien triste chose. || Chose étonnante, il est venu. || Voilà une chose inattendue. || C'est une bonne chose, une excellente chose. || Voilà une bonne chose de faite. — Spécialt. Ce qu'on isole pour le considérer, pour en juger. || Il y a de belles choses (→ vieilli Des beautés), des choses intéressantes dans ce livre, dans ce film. || J'ai relevé quelques petites choses désagréables dans cet article. — (Avec dire, répéter, etc.). Paroles, discours. || Dire des choses choquantes. || Il lui a dit des choses désobligeantes. || Dire de bonnes choses, de bonnes paroles. — ☑ Dites-lui bien des choses de ma part : faites-lui mes compliments (→ Faites-lui mes amitiés). (1840). Fam. || Bien des choses à votre femme. — Dire bien des choses (de, sur qqn), dire des choses (agréables ou désagréables). || Ce n'est pas une chose croyable. || Ne dire qu'une seule chose. || Dire ceci est une chose, dire cela en est une autre. || Parlons de choses sérieuses. || Il lui répète cent fois la même chose. || Il a raconté une chose amusante. || Veux-tu que je te dise une chose ? || Tu n'es pas sérieux.
30 Je te dis toujours la même chose, parce que c'est toujours la même chose.
Molière, Dom Juan, II, 1.
31 Les choses que dit un enfant ne sont pas pour lui ce qu'elles sont pour nous; il n'y joint pas les mêmes idées.
Rousseau, Émile, II.
32 Peut-être chacun de nous n'a-t-il qu'une seule chose à dire dans sa vie, et ceux qui ont tenté de parler plus longtemps furent de grands ambitieux.
Pierre Louÿs, Aphrodite, III, II, p. 144.
33 Elles n'avaient presque rien dit, que des choses enfantines ou quelconques (…)
Loti, les Désenchantées, XI, p. 100.
34 (…) il en bavait, tant la chose lui paraissait exorbitante (…)
Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, 5e tableau, 2.
35 (…) il y a des choses que l'on peut dire aux autres; et d'autres, qu'on ne peut dire qu'à soi-même… Et d'autres, qu'on ne peut même pas se dire à soi-même.
Valéry, l'Idée fixe, p. 48.
6 Dr. Cause. || La chose jugée : ce qui a été décidé par le juge pour mettre fin à un procès. || Jugement passé en force de chose jugée. || L'autorité de la chose jugée. ⇒ Autorité (cit. 30).
7 (1372; lat. res publica. → République). || La chose publique : ensemble des questions relatives aux intérêts généraux d'un pays, d'une collectivité régionale ou locale. ⇒ Public, république; État.
8 Vieilli. Désignant une personne :
35.1 Un grand seigneur méchant homme est une terrible chose (…)
Molière, Dom Juan, I, 1.
———
II Loc.
1 ☑ Autre chose. || Ceci est autre chose, tout autre chose : c'est une autre affaire. ⇒ Différent. || N'avez-vous pas autre chose à dire ? — ☑ Loc. littér. Autre chose… autre chose… : c'est une chose…, c'est une chose toute différente… || Autre chose de dire ceci, autre chose de faire cela. || Je vais vous dire, vous montrer autre chose. || Ne pourriez-vous pas parler d'autre chose ? || Elle pensait à autre chose. || C'était autre chose, bien autre chose, tout autre chose que ce qu'il avait prévu. || J'ai autre chose à faire que de vous attendre. ☑ Voilà autre chose !, pour marquer qu'un événement inattendu se produit. — ☑ Fam. (oral). Tiens, v'là aut'chose !
36 N'avez-vous, Nicomède, à lui dire autre chose ?
Corneille, Nicomède, II, 3.
37 Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle (cette comédie) ne vaut rien.
Molière, Critique de l'École des femmes, 5.
38 Autre chose d'agir avec un père, autre chose de répondre devant un juge.
Bossuet, Pénitence, 1.
39 Sur le bord de la fosse, ils étaient en train de faire des discours à n'en plus finir, si je peux m'exprimer ainsi. Soudain, je dis à mon collègue ici présent : « Tiens ! voilà autre chose. » Ce monsieur-là venait de basculer entre deux tombes.
A. Blondin, Monsieur Jadis, p. 86.
REM. Autre chose, expression composée, n'entraîne pas le féminin. Je cherche autre chose d'aussi beau (Hanse).
2 ☑ Quelque chose. Loc. composée indéfinie, masc. (abrév. : qqch.). || Posséder quelque chose. || Manquer de quelque chose. || Est-ce qu'il vous manque quelque chose ? || Je vais préparer quelque chose; quelque chose à manger. || Faire quelque chose. ⇒ Occuper (s'occuper à). || Avez-vous quelque chose à faire, à dire ? || Faites, dites quelque chose. → N'importe quoi. || Quelque chose a bougé; j'ai vu quelque chose bouger. || Quelque chose de grand, d'étonnant, d'ennuyeux.
40 Il y a en vous quelque chose de surnaturel.
41 De loin c'est quelque chose, et de près, ce n'est rien.
La Fontaine, Fables, IV, 10.
42 J'estime toutefois qu'il ne nous est pas défendu d'y ajouter quelque chose, pourvu qu'il ne détruise rien de ces vérités dictées par le Saint-Esprit.
Corneille, Examen de Polyeucte.
43 Il me faut suer sang et eau pour faire quelque chose qui mérite de vous l'adresser.
Racine, Lettres.
44 Il la traite sérieusement (une affaire de rien), et comme quelque chose qui est capital.
La Bruyère, les Caractères, VIII, 61.
45 Aimer est quelque chose, et le reste n'est rien.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Idylle ».
♦ ☑ C'est quelque chose, c'est déjà quelque chose : c'est mieux que rien. — ☑ (Exclam.). C'est quelque chose ! : c'est un peu fort ! || C'est quelque chose, cet aplomb qu'il a ! — ☑ Il est arrivé à quelque chose : il a réussi.
♦ Spécialt. (Pour satisfaire un besoin, remédier à une situation désagréable…). || Faites quelque chose au lieu de vous lamenter ! || Il est malheureux, il faut faire quelque chose, lui venir en aide. || Voulez-vous prendre quelque chose ?, un peu de nourriture, une boisson. — Chercher, trouver quelque chose, ce que l'on recherche (suivant les contextes). || Il cherche quelque chose dans la banque, un emploi. || Je voudrais quelque chose au centre de Paris, un logement. || Avez-vous trouvé quelque chose ?
45.1 Elle ne broncha que lorsque j'inventai que je n'avais pas dîné; elle s'affola comme une mère. Il n'était pas trop tard pour qu'elle allât chercher quelque chose. Elle se chargeait de courir à deux pas jusqu'au café-épicerie dont elle connaissait une porte dérobée.
Jacques Laurent, les Bêtises, p. 100.
♦ Compter pour quelque chose : avoir du prix, du mérite. || Votre opinion compte pour quelque chose. — Il est pour quelque chose dans cette affaire, il y a pris part, il y contribue.
♦ Il lui est arrivé quelque chose, un accident, un ennui. || Il a quelque chose, mais ne veut pas en parler. ⇒ Difficulté, embarras, ennui. Par euphém. || Il est arrivé quelque chose à votre oncle (il a eu un accident, il est mort…). || Serait-il arrivé quelque chose ? || J'ai arrangé mes affaires pour le cas où il m'arriverait quelque chose.
46 À la maison, on ne s'apercevait de rien; mais moi, je voyais bien que Jacques avait quelque chose.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, I, IV.
♦ Il y a quelque chose, un mystère, du louche. || Il y a quelque chose entre eux. ⇒ Malentendu; désaccord; intrigue.
♦ Il y a quelque chose comme une semaine.⇒ Environ.
46.1 Il y a quelque chose comme 4 000 cafés ultra-modernes à Tokyo, où l'on vous sert à boire et la compagnie d'une « serveuse ».
Henri Michaux, Un Barbare en Asie, p. 209.
♦ Se croire quelque chose : se prendre pour quelqu'un d'important. ⇒ Quelqu'un.
47 Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose.
Corneille, Cinna, III, 4.
♦ Être quelque chose : avoir une fonction importante. → Être quelqu'un (I., C., 1.).
REM. Dans l'expression quelque chose que…, équivalente à quelle que soit la chose que…, chose demeure au féminin. || Quelque chose que je lui aie dite, il n'aurait pas dû s'en formaliser.
3 Grand-chose. ⇒ Grand (II., 4.).
4 ☑ Peu de chose : une chose (acte, objet) peu importante. ⇒ Peu. || Ne me remerciez pas, c'est peu de chose. || Il faut peu de chose pour que je me sente bien.
———
III
1 N. m. (Substituable à n'importe quel autre nom que l'on ne peut se rappeler, ou dont on veut éviter l'emploi). ⇒ Bidule, machin, truc, trucmuche. || Ce Monsieur… chose était bien ennuyeux. || Le Petit Chose, roman d'A. Daudet. || Donnez-moi un… chose.
48 (…) dis eh chose tu m'en files un bout ?
Tony Duvert, Paysage de fantaisie, p. 34.
2 Par euphém. a Dire des choses, faire des choses (que la décence oblige de taire). — Faire des choses : faire l'amour. → Faire ça (1. Ça, 6.).
49 Il n'était pas tout à fait vierge, ayant fait des choses incomplètes avec une lycéenne à l'issue du concours général (…)
Jacques Laurent, les Bêtises, p. 17.
50 (…) les putains ne sentent rien. Chaque mot est une passe. Adjectif, tu viens ? Dis, tu viens, chéri ? Je te ferai des choses, adjectif, tu monteras au ciel.
Violette Leduc, la Folie en tête, p. 586.
b La chose : l'acte sexuel. ⇒ 1. Ça (6.). — ☑ Loc. Être porté (cit. 16.1, Mirbeau) sur la chose.
♦ Organe sexuel. || « Coupez-vous la chose aux enfants ? Il serait Monsieur sans queue » (Rabelais; → Queue, cit. 6).
———
IV (1739). En valeur d'adjectif.
1 ☑ Tout chose. || Être tout chose, alangui. || Elle était toute chose.
51 (…) moi je donne des coups de langue dans l'oreille, vous devenez sourde et vous êtes toute chose disait la langue gourmande de Fernande dans l'oreille de Juliette. Elles s'aimèrent toutes les trois un long moment (…)
Violette Leduc, la Folie en tête, p. 132.
♦ ☑ Fam. Se sentir tout chose : éprouver un malaise difficile à analyser, se sentir bizarre. ⇒ Souffrant; décontenancé, désappointé, interdit, triste.
2 ☑ Fam. Être un peu chose, un peu niais, stupide.
❖
CONTR. Rien.
DÉR. Choser, chosette, chosifier, chosisme, chosiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.