ENTENDEMENT
ENTENDEME
Pour Locke, l’entendement est le «pouvoir de penser» (ou la faculté de comprendre) comme la volonté est la «puissance de vouloir». Pour Leibniz, entendement est synonyme d’intellection. Malebranche assimile entendement et esprit pur. De son côté, Kant oppose entendement et raison. Selon lui, la fonction de l’entendement est de relier entre elles les sensations (à l’aide des catégories), afin d’en faire des séries et des systèmes; la raison est au contraire la faculté des principes: elle fonde inconditionnément l’unité de toute connaissance.
Il est impossible, à partir d’emplois aussi disparates, d’attribuer au mot «entendement» une signification univoque (une difficulté semblable existe pour le terme «intelligence»). Cependant, si l’on examine le vocabulaire de la philosophie grecque, on aperçoit que l’opposition fondamentale est celle de l’intuitif (pensée noétique) et du discursif (pensée dianoétique). La connaissance intuitive est directe: elle voit son objet, sensible ou intelligible. La connaissance discursive n’est que médiate: elle emprunte le discours, le raisonnement; elle construit la science en argumentant. Il semble que l’entendement soit l’organe de cette connaissance raisonnée, tandis que la connaissance immédiate, intuitive serait exercée par l’intellect (latin: intellectus ; grec: noûs ). Malheureusement, nombre de philosophes confondent intellect et entendement.
Quant au mot «raison» (latin: ratio ), il semblerait devoir désigner lui aussi la pensée qui raisonne. En fait, bien avant Kant, qui le sollicite de façon arbitraire, il a été chargé d’équivoque par Lucrèce et Cicéron. Ces auteurs lui ont fait traduire à la fois «pensée discursive», «pensée intuitive», «motif raisonné». Bref, en l’absence d’un consensus sur l’usage, on se doit de fixer soi-même le sens qu’on donne à ces vocables.
entendement [ ɑ̃tɑ̃dmɑ̃ ] n. m.
• 1120 « intelligence »; de entendre (II)
1 ♦ Philos. Faculté de comprendre. ⇒ compréhension, intellection. « Essais sur l'entendement humain », de D. Hume. « Par ce mot, entendement pur, nous ne prétendons désigner que la faculté qu'a l'esprit de connaître les objets du dehors sans en former d'images corporelles dans le cerveau pour se les représenter » (Malebranche).
♢ Cour. (dans des expr.) Ensemble des facultés intellectuelles. ⇒ cerveau, esprit, intellect, intelligence, jugement, raison; fam. comprenette, jugeote. Cela dépasse l'entendement : c'est incompréhensible; par ext. c'est incroyable.
2 ♦ Philos. (à distinguer de raison) Chez Kant, Fonction de l'esprit qui consiste à relier les sensations en systèmes cohérents (la raison faisant la synthèse des concepts de l'entendement).
♢ Par ext. Forme discursive de la pensée, s'exerçant sur ce qui est empiriquement donné.
● entendement nom masculin (de entendre, au sens de « comprendre ») Aptitude de quelqu'un à comprendre ; bon sens, raisonnement, jugement. ● entendement (citations) nom masculin (de entendre, au sens de « comprendre ») Michel Eyquem de Montaigne château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1592 Je voudrais aussi qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu'on y requît tous les deux, mais plus les mœurs et l'entendement que la science. Essais, I, 26 à l'enfant précepteur Commentaire Cette image, l'une des plus connues des Essais, est généralement citée à tort et appliquée à l'élève, non au précepteur. Elle était courante au XVIe siècle ; on la trouve, entre autres chez Henri Estienne dans son Apologie pour Hérodote. Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Paris 1626-Grignan 1696 Il y a de certaines choses qu'on n'entend jamais, quand on ne les entend pas d'abord. Correspondance, à Mme de Grignan, 14 mai 1686 dès l'abord ● entendement (expressions) nom masculin (de entendre, au sens de « comprendre ») Dépasser l'entendement, être incompréhensible.
entendement
n. m. PHILO Faculté de concevoir et de comprendre. Les philosophes ont opposé l'entendement tantôt à la volonté, tantôt à la sensibilité et à la raison (cartésiens et kantiens).
— Forme logique et discursive de la pensée.
|| Cour. Intelligence, compréhension. Voilà qui dépasse mon entendement.
⇒ENTENDEMENT, subst. masc.
A.— PHILOSOPHIE
1. [P. réf. à la théorie de Descartes] Faculté de comprendre, de saisir l'intelligible par opposition aux sensations. Je vois une imagination déréglée, mais un entendement réglé (CHATEAUBR., Génie, t. 1, 1803, p. 247). Pour saisir son objet, l'entendement le transforme en sa propre substance (BLONDEL, Action, 1893, p. 117) :
• 1. ... il [Corneille] le transpose [ce qui est accessible aux sens] de la sphère visuelle dans celle de l'entendement, mais d'un entendement net, étendu, sans vapeur, non nuageux, de cet entendement clairement défini, bien qu'un peu nu, tel que va le circonscrire et l'éclairer philosophiquement, dans son Discours de la Méthode et ailleurs, Descartes...
SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. 7, 1863-69, p. 262.
2. Spéc. [P. réf. à la théorie de Kant] Fonction mentale qui au moyen des catégories coordonne les données de l'expérience, l'interprétation finale étant l'œuvre de la raison (d'apr. FOULQ.-ST-JEAN 1962). Les cadres de l'entendement; les lois de l'entendement. Mais unité et multiplicité ne sont que des vues prises sur ma personnalité par un entendement qui braque sur moi ses catégories (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 258). Le schéma kantien d'un entendement informant, ordonnant du dehors une matière qui lui serait fournie (MARCEL, Journal, 1914, p. 102).
3. P. ext. Ensemble des facultés discursives de l'esprit (d'apr. LAL. 1968). Ce qui est simple au regard de notre entendement ne l'est pas nécessairement pour notre volonté (BERGSON, Deux sources, 1932, p. 51). Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception (...). Ainsi l'homme individuel réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin (SARTRE, Existent., 1946, p. 20) :
• 2. « ... Il vaudrait bien mieux raisonner correctement à la manière d'Euclide. Et, finalement, si votre entendement, comme vous dites, n'égale point le triangle d'Euclide, je ne puis que le regretter. »
ALAIN, Propos, 1922, p. 358.
B.— Cour. [Correspond à entendre II]
1. Faculté/action de comprendre, de saisir intellectuellement ou par le cœur la nature, la portée, la signification d'un être ou d'une chose.
a) Aptitude à comprendre. C'est fort intéressant. Cependant, cela dépasse mon entendement de femme (CAMUS, Caligula, 1944, II, 6, p. 43).
♦ Dépasser, passer l'entendement; échapper à l'entendement. Être incompréhensible à tout le monde ou, p. exagér., simplement extraordinaire, difficile à admettre. Impression de sécurité profonde, voisine de cette paix qui passe l'entendement et dont il est question dans la Bible (GREEN, Journal, 1932, p. 119). La façon que je restais pour compte en dépit de tant d'efforts, de sacrifices extraordinaires, c'était pas imaginable!... Ça dépassait l'entendement! (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 369).
b) Action de comprendre. — Vous jouiez au bridge, interrompit Laetitia, et l'on voit briller sur son visage le miracle de l'entendement (TOULET, Almanach, 1920, p. 114) :
• 3. Ces êtres autour de lui qui avaient à moitié ou complètement perdu le sens commun, bredouillant, riant, criant, discutant, semblaient se comprendre hors de toute logique. Et lui était exclu de cet entendement.
DRUON, Les Grandes familles, t. 2, 1948, p. 75.
c) Compréhension de quelque chose.
— [Suivi d'un compl.] Elle [Solange] lit très-bien, avec beaucoup d'entendement des règles que vous lui avez données (SAND, Corresp., t. 1, 1832, p. 235). La psychologie de la forme définira simplement l'entendement des symboles par la capacité toute physique de transposer des réactions acquises d'un domaine de signes à un autre (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 149).
— [Suivi d'un adj. précisant le domaine] La sensible n'est pas, pour notre entendement musical, une note primitive, mais une note dérivée, par voie d'altération, de la tonique qu'elle remplace (LALOY, Aristoxène, 1904, p. 370).
2. P. ext. Ensemble des facultés intellectuelles.
a) [L'esprit en tant que siège des facultés intellectuelles] Frapper l'entendement. — Si tu voulais être un peu plus comme les autres, on te saurait plus de gré de ce que tu as de plus qu'eux dans ton entendement (SAND, Pte Fad., 1849, p. 155). Cette façon de s'aimer ne pouvait lui entrer dans l'entendement (ZOLA, Joie de vivre, 1884, p. 1123). — Mettez-vous tout ça dans l'entendement (MOSELLY, Terres lorr., 1907, p. 149).
— [Dans des expr. fig., assimilé à un organe] Brouiller, détraquer l'entendement. Réfléchissez, ne fermez pas vos oreilles et votre entendement, quand vous êtes animée par la passion (GONCOURT, Journal, 1892, p. 300) :
• 4. ... sur l'instant, j'étais fort loin de tout comprendre. Mais ces mots et ces cris bizarres n'eussent-ils pas suffi pour m'ouvrir l'entendement qu'y seraient parvenus, sans doute, les commentaires chuchotés que j'en percevais chez nous.
DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Notaire du Havre, 1933, p. 81.
Rem. On rencontre ds la docum. le synon. pop. entendoir (cf. comprenoir, comprenette) : [Baptiste] avait l'entendoir bouché de nature sur certaines pratiques secrètes [des femmes] (M. STÉPHANE, Ceux du trimard, 1928, p. 126), avec la graphie entendouère : — « Ah! quelle tête tu as, toi! Quelle entendouère! (BOURGET, Monique, 1902, p. 48).
b) Capacités intellectuelles d'une personne. Un entendement borné, vif. Je donne mon avis, sire, timidement : je suis d'église, et n'ai que l'humble entendement d'un pauvre clerc (HUGO, Légende, t. 2, 1859, p. 501) :
• 5. ... Napoléon avait des lacunes dans le génie : son entendement ressemblait au ciel de cet autre hémisphère sous lequel il devait aller mourir, à ce ciel dont les étoiles sont séparées par des espaces vides.
CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 648.
♦ Un homme d'entendement, de bon entendement (vieilli). Synon. un homme intelligent, entendu. Il [le drogman] est très expérimenté et de bon entendement (FLAUB., Corresp., 1850, p. 188). Personne, au temps de saint Louis, n'aurait eu l'idée d'envoyer à la bataille un homme de savoir et d'entendement (FRANCE, Lys rouge, 1894, p. 106).
SYNT. Entendement obscurci, obtus, sain, subtil; faible, petit entendement; les ténèbres d'un entendement.
— P. méton. Personne (cf. cerveau I A 3, esprit). La science [au XVIIe siècle] était regardée comme une révélation qui ne descendait que dans quelques entendements privilégiés (JOUFFROY, Mél. philos., 1833, p. 21).
— En partic. Aptitude à raisonner, bon sens. Avoir perdu l'entendement (Ac. 1798-1932). ... Quelque affreux délire A-t-il à mon époux ravi l'entendement? (MORÉAS, Iphigénie, 1900, III, 4, p. 100). Il fallait avoir peu d'entendement pour rire à tout bout de champ comme je faisais (FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 219).
Rem. Dans ce sens entendement a été remplacé dep. le mil. du XIXe s. dans la lang. cour. par intelligence (cf. TAINE, Intellig., t. 1, 1870, p. 1). Le mot est resté vivant dans qq. expr. et on le rencontre également chez des aut. à tendance régionaliste (p. ex. Sand), archaïsante (p. ex. Hugo) ou class. (p. ex. France). L'arch. produit parfois un effet com. Dehors, dans le jardinet (...), nous entonnâmes une bonne prise d'air afin de nous rafraîchir l'entendement (ARNOUX, Rêv. policier amat., 1945, p. 205).
C.— Régionalismes
1. Régionalismes : Berry, Vendômois, Canada. [Correspond à entendre II A 2 b] Entente, accord, pacte. La famille Fadet était réputée avoir tel entendement avec le diable, qu'on ne pouvait pas être bien assuré qu'il n'en fût rien (SAND, Pte Fad., 1849, p. 78).
2. Régionalismes : Normandie. [Correspond à entendre III] Volonté. Il [Matthieu] se toucha le bras en souriant. « Ça ne fait mal que trois jours, » répondit Hopsor, comme ragaillardi par les souvenirs, « à ton entendement, mon gâs! » (LA VARENDE, Amours, 1944, p. 74).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Début du XIIe s. « intelligence » (Psautier d'Oxford, CXVIII, 125, éd. F. Michel, p. 193). Dér. du rad. de entendre au sens de « comprendre »; suff. -(e)ment1. Fréq. abs. littér. : 999. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 2 431, b) 793; XXe s. : a) 876, b) 1 220. Bbg. LA CHARITÉ (R.C.). The Concept of judgement in Montaigne. The Hague, 1968, X-149 p. — LEW. 1960, p. 75.
entendement [ɑ̃tɑ̃dmɑ̃] n. m.
ÉTYM. Déb. XIIe, « intelligence »; de entendre, II.
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1 Philos et cour. (sens large). Faculté de comprendre. ⇒ Compréhension, conception, intellection. || Les opérations de l'entendement; la démarche de l'entendement. || L'entendement humain. || Essai philosophique concernant l'entendement humain, de Locke (1690). || Essais (ou enquête) sur l'entendement humain, de D. Hume (1748). || Opposer l'entendement à l'imagination, aux sensations (→ Circonscrire, cit. 5).
1 L'entendement humain, tant soit-il admirable,
Du moindre fait de Dieu sans Grâce n'est capable.
Ronsard, Disc. misères de ce temps, Remontrance peuple France.
2 (…) notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d'aucune chose si notre entendement n'y intervient.
Descartes, Discours de la méthode, IV.
3 L'entendement est la lumière que Dieu nous a donnée pour nous conduire.
Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu, I, 7.
4 Par ce mot, entendement pur, nous ne prétendons désigner que la faculté qu'a l'esprit de connaître les objets du dehors sans en former d'images corporelles dans le cerveau pour se les représenter.
Malebranche, De la recherche de la vérité, III, I, 1.
5 Comme tout ce qui entre dans l'entendement humain y vient par les sens, la première raison de l'homme est une raison sensitive; c'est elle qui sert de base à la raison intellectuelle (…)
Rousseau, Émile, II.
6 On juge par ce qu'on voit de ce qu'on ne voit pas; du tout par la partie que l'on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l'entendement humain !
P.-L. Courier, Œ., p. 30-31.
7 (…) l'étude avait agrandi son intelligence, la méditation avait aiguisé sa pensée, les sciences avaient élargi son entendement.
Balzac, Séraphîta, Pl., t. X, p. 522.
♦ Cour. (dans des expressions). Ensemble des facultés intellectuelles. ⇒ Cerveau, cervelle (fig.) esprit, intellect, intelligence, jugement, raison, sens (bons sens). → fam. Comprenette, jugeote… || Cela passe (cit. 113), dépasse l'entendement : c'est incompréhensible. || Vérité qui se présente, s'offre à l'entendement. — Absolt et vx. Raison, bon sens. || Perdre l'entendement : devenir fou.
8 La façon de se vêtir présente lui fait (à notre peuple) incontinent condamner l'ancienne, d'une résolution si grande et d'un consentement si universel, que vous diriez que c'est une espèce de manie qui lui tourneboule ainsi l'entendement.
Montaigne, Essais, I, XLIX.
9 L'oiseau chasseur lui dit (au chapon) : Ton peu d'entendement
Me rend tout étonné (…)
La Fontaine, Fables, VIII, 21.
10 (…) le sentiment religieux est une passion d'amour et voilà ce qu'ils ne comprendront jamais, ces pédagogues (…) quand il pleuvrait des clefs de lumière pour leur ouvrir l'entendement !
Léon Bloy, le Désespéré, I, p. 40.
11 (…) l'humeur de Blanche a quelque chose qui passe l'entendement ordinaire.
Bernanos, le Dialogue des Carmélites, in Œ. roman., Pl., p. 1570.
2 Philos. (Distingué de raison). a Chez Kant, Fonction de l'esprit qui consiste à relier les sensations en systèmes cohérents au moyen de catégories (la raison faisant la synthèse des concepts de l'entendement). — Chez Schopenhauer, Faculté de lier les représentations intuitives entre elles (la raison formant et combinant des concepts abstraits).
b Forme discursive de la pensée, s'exerçant sur ce qui est empiriquement donné. || L'entendement effectue les opérations discursives de l'esprit : conceptions, jugements, raisonnements, la raison s'appliquant à la connaissance de l'absolu.
Encyclopédie Universelle. 2012.