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EUTHANASIE
EUTHANASIE

«Je dirai de plus, en insistant sur ce sujet, que l’office du médecin n’est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d’adoucir les douleurs et souffrances attachées aux maladies; et cela non pas seulement en tant que cet adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu’il n’y a plus d’espérance, une mort douce et paisible; car ce n’est pas la moindre partie du bonheur que cette euthanasie [...]. Mais de notre temps les médecins semblent se faire une loi d’abandonner les malades dès qu’ils sont à l’extrémité; au lieu qu’à mon sentiment, s’ils étaient jaloux de ne point manquer à leur devoir, ni par conséquent à l’humanité, et même d’apprendre leur art plus à fond, ils n’épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus de douceur et de facilité. Or, cette recherche, nous la qualifions de recherche sur l’euthanasie extérieure, que nous distinguons de cette autre euthanasie qui a pour objet la préparation de l’âme, et nous la classons parmi nos recommandations.»

Ce texte a une grande importance historique. Il fut cité et commenté de nombreuses fois, Il est donné ici sous sa forme définitive (Instauratio Magna , 1623), mais l’auteur, Francis Bacon, homme d’État et philosophe anglais, en avait déjà publié une première rédaction en 1605 (The Advancement of Learning ). Pour la première fois dans l’histoire des Temps modernes, était employé le terme d’euthanasie, en un sens qui aura cours pendant près de trois siècles. Or le même texte servit de support et d’illustration à une conception tout à fait différente de l’euthanasie qui commença à se répandre à la fin du XIXe siècle. C’est ce glissement de signification qu’il est indispensable de saisir, si l’on veut comprendre les débats qui eurent lieu dans les sociétés occidentales autour de ce mot d’euthanasie.

Histoire du terme

Francis Bacon s’intéressait principalement aux méthodes et au progrès des sciences. Son œuvre fait l’inventaire des connaissances de son époque et de leurs lacunes. Il constate, chez les médecins du XVIIe siècle, un total manque d’intérêt pour le traitement de la douleur. Il les invite donc à un effort de recherche en ce domaine. Il entrevoit le développement d’une médecine «palliative», comme on dirait aujourd’hui, capable de transformer les derniers moments de la vie, à condition de ne pas être séparée de l’accompagnement spirituel du malade («préparation de l’âme»). Tout cela, selon Bacon, devrait permettre de réaliser un vieux rêve de l’humanité: échapper aux affres des derniers moments de la vie et s’éteindre , l’heure venue, de manière douce et paisible . C’est une telle mort qu’il appelle «euthanasie», d’un terme emprunté à l’antiquité grecque.

Le mot va garder à peu près le même sens jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le Dictionnaire de la langue française de Littré donne encore comme définition: «Euthanasie», bonne mort, mort douce et sans souffrance. Cependant, le terme commence aussi à désigner non plus seulement la qualité des derniers moments de la vie, mais aussi l’acte de prendre soin du mourant dans le dessein de lui assurer une telle mort: «C’est cette science, appelée euthanasie, qui agit contre ce qu’il pourrait y avoir d’oppressant dans la maladie, soulage la douleur et rend très paisible l’heure ultime à laquelle personne ne peut échapper» (C. F. H. Marx, 1826).

Cette «science de l’euthanasie», en ce début du XIXe siècle, emploie des moyens simples: aération de la chambre, attention portée à la position du malade dans son lit (et choix de ce lit), présence des proches; du point de vue médical, il est recommandé de s’abstenir de tout recours inutile à la chirurgie et de se contenter de traitements «symptomatiques et palliatifs».

Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle (cf. S. Reiser, 1977) que le terme d’euthanasie prend un sens nouveau: procurer une mort douce – et l’on retrouve la signification précédente – mais en mettant fin délibérément à la vie du malade . Et c’est désormais le sens prédominant dans l’opinion publique des sociétés occidentales. Quand des journaux titrent «La Cour d’assises a jugé un cas d’euthanasie», ou «Un grand problème humain, l’euthanasie», le lecteur pense aussitôt à la mort donnée à un incurable ou à un handicapé.

Mais le sens primitif n’en est pas pour autant tout à fait oublié: «Nous savons tous, écrit J. Monod en 1974, que, dans les faits, les médecins sont confrontés constamment au problème de l’euthanasie et que tous ceux qui le peuvent essaient en conscience de permettre à leurs malades ou mourants d’accéder sinon à la bonne mort, à l’euthanasie au sens étymologique du terme, du moins à s’en rapprocher le plus possible.»

Le même terme sert ainsi à désigner l’acte de provoquer la mort dans le dessein d’épargner des souffrances (et tel est, pour J. Monod, le «problème de l’euthanasie») et la mort douce et paisible de celui qui s’éteint. On est en pleine confusion.

Cette confusion est renforcée par l’évolution de la médecine. Celle-ci dispose désormais d’analgésiques puissants, dont l’emploi présente parfois des risques pour le malade. L’existence de ce risque mortel, même s’il est très faible, et le fait qu’est recherché l’adoucissement de la mort conduisent beaucoup de médecins à parler d’euthanasie à propos d’emploi prolongé de ces analgésiques. Mais le terme d’euthanasie connote désormais l’idée de «mort provoquée». Aussi ces médecins se sentent-ils en partie responsables de la mort de leur patient, lorsque celui-ci meurt au terme d’une maladie ayant nécessité l’emploi de tels analgésiques. De même, parce qu’ils jugent certaines thérapeutiques de prolongation de la vie inappropriées à la situation du malade et qu’ils y voient la source de souffrances inutiles, bien des médecins s’abstiennent d’utiliser de telles techniques. Mais ils disent avoir alors une attitude «euthanasique», ce qui ne va pas sans susciter parfois chez eux un sentiment de culpabilité.

Pour éviter de telles réactions indues, bien des épithètes ont été proposées pour qualifier le terme d’euthanasie. La plupart des manuels d’éthique distinguent l’euthanasie active et l’euthanasie passive , selon que la mort s’est produite après un acte posé par un tiers ou après l’omission de thérapeutiques qui auraient peut-être prolongé (de peu ou de beaucoup) la vie du malade. De même, on parle d’euthanasie indirecte , si la mort n’est pas recherchée délibérément et si l’acte posé ne conduisait pas nécessairement à la mort: ce qui est le cas lorsqu’on emploie des analgésiques présentant certains risques.

Mais ces distinctions n’atteignent pas le but pour lequel elles ont été élaborées. L’épithète passive ou indirecte n’est d’habitude pas entendue. Le mot «euthanasie» connote désormais une relation de causalité et de responsabilité entre la mort d’un malade et l’attitude de ceux qui le soignent. Il aurait peut-être été préférable d’en rester à la signification originelle du mot, celle de «mort douce», et de réfléchir aux moyens licites, au regard du droit et de l’éthique, de permettre à la personne soignée de trouver une telle mort. Mais les mots ont leur vie propre, et leurs résonances affectives sont difficilement maîtrisables. Il est possible néanmoins de tenter une clarification du langage, en déterminant avec précision l’usage du vocabulaire.

Prenons donc acte d’un fait: le terme «euthanasie» évoque désormais la responsabilité d’un professionnel de la santé ou d’un proche dans la mort d’un malade ou d’un handicapé. Dans une telle perspective, est euthanasique le geste ou l’omission qui provoque délibérément la mort du patient dans le dessein de mettre fin à une vie marquée par la souffrance.

Telle est la définition à laquelle on peut s’en tenir, qui est d’ailleurs celle des juristes, et qui commence à être acceptée par les moralistes (cf. Congrégation pour la doctrine de la foi, 1980).

Soins palliatifs

Une telle définition conduit à restreindre considérablement l’usage du terme euthanasie. Elle exclut son emploi lorsqu’il s’agit de qualifier les méthodes modernes de traitement de la douleur du malade à la fin de la vie. Ces techniques se sont développées (on les appelle désormais «soins palliatifs»), sous l’impulsion de recherches menées à partir de 1967 dans une clinique londonienne, Saint Christopher’s Hospice. C’est exactement un tel développement de la médecine que préconisait Francis Bacon au XVIIe siècle! Une observation prolongée des cancéreux atteints de souffrances sévères et un maniement précis d’analgésiques tels que la morphine ont montré qu’il est possible de prévenir totalement la souffrance pendant la phase terminale de la vie. De telles thérapeutiques ne semblent pas raccourcir la vie; il se peut même qu’elles la prolongent en redonnant aux malades le goût de vivre. Le traitement doit, certes, être maintenu jusqu’à ce que la mort se produise; mais il n’y a pas de relation de causalité entre la thérapeutique de la douleur et le décès du patient; sauf peut-être dans certains cas où le traitement présente certains risques – assez limités – pour le malade. Même alors, on ne peut parler de recherche délibérée de la mort du patient, ni, par conséquent, d’euthanasie.

L’abstention de moyens thérapeutiques

Il y a un siècle, peu de chose pouvait être fait pour le mourant. Peu de décisions étaient requises. On mourait, tout simplement. Les personnes présentes veillaient et se réconfortaient mutuellement. Le développement de la médecine – spécialement la «révolution thérapeutique» qui s’est produite pendant la Seconde Guerre mondiale et l’introduction massive, depuis 1960, des technologies modernes dans l’hôpital – a transformé les conditions de la mort. On peut désormais faire beaucoup de choses pour un grand malade. Est-ce pour son bien? Est-ce même toujours une lutte pour la vie, ou seulement une tentative désespérée de cacher l’impuissance de l’homme devant le caractère inéluctable de la mort?

Ces questions ont été âprement débattues en France dans les années 1974-1980. Pour certains, aucune interrogation n’était envisageable: «Pour chaque malade, déclare J. Dausset, le médecin se doit de ne négliger aucun moyen qu’il juge en son âme et conscience susceptible de prolonger, fût-ce d’une seconde, la vie de celui qui s’est confié à lui. Il n’y a dans cette règle aucune ambiguïté.» Une telle éthique fut vivement contestée. A. N’Daw, par exemple, rétorque: «Lorsqu’on possède tant soit peu d’informations sur ce que l’on a appelé l’acharnement thérapeutique, l’effort démesuré, disproportionné, qu’entreprennent certains médecins pour maintenir en vie, une vie qui n’a plus rien d’humain, de pitoyables épaves, alors on comprend que des moralistes et aussi des praticiens se posent la question de savoir s’il ne faut pas introduire en déontologie médicale le droit à la mort, c’est-à-dire essentiellement le droit à une fin qui sauvegarde la dignité et l’intégrité morale de la personne.»

L’expression de «droit à la mort» est certes ambiguë; comme le mot «euthanasie», elle peut être employée dans les sens les plus divers. Elle est pourtant utilisée même par les instances suprêmes de l’Église catholique: «Il est aujourd’hui très important de protéger au moment de la mort la dignité de la personne humaine et la conception chrétienne de la vie contre une technicité qui risque de devenir abusive. Aussi certains en sont-ils venus à parler d’un «droit à la mort», expression qui ne désigne pas le droit de se donner ou de se faire donner la mort comme on le veut, mais le droit de mourir dans la dignité humaine et chrétienne, en toute sérénité» (Congrégation pour la doctrine de la foi, 1980).

Il serait plus précis de parler d’un «droit du malade au respect de sa liberté et de sa dignité» lorsque la mort le menace. C’est un tel droit qui fut mis en valeur en France au cours des débats suscités par le dépôt d’une proposition de loi, défendue par le sénateur H. Caillavet, (1978), à propos du «testament de vie». On désigne par cette expression le document par lequel une personne demande à l’avance à ne pas recevoir certains soins de prolongation de la vie le jour où l’on découvrira chez elle une maladie incurable conduisant à la mort. Quelques États américains (la Californie, en particulier) reconnaissent la valeur légale d’un tel document, mais imposent des conditions très strictes à sa mise en application. Ces débats publics mirent en pleine lumière le fait que le droit français reconnaît la totale liberté du patient de refuser des soins, s’il est lucide et responsable de lui-même. Quand le malade refuse ainsi des traitements que le médecin juge indispensable à la prolongation de la vie, il n’y a aucunement lieu de parler d’euthanasie. Ceux qui le soignent ne portent pas la responsabilité de l’abstention thérapeutique, car la décision ne leur appartient pas: ils n’ont pas le droit d’agir contre la volonté de l’intéressé.

Quand le malade est devenu incapable de prendre lui-même une décision, ceux qui prennent soin de lui ne sont pas tenus, au regard du droit français et des règles éthiques communément admises désormais, à le soumettre à toutes les ressources de la médecine. Les assauts répétés dont ont fait l’objet trois chefs d’État – Franco (1975), Boumediene (1978) et Tito (1980) – ont clairement montré que certaines opiniâtretés médicales se révèlent dérisoires et dénuées de sens. Elles ne sont qu’inutile «acharnement thérapeutique».

Dans chaque cas particulier, les décisions concrètes sont, certes, difficiles à prendre. À partir de quand serait-il disproportionné de recourir à telle technique médicale? De quels facteurs tenir compte? Qui peut prendre la décision, et comment? Mais, dans la plupart des cas où l’on se résout finalement à ne plus essayer de prolonger la vie, il n’y a pas lieu de parler d’euthanasie. Le décès du malade se produira peut-être un peu plus tôt que si certaines techniques médicales avaient été mises en œuvre. Mais le médecin ne provoque pas alors la mort, il s’abstient seulement de retarder une échéance proche et inéluctable.

La définition donnée plus haut de l’euthanasie exclut donc de recourir à ce terme pour qualifier la plupart des décisions médicales axées non sur la prolongation de la vie, mais sur le respect de la liberté et de la dignité du malade, sur son bien-être ou sur le soulagement de sa souffrance. En revanche, certains gestes doivent être appelés, au sens strict, euthanasiques, telle l’injection volontaire d’une dose létale de médicament ou de poison, pratiquée dans le dessein de mettre fin à une existence handicapée ou souffrante. D’autres pratiques en sont proches: certains services hospitaliers recourent assez systématiquement, pour empêcher des malades de souffrir à la toute dernière phase de leur vie, à des mélanges d’analgésiques qui plongent le patient dans l’inconscience et abrègent ses jours. On peut au moins dire qu’ils mettent fin délibérément à la vie consciente du sujet humain...

Différents types d’euthanasie

Si l’acte de provoquer la mort d’un incurable ou d’un être humain en proie à la souffrance est posé à la demande de l’intéressé, il s’agit d’«euthanasie volontaire». Mais il arrive que ce geste soit effectué sans le consentement du patient et pour des mobiles multiples: la pitié pour un être humain diminué, la conviction que certaines existences humaines n’ont pas de sens, le désir de soulager une famille ou un service hospitalier d’une présence souffrante lourde à supporter, ou même des motifs économiques. En ce dernier cas, on parlera d’«euthanasie sociale».

Un certain nombre de sociétés, tout au long de l’histoire, ont pratiqué, pour des motifs économiques ou eugéniques, l’euthanasie sociale, sous la forme notamment de l’abandon des vieillards et de l’«exposition» des enfants faibles ou mal formés. Ces pratiques n’ont cependant pas été aussi nettement approuvées qu’on le croit généralement aujourd’hui par les penseurs et philosophes des différentes époques. Ainsi, l’on fait souvent de Platon un partisan de l’euthanasie sociale. Cela repose sur des citations tronquées. Si Platon a bien écrit: «On laissera mourir ceux dont le corps est mal constitué» (République , III, 410), ce fut avant tout pour protester contre un recours déraisonnable au médecin. Au lieu de prendre «un soin excessif de son corps», il vaut mieux mener une vie active et «envoyer promener le médecin». «On recouvrera ainsi la santé et vivra en faisant son métier», ou on mourra si l’on n’a pas une constitution assez forte pour résister.

C’est sans doute au XXe siècle que l’euthanasie sociale fut pratiquée de la façon la plus systématique. Le régime nazi «accorda la grâce de la mort» à 200 000 enfants malformés, débiles ou incurables. L’indignation soulevée dans le monde entier par une telle entreprise d’élimination d’enfants malades ou handicapés met désormais en garde contre les incitations à l’euthanasie sociale.

L’euthanasie volontaire (ou du moins le suicide, en cas de souffrances excessives) fut parfois louée par les poètes, acceptée ou recommandée par les philosophes de l’Antiquité. Le Moyen Âge chrétien et la Renaissance la condamnèrent fermement. Au XVIe siècle, Thomas More la décrivit comme pratiquée par les habitants de son «île d’utopie»; mais cela ne veut pas dire qu’il l’approuvait. En fait, ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que se développèrent de véritables mouvements en faveur de la légalisation de l’euthanasie volontaire.

Les législations contemporaines

Depuis le début du XXe siècle, le législateur fut saisi, spécialement dans les pays anglo-saxons, de multiples projets de la loi relatifs à l’euthanasie. En 1906, le Parlement de l’Ohio adopta en première lecture le texte suivant: «Toute personne atteinte d’une maladie incurable, accompagnée de grandes douleurs, peut demander la réunion d’une commission composée d’au moins quatre personnes, qui statuera sur l’opportunité de mettre fin à cette vie douloureuse.» Cette loi fut rejetée par la juridiction supérieure. Le Code pénal russe de 1922 libérait de toute peine l’auteur d’un homicide par pitié s’il pouvait prouver avoir agi sur la demande de la victime. Une telle disposition ne resta en vigueur que pendant quelques mois. En 1936, à Londres, l’Association pour une législation de l’euthanasie volontaire soutint le dépôt d’une proposition de loi reconnaissant le droit d’un adulte à demander la mort s’il est atteint d’une maladie mortelle et incurable accompagnée de douleurs sévères. La demande devrait être signée en présence de deux témoins et soumise à un comité d’euthanasie. La Chambre des Lords rejeta ce projet. En 1947, le Parlement de l’État de New York repoussait une proposition analogue.

Les tentatives de légaliser l’euthanasie se heurtèrent ainsi à un refus du législateur. Si bien que l’on peut écrire que, aux alentours de l’année 1980, «dans tous les pays quel que soit le système de législation, l’homicide même réalisé par compassion et sur la demande de la victime est considéré comme une atteinte au droit» (Encyclopædia of Bioethics , 1978, p. 282). Il faut peut-être faire une exception pour l’Uruguay. De nombreuses législations (en Suisse, Grèce, Danemark, Islande, Finlande, Autriche, Allemagne fédérale, Pays-Bas) admettent une atténuation de la peine pour les cas de véritable euthanasie volontaire. Les tribunaux font souvent preuve de clémence et vont jusqu’à prononcer l’acquittement. Mais l’euthanasie reste condamnée par la loi.

Les arguments des juristes, pour justifier ces législations plus ou moins sévèrement répressives, reposent d’abord sur l’ambiguïté des concepts de pitié et de consentement à l’euthanasie. Quels sont les véritables mobiles de celui qui donne la mort: répondre à une demande instante, ou ne plus souffrir soi-même de la vision de l’épreuve d’autrui? Et comment faire la distinction entre une véritable demande et l’acceptation passive de la part de celui qui se sent à charge et subit peut-être de multiples pressions? Reconnaître légalement le droit à l’euthanasie peut donc conduire à de multiples abus. Plus fondamentalement, c’est le ressort même de la société qui est en jeu: une société qui reconnaît le droit à l’euthanasie volontaire, c’est-à-dire à l’assistance au suicide dans une situation de maladie incurable, ne risquet-elle pas, par le fait même, de renforcer les tendances mortifères de ses membres?

Les débats éthiques

L’euthanasie ne peut-elle cependant pas être reconnue dans certains cas comme licite au regard de l’éthique ? Les débats menés en France sur ce thème restèrent très confus, en raison du manque de rigueur signalé plus haut dans l’emploi du mot «euthanasie». Deux questions ont été inextricablement mêlées: est-il admissible d’épargner au malade incurable des thérapeutiques inappropriées à son état et de donner la priorité au soulagement de sa souffrance, de façon à «adoucir sa mort»? Est-il admissible de provoquer délibérément sa mort?

Un consensus éthique s’est établi dans les sociétés occidentales au sujet de la première question: la réponse est affirmative. Les autorités religieuses (et notamment l’Église catholique, qui a pris nettement position dès 1957 par la bouche du pape Pie XII) et déontologiques (comme, en France, le Conseil de l’Ordre national des médecins, dans le Code de déontologie de 1979, art. 20) et la quasi-totalité des moralistes (cf. Encyclopædia of Bioethics ) n’éprouvent plus aucune hésitation à ce sujet, au moins au niveau des principes et des règles générales. La mise en œuvre de ces principes permet d’habitude de répondre aux désirs des grands malades: ce que demandent la plupart d’entre eux, c’est de ne pas se voir imposer des traitements agressifs et inutiles, d’être soulagés de leur douleur et de vivre les derniers moments de leur vie dans le calme et, si possible, entourés de leurs proches. Si de telles demandes sont satisfaites, le plus souvent le malade ne réclame pas qu’on mette un terme à son existence (cf. Cicely Saunders, in Laennec , aut. 1975). Le problème le plus important est donc d’ordre pratique: quelle formation donner aux professionnels de la santé, pour qu’ils deviennent capables de s’acquitter de telles tâches?

Demeure cependant la question posée par ceux qui, malgré un traitement efficace de la douleur ou en l’absence d’une telle thérapeutique, demandent la mort. L’euthanasie, au sens actuel du mot, peut-elle être reconnue éthiquement acceptable? Sur ce point, continuent à s’affronter deux tendances: l’une fait appel à la notion des droits individuels et affirme que l’homme a le droit de vivre et de mourir comme il l’entend, à condition de ne pas léser directement autrui. Dans une telle perspective, il a le droit de mettre fin à sa vie quand il le juge souhaitable, et d’obtenir une assistance quand il n’est plus capable de poser lui-même un tel geste; avant de répondre à une telle demande, il suffit de vérifier que cette personne a pris sa décision librement et en pleine conscience. L’autre tendance reprend les arguments juridiques cités plus haut et met en avant les conséquences sociales qu’aurait la reconnaissance du droit de donner la mort: dénaturation de l’image du médecin si celui qui soigne devient aussi celui qui tue, pression exercée sur ceux qui se sentent devenus inutiles. Le plus grand nombre des handicapés, vieillards, malades incurables, tout en éprouvant les souffrances liées à leur situation, n’ont pas perdu tout désir de vivre. Mais ils perçoivent la charge qu’ils représentent pour leurs proches et la société. Qu’un droit de demander la mort leur soit reconnu, certains d’entre eux se sentiront coupables de ne pas demander à «bénéficier de la loi» et de ne pas «délivrer» ainsi autrui de leur présence.

Le débat éthique sur l’euthanasie (comprise au sens prédominant du mot) pose ainsi le problème du choix entre la satisfaction de demandes individuelles et la protection des membres les plus vulnérables de la société.

euthanasie [ øtanazi ] n. f.
• 1771; de eu- et gr. thanatos « mort »
1Méd. Vx Mort douce et sans souffrance.
2(1907) Cour. Usage de procédés qui permettent d'anticiper ou de provoquer la mort, pour abréger l'agonie d'un malade incurable, ou lui épargner des souffrances extrêmes. Les partisans de l'euthanasie refusent l'acharnement thérapeutique. Euthanasie active (par administration de substances), passive (par suspension des soins). Provoquer la mort par euthanasie. euthanasier.

euthanasie nom féminin (grec euthanasia, mort douce) Acte d'un médecin qui provoque la mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays.

euthanasie
n. f. Mort provoquée dans le dessein d'abréger les souffrances d'un malade incurable.

⇒EUTHANASIE, subst. fém.
A.— MÉD. Mort douce, de laquelle la souffrance est absente, soit naturellement, soit par l'effet d'une thérapeutique dans un sommeil provoqué.
En partic., PHILOS., vx. Art, science de rendre la mort douce :
1. ... les recherches que j'ai commencées sur une science qui s'appellera l'« euthanasie » mettront l'homme au-dessus de la plus triste servitude, la servitude de la mort. L'homme ne sera jamais immortel; mais finir n'est rien, quand on est sûr que l'œuvre à laquelle on s'est dévoué sera continuée; ce qui est honteux, c'est la souffrance, la laideur, l'affaiblissement successif, la lâcheté qui fait disputer à la mort des bouts de chandelle quand on a été flambeau. Je trouverai un moyen pour que la mort soit accompagnée de volupté.
RENAN, Drames philos., Caliban, 1878, IV, 2, p. 416.
P. métaph. [Les Français] nous donnent ce rêve oriental comme un repos, une euthanasie, une manière de glisser vers la mort avec quelque douceur et quelque inconscience. Ils ne trouvent pas dans l'Orient une raison de vivre, mais une manière de mourir (THIBAUDET, Réflex. litt., 1936, p. 177).
Au fig. Ne pas faire (...) de sa conscience morale une véritable « suppression » ou en d'autre terme [sic], une « euthanasie » de la vie morale (DELAY, Psychol. méd., 1953, p. 205).
Rem. On rencontre ds la docum. la forme euthanésie. Mourir après trois ans de bonheur parfait, dans les bras même de sa chimère, (...) « elle a retrouvé, » pensa Gadagne, « cette science des anciens, aujourd'hui perdue, l'« euthanésie, » l'art de la mort attrayante » (PÉLADAN, Vice supr., 1884, p. 153).
B.— Usuel. Fait de donner délibérément la mort à un malade (généralement incurable ou qui souffre atrocement). Euthanasie agonique. La doctrine officielle réprouve l'eugénisme comme l'euthanasie, ne connaît que l'euh! des hésitations devant le problème des mesures à prendre pour étouffer dans l'œuf la plus terrible atteinte à la dignité humaine (H. BAZIN, Tête contre murs, 1949, p. 401) :
2. ... l'emploi d'un même terme « Euthanasie » pour trois actions fondamentalement différentes :
— le refus de l'acharnement thérapeutique
— la thérapeutique de l'agonie, dût-elle comporter un risque thérapeutique;
— et le fait de donner délibérément la mort à un malade.
C'est cette dernière pratique qui est inacceptable...
Monde, 9 mars 1978, p. 24.
P. ext. Fait de supprimer les sujets tarés afin de satisfaire des exigences de nature collective. Euthanasie sociale ou eugénique (cf. DUHAMEL, Manuel du protest. ds ROB.).
Rem. On rencontre ds la docum. euthanasique, adj. Qui a rapport à l'euthanasie, qui permet de donner une mort douce. Il [Apfel] (...) s'était fait une spécialité des poisons dit barbituriques, tels que le véronal, le gardénal, (...) qui sont ceux du sommeil, de l'anesthésie, et parce qu'euthanasiques, du suicide (L. DAUDET, Ciel de feu, 1934, p. 268). Ceux qui ont tué, qui ont volé à main armée, qui ont enlevé des enfants, (...) un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d'en disposer de façon humaine et économique (CARREL, L'Homme, 1935, p. 388).
Prononc. :[øtanazi]. Étymol. et Hist. 1. 1771 philos. (Trév.); 2. 1907 méd. (Nouv. Lar. ill. Suppl.). Empr. au gr. « mort douce et facile ». Fréq. abs. littér. :4. Bbg. DUB. Dér. 1962, p. 39. — GLÄTTLI (H.). Vox rom. 1952, t. 12, p. 387. — QUEM. DDL t. 14.

euthanasie [øtanazi] n. f.
ÉTYM. 1771, « mort heureuse » (Trévoux); sens mod. repris à l'angl., par la traduction d'un ouvrage de William Munk, en 1889 : Euthanasie ou Traitement médical pour procurer une mort facile et sans douleur; de eu-, et grec thanatos « mort ».
(1888, trad. d'un livre en angl. de W. Munk). Didact. (méd.). Mort douce et sans souffrance, survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes.
Cour. Usage des procédés qui permettent de hâter ou de provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes, ou pour tout motif d'ordre éthique. || Le problème de l'euthanasie. || L'Église condamne l'euthanasie qu'elle considère comme un assassinat. || L'euthanasie est légale aux Pays-Bas depuis le 28 novembre 2000. || Euthanasie active, supposant une intervention destinée à mettre fin à la vie. || Euthanasie passive, consistant en l'absence ou la cessation de soins maintenant un malade en vie dans des conditions pénibles (→ Acharnement thérapeutique).
1 Le mot d'euthanasie est appliqué, désormais, à des pratiques diverses. Certaines de ces pratiques amèneraient le médecin à délivrer de la vie, dans un sentiment de pitié, et par l'administration d'une dose toxique de quelque drogue calmante, les malades considérés comme perdus. Or les médecins, qui doivent garder toute leur liberté de mouvement dans l'exercice de leur ministère, se trouvent d'accord pour refuser un privilège que répudie notre vieille civilisation. Le mot d'euthanasie désigne également la méthode que les nazis, au nom d'une science criminelle, ne craignaient pas d'appliquer dans le dessein de détruire les sujets tarés et de purger ainsi ce qu'ils appelaient improprement « la race ».
G. Duhamel, Manuel du protestataire, p. 42.
2 — Au fond, il ne s'agit que d'un simple vol, dit Saturnin.
— On pourrait même aller jusqu'à l'euthanasie.
— Comment ? dit Saturnin.
— Je dis qu'on pourrait même aller jusqu'à l'assassinat. Le sang des vieillards, ça ne tache pas beaucoup.
— Ouais, dit Saturnin.
R. Queneau, le Chiendent, p. 324.
Le mot ne s'est employé qu'à propos des humains. Il s'est étendu aux animaux que l'on s'applique à faire mourir sans souffrance, ce qu'autorise l'étymologie.
DÉR. Euthanasier, euthanasique, euthanasiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.