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EXEMPLUM
EXEMPLUM

EXEMPLUM

Outre le sens habituel d’«exemple», le mot latin exemplum désigne une ressource de la rhétorique utile à qui veut susciter la persuasion. Aristote rapproche l’exemple, qui repose sur une inférence implicite, (raisonnement inductif) du syllogisme incomplet (déductif); après lui, la rhétorique latine (Cicéron, Quintilien, Valère Maxime) distingue le signe (preuve matérielle), l’argument (raisonnement déductif établissant le probable sur le certain) et l’exemple (fait ou dit d’un personnage célèbre du passé qu’il est conseillé d’imiter) dont un sous-genre est l’image, incarnation d’une vertu dans un homme. À l’usage des écoles de rhéteurs, Valère Maxime rassemble neuf livres de Faits et dits mémorables , dont beaucoup sont des exemples: c’est le premier recueil connu. La culture chrétienne ne peut ignorer cette ressource de la rhétorique, elle qui est fondée sur la tradition écrite: Tertullien fait souvent référence à des exemples qui sont chez lui des hommes et en particulier le Christ, exemple des exemples pour le chrétien. Grégoire le Grand recourt volontiers, dans ses Dialogues , à une historiette pour prouver un point de doctrine obscur (exemple le feu du purgatoire; qu’il faut dire des messes pour ceux qui y brûlent): cette histoire est souvent un fait qui lui est arrivé personnellement, ou qu’une personne digne de foi lui a rapporté. À partir du XIIe siècle, les manuels de prédication, soucieux de rapprocher le prédicateur de son public et de lutter contre l’hérésie, particulièrement dans les villes, proposent trois types d’arguments à l’appui d’un thème de sermon: les auctoritates , ou autorités (Bible, Pères), les rationes , ou raisonnements, et les exempla . La rencontre d’une définition claire et précise et d’un ensemble de textes y répondant s’opère dans le courant du XIIIe siècle: Jean de Garlande définit exemplum dans son Dictionnaire (premier tiers du XIIIe s.): «Dit ou fait d’une personne sûre, digne d’imitation». Outre les exempla extraits des sermons de Jacques de Vitry en français, on voit apparaître des recueils composés pour servir de mines aux prédicateurs, et dont la popularité ne se démentira pas: le cistercien allemand de l’archevêché de Cologne, Césaire de Heisterbach (mort en 1240), compose deux recueils sous le titre de Livre des miracles (Liber miraculorum , 1219-1223 puis 1225-1240) le second restant inachevé; le dominicain lyonnais Étienne de Bourbon (1190 env.-env. 1261) rassemble des exempla dans son Traité des sujets de prédication (De diversis materiis predicabilibus , 1250-1260). Ils trouvent parfois ces historiettes dans la Bible (Ancien Testament), dans Grégoire le Grand, dans les auteurs de l’Antiquité classique, et surtout dans les cultures orales qui se croisent dans l’Occident latin: folklore, récits sapientiaux de l’Orient hindou et arabe, connus par l’Espagne et diffusés en particulier par Pierre Alfonse dans la Disciplina clericalis (1100-1125). De tout bon exemplum on indique l’auteur (à qui est-ce arrivé? qui le raconte?), la date ainsi que le lieu; il sert moins à illustrer une vérité doctrinale qu’à pousser les fidèles à l’action, et plus souvent à les retenir de mal faire (à l’instar des contes d’avertissement); à la limite, les recueils d’exempla tendent vers le recueil de recettes sûres pour faire son salut. L’exemplum accommode à un but relevant de la culture savante (latine) des schémas de contes populaires, des motifs folkloriques qu’on retrouve dans les fabliaux, la tradition orale, parfois au prix d’une lecture allégorique fort éloignée du texte, comme c’est le cas dans les Gesta Romanorum (Faits des Romains ) du début du XIVe siècle, compilation considérable dont il existe des dizaines de manuscrits. L’exemplum au sens large durera autant que le sermon: les prédicateurs l’utilisent encore et on enseigne aux enfants à l’employer dans leurs dissertations. Séparé de son cadre fonctionnel, l’exemplum gagne son autonomie et devient la «nouvelle» italienne (celle du Décaméron de Boccace et de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre) ou le conte à rire des Cent Nouvelles nouvelles (milieu du XVe s.). Il coexiste longtemps avec le conte (jusqu’à La Fontaine, Perrault, Grimm et Andersen, qui réutilisent eux aussi la culture populaire) et la fable, et on en rencontre encore d’authentiques recueils jusqu’au XVIIIe siècle, où les Réflexions de ceux qui sont morts en plaisantant ont été éditées quatorze fois!

Encyclopédie Universelle. 2012.