FRANCS
Les Francs, qui étaient destinés à assumer durant tout le haut Moyen Âge un rôle dirigeant parmi les peuples germaniques, apparaissent aux historiens dans des conditions obscures, vers le milieu du IIIe siècle après J.-C. Leur nom est cité pour la première fois à propos d’événements de 241 et, à partir des années 275-280, ils sont régulièrement mentionnés comme s’opposant aux Romains sur la rive droite du Rhin inférieur.
On conjecture que cette apparition est le résultat, non d’une migration, mais du regroupement de plusieurs peuplades qui avaient, depuis le Ier siècle, pris part épisodiquement aux luttes contre Rome: Chamaves, Bructères, Chattes, Amsivariens, Chattuarii , Sicambres, et sans doute d’autres encore, parmi lesquels les survivants des Bataves. Le nom choisi semble signifier hardi, courageux (cf. vieux norrois: frekkr ); il n’élimina pas complètement les anciens noms, dont certains furent portés jusqu’à l’époque carolingienne par des Francs qui n’avaient pas émigré vers l’ouest. Les causes et les modalités du regroupement du IIIe siècle échappent aux historiens, mais il est certain qu’aussitôt constitué le nouveau peuple fit preuve d’une grande combativité, sur terre et sur mer.
Huit cents ans plus tard, le royaume des Francs devait prendre le nom de royaume de France, et la dénomination de Gaulois faire place à celle de Français.
Modalités de l’expansion franque
Sous le règne de Gallien, vers 257, des Francs prirent part à un raid qui, à travers la Gaule, les mena jusqu’en Espagne. D’autres, sous Probus, vers 280, déportés aux bouches du Danube, auraient réussi à regagner par mer leur pays d’origine. En 285, Dioclétien confia à Carausius le soin de défendre les côtes de Belgique et d’Armorique contre les Francs et les Saxons. Pendant plus de deux siècles, les Francs restèrent au premier plan de l’histoire militaire de la Gaule romaine.
Cependant, jusqu’au IVe siècle, ils ne formèrent jamais une véritable unité politique. La documentation romaine fournit quelques noms de rois, suffisamment nombreux pour prouver qu’il n’y avait pas une royauté, mais plusieurs royautés tribales, qui coexistaient. Aucun des noms connus ne paraît avoir de lien direct avec la dynastie mérovingienne.
Au-dessus de ces royautés instables, l’existence de deux groupements est attestée assez clairement à partir du milieu du IVe siècle. Celui des Saliens, contre lequel se battit Julien et qui paraît avoir dirigé au Ve siècle la progression à travers la Belgique actuelle, a laissé son nom à la «loi salique», qui s’appliquait aux Francs du nord de la Gaule à l’époque mérovingienne. L’autre groupe eut moins de cohérence et n’a pas de dénomination ancienne; parce que ses membres habitaient dans la région de Cologne, les historiens modernes les appellent Francs du Rhin; le nom traditionnel de Francs Ripuaires n’est pas attesté avant le VIIIe siècle.
Les Francs du IIIe siècle apparaissent le plus souvent associés avec des Saxons ou des Frisons, peuples maritimes, et il est probable qu’ils prirent part, aux côtés de ceux-ci, aux raids contre les côtes de Gaule et de Bretagne. Une petite partie des Francs continua jusqu’au Ve siècle à s’intéresser aux choses de la mer, et certains jouèrent vraisemblablement un rôle dans la colonisation germanique du sud-est de la Grande-Bretagne après l’effondrement du régime romain. Mais la majorité d’entre eux chercha à gagner, par voie de terre, le cœur de la Gaule septentrionale.
Cette expansion s’accomplit de deux manières. D’une part, dès la fin du IIIe siècle, des soldats francs passèrent au service de Rome, dans les corps auxiliaires, puis dans l’armée de campagne elle-même. Leur valeur militaire leur permit vite d’occuper des postes importants. Dès le règne de Constantin, l’armée romaine comprend des officiers supérieurs d’ascendance princière franque; vers 370-390, certains de ceux-ci accèdent au premier rang: Mérobaude obtient le consulat en 377, et, en 392, un autre Franc, Bauto, joue le faiseur d’empereurs. La fidélité de ces chefs aux idéaux romains semble indiscutable; ils ne sont en rien les précurseurs de Clovis. Parallèlement, des Francs, surtout des prisonniers, sont embauchés par le gouvernement romain pour repeupler les campagnes gauloises dévastées; ils ont dû constituer un élément notable de ces colonies de lètes que les derniers documents administratifs de l’Empire signalent un peu partout et qui préparèrent une certaine «barbarisation» de la Gaule.
D’autre part, et indépendamment du destin de ces militaires professionnels, le peuple franc, et spécialement son aile salienne, s’avançait à l’ouest du Rhin sans trop s’inquiéter des droits de l’Empire. Il profita d’abord du démantèlement des défenses romaines en aval de Xanten, jamais restaurées après 277, et du dépeuplement des régions voisines pour occuper le sud de la Hollande et le nord de la Belgique actuelles. Il est probable que, vers la fin du IVe siècle, la majeure partie de la plaine flamande était aux mains des Francs, sous le couvert d’un traité d’alliance (foedus ) avec Rome.
Les Francs n’ont donc eu aucune part directe à la percée du limes en 406; ils se sont bornés à profiter de ses conséquences. Les Francs du Rhin avancèrent vers le sud en remontant la Moselle et pillèrent à plusieurs reprises, dès les années 410, l’ancienne capitale impériale, Trèves. En 428, Aetius, le maître de la milice, les repoussa, mais, vers le milieu du siècle, ils occupaient Mayence; plus tard, peut-être vers 475, ils s’installèrent définitivement à Trèves, Metz et Toul, sans éliminer toutefois la population romaine de ces villes. Durant ce temps, la progression des Saliens semble plus lente, en tout cas plus discrète, à travers un pays qui comptait d’ailleurs moins de villes et moins de centres de résistance. Ils commencèrent, sans doute vers 450, à aborder le nord de l’actuel territoire français. Vraisemblablement, c’est au cours de cette marche en avant que se dégagea la suprématie de la dynastie des Mérovingiens, mais on ne sait rien de sûr avant 457.
Pour Rome, alors pressée par tant de dangers, les Francs pouvaient paraître des voisins à peu près supportables. Les commandants de l’armée de campagne établie dans le nord de la Gaule leur confièrent volontiers des postes importants, pour repousser des Barbares plus dangereux. Childéric, père de Clovis, défendit ainsi, vers 457-463, la ligne de la Loire, d’abord contre les Wisigoths d’Aquitaine, puis contre des pirates saxons qui remontaient le fleuve. Ce prince régnait en même temps sur les Saliens de Belgique, avec Tournai pour capitale. Il mourut, sans doute en 481; sa tombe, retrouvée en 1653, a fourni de précieux renseignements sur l’archéologie franque. D’autres roitelets francs devaient résider, à la même époque, à Cambrai et à Cologne.
Ainsi les chefs francs, jouant sur deux tableaux, profitaient des lacunes de la défense au nord et à l’est tout en noyautant l’armée romaine de Gaule, devenue pratiquement autonome. Se familiarisant de plus en plus avec le milieu romain, ils étaient sans doute de moins en moins considérés comme des étrangers par les chefs de la Gaule, habitués depuis deux générations à traiter avec des peuples beaucoup plus menaçants. D’où l’allure très originale de la «conquête» finale réalisée par Clovis (roi de 481 à 511). Elle ne ressemble en rien à une invasion, mais plutôt à une sorte de coup d’État accompli de l’intérieur par des gens déjà installés très près des postes de commande, au profit d’un peuple qui attendait aux portes de l’Empire.
La réussite de Clovis
On connaît extrêmement mal l’action personnelle de Clovis, sa chronologie reste obscure et discutée. Voici les étapes qui paraissent bien attestées: en 486, avec son parent le roi de Cambrai, Clovis attaque Syagrius, chef de l’armée de campagne de Gaule, le vainc, le chasse et lui enlève Soissons, sa résidence. Cette victoire lui livra sans doute d’un seul coup tout le pays au nord de la Loire, par conquête directe ou par capitulation. Clovis transféra bientôt sa résidence à Paris. Les dix années suivantes furent occupées par des campagnes à l’est, contre les Thuringiens et les Alamans, qui permirent aux Francs d’établir leur protectorat sur de vastes régions de la Germanie transrhénane, et par des luttes contre les Burgondes, alors maîtres du bassin de la Saône. Enfin, en 507, une victoire décisive, remportée à Vouillé (Vienne) sur le roi wisigoth Alaric II, livra aux Francs les pays entre Loire et Pyrénées. Clovis mourut en possession des trois quarts de la Gaule, il lui manquait le bassin du Rhône et la façade méditerranéenne. Entre-temps, il avait éliminé les autres rois francs, ses alliés ou ses concurrents, et surtout, avec une perspicacité remarquable, il avait adopté le catholicisme, religion de la grande majorité de ses nouveaux sujets. Une génération plus tard, les quatre fils de Clovis conquéraient la Gaule du Sud-Est sur les Burgondes (534), puis la Provence (536), et étendaient leur protectorat sur la majeure partie de l’Allemagne du Sud.
Cette réussite brillante fut exceptionnellement durable. Les Francs et la dynastie mérovingienne conservèrent la suprématie en Gaule bien après la disparition des autres royaumes barbares créés sur le sol de l’Empire d’Occident. Seuls, ils ont laissé leur nom à un État.
Un tel succès pose de nombreuses questions. Il ne s’agit évidemment pas de suprématie numérique. Bien que l’immigration germanique ait pu avoir dans le nord de la Gaule plus de continuité qu’ailleurs, en raison de la proximité des territoires transrhénans, elle n’a submergé la population gallo-romaine que sur une centaine de kilomètres à l’ouest du Rhin. Ailleurs, seules une aristocratie et quelques colonies dispersées ont pu prendre pied, et seulement au nord de la Loire. Il faut encore moins invoquer une supériorité culturelle; la civilisation franque avant le passage du Rhin ne paraît avoir eu aucune originalité profonde, la langue franque, ancêtre lointain du néerlandais actuel, n’était pas écrite et n’apparaît après Clovis que dans quelques formules juridiques. Il n’y a pas davantage trace de facteurs économiques. Mais les Francs ont certainement profité d’un moment favorable de l’histoire sociale. La militarisation de la société avait marqué le Bas-Empire, les Romains n’y avaient guère joué de rôle. Depuis longtemps au contact de Rome, les Francs, dès avant Clovis, n’étaient plus réellement des Barbares: le contraste avec les Huns, ou même les Vandales est éclatant. Païens enfin, ils pouvaient mieux que les Ariens être convertis au catholicisme: ce facteur, sous Clovis fut déterminant.
L’apport des Francs à la Gaule
Les Francs apportèrent leur langue d’abord à une faible partie du territoire gaulois, le vingtième environ, mais les conditions dans lesquelles la frontière linguistique s’est déplacée sous leur influence restent très controversées. Jusqu’en pleine époque carolingienne, de nombreux îlots existaient encore de part et d’autre, par exemple dans la vallée de la Moselle, en aval de Trèves ou vers Aix-la-Chapelle.
Surtout ils créèrent une civilisation nouvelle, faite, pour une part, d’apports proprement franciques et, pour une autre, plus importante, d’emprunts à d’autres peuples germaniques, à Rome, aux civilisations indigènes de la Gaule et au christianisme. Les Francs ont été surtout remarquables par leur aptitude à réaliser une synthèse entre ces éléments divers; leurs rois et leur aristocratie, qui a fourni l’élite dirigeante de la Gaule (sauf la Bretagne, la Provence et le Bas-Languedoc), ont répandu partout un état d’esprit où les préoccupations guerrières sont essentielles et où l’intellectualité n’a qu’une place effacée.
Cette civilisation, qu’il faut plutôt qualifier de mérovingienne, se caractérise par quelques traits célèbres: un armement nouveau, que le guerrier emporte dans sa tombe (hache de jet, couteau, épée, lance); un droit, représenté par la loi salique, écrite à la fin du règne de Clovis, qui fait grande place à la solidarité familiale et à une procédure orale extrêmement formaliste; un système social encore proche de celui du Bas-Empire, où un groupe restreint de fidèles du roi et d’anciens sénateurs romains, nantis d’immenses propriétés foncières dispersées dans tout le royaume, domine des masses paysannes tenues dans une dépendance économique étroite et des esclaves encore assez nombreux. Les modes franques se diffusent à partir de la cour, imposant une onomastique nouvelle, tant aux personnes (noms à deux termes accolés, comme Dagobert, «jour brillant», ou Bertrand, «brillant corbeau») qu’aux lieux (noms de villages comme Thionville «le domaine de Théodon», ou Avricourt «la ferme d’Eberhard», en pays de langue romane, noms en -heim ou en -weiler des pays de langue allemande). Un vocabulaire nouveau désigne des institutions qui n’avaient pas d’équivalent à l’époque romaine, comme leude , nom du fidèle du roi, ou maimbour , qui désigne une forme de protection. Tout cela s’est formé après la conquête germanique. L’Église, dont les cadres restent jusqu’au VIIe siècle principalement romains, accepta le nouvel ordre de choses, pourvu que les privilèges de ses prélats et de ses possessions foncières fussent consolidés.
La dynastie mérovingienne, parfaitement implantée dans l’ancien territoire romain, s’intéressa peu aux Francs restés sur la rive droite du Rhin. Jusqu’au début de l’ère carolingienne, ceux-ci ne jouèrent aucun rôle dans le royaume, restèrent en majorité païens et durent se défendre par leurs propres moyens contre la pression croissante des Saxons, qui entraîna vers 690 la disparition du peuple des Bructères. Hessois et même Thuringiens furent en revanche vers la même époque assimilés aux Francs.
Vers le VIIe siècle, le nom de Francs reçut une nouvelle signification: il s’appliqua désormais à tous les sujets du roi mérovingien, puis carolingien, qui ne se réclamaient pas d’une autre «nationalité régionale». Au Xe siècle, une évolution inverse restreignit pour quelque temps sa portée, dans le royaume de l’Est, aux habitants de la Franconie (Franken ) et, dans celui de l’Ouest, à ceux de la Francia , c’est-à-dire du Bassin parisien et des pays de la Loire qui étaient sous l’autorité de la dynastie robertienne, puis capétienne. Finalement, vers le début du XIe siècle, le «royaume des Francs» devint le «royaume de France» et le nom de France supplanta définitivement celui de Gaule.
Francs
peuplade germanique et païenne qui apparut sur les bords du Rhin au IIIe s. On distingue traditionnellement les Francs Ripuaires, établis primitivement sur la rive droite du Rhin, et les Francs Saliens, qui s'installèrent entre le Rhin et l'Escaut. Les uns et les autres profitèrent de la décomposition de l'Empire romain, au IVe s., pour progresser vers le sud. Clovis, petit-fils de Mérovée et souverain d'un petit royaume franc entre la Normandie et la Champagne, battit en 486 Syagrius, dernier représentant de l'autorité romaine en Gaule, se convertit au christianisme en 496, conquit une grande partie de la Gaule et fonda la dynastie mérovingienne. Après sa mort (511), le royaume franc se fragmenta. Les Carolingiens reconstituèrent son unité au VIIIe s. et, avec l'appui de l'église, Charlemagne porta la puissance franque à son plus haut niveau. Mais les coutumes successorales des Francs aboutirent au partage de l'Empire carolingien.
Encyclopédie Universelle. 2012.