Akademik

GIBRALTAR
GIBRALTAR

Le territoire de Gibraltar, d’une superficie de 6 kilomètres carrés, se compose d’un haut rocher calcaire (425 m) rattaché au continent par une étroite plaine sablonneuse qui ferme la partie orientale de la baie d’Algésiras.

À la jonction de l’Europe et de l’Afrique, de la Méditerranée et de l’Atlantique, le Rocher constitue avec le mont Abyla (Ceuta) une des colonnes d’Hercule contrôlant un des lieux de passage les plus anciens et les plus fréquentés du monde.

Gibraltar, musulmane de 711 à 1462, fut, sous la monarchie espagnole, essentiellement une place forte dont le rôle demeura secondaire.

Importance stratégique et économique

L’occupation de Gibraltar par l’amiral anglais George Rooke, en 1704, ouvre le destin moderne du Rocher. Le traité d’Utrecht, en juillet 1713, l’attribue à la Couronne anglaise avec deux restrictions: dans le cas où la monarchie britannique s’en déferait, l’Espagne aurait un droit de préemption; l’administration anglaise veillerait à ce que Gibraltar ne constitue pas un foyer de contrebande. Au XVIIIe siècle, la place n’offre encore qu’un intérêt limité. C’est au XIXe siècle qu’elle acquiert toute son importance. Pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, elle devient le centre de la course britannique en même temps que le principal entrepôt du commerce anglais en Méditerranée. Son rôle de place commerciale est conforté par sa transformation en port franc. Gibraltar est, dans les premières décennies du XIXe siècle, un centre exceptionnel de commerce: contrebande avec l’Espagne, relais pour l’Afrique du Nord, port de relâche du passage de l’Océan à la Méditerranée et enfin, à partir de 1835, port charbonnier. Ces fonctions économiques modifient son importance: place stratégique, toujours, mais peut-être moins que place de commerce. C’est le deuxième Gibraltar que dénonçaient les Espagnols comme n’étant plus la forteresse cédée au traité d’Utrecht, mais, sur le flanc de la péninsule, à la fois un entrepôt de commerce illicite et un foyer de propagande révolutionnaire. Ce double rôle apparaît dans les chiffres des échanges comme dans ceux de la population. Gibraltar, entre 1845 et 1850, est le septième port de commerce de la Méditerranée, avant Barcelone.

La population affirme son originalité. Les Espagnols sont remplacés par des Génois, mais aussi par des Portugais, des Irlandais, des juifs d’Afrique du Nord: population hétéroclite augmentée de réfugiés politiques de toutes régions. En 1725, sur 1 113 adultes, 414 sont génois et 137 juifs. En 1791, sur 2 890 habitants, on compte 395 protestants, 1 815 catholiques et 680 juifs.

Bien qu’elle soit décimée par de fréquentes épidémies de fièvre jaune (1804, 1813-1814, 1828), la population s’accroît rapidement, jusqu’à compter 17 000 habitants en 1831.

À partir des années 1860-1870, le rôle de la ville se modifie, le commerce stagne, la contrebande diminue. Le Rocher est de plus en plus dépassé par Malte, mieux placée par rapport aux intérêts qui se développent en Orient. Comme port charbonnier, Gibraltar est concurrencée par Alger. La population n’augmente plus que très lentement, avec un début d’émigration. Le Gibraltarien affirme son originalité: vieux fonds italien, apport espagnol, volonté affichée d’être anglais. En 1901, la ville compte 20 355 habitants. Son statut est encore celui qu’elle acquit, en 1830, lorsqu’elle devint colonie de la Couronne. Son rôle se mesure de plus en plus en fonction du problème marocain et des relations hispano-anglaises.

Les revendications espagnoles se sont continûment affirmées depuis le XIXe siècle. Elles ont porté d’abord sur les empiétements territoriaux anglais dans la zone neutre de l’isthme reliant Gibraltar et La Línea. Les vagues de revendications battaient l’opinion publique périodiquement. À plusieurs reprises fut envisagé un échange entre Gibraltar et Ceuta. Ce projet, tantôt véritable amorce de négociations (en 1884), tantôt simple dérivatif pour l’opinion publique, fut constamment repris (par Primo de Rivera en 1917 et en 1921).

La place vivait en étroite symbiose avec les territoires espagnols voisins. Elle donnait du travail à quelque 10 000 personnes hors du territoire, venus quotidiennement dans la ville. L’influence du Rocher s’étendait ainsi loin de la baie.

Le différend anglo-espagnol

À travers le conflit ouvert ou larvé qui ne cesse d’opposer Londres à Madrid s’affrontent deux mythes: celui de l’intégralité du territoire national, celui de l’esprit de l’empire. Salvador de Madariaga le constatait en 1918: «Gibraltar, le Gibraltar que l’Espagne désire et veut, est corps du corps de l’Espagne. Gibraltar, le Gibraltar que l’Angleterre aime et possède, est l’âme de l’âme de l’Angleterre.»

Les efforts de conciliation et de conversations bilatérales tentés à plusieurs reprises par le gouvernement espagnol, en 1914, en 1919, en 1940, en 1950, en 1954, et en 1956, ayant échoué, l’affaire fut portée devant les Nations unies. Elle fut examinée par le Comité des 24, commission de l’O.N.U. traitant des affaires coloniales, le 10 septembre 1963. La résolution définitive du Comité demanda que la Grande-Bretagne et l’Espagne «nouent des conversations urgentes sur Gibraltar» (16 oct. 1964).

Pour accélérer les conversations, les Espagnols, persuadés que Gibraltar «démographiquement et économiquement ne peut vivre sans l’Espagne», entreprirent de rendre plus difficiles les rapports entre le Rocher et les territoires voisins. Un référendum décidé par Londres eut lieu le 10 septembre; l’écrasante majorité de la population se prononça pour le «maintien volontaire des liens avec le Royaume-Uni». L’Espagne riposta par la fermeture (mai 1968) de la frontière terrestre entre le Rocher et les territoires espagnols. La mesure créa, dans l’opinion britannique, un climat d’union sacrée. Le secrétaire du Commonwealth prit, devant la Chambre des communes, l’engagement que «la Grande-Bretagne ne renoncerait en aucune circonstance à sa souveraineté sur Gibraltar contre le vœu des habitants du Rocher». La décision britannique maintenait Gilbraltar dans le Commonwealth avec une autonomie de gestion largement accordée par la nouvelle Constitution de 1969, qui accentuait la démocratisation du régime interne. Madrid protesta, y voyant «un acte gratuitement inamical envers l’Espagne, un défi à l’O.N.U., un obstacle à l’avenir de Gibraltar» ainsi qu’une violation du traité d’Utrecht. Le 6 août 1973, l’Espagne fit plus étanche encore le blocus. La Grande-Bretagne réaffirma son attitude. Les élections à l’Assemblée de Gibraltar, le 28 septembre 1976, marquèrent le succès du parti anglais (dirigé par sir Joshua Hassan, ministre principal de la Colonie) sur les partisans du dialogue avec Madrid, dont aucun des candidats ne fut élu.

La démocratisation du régime espagnol amorce une détente. Après les pourparlers de Paris (mars 1978) et de Londres (juill. 1978), l’accord, finalement non appliqué, de Lisbonne (10 avr. 1980), les négociations de 1981 et 1982 amenèrent l’Espagne à relâcher progressivement le blocus de la place, partiellement en 1982 et totalement en 1984. L’attitude du gouvernement britannique n’en fut pas modifiée sur le fond.

Un seul accord technique a pu être conclu, le 2 décembre 1987, sur l’aéroport. Lié à la mise en œuvre de la décision de la Communauté européenne sur la liberté du trafic aérien, il permet «l’extension de son utilisation à des fins civiles» aux compagnies espagnoles et prévoit de dédoubler l’aérogare avec des installations établies en Espagne. Il comporte une clause de sauvegarde concernant l’isthme sur lequel est construit l’aéroport, qui laisse en suspens la légitimité de la souveraineté britannique sur une zone que l’Espagne a toujours considérée comme étant usurpée. L’accord ne règle donc en rien la question de fond du statut de Gibraltar. Les élections législatives du 24 mars 1988 marquent l’échec personnel du chef du gouvernement, Joshua Hassan, dénoncé comme porté aux accommodements, et le raz-de-marée du Parti socialiste et travailliste de Joe Bossano (58,2 p. 100 des voix), fermé à toute conversation avec Madrid. Le différend s’enlise. Il n’a pas empêché le voyage historique d’Élisabeth II en Espagne en 1989 ni celui du roi Juan Carlos en Grande-Bretagne l’année suivante. La position de Madrid est moins forte que jamais. La longue fermeture, la verja (la grille), a stimulé un nationalisme gibraltarien teinté de forte hispanophobie. Les affirmations régulières de souveraineté relèvent plus du souci de ne pas laisser prescrire des droits que d’une volonté de relancer le jeu et de maintenir un contentieux dont toutes les parties s’entendent pour différer la solution. On s’accorde à laisser du temps au temps et à l’évolution européenne le soin de dégager une solution de compromis entre droits historiques, «droit naturel» et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

L’avenir de Gibraltar

Le destin du Rocher dépend de l’évolution liée à son économie et à sa place dans les nouveaux ensembles européen et méditerranéen. Dans le domaine économique, la reconversion s’est rapidement effectuée. Les dépenses de la base militaire britannique, qui représentaient plus de 60 p. 100 du budget en 1980 et 30 p. 100 en 1985, n’en constituaient plus que 20 p. 100 en 1990 et moins de 15 p. 100 en 1992.

La place a misé sur le tourisme, puis, et de plus en plus, sur les fonctions financières. Le premier enregistre une véritable explosion. De quelque 100 000 en 1985, les visiteurs étaient près de 4 millions en 1991. Le tourisme trouve dans ces chiffres mêmes ses limites géographiques. Le rôle financier, marqué par un semblable développement, ne se heurte pas aux mêmes bornes. L’ambition a été clairement affirmée, et, à plusieurs reprises, définie, de profiter de la position géostratégique et du statut pour faire de la place une des Bahamas de l’Europe ou le Hong Kong de la Méditerranée.

Les avantages fiscaux (ni les bénéfices des sociétés, hormis un taux de 12 p. 100, ni les revenus du capital n’y sont taxés), l’absence de T.V.A. et un régime douanier exceptionnel attirent massivement les sociétés. On en comptait, en 1991, plus de 28 000 ayant leur siège dans la ville; autant qu’elle compte d’habitants. Le contrat Europort en 1989 entraîne l’extension sur la mer (plus de 450 000 m2) et un énorme chantier de bureaux (120 000 m2). Gibraltar a connu en 1988-1989 une croissance économique de 8,6 p. 100, en 1989 et 1990 de 12 p. 100 (une des plus fortes du monde). Le pari du Rocher semble en passe d’être gagné. Les projets de «rajeunissement» de l’infrastructure aérienne, un temps bloqués par l’Espagne, semblent sur le point d’aboutir. Ils s’accompagnent de l’élaboration d’une nouvelle législation plus favorable encore aux entreprises, conventions de double imposition, code des investissements.

Reste que la position de Gibraltar, à l’ouverture du marché unique de 1993, demeure ambiguë dans l’Europe nouvelle. La place stratégique, «pierre angulaire de l’Empire», s’estompe définitivement dans le passé. Les retraités coloniaux disparaissent. Le charme complexe du Rocher, fait de provincialisme, du transplant britannique en terre ibérique, cède aux attraits d’un tourisme de masse attiré par le free shop .

Cependant, il faudra un jour, dans l’Europe qui se construit, concilier ce qui demeure pour la Grande-Bretagne le dernier symbole de sa gloire impériale et pour l’Espagne une frustration persistante avec la nouvelle ambition des Gibraltariens, plus sûrs que jamais de leur originalité. Les «maquis juridiques» des liens avec la C.E.E. ne seront pas de trop pour permettre la coexistence de ces forces contraires. Le statut et le sort de Gibraltar restent donc incertains. Il est par contre certain que la place, après une éclipse de trois ou quatre décennies, retrouve, sous une forme nouvelle, une partie de l’éclat de ses grandes heures du XIXe siècle.

Gibraltar
territ. britannique, à l'extrémité mérid. de l'Espagne, sur le détroit du même nom; 6 km²; 29 000 hab. Port de guerre et de comm. Tourisme important. Paradis fiscal.
Un rocher haut de 423 m surplombe la ville, le djabal al-Tariq (la "montagne de Tariq", du nom du conquérant berbère Tariq ibn Ziyad), dont la prononciation altérée a donné Gibraltar.
Cette place stratégique, brit. depuis 1704, est revendiquée par l'Espagne.
————————
Gibraltar
(détroit de) détroit qui unit l'Atlantique à la Méditerranée et sépare l'Espagne du Maroc; largeur, 15 km env.; profondeur, 350 m.
Nommé colonnes d'Hercule dans l'Antiquité.

⇒GIBRALTAR, subst. masc.
GASTR. Rare. Gros pâté. On servit entre autres choses un énorme coq vierge de Barbezieux, truffé à tout rompre, et un gibraltar de foie gras de Strasbourg (BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 169).
Prononc. : []. Étymol. et Hist. 1825 (BRILLAT-SAV., loc. cit.). De Gibraltar, forteresse située sur un rocher de la pointe méridionale de l'Espagne, occupée par les Anglais depuis 1704, p. anal. de forme.

Encyclopédie Universelle. 2012.