HYPOCONDRIE
L’hypocondrie a été décrite par Galien sous ce même nom, qui se trouve être ainsi l’un des plus anciens du vocabulaire médical, avec une acception sensiblement inchangée: syndrome constitué par des préoccupations excessives du sujet à l’égard de sa santé. L’univers de l’hypocondriaque n’est nulle part mieux décrit que par Molière dans Le Malade imaginaire.
Tourné vers l’intérieur de son corps, l’hypocondriaque est à l’écoute des messages les plus contingents de sa cénesthésie, qu’il interprète dans un sens péjoratif; à partir de ces messages, il imagine ses organes altérés par un processus menaçant, généralement simpliste et mécanique. Il forme un couple indissociable avec le médecin, ou plutôt avec le corps médical, qu’il consulte inlassablement malgré des déceptions toujours renouvelées. L’inquiétude hypocondriaque, plus ou moins envahissante aux dépens de l’intérêt pour le monde extérieur, constitue une vive souffrance, habituellement méconnue par l’entourage, que rebutent des doléances monotones.
Hypocondrie névrotique et hypocondrie psychotique
Il est classique d’opposer une hypocondrie névrotique et une hypocondrie psychotique. Mais il convient, avant d’en énumérer les principaux aspects, d’insister sur une prédisposition, un « complexe hypocondriaque universel » (H. Ey) et, par conséquent, normal. Chaque fois qu’une perception fortuite, voire une simple idée, rapportée à notre corps, est interprétée comme ayant une signification lésionnelle précise, on est en présence d’un phénomène hypocondriaque. Par exemple, il n’est personne qui, étant accidentellement constipé, n’ait évoqué les fèces, qu’involontairement il retient, avec une inquiétude sous-tendue par un fantasme plus ou moins inconscient d’intoxication stercoraire; il est arrivé à chacun, en éprouvant une douleur banale, d’imaginer obscurément une altération de ses vertèbres, de son cœur, de son cerveau, etc.
Hypocondrie névrotique
Cette tendance banale peut se développer, se faire permanente et tyrannique, et caractériser la « constitution hypocondriaque »: l’intérêt de l’individu se limite plus ou moins à son arbre urinaire, à sa circulation sanguine, à sa colonne vertébrale, au fonctionnement de son tube digestif surtout; sa vie en est plus ou moins rétrécie. G. Béard a ainsi décrit sous le nom de neurasthénie un groupement symptomatique bien individualisé, qui a connu une fortune considérable au début du siècle et qui répond à une incontestable réalité clinique. Mais il n’est pas d’organisation névrotique qui ne puisse s’enrichir d’une composante hypocondriaque qu’elle nuance de ses propres couleurs: le phobique peut être nosophobe , c’est-à-dire craindre sans motif une maladie précise (classiquement syphilis, tuberculose; aujourd’hui cancer, « infarctus » toujours du myocarde); le psychasthénique , tourmenté par l’hypocondrie mentale, se demande s’il ne risque pas de devenir fou; l’obsédé met l’anxiété à distance en instituant des rites antiseptiques et surtout défécatoires pouvant atteindre une incroyable complexité.
Car l’anxiété est un élément essentiel du syndrome hypocondriaque: l’hypocondrie « normale » ou névrotique que nous avons jusqu’ici décrite peut être considérée comme la projection sur le corps d’une thématique anxieuse dont les deux références sont la mort et la dépersonnalisation, rupture de l’unité du moi conscient et du corps, son intermédiaire avec le monde. À ce propos doivent être abordés les rapports entre hypocondrie et hystérie : la « belle indifférence » de la conversion hystérique parfaite s’oppose diamétralement à l’inquiétude hypocondriaque; mais le plus souvent la conversion est imparfaite, et, dans la réalité clinique, la symbolique hystérique s’associe à l’introspection hypocondriaque avec charge anxieuse pour réaliser des tableaux hystéro-hypocondriaques d’une extrême fréquence: c’est le cas de la plupart des prétendus « déplacements vertébraux ».
Hypocondrie psychotique
On a vu combien les limites sont imprécises entre hypocondrie névrotique et normalité. De même la frontière de l’hypocondrie psychotique est difficile à tracer, car l’hypocondrie la plus fruste, la plus discrète, a le caractère envahissant, absurde et irréductible à l’évidence du contraire, qui est celui même de la pensée délirante: le « complexe hypocondriaque » constitue chez chacun le point faible de la conscience de soi. Le délire hypocondriaque peut dominer le tableau psychotique: délire de transformation corporelle, où le malade n’a plus d’estomac, a les intestins en caoutchouc; délire d’agression corporelle, où des persécuteurs l’électrisent, lui infligent des sensations génitales. Il peut même être monosymptomatique: dans la dermatozoïase , le malade est convaincu d’avoir sous la peau de petits parasites dont il décrit le trajet; c’est un cas particulier de la zoopathie, conviction délirante d’être parasité par un animal ou par des animaux.
Mais l’hypocondrie psychotique est surtout fréquente dans la schizophrénie et dans la mélancolie . Dans la première, elle peut exprimer l’expérience de la dépersonnalisation ou constituer un phénomène de réparation, visant à projeter l’anxiété et à la circonscrire; dans la seconde, il n’est pas rare qu’elle soit au premier plan, si bien qu’il existe des psychoses hypocondriaques périodiques, qui ne sont autre chose que des équivalents mélancoliques.
Pathogénie et traitement
L’hypocondrie, pour les organicistes a une origine neurologique; pour d’autres, elle est psychogène. E. F. Dubois d’Amiens, dès 1833, y voit « une manière de penser » déterminée par « une lésion du principe intelligent lui-même »; Freud en fait une névrose narcissique actuelle. La vaste synthèse organo-dynamique de H. Ey s’efforce de dépasser ce débat.
Quoi qu’il en soit, l’hypocondrie est, sinon produite, au moins favorisée par la relation médecin-malade dont elle constitue une véritable forme pathologique. Soucieux de ne pas méconnaître une lésion organique, le médecin multiplie les investigations, sans conviction, mais de telle manière que le malade est confirmé dans ses craintes: il retient avidement les termes de comptes rendus radiologiques banals; dans les réponses des laboratoires d’analyse, il constate un écart minime entre ses propres chiffres et les constantes biologiques « normales » imprimées en regard. Les conclusions négatives du médecin sont interprétées dans un sens fâcheux, avec une inconsciente mauvaise foi qui est bien proche, on l’a vu, du délire: le médecin n’a pas su trouver son mal, ou le lui dissimule pour le ménager. De nouveaux symptômes viennent s’efforcer de convaincre le médecin; le malade peut alors s’obstiner à faire le siège d’un médecin qui s’est lassé de lui et ne le prend plus au sérieux, ou en consulter d’autres, dans une quête toujours insatisfaite.
Le traitement consiste avant tout à accepter la doléance hypocondriaque, sans impatience mais sans concession, c’est-à-dire en refusant les investigations et surtout les gestes chirurgicaux inutiles. C’est dans ces conditions qu’une chimiothérapie psychotrope adaptée revêtira toute son efficacité.
hypocondrie [ ipɔkɔ̃dri ] n. f.
• 1781; h. av. 1478; de hypocondre, ou bas lat. hypochondria
♦ État d'anxiété habituelle et excessive à propos de sa santé (autrefois supposée avoir son origine dans les organes abdominaux appelés hypocondres). ⇒ mélancolie, neurasthénie. Atteint d'hypocondrie. ⇒ hypocondriaque.
● hypocondrie nom féminin Inquiétude permanente concernant la santé, l'état et le fonctionnement de ses organes, provoquée par un trouble psychique bénin (anxiété, par exemple) ou grave (psychose, par exemple). ● hypocondrie (synonymes) nom féminin Inquiétude permanente concernant la santé, l'état et le fonctionnement de...
Synonymes :
- mélancolie
- neurasthénie
hypocondrie
n. f. PSYCHOPATHOL Préoccupation obsessionnelle d'un sujet pour son état de santé.
⇒HYPOCONDRIE, subst. fém.
A. — PATHOLOGIE
1. Vx. Forme de maladie dépressive qui était attribuée à un mauvais fonctionnement des organes contenus dans les hypocondres :
• La nature des affections propres à donner naissance à la manie périodique, et les affinités de cette maladie avec la mélancolie et l'hypocondrie, doivent faire présumer que le siège primitif en est presque toujours dans la région épigastrique, et que c'est de ce centre que se propagent, comme par une espèce d'irradiation, les accès de manie.
PINEL, Aliénation, 1801, p. 16.
2. Syndrome caractérisé par des préoccupations excessives et angoissées du sujet sur son état de santé en rapport avec des sensations subjectives. Oui, c'est de la mélancolie et même de l'hypocondrie! (...). C'est donc une maladie imaginaire, dans ce sens que cet état d'âme exagère tous les ennuis, tous les soucis et tous les sujets d'inquiétude (AMIEL, Journal, 1866, p. 164). Chez certains les préoccupations obsédantes sont centrées sur la cénesthésie ou les sensibilités viscérales et c'est sur ce terrain que se développe habituellement l'hypocondrie délirante (DELAY, Psychol. méd., 1953, p. 148).
B. — P. ext. Humeur chagrine. Synon. atrabile, mélancolie, neurasthénie, spleen. L'hypocondrie s'en mêle. Je n'ai plus aucune impression agréable dans la vie. Rien ne me réussit (MAINE DE BIRAN, Journal, 1818, p. 104). Puis subitement l'ancienne hypocondrie revenue, plus forte et craintive, le retirait de tout, l'enfermait dans son château (A. DAUDET, Évangéliste, 1883, p. 113).
REM. Hypocondriasie, subst. fém., synon. rare et vx. de hypocondrie. Dans plusieurs maladies des nerfs et du cerveau, dans l'hypocondriasie, dans la manie, (...) le malade, au sein de l'obscurité la plus profonde, voit souvent des clartés vives (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 2, 1808, p. 297).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. Ca 1370-1478 hypocondrie [sans indication de sens] (Grande Chir. de G. de Chauliac, Sigurs ds Fr. mod. t. 33, 1965, p. 208); XVe s. ipocondrie anat. « hypocondre » (BRUN DE LONG BORC, Cyrurgie Albug. ms. de Salis, fol. 166a ds GDF. Compl.); 2. 1781 « sorte de neurasthénie dépressive » (D'ALEMBERT, lettre au roi de Prusse, 29 juin : l'hypocondrie ou hypocondrerie, plus élégamment appelée vapeurs). Empr. au b. lat. hypochondria, v. hypocondre1; 2 dér. régr. de hypocondriaque ou dér. de hypocondre2 « morose »; suff. -ie. Fréq. abs. littér. : 52. Bbg. WEIL (A.). En marge d'un nouv. dict. R. Philol. fr. 1932, t. 45, p. 24.
hypocondrie [ipɔkɔ̃dʀi] n. f.
ÉTYM. Attestation isolée, av. 1478; ipocondrie, XVe; repris 1781, d'Alembert; de 2. hypocondre, ou empr. au bas lat. hypochondria. → 1. Hypocondre.
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1 Méd. Disposition obsessionnelle caractérisée par un état d'anxiété habituelle et excessive du sujet à propos de sa santé. ⇒ Atrabile, bile (noire), mélancolie, neurasthénie; 1. vapeur (3., vx). || Les anciens attribuaient l'hypocondrie à un trouble des organes situés dans les hypocondres. || Être atteint d'hypocondrie. ⇒ Hypocondriaque. || Tourner à l'hypocondrie (→ Hanter, cit. 15).
1 Les excellentes leçons que Votre Majesté veut bien me donner sur l'hypocondrie ou hypocondrerie, plus élégamment appelée vapeurs, me font craindre, pour l'honneur de ma raison, que Votre Majesté ne me croie attaqué de cette maladie (…)
d'Alembert, Lettre au roi de Prusse, 29 juin 1781.
2 Ce fut l'objet d'une querelle commencée doucement, mais qui s'envenima par degrés, et où l'hypocondrie du comte, apaisée depuis quelques jours, demanda ses arrérages à la pauvre Henriette.
Balzac, le Lys dans la vallée, Pl., t. VIII, p. 872.
3 Ta grand-mère passe maintenant d'assez bonnes nuits; en somme, elle va mieux (…) Mais elle s'ennuie ! elle s'ennuie ! elle s'ennuie ! (…) elle a grand besoin de distraction pour ne pas tomber dans l'hypocondrie.
Flaubert, Correspondance, 5e série, Lettre à sa nièce Caroline, p. 177.
3.1 Car il sait (le médecin) qu'un homme qui écrit de beaux livres est quelqu'un qui ne dort pas, qui se croit malade, qui a des crises d'asthme qu'on ne peut soigner, qui consulte les médecins, et que cela fait partie du talent. Néanmoins, il aime bien avoir un tel homme pour client, car s'il ne compte rien faire à son asthme, à ses insomnies, à son hypocondrie, choses qu'on n'a jamais pu guérir et qui sont l'effet même de son génie (…)
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 732.
4 Il se rattachait au type du Méridional maigre, dont la mine n'est pas toujours brillante, et qui, fort sensible à la douleur, ferait volontiers de l'hypocondrie, mais finalement, d'inquiétude en inquiétude, atteint un âge avancé.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, III, VIII, p. 125.
➪ tableau Principales maladies et affections.
2 Vx. Humeur mélancolique (⇒ Chagrin, ennui, spleen) ou acariâtre, sans fixation particulière sur l'anxiété à propos de la santé. REM. Cette valeur ancienne du mot est difficile à distinguer du sens moderne. → ci-dessus, cit. 1 et 2.
Encyclopédie Universelle. 2012.