PSYCHOSE
Les magistrales descriptions des états psychotiques par les auteurs classiques ont dégagé une série d’entités cliniques sur le modèle de la nosographie médicale traditionnelle. Sous l’influence prépondérante mais non exclusive de l’anthropologie psychanalytique, le vingtième siècle a vu la remise en question de cette forme de savoir psychiatrique qui avait pourtant paru bien établie. L’époque actuelle se caractérise ainsi par certains flottements conceptuels dont on ne peut rendre compte sans réduction ni clivages. Mais la conception psychanalytique des psychoses elle-même, depuis ses conditions d’élaboration chez Freud et à partir des notions avec lesquelles celui-ci l’a mise en rapport, fait l’objet de développements théoriques qu’il importe d’évoquer. D’autre part, la psychiatrie a reconnu pour sa part certains traits spécifiques des psychoses infantiles, dont l’étude et la thérapeutique ne sont pas sans relation avec les actuels efforts de systématisation de l’approche psychanalytique.
1. Le concept de psychose
C’est à Ernst von Feuchtersleben que l’on attribue la paternité, en 1845, du terme de psychose au sens très global de «maladie de l’esprit» (Seelenkrankheit ), alors que celui de névrose désignait «toutes ces affections étranges du sentiment ou du mouvement qui sont sans fièvre» (William Cullen, 1776), et dont certaines seulement se traduisaient par des troubles mentaux. Le terme gagna progressivement les nations germanophones dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis la France. De remarquables observateurs comme Emil Kraepelin et les grands cliniciens de l’école française dégagèrent les cadres principaux de ces états et, par là même, entreprirent leur épurement. Ainsi se créa en particulier un couple d’opposition pertinente entre psychose et névrose. Cette distinction se fit encore plus nette après que le second groupe se fut débarrassé de certaines conditions organiques, avant tout neurologiques, qu’il eut incorporé les obsessions et les phobies, qu’enfin, sous l’influence de la psychanalyse, il eut été lié à des conflits psychologiques 漣 alors que les étiologies des psychoses sont admises comme diverses.
L’approche clinique des états psychotiques: limites et intérêt
Pour en rester aux psychoses de l’adulte, la validité de leurs critères cliniques est actuellement mise en question par beaucoup. De plus, au nom d’une perspective générale «athéorique», essentiellement descriptive, qui permette une meilleure communication entre psychiatres, le D.S.M. (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’American Psychiatric Association ne tient plus compte, notamment, de l’édifice freudien des névroses, dont les fragments sont regroupés dans divers troubles («anxieux» surtout). Toutefois, conformément à l’opinion apparemment dominante des psychiatres français, nous conserverons ici la notion de névrose.
Dans leurs aspects les plus typiques, qu’elles soient aiguës ou durables, les psychoses comportent: une symptomatologie majeure (caractéristique s’il s’agit par exemple d’idées délirantes, d’hallucinations, de certains troubles du cours de la pensée); une altération du contact avec ce qu’il est convenu d’appeler la réalité; une diminution ou une absence de conscience et de critique vis-à-vis du vécu pathologique, avec croyance à son égard; une atteinte profonde de la personnalité, fréquemment accompagnée de perturbations de la relation au monde extérieur, en particulier des conduites, avec parfois isolement; une impression générale d’étrangeté des troubles, source possible de malaise chez un interlocuteur peu habitué à ces patients; une évolution le plus souvent réservée (encore que la notion de chronicité ne soit pas synonyme d’incurabilité). Les névroses regroupent: des symptômes répétitifs mais moins «graves», relativement superficiels et plastiques; une certaine conscience de leur caractère morbide, vécu comme une enclave au moins gênante, contre laquelle le sujet tend à lutter sans résultat; l’absence de désorganisation de la personnalité, avec des attitudes plus pragmatiques, des altérations du comportement moins accentuées, mais s’accompagnant souvent de doutes et d’indécision; une évolution davantage réversible, facilitée par une fréquente demande de recours médical.
En fait, une telle opposition est inconstante et controversée. Ainsi, une conscience très douloureuse du pathologique peut s’observer chez les schizophrènes lors des moments féconds qui inaugurent ou jalonnent leur parcours, s’accompagnant parfois d’une angoisse intense, diffuse et désorganisante. Dans les états hypocondriaques majeurs, le niveau auquel se situe l’inculpation de la santé, en particulier sa nature délirante éventuelle, est souvent bien difficile, sinon impossible à préciser. Certes fort discutée, l’importante frange formée par les états limites (borderlines ) est souvent décrite comme un équilibre très fragile, une symptomatologie polymorphe avec, par exemple, des épisodes de forte angoisse mutilante et d’oscillations par rapport à la réalité, frôlant constamment un vécu psychotique «symptomatique», mais y basculant rarement, sinon de façon brève. Il y a des névrose invalidantes (comme les formes majeures des névroses obsessionnelles) dont le pronostic est redoutable et, à l’inverse, des états psychotiques qui le sont moins ou ne le sont plus (comme chez bien des schizophrènes traités, pour lesquels une «névrotisation» est admise par certains, ou des paraphrènes «à la tête dans le ciel» mais «aux pieds sur la terre»). Il est évident que les molécules antipsychotiques, si elles permettent rarement une guérison dans les évolutions chroniques, ont transformé la symptomatologie psychotique. A fortiori, une psychose telle que la maladie maniaco-dépressive évolue selon le type périodique de phases séparées par des intervalles apparemment libres. Mais, dans l’autre sens, des troubles psychotiques parfois prolongés ne peuvent-ils pas émailler certaines évolutions névrotiques, principalement hystériques? L’ethnopsychiatrie ne nous a-t-elle pas suggéré que, en Afrique noire, les si fréquentes bouffées délirantes pouvaient exprimer notamment une dépression cachée et qu’elles avaient un sens pour le groupe, lequel se mobilise afin d’absorber le délire et de restaurer place et identité au psychotique? Du reste, en dehors des états mélancoliques typiques, il est souvent bien difficile de déterminer, dans l’immense chapitre des dépressions, si ces dernières sont névrotiques, réactionnelles ou psychotiques.
Un autre reproche est adressé au concept de psychose: les symptômes groupés sous ce vocable se rencontrent presque exclusivement dans le domaine cognitif, et il n’est guère possible d’en individualiser dans le domaine affectif. N’est-on pas allé, non sans légèreté, jusqu’à opposer les psychoses, qui relèveraient de troubles de l’idéation, aux névroses, liées à des troubles de l’émotivité? En réalité, dans les états mélancoliques, par exemple, n’admet-on pas classiquement que les idées d’incapacité, d’indignité et de culpabilité, ainsi que le désir de mort sont liés à la douleur morale?
Dans la pratique quotidienne, en tout cas, et malgré leurs approximations dans les formes non typiques, ce sont bien ces critères cliniques qui sont utilisés par la grande majorité des psychiatres. D’autant plus qu’ils ont évolué vers une clinique de la relation et vers des essais d’approche compréhensive globale. La prescription de neuroleptiques, en particulier, ne repose-t-elle sur de telles bases?
Les principaux courants conceptuels
Selon Étienne Trillat (1971), on peut imaginer qu’«à la fin du siècle dernier la chose psychiatrique, encadrée par l’asile, la nosographie, la théorie de la dégénérescence, était particulièrement solide, et qu’il était relativement plus facile de parler de la psychose, d’autant plus qu’on ne laissait pas la psychose parler». À partir de cette attitude objectivante, rudimentaire certes, mais qui constituait déjà un grand progrès, se sont développés des courants à visée explicative très variés. Pendant longtemps, il s’agissait de modèles surtout organiques, puis psychodynamiques et sociofamiliaux. Par la suite, de nouvelles voies s’ouvrirent grâce à des travaux biologiques et épidémiologiques de plus en plus crédibles. Les théories volontiers totalitaires des années 1960-1970 ont fait place à des tendances plus modestes, éclectiques et pragmatiques, qui visent à une approche conjointe des divers éléments en jeu chez chaque patient: génétiques, biologiques, psychologiques et sociaux. Mais les difficultés et les incertitudes ne manquent pas: il n’est pas toujours possible, par exemple, de séparer l’étiologie ou relation de causalité (envisagée maintenant comme «circulaire» plutôt que «linéaire») de la pathogénie ou étude des mécanismes; la mise en évidence d’une corrélation statistique n’équivaut pas obligatoirement à une explication; malgré les classifications officielles, les options concernant certaines entités, en particulier les schizophrénies, divergent souvent; si certaines avancées sont importantes, surtout en génétique et en neurosciences, les discussions sur les mérites, les faiblesses et les divergences des nouvelles techniques sont souvent assez vives; enfin, des auteurs parlent d’une myriade d’interactions, incitant en tout cas à éviter réductionnisme et naïveté. C’est dire qu’on en restera fréquemment à des orientations de recherche.
Génotypie et organicité
La doctrine de la dégénérescence et celle de l’hérédosyphilis représentaient des positions extrêmes, rassurantes pour tous, puisque fondées implicitement sur la «tare». La notion d’un risque accru chez les proches au premier degré de schizophrènes et de maniaco-dépressifs (laquelle, toutefois, n’exclut pas l’influence de l’environnement), chez les jumeaux monozygotes dans ces deux affections et chez les parents biologiques d’adoptés dans la seconde est désormais revue et précisée par la génétique moléculaire. Des résultats prometteurs ont été obtenus, en particulier par le linkage , qui porte sur l’association possible entre un marqueur génétique et un facteur de susceptibilité impliqué dans un état clinique donné. Mais les spécialistes restent prudents.
Dans les états schizophréniques, les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale et diverses épreuves et activations fonctionnelles, surtout neuropsychologiques, ont ouvert des discussions sur un déficit possible du transfert interhémisphérique; sur des anomalies hémisphériques latéralisées (à gauche selon certains, avec dilatation de la corne ventriculaire temporale); sur un dysfonctionnement des liaisons temporo-limbiques et préfrontales (avec notamment des anomalies de l’hippocampe), rendant compte de l’atteinte de fonctions cognitives. Ces méthodes incitent à envisager des anomalies pré-, péri-et postnatales du développement cérébral d’origine, d’ordre, par exemple, génétique ou viral (cette dernière hypothèse est liée à une fréquence supérieure des naissances de schizophrènes pendant l’hiver ou au printemps et fait soupçonner une influence intra-utérine saisonnière).
Dans les psychoses aiguës, délirantes et surtout confusionnelles, lorsqu’une étiologie organique, systématiquement recherchée, est établie, il n’est pas rare qu’elle participe d’une conjoncture étiologique. En fait, plus souvent que la gravité en soi de l’agression physique, c’est sa signification en tant qu’événement vécu selon l’historique personnel de chacun qui paraît prévaloir.
Les perspectives biochimiques
Qu’il s’agisse des monoamines (catéchomalines avec surtout la noradrénaline et la dopamine, la sérotonine, etc.), d’acides aminés ou de neuropeptides, les neurotransmetteurs, libérés au niveau présynaptique, traversent la fente synaptique pour aboutir à des récepteurs postsynaptiques et assurent ainsi la transmission de signaux à longue distance. Pour en rester à l’hypothèse d’une hyperdopaminergie chez les schizophrènes, inspirée notamment de celle d’une inhibition des récepteurs surtout D2 par les antipsychotiques, celle-ci est maintenant considérée comme trop réductrice et doit se trouver pour le moins nuancée et complexifiée à la suite des apports récents de techniques très affinées. Plus généralement, n’y aurait-il pas une grande naïveté à postuler une relation entre une anomalie biologique localisée et un comportement pathologique? Quelle que soit l’activité mentale qu’ils sous-tendent, ces processus ne constituent-ils pas des mécanismes intermédiaires dans une chaîne variable selon le type de pathologie et selon chaque individu dans sa singularité? Des modifications neurochimiques et neuro-anatomiques ne peuvent-elles pas être liées à des influences psychosociales et à la signification attribuée à ces influences? En toute hypothèse, le terme de neurosciences paraît bien trop court pour définir la psychiatrie.
Les conceptions psychanalytiques
On rappellera seulement que, dès ses premiers écrits, Sigmund Freud entreprit de caractériser la psychopathologie des psychoses en fonction de ses théories successives de l’appareil psychique. Le concept de schizophrénie développé par Eugen Bleuler (1911) subit partiellement cette influence (avec celle de l’associationnisme). Très schématiquement, les psychiatres se référant à la psychanalyse retiennent comme dénominateur commun de ces états une perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité. Surtout dans les schizophrénies, c’est après l’échec ou le dépassement des défenses névrotiques ou pseudo-névrotiques qu’éclate dans le Moi l’angoisse née du conflit, quel que soit ce dernier. La plupart des symptômes manifestes, notamment le délire, sont des tentatives secondaires d’aménagement, dans un sens plus tolérable, du désinvestissement massif et chaotique, un essai de reconstitution d’un lien objectal reprenant une certaine «vérité». À maints égards, de telles perspectives rejoignent le concept de «dissolution-reconstruction» inscrit dans l’organodynamisme de Henri Ey, inspiré des doctrines jacksonniennes appliquées à la neurologie. Le délire peut même «combler» le patient au point de devenir objectivement incurable. Celui-ci relève de mécanismes tels que le déni et, principalement, la projection des pulsions sur un objet extérieur conservant la même signification inconsciente que l’objet projeté.
On ne peut manquer d’évoquer la notion de forclusion du nom du père, considérée par Jacques Lacan comme un mécanisme spécifique à l’origine du fait psychotique, et qu’il fait jouer en faveur du concept de psychose unique. Il s’agit du rejet hors de l’univers symbolique du sujet d’un signifiant fondamental, qui fait retour au sein du réel, particulièrement au cours des hallucinations. Ce qui aurait dû être symbolisé ne l’est pas. Le symbolique (le nom du père) représente l’ensemble des phénomènes psychiques qui s’organisent autour du langage et de la structure (l’inconscient est structuré comme un langage), et qui diffèrent des catégories du réel et de l’imaginaire. Ces signifiants forclos ne sont pas intégrés à l’inconscient du patient.
Les courants phénoménologiques
Au-delà de leurs divergences, ces approches inaugurées par Karl Jaspers s’attachent à comprendre sur un mode naturel et «naïf» les relations conscientes du Moi pathologique au monde, le vécu authentique, l’«éprouvé» de chaque sujet, davantage qu’à rechercher des explications. Elles ne visent pas, non plus, à établir des lois générales. Dans la mesure où la conscience est considérée comme une «intentionnalité», l’intention du travail délirant est abordée dans une relation d’intimité qui n’est pas sans utilité dans le total bouleversement de la présence au monde du patient et son altération fondamentale de l’espace et du temps vécu (Eugène Minkowski).
La pathologie sociofamiliale et systémique
À côté des orientations sociogénétiques et des approches dites «antipsychiatriques» (ces dernières bien dépassées) doit être mentionnée la position selon laquelle une psychose constitue une maladie familiale dont le psychotique est le symptôme et le porte-parole. Elle serait même une «fonction» nécessaire à l’équilibration précaire de ce système relationnel fondamental. Pour E. Searles, les patients ont été soumis dans leur famille à des efforts en grande partie inconscients visant à les rendre fous. De tels concepts vont dans le sens de la psychanalyse infantile et de son influence sur la psychiatrie de l’adulte.
Évolution psychotique et personnalité
Dans une perspective initialement constitutionnaliste ont été décrits divers types de personnalité susceptibles de prédisposer à cette évolution. Il en est ainsi de la personnalité paranoïque, caractérisée surtout par la méfiance, la surestimation de soi, une psychorigidité avec refus de la critique et fausseté du jugement, enfin une adaptation sociale par là même défectueuse. Mais leur continuité avec un développement psychotique est inconstante, et les limites avec celui-ci ne sont pas toujours précises.
Convient-il, dès lors, de retenir la notion, très psychodynamique à la base, de structure psychique, soit névrotique, soit psychotique, avec, selon certains, une opposition étanche entre l’une et l’autre, structure qui pourrait être compatible pendant longtemps, voire toujours, avec un comportement asymptomatique? Nuancée par Freud dans les dernières années, une telle irréversibilité est-elle conciliable, par exemple, avec les fluctuations des états limites, dont on sait qu’ils peuvent basculer, selon les circonstances, vers un bord tantôt psychotique, tantôt névrotique? Il est plus tentant de retenir deux modes de fonctionnement psychique dont les mécanismes peuvent se juxtaposer.
Dans les psychoses, rien n’est jamais acquis que dans le relatif. En tout cas, ne serait-ce qu’en raison de l’évidente absence de concept unitaire, il n’est pas possible jusqu’à présent de réduire ce terme à son singulier. Reste la clinique, certes imparfaite et source de polémiques. C’est essentiellement sur sa base que seront fixées les modalités du traitement: chimiothérapies antipsychotiques, dont on sait la fréquente efficacité, en tout cas symptomatique; relation du patient avec les institutions et organismes de soins; psychothérapies aménagées. C’est dans le cadre d’une équipe soignante le plus stable possible que peut se réaliser, sur un mode empirique mais souvent satisfaisant pour le pronostic, la rencontre de ces différentes approches.
2. Les psychoses infantiles
C’est très tardivement que la psychiatrie infantile s’est libérée de classifications et de descriptions empruntées à la clinique des adultes. L’individualisation des psychoses infantiles par rapport aux concepts de démence précoce et de schizophrénie en est une illustration. Jusqu’au début du XXe siècle, les différents tableaux de pathologie mentale de l’enfant furent confondus sous les vocables d’«idioties congénitales ou acquises», de démences, d’épilepsie. Le mouvement psychanalytique, en mettant l’accent sur les tout premiers stades du développement émotionnel et sur l’importance des premières expériences vécues par le jeune enfant, permit une compréhension dynamique et structurale de l’évolution psychique normale et pathologique. Par la suite, un changement méthodologique est intervenu qui fait passer de l’étude des mécanismes intrapsychiques à celle des interactions entre l’individu et son milieu familial et qui s’appuie notamment sur les recherches contemporaines en psychothérapie familiale ou sur des observations de bébés conduites dans des familles à transaction psychotique. De nouvelles perspectives d’application se dégagent de ces travaux, aussi bien pour le diagnostic précoce et la thérapeutique que pour la clinique préventive.
Les psychoses de l’enfant peuvent se manifester très tôt, dès la première année de la vie; des traits spécifiques d’organisation mentale les caractérisent, qui donnent lieu à des tableaux cliniques différents suivant l’âge, le degré d’évolution libidinale, les régressions et fixations survenues au cours du développement. Le polymorphisme clinique et structural est important: il va des formes à prédominance déficitaire aux formes pseudo-névrotiques ou caractérielles, cas limites, border line ou prépsychotiques selon la terminologie employée. On peut, schématiquement, distinguer les psychoses de développement, dans lesquelles la personnalité s’organise dès les premiers mois de la vie sur le mode pathologique (comme c’est le cas dans l’autisme infantile précoce), et les psychoses de déstructuration, ou schizophrénies infantiles, qui s’installent généralement après une phase de développement exempte de troubles patents, et dont l’expression clinique se rapproche de celle des schizophrénies juvéniles. Quelle que soit leur orientation clinique et théorique, tous les auteurs contemporains s’accordent sur la nécessité d’un diagnostic très précoce de la psychose, de manière à éviter le risque d’une évolution déficitaire, qui, en l’absence d’un traitement adéquat au moment le plus favorable, serait inéluctable: quand on a affaire à l’autisme, le temps qu’on a perdu à l’âge où les fonctions cognitives et les premières intégrations de la personnalité connaissent leur développement le plus rapide est difficilement rattrapable.
Aperçu historique
L’individualisation de la psychose infantile s’est opérée en trois étapes. En 1906, Sancte de Sanctis décrivit une dementia precocissima catatonica survenant chez des enfants de quatre à dix ans et caractérisée par une évolution chronique et démentielle conformément au schéma kraepelinien. En 1908, Heller rapporta également des cas de dementia infantilis comme s’il s’agissait d’une entité clinique indépendante.
La deuxième étape fait suite aux travaux de Bleuler (1911). Ce n’est plus alors le critère évolutif qui est considéré comme essentiel, mais un trouble primaire des fonctions psychiques: la dissociation ou dislocation (Spaltung ) entraînant des symptômes secondaires tels que le délire et l’autisme. La notion de schizophrénie (dementia praecox ou groupe des schizophrénies), apparue à ce moment, est reprise à propos de l’enfant par Lütz, dont les critères diagnostiques étaient très stricts; il insistait en particulier sur l’absence de tout soupçon d’encéphalopathie antérieure. Cela fit tomber la fréquence de la maladie à 1 p. 100 de l’ensemble des schizophrénies. Le concept fut repris par l’école américaine avec Potter et L. Despert, mais, peu à peu, sa dilution aboutit à la notion de «réaction schizophrénique» à des situations vitales difficiles, cette notion devenant capable d’englober à peu près toute la pathologie. L’école française, avec G. Heuyer et L. Michaux, revint alors à des cadres nosographiques plus précis.
La troisième étape est marquée par l’apparition des notions de psychose et de prépsychose sous l’influence du courant psychanalytique, tandis que les travaux de R. Spitz, d’A. Freud et de M. Klein mettent en évidence une pathologie spécifique de l’enfant. Klein étudia les étapes très précoces du développement affectif du nourrisson à travers l’étude du jeu et des fantasmes exprimés en psychothérapie par de tout jeunes enfants. La phase « schizoïde paranoïde», qui s’étend normalement sur les six premiers mois de la vie, fut alors considérée comme le point de fixation des psychoses infantiles avec une angoisse de type persécutoire, des mécanismes de défense très primitifs tels que le clivage, l’introjection, la projection et l’identification projective. D. W. Winnicott, qui tient une place originale dans l’histoire de la psychanalyse, a particulièrement étudié la «préoccupation maternelle primaire», sorte d’«hypersensibilité» qui apparaît à partir des derniers mois de la grossesse et qui permet à une mère de percevoir les besoins de son enfant et de s’y adapter, en étant «suffisamment bonne» pour lui permettre d’acquérir «le sentiment continu d’exister», lequel sera fondamental pour la constitution de son self. En cas de distorsion grave de cette relation dans les premiers mois de la vie, il peut y avoir «annihilation du self». L’autisme serait alors une «organisation de défense hautement sophistiquée» destinée à éviter le retour de cette «angoisse impensable», angoisse qui peut être induite lorsque les attitudes apparemment positives de la mère envers son enfant sont en fait des formations réactionnelles contre un désir de mort refoulé.
L’école psychanalytique française, avec S. Lebovici, R. Diatkine, C. Stein et R. Misès, s’est plus particulièrement penchée sur le devenir de la psychose, les formes prépsychotiques et les formes déficitaires. Dans cette perspective, ainsi que l’a montré aussi J. L. Lang, les concepts de psychose et d’arriération, dont l’association a été souvent discutée, sont loin de s’exclure.
Avec l’école inaugurée par Jacques Lacan, la recherche psychanalytique s’est engagée dans l’étude du «sens» de la psychose par rapport à la dynamique familiale à travers plusieurs générations, le décodage du discours collectif qui englobe les parents, l’enfant, le thérapeute, voire la société.
Dans une perspective différente, les recherches d’inspiration systémique contribuent à préciser les mécanismes de la communication intrafamiliale (G. Bateson, P. Watzlawick, M. Selvini), tandis que l’école psychanalytique postkleinienne (W. R. Bion, E. Bick, F. Tustin, D. Meltzer) apporte un éclairage nouveau à la compréhension des tout premiers stades de la genèse du psychisme humain et de ses avatars.
Approche clinique
La forme la plus précoce de psychose infantile fut décrite par Leo Kanner en 1942 sous le nom d’autisme infantile précoce. On peut en remarquer les signes initiaux dès la première année de la vie; le nourrisson ne s’intéresse nullement à son entourage, il reste passif, mou, ne présente aucune modification de posture lorsque l’on s’apprête à le prendre dans les bras, comme cela est habituel chez l’enfant normal dès l’âge de quatre mois. Il présente souvent des difficultés alimentaires. Plus tard, de tels enfants passeront facilement pour débiles ou pour sourds, bien que leur faciès frappe par son intelligence. Ils n’ont aucune anomalie physique: leur audition et leurs possibilités cognitives virtuelles sont normales. Présentant deux symptômes principaux, un isolement extrême (aloneness ) et un besoin impérieux de l’immuable (sameness ), ils donnent l’impression de n’être «heureux que lorsqu’ils sont seuls». Leur indifférence pour l’entourage, y compris la mère, contraste avec leur intérêt exclusif pour les objets, qu’ils peuvent manipuler pendant des heures de manière stéréotypée, parfois en chantonnant béatement ou en se balançant. Le simple fait de changer de place un objet provoque chez eux une crise d’angoisse extrême. Le langage est le plus souvent absent: s’il apparaît, il n’a pas valeur de communication. L’écholalie est fréquente. L’enfant n’utilise pas le «je», mais recourt au pronom dont on se sert à son égard: «tu» ou «il». Le concept du «oui» ne s’instaure qu’au bout de plusieurs années.
L. Kanner, qui attachait beaucoup d’importance aux particularités du milieu familial (intellectuel, sophistiqué, obsessionnel, plus préoccupé des abstractions scientifiques que des relations humaines), est revenu plus tard sur cette hypothèse, s’abstenant du moins de faire de ces particularités un facteur étiologique exclusif. L’évolution de l’autisme infantile est sévère. Kanner, à ce sujet, attribuait une grande valeur de pronostic à la non-apparition du langage avant cinq ans (sur quarante-quatre enfants étudiés par lui, un seul a pu faire des études normales).
Cependant, Bettelheim, en 1967, donne des résultats beaucoup plus favorables à propos d’enfants traités très précocement à l’école orthogénique de Chicago. Dans son livre La Forteresse vide , il considère l’autisme comme un mode de défense contre une angoisse d’être détruit, contre une «situation extrême»; le traitement consisterait à offrir à l’enfant une «expérience émotionnelle correctrice» grâce à un environnement particulièrement favorable lui permettant de renoncer à ses symptômes-défenses.
Mahler décrivit une deuxième forme de psychose infantile qui se situe à une période un peu plus tardive: la «psychose symbiotique», caractérisée par une perception de la relation avec la mère telle que cette dernière est en quelque sorte «fusionnée au moi», l’enfant n’arrivant pas à se concevoir comme un moi séparé. Dans cette relation très ambivalente, les symptômes apparaissent par poussées à chaque nouveau stade du processus de séparation-individualisation, dont l’acmé se situe vers trois ou quatre ans.
Mais les psychoses infantiles peuvent aussi se révéler plus tard, dans la période qui va approximativement de quatre ou cinq ans à la puberté. Les enfants se signalent alors par un comportement étrange – très forte agitation ou inhibition et mutisme –, par des troubles ou une absence du langage, mais souvent aussi par des manifestations banales telles que des troubles de la fonction alimentaire ou du sommeil. C’est dire qu’il s’agit moins de porter un diagnostic à partir des symptômes que de tenter une approche dynamique du type de personnalité en cause, avec ses modalités relationnelles et ses mécanismes de défense. Seule une investigation psychothérapique permet de se rendre compte de ce qui est fixé ou mobilisable lors du traitement.
Ces formes désormais classiques se situent entre deux pôles: celui des psychoses, qui ont une évolution principalement déficitaire se déroulant sous le masque de l’arriération et qui ne sont d’ailleurs pas toujours reconnues; celui des prépsychoses, lesquelles se présentent de manières différentes selon les auteurs: il s’agit soit d’une structure autonome, marginale, border line , à laquelle conviendrait mieux le qualificatif de «parapsychose», soit, comme l’a dit René Diatkine, d’une situation où «il y a danger important de réorganisation psychotique à brève ou à longue échéance», ce qui donne lieu à «une indication thérapeutique majeure» afin d’éviter l’évolution vers une forme fixée beaucoup plus grave.
En fait, c’est dès son plus jeune âge qu’il convient de reconnaître, chez un enfant, les éléments cliniques pouvant laisser présager une potentialité autistique, tout en veillant à ne pas alarmer ni culpabiliser l’entourage. Un abord thérapeutique approprié, lorsque les troubles sont in statu nascendi , permet des récupérations inattendues. Chez un bébé, les troubles du tonus, du regard et du contact sont parmi les signes les plus précoces d’éventuelles difficultés sérieuses en matière d’interaction avec l’entourage. En conséquence, et comme le signalait déjà D. W. Winnicott en 1952, la prévention des psychoses relève bien des pédiatres, auxquels il convient d’adjoindre les personnels de soins et d’éducation de la prime enfance. Les recherches contemporaines sur la communication préverbale (D. Stern, M. David, G. Haag, E. Fivaz, H. Stork), de même que les découvertes concernant la plasticité cérébrale (D. H. Hubel et T. N. Weisel, T. B. Brazelton) confirment pleinement l’importance de la clinique préventive.
Approche structurale de la personnalité de l’enfant psychotique
Pour Melanie Klein et son école, il n’existe pas de franche démarcation entre névrose et psychose, la distinction étant affaire de quantité plus que de qualité: la régression peut être plus ou moins profonde et toucher certains secteurs de la personnalité, tandis que d’autres sont conservés sur lesquels le traitement peut prendre appui. Quoi qu’il en soit, on peut retrouver certains traits spécifiques du noyau psychotique:
– La distorsion de la perception de la réalité est au premier plan. Il s’agirait même, selon W. R. Bion, d’une «haine» de la réalité interne et externe, le psychotique cherchant à détruire celle-ci ainsi que l’appareil psychique qui lui permet d’en avoir connaissance: perception, pensée, langage. Le mécanisme de l’«identification projective» décrit par M. Klein est ici fondamental: il y a clivage d’une partie du moi ou du psychisme, qui est projetée à l’extérieur dans un objet ressenti de ce fait comme un véritable persécuteur. Du fait de cet appauvrissement, le sujet s’exprime en disant qu’il éprouve une sensation de vide intérieur. Le clivage peut prendre la forme de multiples fragments projetés qui deviennent des «objets bizarres» menaçants et qui donnent naissance à une angoisse extrême de morcellement. Ce mécanisme du clivage inhibe la formation des symboles et de la pensée verbale, car les pulsions destructrices attaquent les processus d’articulation et de concaténation de la pensée. H. Segal a montré qu’une activité d’équation remplaçait alors la symbolisation.
– Du fait de la faillite du principe de réalité, la fonction du fantasme conscient ne peut s’élaborer. Comme l’a noté Daniel Widlöcher, le psychotique présente une anomalie de l’imaginaire; il ne peut «situer la place de la fantaisie dans le monde du pensable et dans la dimension du possible, qui est un aspect complémentaire de la réalité perçue». C’est en fait toute la vie psychique qui s’exprime comme un continuum de fantasmes très fortement investis, les processus primaires l’emportant de loin sur les processus secondaires. Les thèmes «crus» sont au premier plan, à contenu souvent sadique: dévorer ou être dévoré, décapité, castré; des fantasmes incestueux peuvent aussi être exprimés, sans aucun contrôle.
– Les troubles de l’image du corps et de la conscience de soi constituent l’élément central de la psychose. Il s’agirait, selon A. Green, d’une véritable hallucination négative du sujet qui «ne peut parvenir à aucune représentation imaginaire de lui-même». «Cette forclusion de l’image du sujet est corrélative de la forclusion du rejet de la réalité.» On sait que le «stade du miroir», décrit par J. Lacan, permet au jeune enfant entre six et dix-huit mois d’anticiper imaginairement son unité par la perception de son image avant d’avoir acquis la maîtrise de son schéma corporel. S’il ne peut parvenir à cette première identification unifiante fondamentale, le fantasme du corps morcelé réapparaît. Le sentiment de continuité n’existe pas. «Le sujet se voit alors comme le cadre entourant le vide de sa propre hallucination négative.»
Ce vécu du psychotique sans identité, sans image, se traduit chez le jeune enfant par de multiples troubles: le dessin du bonhomme est morcelé, dissocié, «mécanique»; les jeux avec la poupée sont agressifs et accompagnés de commentaires anatomiques stéréotypés, tandis que le sujet arrache tête et membres de celle-ci ou bourre frénétiquement le corps; le comportement devant le miroir est étrange (refus anxieux ou adhésivité); les anomalies du langage, en particulier la non-utilisation du «je», traduisent bien ce trouble fondamental de l’identité, la difficulté de l’enfant à délimiter sujet et objet, ainsi dans cette stéréotypie verbale: «je que tu».
– La vie pulsionnelle est chaotique, de type archaïque. L’oralité est souvent prédominante; des éléments œdipiens peuvent exister, mais ils ne sont pas intégrés; les pulsions destructrices l’emportent sur les pulsions érotiques. Les mécanismes de défense sont faibles et ne parviennent pas à endiguer l’angoisse extrême.
– Qu’il s’agisse d’une angoisse de morcellement, d’annihilation ou de dépersonnalisation, l’«angoisse psychotique» est toujours intense et perceptible, même si elle est camouflée au premier abord par une certaine agitation ou par un comportement agressif.
– La relation transférentielle se caractérise par une grande dépendance et passe d’un évitement extrême à une relation quasi fusionnelle, qui en rend naturellement le maniement très difficile. L’investissement narcissique l’emporte sur l’investissement objectal.
Hypothèses étiopathogéniques contemporaines
L’origine des psychoses infantiles, comme celle de la schizophrénie, reste encore inconnue. Il est, de toute façon, probable qu’elle ne relève pas d’une étiologie univoque, mais qu’une pluralité de facteurs peuvent être en cause. Les recherches sur ce sujet sont effectuées dans deux grandes directions: les études organo-génétiques et les études psychogénétiques.
Les recherches génétiques, biochimiques, anatomo-pathologiques, l’étude des antécédents organiques n’ont, jusqu’ici, rien apporté de décisif. On en retiendra, parmi les plus significatives, celles de L. Bender ainsi que les théories sensorielles. Bender a, depuis 1938, étudié au Bellevue Hospital de New York 850 cas, avec un diagnostic confirmé chez les sujets devenus adultes (89 p. 100 des cas). Il s’agirait chez ces enfants d’une «encéphalopathie diffuse», d’origine embryonnaire, provoquant un dysfonctionnement de toutes les fonctions qui dépendent du système nerveux central; ce trouble neurobiologique (plasticity ) entraînerait une impossibilité pour l’enfant à percevoir son corps propre et les limites de celui-ci, à pouvoir établir des relations avec le monde extérieur; l’anxiété en serait la conséquence. Les théories sensorielles, elles, reposent sur l’étude d’un trouble basal d’origine physiologique, qui, selon les auteurs, peut toucher les appareils perceptifs de la vision, de l’audition, voire de l’olfaction, ou le système nerveux central, en particulier la substance réticulée.
Parmi les études psychogénétiques – outre les travaux sur les «parents pathogènes» qui remontent à 1940, avec L. Kanner, Y. O. Alanen, Lidtz et A. Green, et qui insistent généralement sur le rôle effacé du père et sur le rôle dominateur de la mère ainsi que sur l’attitude de type «mécanique» envers l’enfant –, on citera d’abord les études sur les « familles pathogènes» ou sur la «famille totale», qui constituent un nouveau terrain de recherche lié à l’essor de la psychiatrie et de la psychothérapie familiales. Qu’il s’agisse de l’école de Palo Alto avec Jackson et G. Bateson, des travaux de Bowen ou de ceux de Wynne, l’accent est mis sur les troubles de la communication, sur le fait que tous les membres de la famille sont concernés par le problème du sujet pathologique. Dans ces familles fusionnelles, symbiotiques, où les signaux sont souvent donnés à l’enfant de manière incongrue et contradictoire, celui-ci ne peut acquérir le sens du «soi» propre, du schéma corporel, de la distinction entre le moi et le non-moi, ce qui constitue, on l’a vu, le trouble basal de la psychose. Il doit le plus souvent «être pour ses parents», fonctionnant comme stabilisateur du couple parental. Cependant, si l’enfant psychotique a été victime, de la part de sa famille, d’«efforts» inconscients visant à le «rendre fou», il n’en est pas moins vrai que, selon E. Searles, des aspects positifs d’une relation d’amour restent décelables au sein des interactions apparemment les plus pathologiques.
Avec l’école de Jacques Lacan, ce ne sont plus seulement les caractéristiques parentales ou les troubles de la communication et de la dynamique familiale qui sont étudiés, mais la signification, le sens de la psychose par rapport à cette pathologie inconsciente, intriquée et partagée le plus souvent sur plusieurs générations. C’est dans le champ du langage que se situent ces recherches, puisque «l’enfant, avant d’avoir l’usage de la parole, vient au monde dans un contexte de langage qui est le désir des parents» (Lacan). L’étude des fantasmes parentaux permet d’ailleurs de remonter plus haut; comme l’a écrit F. Dolto, «il faut trois générations pour qu’apparaisse une psychose: deux générations de grands-parents et de parents névrosés dans la génétique du sujet». L’élément fondamental est ici encore «la forclusion du nom du père » induite par une mère toute-puissante pour laquelle l’enfant n’a qu’une fonction d’objet partiel érotisé. Il ne peut donc accéder à la triangulation œdipienne pas plus qu’à l’ordre de la loi, qui est celui du symbole et du langage. Pour M. Mannoni, la psychose de l’enfant peut être tenue pour la réalisation d’un fantasme parental et c’est au niveau de l’inconscient maternel et de son discours qu’elle doit être décodée. Cet auteur va, d’ailleurs, plus loin dans l’étude de facteurs sociaux d’aliénation, rejoignant par là le courant de l’«antipsychiatrie».
Les hypothèses étiopathogéniques formulées depuis les années soixante-dix sur l’autisme infantile précoce proviennent des travaux psychanalytiques développés à partir du traitement d’enfants très jeunes. Il en est ainsi du concept de «peau psychique» (skin container ), qui met en évidence l’importance de la fonction contenante de la peau, de telle sorte que, si cette fonction n’est pas suffisamment élaborée, le sujet ne peut accéder à la tridimensionnalité et que cela entraîne, chez lui, la persistance de mécanismes très archaïques, tels que l’«identité adhésive» (E. Bick), mécanisme qui se situe bien en deçà du clivage et de l’identification projective.
D. Meltzer décrit sous le nom de «démantèlement» le processus de dissociation du fonctionnement consensuel et kinesthésique le plus primitif, qui laisse les divers sens errer chacun vers l’objet le plus attractif du moment. Ce processus fait penser à un pantin dont les fils se relâchent, et peut être mis en relation avec la suspension de la fonction d’attention, fonction qui constitue normalement la «force liante» des premières intégrations. Il est intéressant de relever que des recherches cliniques conduites sur le mode de la psychologie expérimentale et portant sur les interactions entre des parents psychotiques et des nourrissons aboutissent à des hypothèses du même type, en montrant l’existence d’un trouble très précoce de l’attention focale partagée entre les parents et le bébé. Leurs échanges se caractériseraient par l’incongruence et l’insuffisance de la mutualité (E. Fivaz).
Lors de la dissociation très primitive du fonctionnement psychique, le Soi se réfugierait dans les sensations du corps propre, les impressions sensitives et sensorielles; et, comme l’a montré F. Tustin, toute vie émotionnelle serait évitée. Le sujet ferait ainsi l’économie de la «dépression psychotique», laquelle est liée à l’intolérance fondamentale à toute séparation et se traduit par une angoisse très primitive d’anéantissement, de chute sans fin, de liquéfaction, cette angoisse s’exprimant au cours des thérapies précoces par le fantasme d’un «trou noir» au niveau de la zone péribuccale. Les hypothèses formulées par W. R. Bion sur les éléments 廓 et la fonction maternelle 見 permettent sans doute de mieux cerner la transformation des vécus d’ordre sensitivo-moteur et d’ordre sensoriel en des formes très élémentaires de pensée, qui sont en relation étroite avec l’organisation de la relation d’objet. La continuité entre les processus biologiques et les processus psychiques découle logiquement, d’un point de vue théorique, des observations cliniques réalisées dans cette perspective de psychanalyse précoce.
Quel que soit l’angle sous lequel on envisage la psychose ou à quelque théorie qu’on se réfère, l’étude des micro-processus qui sont en jeu dans les interactions entre parents et nourrissons pose le problème de la transmission de la santé et de la maladie. Il reste qu’en pratique s’impose la nécessité d’un diagnostic aussi précoce que possible afin que le traitement puisse intervenir à une période où les troubles sont encore mobilisables – ou, mieux encore, une approche clinique intervenant avant que des cycles d’interaction pathogènes entre l’enfant et sa famille aient le temps de s’organiser.
3. Le problème de la théorisation psychanalytique
L’exposé théorique de l’approche psychanalytique des psychoses exige au préalable une délimitation des conditions dont dépend la position de son problème:
– Alors que la psychanalyse est souvent réputée dans son succès par la compréhension théorique et pratique qu’elle trouve dans le champ des névroses, elle est, du même coup, désignée dans ses limites face à l’obstacle que constituent une théorie et une pratique thérapeutique des psychoses. Nombreux sont ceux qui, depuis des années, ont exposé une technique thérapeutique inspirée de près ou de loin par la psychanalyse: ces recherches, souvent associées à un type d’institution psychiatrique, ne permettent pas, pour autant, de se repérer convenablement quant à une théorie psychanalytique des psychoses.
– La prudence méthodologique exige que soit évité l’éclectisme théorique qui se donne généralement pour prétexte la diversité des «écoles» psychanalytiques: pour aussi intéressantes que soient les vues originales de J. N. Rosen, F. Fromm-Reichmann, J. Ruesch, M. A. Sèchehaye, G. Bychowski, G. Pankow, entre autres, on ne peut reconnaître leur pertinence propre qu’en ayant accès à la spécificité technique de leur approche thérapeutique. Leur contribution à une théorie psychanalytique des psychoses souligne la nécessité de la pluralité des voies qui y conduisent.
– L’influence de la pensée phénoménologique et de l’analyse existentielle (Daseinsanalyse ) – citons les travaux de E. Minkowski, L. Binswanger, H. Zutt, R. Kuhn, J. Wyrsch, ainsi que, sous une forme différente, de la sociothérapie et de l’analyse institutionnelle – modifie moins le projet d’une théorie psychanalytique des psychoses qu’elle n’en «complique» l’angle de vue: si de telles entreprises ont permis, grâce à leur succès partiel, de mieux comprendre et traiter les psychoses, elles ne peuvent pour autant prétendre dispenser d’une élaboration psychanalytique de la théorie.
– Il faut rappeler que la psychanalyse est en grande partie responsable de la distinction entre névrose et psychose: à ce titre, elle ne saurait échapper à la nécessité de conférer à la notion de psychose les fondements théoriques qui en assurent la cohérence structurale. Bien que Freud n’ait point cherché à développer systématiquement une théorie de la psychose, celle-ci sera présente au cœur d’une réflexion qui réévalue constamment le sens et la portée clinique de chaque concept dégagé. Ajoutons que le problème de la psychose ne peut à aucun moment être désolidarisé de la mise au jour des processus inconscients: dans ces conditions, une théorie psychanalytique des psychoses impose le souci d’une réarticulation des rapports du normal et du pathologique.
Déconstruction et reconstruction de la réalité
L’observation clinique impose la double constatation selon laquelle la psychose recouvre à la fois des manifestations diverses (hallucinations, délires, etc.) et une certaine unité qui permet, en dépit du caractère de gravité apparente des symptômes, de la différencier de la névrose et de la perversion. Il est, en effet, des symptômes discrets qui relèvent d’une structure psychotique et, au contraire, des expressions parfois violentes qui ne peuvent qu’être imputées à une organisation névrotique ou perverse de la personnalité. En caractérisant la psychose comme perturbation du rapport à la réalité et modification de la communication avec les autres, on appelle aussitôt à voir en elle un ensemble de processus défensifs (fonctions du rejet , de la projection ) qui impliquent le pouvoir d’annulation et de restitution. Le soin pris par Freud à reconnaître dans l’hallucination comme dans le délire les conditions d’une vérité non aliénée confirme la fonction positive d’une tentative de réorganisation de la réalité par les processus psychotiques. C’est pourquoi le critère de la «perte de la réalité» mérite d’être ici considéré d’une façon autre que descriptive. Dans des travaux tels que Le Cas Schreber , Pour introduire le narcissisme , Le Fétichisme , Névrose et psychose , La Perte de la réalité dans la névrose et la psychose , Freud examine ce rapport à la réalité sous l’angle des investissements libidinaux (libido du moi et libido d’objet) et dans la perspective du clivage : «Empruntant une voie purement spéculative, j’ai dernièrement trouvé que la névrose et la psychose diffèrent essentiellement en ce que, dans la première, le moi, au service de la réalité, réprime un morceau du ça, tandis que, dans la psychose, il se laisse emporter par le ça à se détacher d’un morceau de la réalité.» Le souci de Freud d’apporter à ses vues de nouvelles nuances (notamment en rapport avec le déni fétichiste) enrichit le sens qu’il accorde à la notion de clivage (dont l’origine est dans la découverte par Bleuler de la Spaltung schizophrénique): «Le problème de la psychose serait simple et clair si le moi pouvait se détacher totalement de la réalité, mais c’est là une chose qui se produit rarement, peut-être même jamais.» Par contre, ce qui caractérise toute psychose, c’est la coexistence simultanée de deux attitudes: l’une qui accepte la réalité et en tient compte dans un savoir, l’autre qui, «sous l’influence des pulsions, détache le moi de la réalité». Le délire affirme la croyance en l’existence d’une autre réalité qui, loin d’être fausse, est restitutive des investissements primitifs liant archaïquement l’enfant à son premier objet d’amour.
La reconstruction de la réalité, conformément aux désirs du ça, est l’expression d’une annulation défensive (ce que la réalité comporte de manque ) et d’une force réparatrice. Entendons qu’il s’agit là d’un processus dont la mise en évidence psychotique (hallucination, délire) n’exclut en rien le pouvoir d’être compris en référence au normal. Dans l’Interprétation des rêves de même que dans les textes composant la Métapsychologie , Freud fait appel aux mécanismes du sommeil et du rêve et examine de même ce qui se passe dans le travail du deuil (en rapport avec la mélancolie) pour désigner telle ou telle forme que peut prendre le déni de la réalité. Précisément, la psychose hallucinatoire est l’expression d’un maintien imaginaire d’une réalité première à laquelle le sujet a été lié, cela en raison de l’«incapacité» du moi de supporter la perte de l’objet d’amour.
Régression temporelle et régression topique
Une telle conception engage la mise au point des concepts tels que ceux de régression , de narcissisme primitif , de processus primaire . Pour s’en tenir à celui de régression, dont l’usage est fréquent dans la théorie de la psychose, on rappellera qu’il se conçoit tout d’abord en fonction du développement du moi et du développement de la libido: dans un cas il conduit au narcissisme primitif, dans l’autre à l’existence de la satisfaction hallucinatoire de désir (fantasme, rêve); précisément, le rêve réalise – pour ainsi dire dans le cadre du normal – les conditions d’une psychose «en petit»; la réalité abandonnée par le sommeil est remplacée par une autre réalité que seul l’imaginaire peut restituer: c’est la réalité présente aux premiers investissements dont la trace est ressuscitée dans le sommeil; on voit donc que la régression s’entend comme processus dynamique solidaire d’une conception des traces psychiques. On rappellera ensuite qu’en dehors de cette régression temporelle Freud distingue une régression topique (en fonction des instances psychiques): celle-ci permet de comparer tout en les différenciant les mécanismes mis en jeu dans le rêve et ceux qui sont présents dans la psychose (voir le problème de la représentation de mot et de la représentation de chose ): «Ici, écrit Freud, apparaît la différence décisive entre le travail du rêve et la schizophrénie. Dans celle-ci, ce sont les mots eux-mêmes, dans lesquels était exprimée la pensée préconsciente, qui deviennent l’objet de l’élaboration par le processus primaire; dans le rêve, ce ne sont pas les mots mais les représentations de chose auxquelles les mots ont été ramenés. Le rêve connaît une régression topique, ce qui n’est pas le cas pour la schizophrénie ; dans le rêve, la circulation est libre entre investissements de mot (Pcs ) et investissements de chose (Ics ); il est caractéristique de la schizophrénie que cette circulation soit coupée.»
Déni et forclusion
La notion de déni (Verleugnung ), élaborée par Freud afin de rendre compte d’une défense dont le moi se sert pour refuser une partie de la réalité, est présente à l’organisation de la structure perverse (la réalité déniée est celle qui rend évidente la castration sous l’apparence d’un vu du sexe féminin), mais elle connote les significations que prend dans la psychose le rapport séparation-castration. La castration renvoie à l’expérience plus primitive et plus fondamentale de la perte et de la séparation. C’est pourquoi il est plus juste de retrouver dans le processus psychotique une défense primaire se caractérisant par un rejet radical. La notion de forclusion (Verwerfung ), que Lacan prend pour modèle de la défense psychotique, doit être entendue comme rendant compte à la fois d’un mécanisme primaire de séparation en deçà de tout jugement sur la réalité (à la différence du déni) et d’une opération d’«abolition symbolique». La forclusion engage donc une impossibilité de symboliser (la castration) et, corrélativement, le retour dans le réel de ce qui a été rejeté (cf. L’Homme aux loups ). En traitant «D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose», Lacan a lié la notion de forclusion à une théorie du signifiant (voir forclusion du «nom du père»).
La fantasmatique œdipienne
Si la plupart des auteurs ont reconnu l’importance des facteurs prégénitaux dans l’organisation de la psychose, ils n’ont pas tous donné la place qui lui convenait au complexe d’Œdipe. À penser celui-ci comme relevant d’une organisation tardive dans le développement, on est tenté de décrire une structure psychotique dans les conditions d’un développement préœdipien. Le mérite de Melanie Klein est bien, au contraire – selon sa conception des positions paranoïde-schizoïde et dépressive –, d’avoir reconnu la très précoce formation du surmoi et de désigner une structure œdipienne déjà présente au stade oral. Ainsi que l’a exprimé Guy Rosolato, la fantasmatique œdipienne fait conjointement exister dans la psychose inceste et meurtre, liés par une même problématique. La mort est donc inhérente à la psychose sous la forme radicale et essentielle du rapport du sujet au manque. «Dans une première approche, on pourrait dire que le psychotique est en prise directe sur cet inconscient», caractérisé par Freud au titre de l’absence de négation et d’une «impénétrabilité à la représentation de notre propre mort». C’est pourquoi Rosolato a raison d’ajouter: «[Le psychotique] ne connaîtrait pas autre chose que cette «impénétrabilité» (ce manque du manque).» La mort chez le psychotique renvoie à une appréciation plus exacte et plus complète des significations du narcissisme (mécanismes de projection présents au narcissisme; voir de même le rapport auto-érotisme-narcissisme-homosexualité).
Introduire à une théorie psychanalytique des psychoses ne peut donc que se limiter ici à fixer quelques jalons et repères. Si la recherche freudienne est loin de répondre d’une sorte de théorie constituée, reconnaissons-lui le mérite principal d’être l’appui préalable dont on ne peut espérer se passer.
psychose [ psikoz ] n. f.
• 1859; de psych(o)-, d'apr. névrose
1 ♦ Méd. Maladie mentale affectant de manière essentielle le comportement, et dont le malade ne reconnaît pas le caractère morbide (à la différence des névroses). ⇒ aliénation, délire, démence, folie, paranoïa, schizophrénie. « Dans la psychose, qui est plus grave [que la névrose], le malade sort du monde réel » (Maurois). Psychose de l'enfant (⇒ autisme) . Les formes délirantes de la manie et de la mélancolie sont des psychoses chroniques. Psychose maniacodépressive. Psychose réactionnelle. — Personne atteinte de psychose. ⇒ psychotique.
2 ♦ Cour. Obsession, idée fixe. Psychose collective. « On a, sciemment, créé dans le pays [...] la psychose de la guerre » (Martin du Gard).
● psychose nom féminin Altération globale de la personnalité bouleversant les rapports du sujet avec la réalité. Obsession collective provoquée par un traumatisme d'origine sociale ou politique : Psychose de la guerre. ● psychose (difficultés) nom féminin Orthographe et prononciation [&ph100;&ph103;&ph93;&ph95;&ph99;&ph110;] comme pause, avec un o fermé mais sans accent circonflexe. ● psychose (expressions) nom féminin Psychose infantile, forme de psychose propre à l'enfance. (On distingue les psychoses précoces, caractérisées par l'absence de langage et de contact avec l'environnement, dont le type est l'autisme, et les psychoses plus tardives, qui s'extériorisent à partir de 4 ou 5 ans.) Psychose maniacodépressive, alternance de crises d'excitation (manie) et d'épisodes dépressifs (mélancolie). Psychose organique, ensemble des troubles mentaux secondaires à des affections cérébrales organiques (épilepsie, tumeurs cérébrales, traumatismes crâniens, démences, alcoolisme).
psychose
n. f.
d1./d PSYCHIAT, PSYCHAN Maladie mentale que le sujet est incapable de reconnaître comme telle (contrairement à la névrose) et caractérisée par la perte du contact avec le réel (paranoïa, schizophrénie, etc.). Psychose maniaco-dépressive.
d2./d Cour. Obsession, angoisse collective.
⇒PSYCHOSE, subst. fém.
A.— PATHOL. Affection psychique grave, dont le malade n'a pas conscience, caractérisée par une désintégration de la personnalité accompagnée de troubles de la perception, du jugement et du raisonnement. Psychose délirante, hallucinatoire, hystérique, obsessionnelle; psychose de l'adulte, de l'enfant; psychose carcérale, puerpérale. Dans certaines psychoses, par exemple dans l'hystérie, on trouve une espèce d'altruisme qui fait que le malade ne peut plus vivre ou sentir par lui-même, et construit son expérience à partir de celle d'un autre (NIZAN, Conspir., 1938, p. 100). Les principales psychoses sont la schizophrénie, les délires chroniques (...), les démences, les bouffées délirantes et la confusion (THINÈS-LEMP. 1975). V. anormal ex. 6, névrose B rem. ex. de LAPL.-PONT. 1967, psychogénèse B 1 ex. de POROT 1975, psychonévrotique dér. s.v. psychonévrose, ex. de LAPL.-PONT. 1967, psychothérapie ex. de SILL. 1965.
♦ Psychose maniaco-dépressive/maniaque-dépressive. V. maniaque rem.
B.— P. ext. Folie (v. folie1 B). Psychose collective. Était-ce un de ces demi-hallucinés qui foisonnent dans ces crises de psychose collective que sont les révolutions? Car c'était bien une contagion de folie qui soulevait ces Parisiens, ces civilisés, d'une colère de sauvages (BOURGET, Actes suivent, 1926, p. 18).
— En partic.
♦ Préoccupation excessive. Synon. idée fixe, obsession. Frédéric (...) continue à se frotter les dents. « Il va se mettre les gencives en sang; psychose de l'hygiène, je me demande quel est son vice? » (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p. 8) :
• Vous aussi, vous donnez dans cette psychose! (...) Agir : c'est la hantise de tous les écrivains français. Ça trahit de curieux complexes : parce qu'ils savent parfaitement qu'ils ne changeront rien à rien.
BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 534.
♦ Crainte excessive, généralement non fondée et d'origine sociale. Psychose de (la) crise. La folie obsidionale, la hantise de l'espionnage sont des psychoses de guerre (Ac. 1935). Combat publie aujourd'hui un article sur la psychose de guerre en Amérique. On calcule qu'en 1970, la Russie pourra mettre sur pied une armée de trente-cinq millions de soldats alors que l'armée américaine n'en compterait que dix-huit millions (GREEN, Journal, 1946, p. 62).
REM. Psychosique, adj., méd. Synon. rare de psychotique (infra dér.). Encéphalite psychosique (QUILLET Méd. 1965, p. 347).
Prononc. et Orth. :[psiko:z]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1. 1859 pathol. « affection mentale dont le malade ne reconnaît pas le caractère morbide » (Journ. de méd. et de chir. pratiques, XXX, p. 130 ds QUEM. DDL t. 8); 2. 1913 « obsession, idée fixe » (PÉGUY, Argent, p. 1207 : c'est une idée fixe. C'est une phobie, une psychose); 3. en partic. 1926 psychose collective (BOURGET, loc. cit.); 1936 psychose de guerre (MARTIN DU G., Thib., Été 14, p. 140). Formé à l'aide de l'élém. formant psycho- sur le modèle de névrose. Fréq. abs. littér. :67.
DÉR. Psychotique, adj. et subst., méd. a) Adj. Qui relève de la psychose (supra A). États, phénomènes, symptômes, troubles psychotiques. La dépersonnalisation psychotique substitue à toutes les données solides (...) un réseau mouvant et sans consistance d'intuitions, d'impressions fugitives, de croyances magiques (POROT 1975, s.v. psychose). b) Adj. et subst. (Malade) qui est atteint de psychose (supra A). Il est un domaine pathologique qui permet d'étudier avec une réelle précision le problème de la constitutionnalité des psychoses, c'est celui des psychoses gémellaires. Une vaste enquête fut faite à ce sujet par Franz Kallman, étudiant 1232 jumeaux psychotiques, dont 953 schizophrènes, 75 maniaco-dépressifs (DELAY, Ét. psychol. méd., 1953, p. 151). V. névrotique I ex. de H. Bazin, psychopathe ex. de SILL. 1965. — []. — 1res attest. a) 1904 « qui a rapport à la psychose » (Nouv. Lar. ill.), 1949 états psychotiques (FREUD, Abr. psychanal., trad. par A. Bermann, p. 23), b) 1959 « qui est atteint de psychose », ici subst. (H. BAZIN, Fin asiles, p. 25); dér. sav. de psychose, suff. -ique; existe parallèlement à psychosique (dér. de psychose, suff. -ique) essentiellement att. dans le syntagme encéphalite psychosique 1934 (Le Mois, mars-avr., p. 281 ds QUEM. DDL t. 21); cf. 1965 (QUILLET Méd., p. 347).
BBG. — QUEM. DDL t. 14 (s.v. psychotique); 21 (s.v. psychotique), 29.
psychose [psikoz] n. f.
ÉTYM. 1859; all. Psychosis, 1845, Feuchtersleben; du grec psukhê « esprit » (→ Psych-), et -osis, d'après nevrosis. → Névrose.
❖
1 Méd. Affection psychique, ensemble de troubles mentaux affectant de manière essentielle le comportement et constituant un ensemble stable de symptômes dont le malade ne reconnaît pas, en général, le caractère pathologique (à la différence des névroses, cit. 1). ⇒ Aliénation, folie, délire, démence, paranoïa, schizophrénie. || Être atteint de psychose; étudier, traiter la psychose. || « (…) du fait de leur complexion et de leur constitution mentale, certains sujets orienteront leurs désordres vers telle ou telle formule de psychose » (Porot, 1952, art. Prédisposition). — REM. Le mot est rarement employé absolument, car il correspond à une notion presque aussi vague et contestée que celle de folie au XIXe siècle; il est le plus souvent qualifié. — Une psychose. || Étiopathogénie des psychoses. || Psychoses organiques. ⇒ Démence, paralysie générale… || Psychoses toxiques, infectieuses, avec confusion mentale. || Psychoses constitutionnelles, réactionnelles. || Psychoses carcérales : psychoses réactionnelles entraînées par l'incarcération. || Psychoses de sensibilisation : troubles déclenchés par une cause occasionnelle souvent minime, mais rappelant au sujet un choc émotif qui a suscité en lui une intolérance acquise (→ Psychallergie). — Psychoses délirantes aiguës. ⇒ Crépusculaire (état), délirant (bouffée, expérience délirante), oniroïde (état)… || Psychose chronique. — Psychose hallucinatoire. || Psychose obsessionnelle. ⇒ Obsession. || Psychose maniaque (⇒ Manie, cit. 2), maniaque dépressive, périodique. ⇒ Mélancolie (vx). || Psychoses paranoïaques, hystériques. — Psychoses de l'adulte. || Psychoses infantiles (autisme, etc.). — Psychoses expérimentales. — Dépersonnalisation, déréalisation, dissociation, destructuration de la conscience observées dans certaines psychoses (⇒ Schizophrénie).
1 — Et quelle est la différence entre la névrose et la psychose ? — C'est que le névrosé, tout en fuyant devant la vie, reconnaît l'existence du réel, garde ses réflexes sociaux et prend grand soin de rester dans les limites de la vie sociale, fût-ce à l'extrême frontière. Au contraire, dans la psychose, qui est plus grave, le malade sort du monde réel.
A. Maurois, Terre promise, XXX.
1.1 En Allemagne, partant des données de la psychiatrie qui oppose depuis Kroepelin deux grands types de psychose : la psychose maniaco-dépressive ou cyclophrénie et la démence précoce ou schizophrénie, Kretschmer a été amené à faire une distinction entre deux constitutions. Dans son livre Le corps et le caractère, il a opposé deux structures morphologiques, celle du pycnique et celle du leptosome, répondant respectivement à deux caractères, celui du cyclothyme et celui du schizothyme.
Jean Delay, la Psycho-physiologie humaine, p. 76.
♦ Psychan. Perturbation fondamentale de la relation (libidinale) à la réalité, les symptômes observables (tels les délires) « étant des tentatives de restauration du bien objectal » (Laplanche et Pontalis).
➪ tableau Principales maladies et affections.
2 (1928, cit. 2). Cour. Idée fixe. ⇒ Obsession. || Psychose collective.
2 On a, sciemment, créé dans le pays, ce que vous autres, médecins, vous appelez une psychose; la psychose de la guerre (…) Et quand on a éveillé dans une nation cette anxiété collective, cette fièvre et cette peur, ce n'est plus qu'un jeu de la pousser aux pires folies !…
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 194.
3 Dans la plupart des maisons circulait un courant de petite peur, que les spécialistes appelaient psychose de la crise.
M. Aymé, Maison basse, p. 169.
4 — Psychose collective, monsieur Dudard, psychose collective ! C'est comme la religion qui est l'opium des peuples !
— Eh bien, j'y crois, moi, aux soucoupes volantes !
Ionesco, Rhinocéros, II, 1.
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DÉR. Psychosé, psychosique, psychotique.
Encyclopédie Universelle. 2012.