HÉRÉDITÉ
Parmi les caractères propres à un individu, certains sont acquis sous l’influence du milieu (climat, nutrition, environnement socio-culturel). Ils sont variables et surtout ils ne sont pas transmissibles. Ils n’apparaissent chez les enfants que si ceux-ci sont placés dans les mêmes conditions de milieu que les parents (cf. MILIEU). D’autres caractères, en revanche, se transmettent aux enfants selon des lois précises, quelles que soient les conditions de milieu. Ce sont les caractères héréditaires.
La génétique est la science qui étudie ces caractères. Elle se préoccupe de deux phénomènes fondamentaux: l’hérédité et la variation. Un organisme n’engendre que son semblable; un individu ressemble davantage à ses parents qu’à un autre individu choisi au hasard, et cela non seulement par ses traits morphologiques, mais aussi par sa structure ultime, moléculaire. Ces deux constatations définissent l’hérédité. Pourtant, dans une même espèce, c’est-à-dire dans un groupe d’individus très semblables et susceptibles de se reproduire entre eux (c’est la définition même de l’espèce), il n’en existe pas deux, à l’exception des jumeaux vrais, qui soient rigoureusement identiques: ce fait caractérise la variation intraspécifique, qu’il faut bien distinguer de la variation interspécifique.
La «découverte» des lois de Mendel et la naissance de la génétique moderne, grâce surtout aux travaux de Morgan sur la drosophile, conduisirent à la notion de gènes pour définir les supports physiques des caractères héréditaires. Ceux-ci furent localisés dans les chromosomes des cellules qui constituent les organismes vivants; les gènes étaient considérés comme une chaîne d’unités distinctes, se succédant à la manière des perles d’un collier. Ils furent tout d’abord définis comme étant en même temps des unités de fonction, des unités de recombinaison et des unités de mutation. Cela voulait dire que le gène a une fonction précise (détermine un caractère précis); que ses rapports avec les autres gènes peuvent être modifiés par des réarrangements chromosomiques (en particulier à l’occasion de la méiose, quand les chromosomes s’apparient); et qu’enfin lorsqu’un gène se transforme en un allèle différent, il le fait dans sa totalité.
L’ère moderne, celle de la génétique microbiologique, fut marquée par la découverte que les gènes sont responsables de la synthèse des enzymes (loi un gène – une enzyme ) et plus généralement des protéines.
Ces nouvelles acquisitions amenèrent à revoir la conception primitive du gène. On admet aujourd’hui que le gène est une portion d’une molécule bicaténaire d’acide désoxyribonucléique (ADN), constituée de quelques centaines de paires de nucléotides dont la fonction est de délivrer l’information nécessaire à la synthèse des protéines, donc des enzymes; ensuite, que lorsque le chromosome se casse, il peut le faire en n’importe quel site, voire à l’intérieur même du gène; enfin, que des mutations peuvent survenir, elles aussi, en n’importe quel site, au niveau de n’importe quel nucléotide, et qu’elles correspondent à une modification du code génétique contenu dans la molécule d’ADN.
Le matériel génétique des cellules peut ainsi être comparé à un livre composé de chapitres qui sont les chromosomes. Chaque chapitre (ou chromosome) est lui-même composé par un certain nombre de phrases qui sont les gènes; chaque phrase (ou gène) est constituée par des mots qui sont des mots de trois lettres, les triplets du code génétique ; chaque phrase spécifie la structure d’une protéine.
Des erreurs peuvent survenir. Les unes sont grossières, ce sont des erreurs de «relieur»: un chapitre ou un bout de chapitre, un feuillet, sont en trop ou en moins. Elles correspondent aux anomalies chromosomiques (cf. HOMME – caryotype humain). Les autres sont les erreurs «typographiques»: une lettre à la place d’une autre, un mot omis, un mot inversé, etc. Ce sont les mutations géniques responsables des maladies héréditaires proprement dites, comme l’hémophilie, l’albinisme, les maladies métaboliques. Les méthodes de la biologie moléculaire [cf. GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE] permettent d’en expliquer le déterminisme et d’entreprendre des thérapeutiques agissant sur les causes de ces maladies. Toutefois, la conception strictement mendélienne du gène suffit au médecin désireux d’évaluer un risque génétique dans une famille donnée, sachant que l’hérédité peut affecter des chromosomes déterminant le sexe (ou gonosomes) ou des chromosomes indifférents à cet égard (ou autosomes).
Cela implique que, dans le cas particulier de l’hérédité humaine, il soit nécessaire d’étudier l’hérédité au moyen de minutieuses enquêtes généalogiques.
1. Transmission de caractères pathologiques
Un individu est dit homozygote (du grec homos , semblable) pour un gène donné s’il possède deux allèles identiques de ce gène. Il est hétérozygote (heteros , différent) s’il est porteur de deux allèles différents: les caractères qui commandent les gènes allèles apparaîtront parfois simultanément (par exemple plantes à fleurs de couleur rose, déterminée par un gène rouge et un allèle blanc), mais le plus souvent l’un des allèles est dominant et interdit l’expression de l’autre, qui est dit récessif .
Hérédité autosomique dominante
Pour qu’un caractère dominant se manifeste chez un individu, il suffit que celui-ci soit hétérozygote pour l’allèle déterminant ce caractère. D’où les lois suivantes:
– lorsqu’un individu est porteur d’un caractère dominant, son père ou sa mère est nécessairement porteur du même caractère;
– ce même individu transmet le caractère à un enfant sur deux. C’est pourquoi on trouve alors dans la fratrie (frères et sœurs) la moitié de sujets porteurs et la moitié de sujets non porteurs du caractère;
– si, d’un individu porteur d’un caractère dominant, naît un enfant dépourvu de ce caractère, il est dépourvu aussi de l’allèle responsable, et sa descendance en sera définitivement dépourvue en cas de mariage avec un conjoint n’ayant pas le caractère susvisé.
La figure 1 illustre ce qui se passe durant la méiose, c’est-à-dire lors de la formation des gamètes. Les deux chromosomes d’une même paire, porteurs, l’un de l’allèle normal, l’autre de l’allèle dominant se séparent pour se répartir chacun dans des gamètes différents. Lors de la fécondation qui unit gamète mâle et gamète femelle, il y a donc une chance sur deux pour que le produit ou zygote soit porteur du caractère apporté par un gamète sur deux. Ce jeu «de pile ou face» se renouvelle à chaque fécondation. Le sexe des procréateurs n’intervient pas ici puisque le caractère est porté par un autosome. L’arbre généalogique de la figure 2 est un exemple typique de transmission autosomique d’un caractère dominant.
Parmi les caractères dominants, certains sont des anomalies bénignes. Par exemple l’héméralopie , caractérisée par une diminution de la vision crépusculaire et nocturne, a été observée dans une famille ancienne du Languedoc, la famille Nougaret. Le premier ancêtre connu fut Jean Nougaret né en 1637. Depuis lors, la maladie a été transmise sur neuf générations, affectant au total cent trente-quatre de ses descendants. La symphalangie ou soudure de la phalange et de la phalangine a été observée chez un chevalier anglais, John Talbot, qui mourut près de Bordeaux en 1453 (l’observation a été faite à l’occasion de l’ouverture de son tombeau en 1854, lors de la réfection d’une église). Cette malformation s’est transmise durant cinq siècles jusqu’à un Anglais vivant de nos jours. Le prognathisme des Habsbourg s’est transmis sans faille d’Ernest, duc d’Autriche, à Frédéric III, Maximilien Ier, Philippe le Beau, Charles Quint, Philippe II, Philippe III, Philippe IV et Charles IV, le dernier Habsbourg espagnol.
Il existe, d’autre part, de véritables maladies, handicapant lourdement la vie des individus (cf. MALFORMATIONS CONGÉNITALES et ENZYMOPATHIES). Au total on connaît au moins huit cents sortes de maladies correspondant aux caractères anormaux dominants.
Normalement une maladie dominante se transmet, sans manque, de génération en génération. Il arrive pourtant qu’il existe des «sauts» de générations. On dit alors que la pénétrance du gène est diminuée, mais on en ignore la cause. Une croyance populaire profondément enracinée veut que toutes les maladies se transmettent ainsi en sautant des générations. Cela est faux: les «sauts» de générations sont l’exception.
Hérédité autosomique récessive
Pour qu’une maladie récessive se manifeste chez un individu, il faut que celui-ci soit homozygote pour l’allèle pathologique. D’où les lois suivantes:
– les deux parents d’un malade (s’ils paraissent eux-mêmes sains) sont hétérozygotes pour le gène responsable de la maladie; leur phénotype est normal;
– dans la descendance d’un couple formé par deux sujets hétérozygotes, on observe: un quart d’homozygotes malades, deux quarts d’hétérozygotes phénotypiquement normaux, un quart d’homozygotes normaux. En d’autres termes, si un enfant est né porteur d’une maladie récessive, le risque de récurrence est de un quart à chaque nouvelle grossesse (fig. 3) de sa mère;
– la descendance d’un sujet malade est presque toujours phénotypiquement normale, elle est toujours génotypiquement tarée;
– la fréquence des unions consanguines parmi les parents des malades est plus élevée que dans la population générale; et cela d’autant plus que la tare est plus rare.
Le fait que la consanguinité augmente le risque de survenue des maladies récessives se conçoit aisément. Deux individus ont en effet beaucoup plus de chances d’avoir en commun un même gène anormal s’ils ont un ancêtre commun que s’ils n’en ont pas (fig. 4). Si un gène est fréquent dans la population, les chances de rencontre sont relativement élevées pour deux individus pris au hasard. Mais si le gène est rare, ce danger est minimisé. Ce sont surtout les sujets apparentés qui risqueront d’avoir en commun un même gène. On estime que le taux de consanguinité est de 0,5 à 1 p. 100 dans la population générale. Or, pour une tare très rare, il a été reconnu que ce taux peut atteindre 40 p. 100.
On peut également estimer le risque pour deux sujets consanguins de porter en commun un même gène anormal. Il est de: un huitième pour des cousins germains, un trente-deuxième pour des cousins issus de germains, un quart pour des frères et sœurs, un quart pour grand-père et petite-fille, un sixième pour oncle et nièce, et un quart pour des doubles cousins germains (cousins à la fois par la lignée paternelle et par la lignée maternelle). Ce dernier mariage est donc aussi dangereux que celui d’un frère et d’une sœur. Il n’est pourtant pas interdit par la loi. On peut encore démontrer que le mariage entre cousins germains multiplie par six le risque de voir naître un enfant porteur d’une tare récessive, dont la fréquence est de 1 p. 10 000 dans la population générale (albinisme ou galactosémie, par exemple).
Le nombre des maladies héréditaires correspondant aux caractères récessifs est, dans l’état de nos connaissances, de l’ordre de six cents à six cent cinquante. Elles comprennent de nombreuses malformations congénitales, des maladies affectant des organes précis (surdité, cécité), la plupart des maladies métaboliques.
Hérédité récessive liée au sexe
Pour les caractères portés par les autosomes, le mode de transmission – récessif ou dominant – est le même dans les deux sexes. Il en va différemment pour des gènes portés par les chromosomes sexuels et principalement par le chromosome X. Dans l’espèce humaine, comme dans de nombreuses espèces évoluées, le sexe féminin est le sexe homogamétique, le sexe masculin le sexe hétérogamétique; la femme possède deux X et l’homme un X et un Y. La femme ne peut produire que des gamètes X [cf. MÉIOSE], et l’homme produit des gamètes X et des gamètes Y en proportions égales. Le sexe du zygote (œuf fécondé) est donc déterminé par le spermatozoïde. S’il est porteur d’un X, le zygote sera une fille. S’il est porteur d’un Y, le zygote sera un garçon.
On sait que le chromosome X porte un grand nombre de gènes. Plusieurs se retrouvent dans la plupart des espèces animales. C’est le cas du gène de l’hémophilie qui est également porté par l’X chez le chien, le mulet, le cheval, etc.
L’X chez l’homme est un chromosome de taille relativement grande. L’Y, en revanche, est petit, le plus petit chromosome du caryotype. Il reste à savoir s’il existe une portion identique sur l’X et l’Y. En fait, les portions terminales de l’X et de l’Y s’apparient lors de la méiose. Elles seraient dès lors homologues, mais très courtes. À toutes fins utiles, on peut considérer que les gènes liés au sexe sont à l’état monozygote ou hémizygote chez l’homme, à l’état dizygote chez la femme.
Les lois de la transmission des caractères ou maladies liées au sexe peuvent être illustrées en prenant l’exemple de l’hémophilie. Tout homme recevant son chromosome X de sa mère, un homme hémophile aura nécessairement reçu le gène pathologique de sa mère; il sera donc le fruit du mariage entre une femme hétérozygote, dite conductrice , apparemment saine, et un homme normal. Cette union produit en principe (fig. 5) un quart de filles saines non conductrices, un quart de filles conductrices comme leur mère, un quart de fils sains (et définitivement sains, eux et leur descendance), un quart de fils hémophiles. L’existence de femmes hémophiles est théoriquement possible; elle nécessite l’union d’un homme hémophile et d’une conductrice. Si cette éventualité est rare dans l’espèce humaine, on peut la réaliser artificiellement chez le chien, où il est facile d’obtenir des femelles hémophiles. Dans la descendance d’un homme hémophile épousant une femme normale, toutes les filles seront conductrices puisqu’elles reçoivent toutes le facteur pathologique du chromosome X paternel, et tous les garçons seront sains.
On connaît environ cent vingt-cinq caractères portés par l’X. Parmi les caractères normaux, on note surtout deux groupes sanguins particuliers, les groupes Xg et Xm. Parmi les caractères pathologiques, citons (fig. 7): l’hémophilie, le daltonisme, la myopathie, une forme d’ichtyose, une forme d’albinisme dit oculaire.
L’hémophilie comprend en réalité deux variétés différentes correspondant au défaut de deux facteurs différents de la coagulation: les facteurs VIII et IX. La première est l’hémophilie classique ou A, la plus fréquente. La seconde, découverte plus tard, est encore appelée maladie de Christmas, du nom du malade chez qui elle a été décrite, ou hémophilie B. La célèbre hémophilie qui frappa les descendants de la reine Victoria, en particulier les tsars de Russie et la famille royale espagnole, était, semble-t-il, l’hémophilie B [cf. HÉMOPHILIE]. On connaît beaucoup de familles de grandes dimensions où l’hémophilie A a frappé de nombreux hommes: les familles Mempel, Botte, Kiefer, Hossli.
Phénomènes de recombinaison
Mendel avait défini la ségrégation indépendante des caractères, car il avait eu la «chance» de n’étudier que des caractères qui étaient portés par des chromosomes différents.
En fait, chaque chromosome porte de nombreux caractères, de telle sorte que deux quelconques parmi ceux-ci se transmettent ensemble: ils sont dits «liés». Cette liaison (ou linkage ) n’est pas toujours vérifiée car deux chromosomes homologues, mais porteurs cependant de gènes allèles (fig. 6), peuvent se casser et se recombiner en échangeant des fragments (phénomène du crossing-over : cf. MÉIOSE).
La fréquence des recombinaisons survenant entre deux sites (ou loci ) va permettre de mesurer leur distance. En effet, plus la distance entre deux loci est grande et plus des échanges ont de chance de survenir. Par exemple, chez l’homme, on a pu monter que le locus du groupe ABO est lié à celui d’une maladie appelée Nail Patela . La figure 6 montre que dans une famille particulière l’allèle A et l’allèle N normal sont transmis ensemble, de même que l’allèle B et l’allèle n pathologique. Si un crossing-over survient entre les deux loci lors d’une méiose chez n’importe lequel des membres de cette famille, il y aura recombinaison et l’allèle A sera lié à l’allèle n et l’allèle B et l’allèle N.
L’étude de nombreuses familles permet de mettre en évidence les linkages et d’apprécier la distance entre les loci.
On connaît aujourd’hui de nombreux groupes de linkage autosomiques. Pour savoir par quel chromosome un groupe de linkage est porté, une expérimentation complexe est nécessaire (cf. FUSION CELLULAIRE, HOMME – caryotype).
Le chromosome X est très favorable aux études de linkage . La figure 7 montre l’état actuel de la carte chromosomique de l’X.
2. Les caractères normaux
L’hérédité des caractères morphologiques normaux, tels que la taille, la couleur des yeux, la couleur des cheveux, de même que l’hérédité de l’intelligence frappent plus particulièrement l’imagination. Pourtant, si ces caractères sont bien héréditaires, ils le sont selon un mode complexe, du fait que ce sont des caractères quantitatifs dont la distribution dans une population oscille autour d’une moyenne selon une courbe dite normale ou courbe de Gauss. Il est donc évident qu’ils ne peuvent être sous le contrôle de couples d’allèles comme, par exemple, le caractère lisse ou ridé chez le pois.
Pour la taille des individus, si elle était contrôlée par un couple d’allèles on observerait trois groupes d’individus distincts: les grands, les moyens et les petits, qui correspondraient aux trois génotypes AA, Aa et aa. Or, il n’en est rien. La taille est sous la dépendance d’un très grand nombre de gènes dont les effets additifs permettent précisément d’obtenir la distribution continue que l’on observe réellement.
Il en est de même pour la couleur des yeux qui représente une gamme de teintes très étendue. D’une façon générale, le caractère marron est dominant par rapport au caractère bleu. Même chose pour la couleur des cheveux où le caractère brun ou noir domine.
L’intelligence est, quant a elle, beaucoup plus difficile à apprécier. Mais ici encore les quotients intellectuels des individus sont distribués selon une courbe de Gauss. L’intelligence est certainement sous le contrôle d’un nombre extrêmement élevé de gènes.
Les groupes sanguins constituent des caractères normaux non visibles, mais sous un contrôle génétique très précis et relativement bien connu [cf. HÉMOTYPOLOGIE].
Après la découverte du groupe ABO par Landsteiner en 1900, puis des groupes MN et P en 1927 et Rh en 1940, les hématologistes ont découvert un nombre important de nouveaux groupes, de l’ordre d’une trentaine. Certains correspondent à des particularités immunologiques propres aux globules rouges (comme les groupes ABO, Rh, MN, Duffy, Kell, Lutheran, etc.) ou aux globules blancs [cf. HISTOCOMPATIBILITÉ ET SYSTÈME HLA]; d’autres sont liés à des structures spécifiques des protéines du sérum sanguin (comme les haptoglobines, ou bien les immunoglobulines Gm, ou encore les groupes Gc), d’autres enfin sont liés à la présence d’enzymes sériques spécifiques (phosphatases alcalines).
L’ensemble de ces groupes confère donc à chaque sérum une «personnalité» telle qu’il n’existe probablement pas au monde deux sangs identiques pour tous les groupes, sauf dans le cas des jumeaux monozygotes (c’est-à-dire issus de la séparation des deux premières cellules embryonnaires formées par un œuf unique). La connaissance des groupes sanguins a un intérêt considérable puisqu’elle autorise les transfusions.
Un cas important est celui de l’incompatibilité Rhésus. Très schématiquement, le groupe Rh est déterminé par un couple d’allèles Rh+ et Rh- de façon telle que les génotypes (Rh+ Rh+) et (Rh+ Rh-) ont un phénotype Rh+, et que le génotype (Rh- Rh-) a un phénotype Rh-. 85 p. 100 des individus sont Rh+ et 15 p. 100 sont Rh-. Or les accidents surviennent lorsqu’une femme Rh- est enceinte d’un enfant Rh+; elle fabrique alors des anticorps contre son enfant, qui provoquent une destruction des globules rouges de ce dernier, avec des conséquences très graves mais évitables par le diagnostic du groupe Rh en temps utile.
Un troisième intérêt des groupes sanguins est leur utilité dans les procès de paternité. Il faut cependant y avoir recours avec une grande prudence car on connaît maintenant des groupes rares qui peuvent bouleverser les données génétiques. On sait, par ailleurs, que l’on ne peut jamais prouver une paternité, on peut seulement prouver la non-paternité.
3. Le conseil génétique
Le généticien joue un rôle important, dans la mesure où il peut informer les familles sur le risque génétique encouru en cas de procréation.
Dans le cas des maladies chromosomiques, le conseil génétique peut se faire de manière très précise (cf. HOMME – Caryotype humain) et aussi très précoce [cf. ANTÉNATOLOGIE].
Dans le cas des maladies héréditaires proprement dites, le généticien est consulté le plus souvent dans les trois cas suivants:
– Peut-on épouser une cousine germaine? Il est certain qu’il n’est jamais «bon» d’épouser une personne apparentée. Le risque génétique est grand jusqu’à «cousin germain» (cf. chap. 1) et justifie les plus grandes réserves. Il est réel au-delà de ce degré de parenté, mais du même ordre (3 ou 4 p. 100) que le risque général pour n’importe quelle union de voir naître un enfant porteur d’une malformation congénitale, héréditaire ou non.
– Quel est le risque de récurrence après la naissance d’un premier enfant atteint d’une malformation héréditaire? En cas de maladie dominante, ce risque est de moitié, il est de un quart pour une maladie récessive (autosomique ou liée au sexe). En fait, le problème le plus difficile est souvent de savoir s’il s’agit bien d’une maladie héréditaire et non d’une tare congénitale non héréditaire due à une embryopathie, par exemple. Seule la grande expérience du généticien spécialiste permettra de résoudre le problème.
– Quel est le risque pour un sujet apparemment sain mais apparenté à un sujet taré d’avoir lui-même un enfant taré? Dans le cas d’une maladie autosomique, ce risque est nul pour une tare dominante. Il est pratiquement nul pour une tare récessive: il faudrait, en effet, que la malchance veuille que le conjoint soit également hétérozygote pour le même allèle. C’est une raison majeure pour ne pas épouser un proche si l’on a déjà, dans sa parenté, un sujet taré.
C’est dans le cas des maladies récessives liées au sexe que le problème de la procréation se pose de la façon la plus tragique, surtout dans le cas des sœurs ou des jeunes tantes maternelles d’hémophiles ou de myopathes. Elles ont en effet une chance sur deux d’être conductrices et donc un huitième de chance d’avoir un fils atteint de la maladie. Ce risque est donc très élevé.
Les spécialistes cherchent sans cesse à affiner les tests biologiques afin de mettre en évidence l’hétérozygotie chez les femmes ayant un risque théorique élevé, cela par des tests biologiques affinés. La question sera probablement bientôt résolue pour la myopathie et l’hémophilie. Elle représente un grand sujet d’espoir pour de nombreuses jeunes femmes sur lesquelles pèse le risque d’avoir un enfant atteint d’une maladie grave, souvent mortelle.
hérédité [ eredite ] n. f.
• 1538; ereditez « héritage » 1050; lat. hereditas, de heres, heredis « héritier »
I ♦ Dr.
1 ♦ Qualité d'héritier; droit de recueillir une succession. Accepter, refuser l'hérédité de qqn.
2 ♦ Caractère héréditaire; transmission par voie de succession. Hérédité de la couronne. « L'hérédité enfante la légitimité, ou la permanence » (Chateaubriand).
II ♦
1 ♦ (1821) Transmission des caractères d'un être vivant à ses descendants par l'intermédiaire des gènes. Hérédité spécifique, par laquelle deux individus d'une espèce donnée ne peuvent engendrer que des individus de la même espèce. Science de l'hérédité. ⇒ génétique. Lois de l'hérédité formulées par Mendel. Théorie chromosomique de l'hérédité (⇒ chromosome, gène; génotype, phénotype; germen, soma) . Hérédité dominante, récessive. Hérédité maternelle, paternelle. Hérédité discontinue. ⇒ atavisme. Hérédité liée au sexe (ex. l'hémophilie et le daltonisme, transmis par les femmes). Hérédité cytoplasmique : comportement des gènes portés par de l'A. D. N. non chromosomique et n'obéissant pas à la génétique mendélienne à cause de la ségrégation somatique des organelles le contenant.
2 ♦ Cour. L'ensemble des caractères, des dispositions hérités des parents, des ascendants. Une lourde hérédité, une hérédité chargée, comportant des tares physiques ou mentales. « Aussi lourde que soit l'hérédité d'un enfant » (F. Mauriac). L'hérédité alcoolique.
♢ Caractères qu'on retrouve à chaque génération dans certains milieux géographiques, sociaux. ⇒ héritage. « Hérédité paysanne et bourgeoise » (Maurois).
● hérédité nom féminin (latin hereditas, -atis, succession) Transmission des caractères génétiques des parents à leurs descendants. Ensemble des dispositions physiques ou morales transmises des parents à leurs descendants. ● hérédité (citations) nom féminin (latin hereditas, -atis, succession) Louis Jouvet Crozon, Finistère, 1887-Paris 1951 Il y a une hérédité de nous à nous-mêmes. Le Comédien désincarné Flammarion Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Nos existences sont en réalité, par l'hérédité, aussi pleines de chiffres cabalistiques, de sorts jetés, que s'il y avait vraiment des sorcières. À la recherche du temps perdu, le Côté de Guermantes Gallimard ● hérédité (expressions) nom féminin (latin hereditas, -atis, succession) Familier. Avoir une hérédité chargée, une lourde hérédité, avoir hérité des défauts majeurs de sa famille. Action en pétition d'hérédité, action en justice par laquelle une personne qui se prétend héritière réclame la reconnaissance de son droit héréditaire.
hérédité
n. f.
rI./r DR Caractère de ce qui se transmet par droit de succession (possession, charge). Le principe de l'hérédité du trône.
rII./r Transmission de certains caractères dans la reproduction des êtres vivants.
d1./d BIOL Transmission, sans modification, de certains caractères (physiques, physiologiques, etc.) non acquis (couleur des yeux), parfois pathologiques (malformations squelettiques, hémophilie, etc.), des ascendants aux descendants par la voie de la reproduction sexuée. Les lois de l'hérédité. Le problème de l'hérédité de l'acquis.
d2./d Par ext. Chez l'homme, transmission de certaines dispositions (partic. morales et psychologiques) des parents aux enfants.
— Ensemble des prédispositions (physiques, morales, mentales) héritées des parents. Une hérédité chargée: un héritage génétique présentant des tares évidentes.
d3./d Caractère particulier qui se transmet d'une génération à l'autre dans un milieu, une région, etc. Une hérédité paysanne.
⇒HÉRÉDITÉ, subst. fém.
A. — DROIT
1. Vx. Ensemble des biens qu'une personne laisse à sa mort. Synon. héritage, hoirie (vx), patrimoine, succession. Son hérédité fut partagée entre plusieurs collatéraux (Ac.). S'il y a eu partage de l'hérédité, et que la chose vendue soit échue au lot de l'un des héritiers, l'action en réméré peut être intentée contre lui pour le tout (Code civil, 1804, art. 1672, p. 306).
2. Qualité d'héritier; droit de recueillir tout ou partie des biens qu'une personne laisse à son décès. Accepter, refuser l'hérédité. Ils [les prêtres] se recrutaient par initiation ou adoption : à cette filiation spirituelle était attachée pour eux la survivance d'usufruit, l'hérédité (PROUDHON, Créat. ordre, 1843, p. 248). Une foule de grandes choses s'organiseront sous forme monastique, avec hérédité en dehors du sang (RENAN, Apôtres, 1866, p. 132).
♦ Adition d'hérédité.
♦ Pétition d'hérédité. ,,Action par laquelle une personne qui se prétend héritière fait la demande juridique d'une succession`` (BOUILLET 1859). Les dispositions des deux articles précédens auront lieu sans préjudice des actions en pétition d'hérédité (Code civil, 1804, art. 137, p. 29).
3. Transmission (des droits, des fonctions) fondée sur les liens du sang.
— Hérédité (de + subst.); hérédité (+ adj.). Hérédité de la couronne, de la pairie, du trône; hérédité en ligne directe, collatérale; hérédité royale. Sa rude polémique, en attaquant l'hérédité des honneurs, n'épargne point l'hérédité des biens (OZANAM, Philos. Dante, 1838, p. 267). Vous repoussez l'hérédité : c'est naturel, puisque vous ne reconnaissez ni la valeur juridique du mariage, ni celle de la famille, ni celle des enfants, ni celle de la paternité et de la filiation (PROUDHON, Pornocratie, 1865, p. 141) :
• 1. C'est une chose étonnante que, depuis que l'hérédité n'existe plus en droit, elle existe d'une façon terrible et étonnante en fait, avec des excès et des privilèges exorbitants, inconnus de l'Ancien Régime. (...) ce n'est plus les privilèges d'une hérédité de sang, c'est l'hérédité monstrueuse du mérite personnel, le bénéfice de la place acquise par le père.
GONCOURT, Journal, 1857, p. 321.
— Subst. + d'hérédité. Droit, loi, principe d'hérédité. De tous les modes d'hérédité, la succession linéale-agnatique, ou de mâle en mâle par ordre de primogéniture, est celui qui est le plus favorable à la perpétuité de la race, et qui préserve le mieux (...) du danger d'une domination étrangère (DESTUTT DE TR., Comment. sur Espr. des lois, 1807, p. 51).
B. — P. anal.
1. BIOLOGIE
a) Transmission aux descendants du type spécifique de l'espèce et de certains caractères individuels des ascendants. L'éducation scientifique amène à ne croire qu'à ses sens (...). On ne peut pas espérer que tous les hommes arrivent à ce degré parce que c'est là une forme de l'esprit acquise et qui ne se transmet pas par hérédité (C. BERNARD, Notes, 1860, p. 170). Le point le plus obscur pour la biologie, c'est sûrement « la structure » de la cellule (...). Il est assez probable que c'est cette ignorance presque complète de la structure cellulaire qui fait le mystère de l'hérédité (RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 92) :
• 2. Le mémoire de Mendel renferme tous les éléments essentiels — conception particulaire de l'hérédité, lois de l'hybridation, application des lois de probabilité aux phénomènes héréditaires — qui serviront de tremplin lors du développement rapide de la génétique moderne.
A. TÉTRY, L'Hérédité ds Biol., 1965, p. 838 (Encyclop. de la Pléiade).
b) GÉNÉT. Transmission, d'une génération à la suivante, des caractères et des potentialités communs à tous les membres du groupe taxinomique auquel appartient l'individu considéré (transmission liée à la constitution physico-chimique fondamentale du cytoplasme) et des traits qui singularisent cet individu à l'intérieur de son groupe (transmission s'effectuant par l'intermédiaire des gènes). Que signifie pour moi mon hérédité? Le généticien en moi dit : l'existence est un capital reçu d'autrui et ce capital est une collection de propriétés génétiques, inscrite dans une structure chromosomique (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 412). L'établissement de liens entre les protéines et les gènes a constitué le premier pas d'importance capitale dans le développement des études chimiques de l'hérédité (CHAPEVILLE, Biochimie de l'hérédité, Paris, P.U.F., 1978 [1970], p. 6) :
• 3. De même que toute cellule dérive d'une cellule préexistante, de même tout gène dérive d'un gène préexistant : les gènes portés par un individu sont donc les héritiers directs de ceux que portent son ou ses parents, et l'hérédité n'est, essentiellement, que l'expression de cette continuité génique.
J. ROSTAND ds Biol., 1965, p. XIII (Encyclop. de la Pléiade).
♦ Hérédité croisée. ,,Mode de transmission héréditaire dans lequel les filles ressemblent au père et les fils à la mère`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Si le caractère dépend d'un allèle dominant (...), il y aura hérédité croisée lors d'une union entre un père porteur du caractère (...) et une mère normale (L'HÉR. Génét. 1978, p. 124).
♦ Hérédité cytoplasmique. Transmission de caractères héréditaires qui fait intervenir des facteurs localisés dans le cytoplasme. Il y a hérédité cytoplasmique lorsque deux cellules ayant même garniture chromosomique, transmettent des caractères différents (A. TÉTRY, L'Hérédité ds Biol., 1965, p. 1040 [Encyclop. de la Pléiade]).
♦ Hérédité holandrique. ,,Transmission d'un caractère déterminé par un gène localisé sur le segment différentiel du chromosome Y`` (L'HÉR. Génét. 1978, p. 127). Le père transmet à tous ses fils son chromosome Y et partant tous les gènes qui y sont contenus (...) c'est le mode d'hérédité holandrique (A. TÉTRY, L'Hérédité ds Biol., 1965, p. 1066 [Encyclop. de la Pléiade]).
♦ Hérédité mendélienne. ,,Transmission héréditaire des caractères déterminés par les gènes, selon les lois établies par Mendel`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Vous voudriez être aimée pour les traits de votre visage, c'est-à-dire pour la position dans l'espace de molécules albuminoïdes et graisseuses placées là par l'effet de quelque hérédité mendélienne (MAUROIS, Silences Bramble, 1918, p. 128).
♦ Loi d'hérédité spécifique. Loi selon laquelle les ascendants d'une espèce ne peuvent engendrer que des descendants de la même espèce. La loi d'hérédité spécifique est absolue (...) : jamais un être ne donne naissance à un être qui ne soit pas de son espèce (J. ROSTAND, L'Hérédité humaine, Paris, P.U.F., 1975 [1952], p. 8).
♦ Théorie chromosomique de l'hérédité. ,,Théorie selon laquelle les chromosomes portent les particules élémentaires (gènes) qui déterminent les caractères héréditaires`` (Méd. Biol. t. 3, 1972). La théorie chromosomique de l'hérédité veut que chaque chromosome soit constitué par un ensemble de particules dont chacune a son rôle propre et qu'on désigne sous le nom de gènes (J. ROSTAND, L'Hérédité humaine, Paris, P.U.F., 1975 [1952]p. 23). La théorie chromosomique de l'hérédité rend compte de trop nombreux croisements pour ne pas exprimer la réalité; les gènes renfermés dans les chromosomes représentent l'unité constitutionnelle du génotype déterminant un caractère héréditaire (A. TÉTRY, L'Hérédité ds Biol., 1965, p. 852 [Encyclop. de la Pléiade]).
♦ Hérédité des caractères acquis. ,,Théorie selon laquelle toutes les modifications subies par l'organisme durant son existence, s'inscrivent dans les cellules, et sont transmissibles aux générations suivantes`` (Biol. t. 2 1970). Les lamarckiens ont affirmé successivement l'hérédité des mutilations, de l'immunité acquise, des réflexes acquis. Tout cela est aujourd'hui reconnu inexact (...). Le lamarckien viennois Kammerer, dont les expériences furent classiquement invoquées en faveur de l'hérédité acquise, s'est suicidé après avoir reconnu la fraude dont il avait été victime (J. ROSTAND, État présent du transformisme, Paris, Stock, 1931, p. 91). Étudiant le développement des ferments et des levures et leur accoutumance aux toxiques, il avait entrevu l'hérédité des caractères acquis (BARIÉTY, COURY, Hist. méd., 1963, p. 728).
SYNT. Hérédité biologique, continue, corporelle, dominante, hétérologue, homologue, humaine, individuelle, normale, pathologique, psychique, raciale, récessive, spéciale; hérédité des aptitudes, du cancer, de l'intelligence, des tares, de la tuberculose; lois, principes, phénomènes, règles de l'hérédité; étude de l'hérédité; science de l'hérédité; hérédité liée au sexe.
2. Cour. Transmission de certains caractères physiques, moraux et intellectuels des ascendants aux descendants; ensemble des caractères organiques (héréditaires et congénitaux), des aptitudes psychologiques et morales qu'un individu tient de ses géniteurs et du milieu dans lequel il a été élevé. En songeant (...) que, grâce aux terribles lois de l'hérédité, il est moi par mille choses, par son sang et par sa chair, et qu'il a jusqu'aux mêmes germes de maladies, aux mêmes ferments de passions (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Fils, 1882, p. 324). Les instincts, les sensations, les penchants légués par l'hérédité se réveillent, se déterminent, s'imposent avec une impérieuse assurance (HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 239). Des caresses de sa volupté elle n'avait jamais éprouvé nul plaisir : elle était froide de nature, puisque jeune fille, et froide d'hérédité, (...) son père et sa mère étaient froids. Ainsi, en quelque sorte, elle tenait son amour suspendu (MONTHERL., Démon bien, 1937, p. 1245) :
• 4. Pour l'homme de la rue, l'hérédité est la ressemblance entre le procréateur et le procréé. Dès la naissance d'un enfant, on cherche les traits communs du nouveau-né avec son père, sa mère, ses grands parents (...) pendant longtemps, l'hérédité fut comprise comme une force mystérieuse, aveugle, insoumise à toutes lois, dispersant sans aucune règle les ressemblances et les dissemblances.
A. TÉTRY, L'Hérédité ds Biol., 1965, p. 833 [Encyclop. de la Pléiade].
♦ Hérédité chargée, lourde, morbide. Patrimoine héréditaire comportant de nombreux caractères morbides (physiques et/ou moraux). Il y a pis que les déformations accidentelles! Cette enfance pèche par mille stigmates de dégénérescence. Voici la petite Doré atteinte de strabisme et vingt autres, victimes de la même hérédité alcoolique (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p. 141). Quelle hérédité morbide dans le teint blafard du cou, dans les gencives déjà molles et bossuées de la bouche entr'ouverte (R. BAZIN, Blé, 1907, p. 240). Et l'alcool, qu'est-ce que vous en faites, de l'alcool? Oh! pas celui que vous avez bu (...). Celui qu'on a bu pour vous, bien avant que vous ne veniez au monde. (...) je sais parfaitement que l'hérédité pèse lourd sur des épaules comme les miennes, mais ce mot d'alcoolisme est dur à entendre (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p. 1092).
— P. ext. Hérédité de + subst.; hérédité + adj. Ensemble des traits caractéristiques attribués traditionnellement à un groupe social, géographique, religieux, et qui semble se transmettre de génération en génération. Hérédité aristocratique, campagnarde, religieuse. Vous êtes surtout victime de (...) votre hérédité protestante qui vous a habitué à ne chercher qu'en vous-même la règle de vos actions (CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1914, p. 220). C'est très fort, cette hérédité paysanne et bourgeoise qui est celle de tant de familles françaises (MAUROIS, Climats, 1928, p. 163).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1050 plur. ereditez « ensemble de biens qu'une personne laisse en mourant » (Alexis, éd. Chr. Storey, 401); début XIIe s. sing. heredité (Ps. Oxford, éd. Fr. Michel, 60, 5); 2. 1538 « qualité d'héritier; droit de recueillir un héritage en totalité ou partie » (EST.); 3. 1690 « mode de transmission des droits par les liens du sang » (FUR.); 4. 1821 biol. (J. DE MAISTRE, Soirées de Saint-Pétersbourg, t. 1, p. 79). Empr. au lat. hereditas « ce dont on hérite, succession », dér. de heres, heredis, v. hoir. Fréq. abs. littér. : 683. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 598, b) 531; XXe s. : a) 1 851, b) 995. Bbg. QUEM. DDL t. 8.
hérédité [eʀedite] n. f.
ÉTYM. 1050, ereditez « héritage »; lat. hereditas, de heres, edis. → Héritier.
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I Dr.
1 Vx. L'ensemble des biens qu'une personne laisse en mourant. ⇒ Héritage, patrimoine, succession.
1 La loi des Saxons veut que le père et la mère laissent leur hérédité à leur fils (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XVIII, XXII.
2 La pension alimentaire (de l'époux survivant) est prélevée sur l'hérédité (de l'époux prédécédé). Elle est supportée par tous les héritiers (…)
Code civil, art. 205 (→ Aliment, cit. 3).
2 (1538). Qualité d'héritier; droit de recueillir une succession. || Accepter, refuser l'hérédité. — Pétition d'hérédité : action intentée par l'héritier pour revendiquer la succession contre toute personne qui se prétend elle-même héritière. ⇒ Pétitoire (action).
3 (…) l'article de cette ancienne loi qui ôte toute hérédité aux filles en terre salique (…)
Voltaire, Essai sur les mœurs, LXXV.
3 (1690). Caractère héréditaire; transmission par voie de succession. || Hérédité de la couronne. || Dérogation (cit. 2) aux lois d'hérédité. || Hérédité et vénalité des offices sous l'Ancien Régime.
4 L'hérédité des fiefs et l'établissement général des arrière-fiefs éteignirent le gouvernement politique, et formèrent le gouvernement féodal.
Montesquieu, l'Esprit des lois, XXXI, XXXII.
5 L'hérédité de la couronne prévient les troubles, mais elle amène la servitude (…)
Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, XIV.
6 L'hérédité enfante la légitimité, ou la permanence, ou la durée.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. VI, p. 311.
7 Malgré l'admirable discours de monsieur Royer-Collard, l'hérédité de la pairie et ses majorats tombèrent sous les pasquinades d'un homme qui se vantait d'avoir adroitement disputé quelques têtes au bourreau, mais qui tuait maladroitement de grandes institutions.
Balzac, la Duchesse de Langeais, Pl., t. V, p. 152.
4 Cour. Transmission de caractères individuels, physiques ou mentaux, des parents à leurs enfants, dans l'espèce humaine. ⇒ Parenté, ressemblance. || Part du père et de la mère dans l'hérédité. || Hérédité maternelle, paternelle. || Croisement (cit. 5) d'hérédités. || Hérédité directe ou continue, par laquelle un caractère dominant (« gène dominant ») se manifeste à chaque génération. || Hérédité discontinue, dite ancestrale ou « en retour », par laquelle un caractère récessif (« gène récessif ») apparaît à certaines générations. ⇒ Atavisme (cit. 0.1). || Hérédité des maladies, des « terrains ». ⇒ Maladie, tare (héréditaire). || Hérédité liée au sexe (ex. : l'hémophilie transmise par les femmes exclusivement).
8 Ma famille maternelle de Lannion, du côté de laquelle vient mon tempérament, a offert beaucoup de cas de longévité; mais des troubles persistants me portent à croire que l'hérédité sera dérangée en ce qui me concerne.
Renan, Souvenirs d'enfance…, VI, V.
9 À cet instant, il était irresponsable; il cédait à des influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang : il subissait la loi d'hérédité de toute une famille, de toute une race.
Loti, Mon frère Yves, LXXIX.
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II Biol. (Pour tous les êtres vivants).
1 (1821, in T. L. F.). Transmission des caractères d'un être vivant à ses descendants (→ Matériel, cit. 15, F. Jacob). || Hérédité spécifique, raciale : transmission rigoureuse des caractères spécifiques, raciaux, par laquelle des individus (ou un individu hermaphrodite) d'une espèce, d'une race donnée ne peuvent engendrer que des individus de la même espèce, de la même race (⇒ Espèce, lignée). || Hérédité individuelle : transmission de certains caractères individuels des parents à leurs descendants. || Science, lois de l'hérédité. ⇒ Génétique (cit. 2). || Étude des lois de l'hérédité par l'hybridation. || Lois de l'hérédité formulées par Mendel. ⇒ Mendélisme; mutation, mutationnisme. || Hérédité mendélienne. || Hérédité « extra chromosomique », concernant certains organites cellulaires ou certaines bactéries. || Théorie chromosomique de l'hérédité. ⇒ Chromosome, gène. || Hérédité et milieu. ⇒ Génotype, phénotype. || Hérédité et mutations. || Théorie transformiste de Lamarck basée sur l'hérédité des caractères acquis. || Loi de Weismann niant l'hérédité des caractères acquis (⇒ 1. Soma; → Germen, cit. 2).
10 (…) certaines influences, comme celle de l'alcool, peuvent s'exercer à la fois sur l'être vivant et sur le plasma germinatif dont il est détenteur. En pareil cas, il y a hérédité d'une tare, et tout se passe comme si le soma du parent avait agi sur son germen (…)
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 83.
11 Il est toujours téméraire d'expliquer un caractère par l'hérédité. Tel trait d'un ancêtre reparaît soudain à la quinzième génération. Tel homme de talent a des enfants médiocres. Tel ménage de notaire produit Voltaire.
A. Maurois, Lélia, I, I.
12 (…) il s'en faut que l'hérédité soit seulement spécifique ou raciale; elle est aussi individuelle, en ce sens qu'elle porte sur des caractères, sur des traits, propres à certains individus; et cela non plus, il n'est pas besoin d'être biologiste pour le savoir. C'est même, en général, à cette sorte d'hérédité que pense le profane lorsqu'il parle d'hérédité humaine. Ressemblance des enfants avec les ascendants, soit avec la mère ou le père, soit avec les grands-parents, soit avec les collatéraux, etc.
Jean Rostand, l'Hérédité humaine, p. 8.
13 (…) quand un individu est modifié par le milieu, son patrimoine héréditaire est-il, lui aussi, modifié, et dans le même sens ? C'est la grande question, si souvent débattue en biologie, de la transmissibilité des caractères acquis ou, plus brièvement, de l'hérédité de l'acquis (…) la biologie peut invoquer, contre la transmission des caractères acquis, une foule d'expériences qui, instituées en vue de mettre en évidence un tel mode d'hérédité, n'ont abouti qu'à des résultats entièrement négatifs.
Jean Rostand, l'Hérédité humaine, p. 109-111.
14 (…) l'indépendance du germen par rapport au soma n'est plus admissible aujourd'hui, aussi bien du point de vue embryologique que du point de vue physiologique. Le fait que des vers privés largement de tout leur germen arrivent à le reconstruire tout à fait normalement suffit à démontrer que Weismann s'est trompé. Dans ces conditions, on ne peut plus affirmer a priori que l'hérédité de l'acquis soit impossible (…)
Jules Carles, le Transformisme, p. 72.
2 Cour. L'ensemble des caractères, des dispositions, des aptitudes, etc. « hérités » par une personne de ses parents, de ses aïeux; le « patrimoine héréditaire ». || Les réserves obscures de l'hérédité (→ Épargne, cit. 16). || Une lourde hérédité, une hérédité chargée : un patrimoine héréditaire comportant des tares physiques ou mentales.
15 Aussi lourde que soit l'hérédité d'un enfant, aussi redoutables que soient les passions dont il apportait le germe en naissant (…)
F. Mauriac, l'Éducation des filles.
16 (…) Enfin puisque vous avez examiné Philippe vous savez que c'était un malade ! — Pas tout à fait, dit le médecin en souriant. Il avait certainement une hérédité chargée. Du côté de son père, ajouta-t-il (…)
Sartre, le Sursis, p. 118.
♦ Caractères qu'on retrouve à chaque génération dans certains milieux (géographiques, sociaux…), avec autant de constance que s'ils étaient héréditaires. ⇒ Héritage. || Hérédité paysanne, provinciale, étrangère.
17 (…) des hérédités religieuses, qui sommeillaient au tréfonds de lui-même, l'emplissent à présent d'une soumission et d'un respect inattendus (…)
Loti, Ramuntcho, II, XIII.
18 (…) c'est très fort, cette hérédité paysanne et bourgeoise qui est celle de tant de familles françaises (…)
A. Maurois, Climats, II, III.
Encyclopédie Universelle. 2012.