ISLANDE
Vers l’an 872, le Nord dépêche dans une île lointaine les plus entreprenants des siens, toute une élite qui, une fois installée, s’organise en société originale, politiquement en avance sur son temps de plusieurs siècles. Ces explorateurs – ici commence la saga – sont aussi poètes, historiens et prosateurs, et, dès qu’ils sont mis par l’Église en mesure de le faire, il consignent par écrit toutes les grandes traditions gnomiques, mythiques et héroïques de leurs ancêtres proches ou lointains, développent et poussent à sa perfection un type d’écriture servi par une vision du monde et de l’homme, et par une langue qui ne changeront guère pendant un millénaire. Qui plus est, ils sauvent de l’oubli, ce faisant, ce que la Germanie (peut-être) et le Nord (à coup sûr) avaient de plus précieux. Tel est ce que Maurice Gravier a justement appelé le «miracle islandais» pendant trois siècles au moins (du XIIe au XIVe siècle), l’une des productions littéraires les plus remarquables de tout le Moyen Âge, les plus injustement méconnues aussi en France; un style poétique qui fait songer aux recherches les plus modernes; un coup d’œil historique qu’on ne redécouvrira qu’à la fin du XIXe siècle; chez les prosateurs, une technique du «regard froid» que Flaubert, sinon Robbe-Grillet, n’aurait pas désavouée, un art de la litote et une science du rendu elliptique, du sous-entendu, de la formule explosive qui gardent, à sept ou huit siècles de distance, une surprenante actualité.
Mais la médaille a son revers. Passé l’«ère de la grandeur», au cours de la longue nuit qui succède à la chute de la République (1264) et même depuis la restauration de l’indépendance (1918), les Islandais sont restés envoûtés par la réussite exceptionnelle, la manière inimitable de leur Moyen Âge. Non que les talents leurs aient fait défaut ou que l’ouverture à l’étranger, l’un des traits caractéristiques de ce peuple, ait cessé en Islande. Mais sur les plus belles œuvres planent les ombres gigantesques d’Egill Skallagrimsson, de Snorri Sturluson ou d’Ari le Savant.
Aussi doit-on faire un double effort pour rendre justice à une littérature d’une fécondité et d’une qualité sans exemple, pour un pays qui n’a jamais compté plus de 200 000 habitants: admettre, d’une part, notre ignorance et s’initier de plus près à ces chefs-d’œuvre que sont les Eddas , les sagas, le Heimskringla ; comprendre, d’autre part, que la qualité de cette littérature, à l’âge moderne, tient aux tentatives courageuses pour résoudre un grave dilemme: demeurer dignes de l’héritage des prestigieux ancêtres, et pourtant essayer de dégager une note personnelle de cette emprise, dans une Islande redevenue indépendante et prospère.
L’histoire
Le Moyen Âge
L’Islande est une île de 103 000 kilomètres carrés, située au nord de l’Atlantique, près de l’océan Arctique. Elle est constituée par un plateau dont l’altitude dépasse souvent 500 m et dont le centre est recouvert de glaciers, de champs de lave et de sables volcaniques. Un volcanisme récent et actuel se manifeste par l’existence de volcans encore en activité (Hekla, 1 447 m), des geysers et des sources chaudes. Sauf au sud, les côtes sont profondément entaillées par des fjords. Le climat, moins rigoureux que la latitude ne le ferait attendre, est tempéré à l’ouest, au sud et à l’est par des influences océaniques.
L’Islande ne semble pas avoir été connue de l’Antiquité. Il n’est guère probable, en effet, que ce soit la «Thulé» de Pythéas. Sa découverte fut le fait de moines irlandais du VIIIe siècle à la recherche d’îles désertes pour y mener une vie érémitique. Elle est mentionnée pour la première fois vers 825 par le géographe irlandais Dicuil. Ces clercs celtiques fréquentaient encore l’île quand les premiers Scandinaves y arrivèrent; quelques toponymes rappellent leur séjour dans le Sud-Est.
Les sources du XIIe siècle, seules précises, attribuent à un Suédois établi au Danemark le premier voyage en Islande; le navigateur aurait été détourné par une tempête alors qu’il se rendait aux Hébrides. Mais ce furent des Norvégiens qui explorèrent et colonisèrent le pays. Le premier hivernage aurait eu lieu en 865, et le peuplement commença vers 870, à peu près sur le site actuel de Reykjavik. L’Islande offrait aux Norvégiens une terre absolument vide, riche en pâturages et en pêcheries, et relativement peu froide, malgré sa latitude. La culture n’y était guère possible. Cependant, les premiers colons firent des récits enthousiastes; ils suscitèrent un fort mouvement d’immigration.
Les pionniers furent surtout des chefs de la Norvège occidentale, qui supportaient mal les premiers progrès du pouvoir royal; ils vinrent accompagnés de vastes clientèles et de nombreux esclaves; une très petite minorité danoise les rejoignit. Plusieurs avaient d’abord «fait métier» de Viking, dans les îles Britanniques et en ramenaient de nombreux Celtes, dont la trace anthropologique reste reconnaissable. Le souvenir des premiers établissements a été conservé par un précieux recueil compilé vers la fin du XIIe siècle, la Landnámabók (Livre de la colonisation ): il énumère plus de mille immigrants, venus entre 880 et 930 environ, dont quatre cents chefs; leurs descendants ont dominé toute l’histoire islandaise jusqu’au XIVe siècle.
Peu après la fin de la migration, l’Islande donna à son tour naissance à une colonie: le Groenland. Aperçu pour la première fois vers 900, il fut peuplé à partir de 985 par un banni, Erik le Rouge. Les relations des deux pays furent toujours matériellement difficiles et le Groenland se comporta en État indépendant. Mais c’est par l’intermédiaire de l’Islande qu’ont été conservées les traditions très riches relatives à sa colonisation et à la découverte du Vinland, en Amérique.
On estime, de manière assez hypothétique, que l’Islande médiévale pouvait compter de 30 000 à 40 000 habitants, et le Groenland de 3 000 à 4 000 colons nordiques. Ce peuplement relativement considérable s’explique si l’on note que, pour l’essentiel, il s’effectua durant la période d’accalmie succédant au premier mouvement des Vikings.
L’État libre
De ses origines, la société islandaise garda à travers le Moyen Âge un caractère très original: empreinte aristocratique prononcée, individualisme ombrageux des chefs, méfiance envers toute autorité politique, surtout celle qui viendrait de la mère patrie. Les colons, d’abord indépendants les uns des autres, se regroupèrent autour de chefs de canton, de nature surtout religieuse (godhi ), puis finirent par constituer vers 930 un embryon d’État républicain. Il fut dirigé par une assemblée plénière des hommes libres, l’Althing , siégeant annuellement en plein air dans le site majestueux de Þingvellir («plaines de l’assemblée»), au sud-ouest de l’île. Mais l’État organisé par la loi dite d’Ulfljot fut très imparfait: il ne comportait aucune organisation militaire, financière ou administrative, ni même un véritable pouvoir exécutif. Son chef nominal, l’«homme qui dit la loi» (lögsögumadhr ), n’était qu’un expert juridique, tout au plus un arbitre. Plusieurs réformes partielles ne réussirent jamais à donner à ce système une réelle efficacité.
Sur le plan économique également, l’île occupe une place à part dans le monde médiéval. Uniquement agricole, sauf un faible appoint provenant de la pêche, son économie était cependant incapable de faire face à plusieurs besoins vitaux: les céréales et le bois durent toujours être importés, de Norvège le plus souvent. De tout le Moyen Âge, il n’y eut jamais ni villes ni villages; le commerce et l’artisanat restèrent cantonnés dans le cadre de fermes se suffisant à peu près à elles-mêmes. Les minces ressources d’un élevage transhumant de bovins, de chevaux et de moutons n’autorisaient presque aucune exportation. La monnaie restait inconnue. Tout cela fixait à l’indépendance de l’île des limites assez étroites.
La véritable grandeur historique de l’Islande médiévale est d’ordre intellectuel. La réussite en ce domaine fut extraordinaire, paradoxale, mettant l’île polaire au premier rang du monde occidental. Au rebours de presque toute la chrétienté latine, l’Islande s’exprima toujours dans sa langue nationale, une variété de nordique occidental qui n’a guère évolué depuis le XIIe siècle. Cela ne l’empêcha pas de suivre de près la production du reste de l’Europe, surtout quand le principal foyer littéraire se fixa, avec Saemundr Sifgússon, le Savant, ancien élève des écoles de Paris, à la ferme d’Oddi, dans le Sud-Ouest.
Le fait majeur de l’histoire de l’Islande libre fut la conversion au christianisme. Les premiers missionnaires apparurent vers 980; en 999 ou 1000, les incitations du roi de Norvège Olaf Tryggvason décidèrent l’Althing à adopter officiellement le nouveau culte. Bien des pratiques païennes restèrent longtemps tolérées, comme les sacrifices privés ou les expositions d’enfants. L’Église ne s’enracina vraiment que lorsqu’un Islandais, Isleif Gissurarson, eut reçu à Brême en 1056 la consécration épiscopale. Après 1108, l’île fut divisée en deux diocèses, Hólar et Skálholt, et environ trois cents paroisses. Son clergé ne participa que de loin à la vie générale de l’Église catholique, et, par exemple, n’adopta jamais réellement le célibat; mais il fut le guide intellectuel et souvent aussi politique de la population. Le monachisme fut introduit en 1133, et compta au XIVe siècle une dizaine de maisons. Sous l’influence chrétienne, l’esclavage disparut vers 1100.
Le XIIIe siècle fut un temps de troubles. Les grandes familles, surtout celle des Sturlungar, dans l’Ouest, armant des bandes de paysans pauvres, se lancèrent dans des vendettas sans fin que la procédurière justice islandaise ne put apaiser. Ces divisions favorisèrent l’intervention des rois de Norvège. Håkon IV Håkonsson (1217-1263) se fit de plus en plus pressant; l’Église appuya ses revendications, que la situation économique rendait irrésistibles. Entre 1262 et 1264, les différentes parties de l’île acceptèrent de se soumettre à la couronne de Norvège.
L’Islande norvégienne
Le Vieux Pacte (gamli sáttmáli ) de 1264, qui régla cette soumission, laissait en principe à l’Islande son autonomie interne et son Althing. Mais les gouverneurs royaux, maîtres du commerce extérieur, et donc de la survie économique de l’île, la mirent en coupe réglée. Ce furent d’abord des Norvégiens, puis des Danois, ou même des Allemands au temps de l’Union dano-norvégienne. Les évêques, eux aussi étrangers, ne témoignèrent plus envers leurs ouailles que d’un intérêt fiscal.
La conscience nationale islandaise a gardé un souvenir amer de cette période de décadence où le pays sombra dans la misère. Le gouvernement royal ne tint pas ses engagements économiques: incapable de ravitailler régulièrement les Islandais, il laissa agir des marins allemands ou anglais, plus qu’à demi pirates, qui multiplièrent les violences. À la fin du XVe siècle, le commerce étranger fut autorisé.
Durant cette période, la société évolua peu. Elle resta purement rurale et aristocratique, sans connaître ni féodalité ni noblesse. Elle devint donc fort différente de la société scandinave du continent, et prit une teinte prononcée d’archaïsme. Si la pêche se développa, elle n’enrichit guère la population, faute de marchés proches, et la situation des pauvres, soumis depuis le début du XVe siècle à une sorte de travail obligatoire, devint préoccupante. De graves épidémies en 1402-1404 et 1494, des éruptions de l’Hekla, jointes à une détérioration probable des conditions climatiques, font de la fin du Moyen Âge une époque assez noire.
Les Temps modernes
La tutelle danoise
Au début du XVIe siècle, la monarchie dano-norvégienne, besogneuse, tenta d’hypothéquer ou de vendre l’Islande à l’Angleterre. Christian Ier (1426-1481) avait accordé aux marchands allemands le droit de commercer directement avec l’île, à condition de n’y pas stationner au-delà de l’hiver; les échanges ne cessèrent de croître au détriment des Hanséates de Bergen. Christian II (1481-1559) voulut chasser les Wendes d’Islande, mais il fut renversé, et l’activité commerciale islandaise de Hambourg culmina en 1530. Christian III (1503-1559) prit des mesures pour réserver la pêche et le commerce à ses nationaux, et à dater de 1560, les marchands danois se mirent à entretenir eux-mêmes des relations régulières avec l’Islande. Vers 1575, le monopole germanique d’Islande fut brisé; pourtant, des Allemands y vinrent encore jusqu’à l’interdiction absolue de 1601. Contrebandiers et pirates continuèrent néanmoins de hanter ces parages.
La Réforme fut imposée par les Danois au moment le plus sombre de la vie sociale et culturelle. Le dernier évêque catholique, l’énergique Jón Arason, tenta de résister à Christian III, mais il fut exécuté; les Danois implantèrent le luthéranisme à Skálholt (1551). Cependant, la traduction islandaise de la Bible ne parut qu’en 1584, et l’activité missionnaire de Palladius ne porta ses fruits qu’ultérieurement. Au point de vue économique, l’adhésion à la Réforme permit à la monarchie de séculariser les biens monastiques et une partie des terres épiscopales (un cinquième des terres exploitées de l’île) et le roi acquit une part de la dîme épiscopale. Christian IV (1577-1648), mercantiliste, attribua à Copenhague, Malmö et Elseneur le monopole du commerce d’Islande (20 avr. 1602). D’autres compagnies maintinrent par la suite l’exclusif danois jusqu’en 1787, qui fut onéreux et désavantageux pour les Islandais, les marchands du continent restant maîtres des prix.
Depuis 1537, l’Islande, jusque-là tributaire de la Norvège, était uniquement administrée par les Danois; elle reçut, en 1572, un gouverneur particulier, membre du Rigsråd danois, comme un pays vassal de la Couronne. L’absolutisme instauré en Danemark-Norvège, en 1660-1665, fut imposé à l’Islande, et l’ancien Althing eut tendance au siècle suivant à n’être plus qu’un tribunal, avant d’être supprimé en 1800 et remplacé par une cour d’appel établie à Reykjavik.
Le XVIIIe siècle fut pour l’île l’ère des épreuves. Déjà la fin du XVIIe siècle avait connu les redoutables hivers de 1695-1696; l’épidémie de variole de 1707 fit périr 18 000 personnes sur une population de 50 000 habitants. Les paysans, petits locataires à bail révocable, de plus en plus endettés, n’étaient plus guère en mesure de pratiquer l’élevage, tandis que s’alourdissaient les taxes et impôts perçus par les syslumenn (économes d’État).
Frédéric V (1746-1766) comprit que s’imposait une politique de relèvement de cette Islande que nous connaissons bien par ailleurs, grâce à la volumineuse description d’Olafsen et de Povelsen. L’apôtre des réformes, le bailli royal Skuli Magnússon (1711-1794), s’efforça de promouvoir l’agriculture, l’élevage et la pêche, et développa les filatures, le tissage, les teintures, avec la collaboration d’ouvriers allemands. Mais les résultats furent décevants en raison de la résistance des marchands attachés au monopole danois. Le juriste Jón Eiríksson, conseiller royal pour les affaires d’Islande, tenta à son tour, de 1771 à 1787, de développer l’agriculture en améliorant les moyens de transport et les routes, et d’augmenter les impôts. Ces mesures furent mises en échec par une série de catastrophes naturelles, éruptions volcaniques et séismes, qui firent plus de 10 000 victimes entre 1783 et 1786. Ce n’est qu’en 1823 que l’île retrouva ses 50 000 habitants de 1707. Néanmoins, avec l’abolition du monopole des compagnies, le commerce prospéra à la fin du siècle, et les récoltes s’améliorèrent.
De l’autonomie à l’indépendance
La paix de Kiel (1814), qui sépara la Norvège du Danemark pour la rattacher à la Suède, ne changea pas le statut de l’île qui resta possession danoise. En 1845, Christian VIII rétablit l’Althing dans son rôle d’assemblée consultative siégeant à Reykjavik. Bien que dès 1855 tous les étrangers fussent admis à commercer dans l’île, le statut politique et administratif de l’Islande ne progressa qu’après 1874. Une constitution fut alors accordée au pays, à la demande des autonomistes dirigés par Jón Sigurdsson. Elle reconnaissait l’exercice du pouvoir législatif à l’Althing conjointement avec le roi de Danemark, et un ministre pour l’Islande, résidant à Copenhague, fut nommé. Pourtant, le statut de l’Islande fut encore contesté par les insulaires, tandis que de mauvaises conditions climatiques portaient préjudice au pays dans les années 1890, entraînant l’émigration vers le Canada. L’autonomie fut obtenue en 1904, avec un régime parlementaire, les ministres étant responsables devant l’Althing. En même temps, les progrès culturels en cours se traduisaient par la fondation, en 1911, de l’Université d’Islande.
L’acte d’Union de 1918, conclu pour vingt-cinq ans, fut une nouvelle étape vers l’indépendance. Accepté par une large majorité plébiscitaire, il ne laissait subsister que le lien personnel de la monarchie entre les deux États souverains. Le Danemark conservait cependant la responsabilité des Affaires étrangères, des Finances et de la Cour suprême. Il était prévu qu’après 1940, le Parlement danois et l’Althing islandais pourraient demander la révision du traité de 1918.
L’occupation allemande du Danemark, en avril 1940, laissa l’Islande seule face aux événements. Le 10 avril, à l’unanimité, l’Althing déclara le roi incapable d’exercer ses pouvoirs selon la Constitution, prit la responsabilité du gouvernement, et, en mai, élut un régent.
L’importance stratégique de l’île en faisait un enjeu entre les belligérants. Le 10 mai 1940, les Britanniques y débarquaient pour laisser la place aux Américains, en juillet 1941. Dès le 17 mai 1942, l’Althing avait déclaré la séparation complète avec le Danemark, annulant le traité de 1918, et affirmé son désir de voir établir la république en Islande. La résolution de l’Assemblée islandaise du 25 février 1944 entérina cette volonté, confirmée par un plébiscite voté à près de 98 p. 100. La Constitution républicaine fut également acceptée par un vote populaire, et le 17 juin 1944, l’Islande devint une république indépendante.
L’Islande indépendante
Entre deux mondes
En octobre 1945, les États-Unis posèrent la question de la présence de bases aériennes dans l’île. Elle fut finalement réglée par l’entrée de l’Islande à l’O.T.A.N. (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), le 30 mars 1949. La base de Keflavik, occupée par près de 5 000 hommes, est le signe manifeste de la participation islandaise à la défense occidentale (accord américano-islandais du 5 mai 1951). En mars 1956, l’Althing adopta une résolution demandant le retrait des forces américaines, mais le Conseil de l’O.T.A.N., saisi par l’Islande, conclut en juillet à la nécessité de la présence des troupes des États-Unis, en raison des dangers que présentait la situation internationale.
Cependant, l’aversion des Islandais à l’égard de cette occupation étrangère reste vive. Ils s’élèvent contre l’emprise économique de Washington qui contribue à l’inflation, tandis que la pêche se modernise et que des stations hydro-électriques sont construites. Les patriotes islandais redoutent la disparition de leur ancienne civilisation devant l’invasion du modernisme américain. En 1948, l’Islande, membre de l’O.C.D.E. (Organisation de coopération et de développement économiques), l’est également du Conseil nordique. L’extension à douze milles des eaux territoriales entraîne des différends au sujet des pêcheries avec la Grande-Bretagne (1958-1961). L’U.R.S.S. en profite pour prendre la place du Royaume-Uni dans l’importation du poisson qu’elle échange contre du pétrole et des céréales. En mars 1962, l’Islande conclut un accord de coopération avec les pays scandinaves en matière culturelle. La tendance au neutralisme semble ainsi s’accentuer, tant au point de vue politique que du point de vue économique.
Une démocratie efficace
Deux cent mille habitants, d’une même souche ethnique, ont forgé une démocratie modèle. Quatre grands partis se partagent l’opinion: le Parti de l’indépendance, libéral de droite, le Parti progressiste, issu du Parti agrarien de 1916, le Parti travailliste, dans l’esprit des partis sociaux-démocrates scandinaves, le Parti communiste, depuis 1930. En novembre 1969, deux nouveaux partis se sont formés qui ne paraissent pas capables d’infléchir les courants politiques dominés depuis 1960 par le Parti de l’indépendance et le Parti travailliste, qui coopèrent au pouvoir et se sont rapprochés, aucun parti n’atteignant la majorité absolue. Le président de la République, élu au suffrage universel pour quatre ans, nomme le Premier ministre et les ministres. Il exerce le pouvoir exécutif conjointement avec le gouvernement, et selon la Constitution. En fait, il revient au Premier ministre de diriger les affaires publiques sous le contrôle du parlement, l’Alpingi .
Un sens profond de la solidarité a favorisé l’élaboration des lois sociales, surtout depuis la crise mondiale de 1929: Acte d’assurances sociales de 1936, Plan national d’assurances de 1946, entraînant un des plus bas taux de mortalité du monde, et l’enrayement de maladies endémiques comme la tuberculose. Le premier syndicat des marins et pêcheurs remonte à 1894; la Fédération islandaise du travail date de 1940, et regroupe tous les travailleurs de l’île. Les salariés de l’État et des entreprises publiques ont un statut particulier du fait que depuis 1915 ils n’ont plus le droit de grève. En 1942, ils ont formé une fédération chargée de défendre leurs intérêts dans les négociations avec l’État employeur.
Prospérité, fragilité
L’Islande, par sa superficie (103 000 km2), est la deuxième île d’Europe. Mais sa topographie et sa géologie en font un pays aux ressources agropastorales limitées. De plus, la permanence de l’activité volcanique et l’ancienneté de l’occupation humaine ont contribué à la détérioration générale des sols. 22 000 kilomètres carrés, soit le cinquième des terres seulement, ont été mis en valeur, et, de cet ensemble, la superficie agricole utile ne couvre que 1 100 kilomètres carrés.
Cela explique la modestie de la production, limitée aux pommes de terre. C’est l’élevage qui constitue la ressource principale des campagnes et permet de maintenir une part relativement importante de la population active dans ce secteur (4,9 p. 100).
L’activité agropastorale
Les pâturages occupent 20 000 kilomètres carrés, mais ont atteint leur extension maximale. Parallèlement, le développement du cheptel est aujourd’hui bloqué, car il dépend trop étroitement des conditions climatiques qui raréfient les herbages. Les ovins, destinés à l’exportation, en constituent l’essentiel. Le troupeau a connu certaines fluctuations au cours des années 1980, atteignant même 1 million de têtes en 1987. En 1992, il est en forte baisse avec seulement 487 300 têtes. Le cheptel bovin avec 76 000 têtes a, en revanche, progressé. L’élevage, cependant, couvre largement les besoins nationaux en viande et en produits laitiers. L’essentiel des ventes agricoles provient de ce secteur (en particulier le mouton). Mais, en volume, ces exportations ont connu une baisse sensible, en particulier à cause de l’abondance du mouton sur le marché européen.
Dans le même temps, l’élevage de volailles, répondant à une volonté de diversification, après avoir augmenté, est en baisse avec 179 000 unités tandis que les porcs continuent de stagner à un modeste niveau (3 500 têtes).
L’activité agropastorale est assurée par un peu plus de quatre mille fermes, presque toutes situées dans la partie méridionale et occidentale de l’île, sur les basses terres de la bordure littorale.
La prépondérance de la pêche
Mais, lorsqu’on évoque l’Islande, on lui associe rarement la silhouette du paysan. Celle du pêcheur bravant un milieu maritime difficile mais poissonneux est en revanche plus familière. Nulle part plus qu’ici le stéréotype ne semble mieux correspondre à la réalité. En 1992, la pêche a représenté 20 p. 100 du produit intérieur brut, 80 p. 100 des exportations et, avec les activités de conserverie et de traitement du poisson, a occupé 11,8 p. 100 de la population active. C’est dire si l’économie demeure, en effet, extrêmement dépendante des produits de la mer et de l’industrie de la pêche. En outre, l’Islande ne possède ni énergie fossile ni minerais. De plus, le climat et la nature du sol empêchent toute récolte digne de ce nom. Le pays doit importer un nombre considérable de produits et de matériaux et, pour une grande part, ces achats sont couverts par la pêche et ses dérivés auxquels incombe, toujours davantage, un rôle central dans la constitution du produit national brut islandais. Le palmarès de ce secteur est impressionnant. En volume, il a connu une augmentation continue depuis 1977. Le total des captures a doublé entre 1970 et 1981 et la valeur des prises, à prix courants, durant la même période, a été multipliée par cinquante. Cependant, à prix constants, la valeur des captures n’augmentait que de 5 p. 100. En effet, c’est la progression des prises de capelan qui explique l’évolution rapide de leur volume, qui s’élevait à près de 1,5 million de tonnes en 1981. Or le capelan possède une moindre valeur sur le marché, comparé au hareng ou à la morue.
En 1992, l’Islande a pêché 1,539 million de tonnes de poisson, dont 57 p. 100 de capelan, 16 p. 100 de morue et 8 p. 100 de hareng. Même si son poids relatif dans l’économie locale a diminué, en 1992, la pêche est à la base de l’activité de la plupart des villes et des villages des côtes islandaises, c’est-à-dire de la presque totalité des points de peuplement. Sans cette activité, la nation islandaise ne pourrait sans doute pas survivre. Cela explique l’extrême sensibilité du pays au problème de la délimitation de ses zones de pêche. Les seuls conflits qu’ait connus l’Islande depuis des siècles ont pour origine l’extension et la protection de ces zones. Les limites, qui étaient de 12 milles marins en 1958, ont été portées à 200 milles à la suite des innombrables différends, connus sous le nom de «guerre de la morue», qui opposèrent en particulier l’Islande à la Grande-Bretagne. Guerre politique et écologique, l’affaire des pêcheries islandaises trouva sa conclusion (provisoire?) avec l’accord, mis en place par l’intermédiaire de la C.E.E., reconnaissant le contrôle de la juridiction islandaise sur 758 000 kilomètres carrés de zones de pêche. Mais la menace d’une surexploitation des stocks marins reste pendante et l’Institut islandais de la recherche maritime doit fixer chaque année, pour chaque espèce, des quotas rigoureux de prises.
Il faut noter que cette activité, à la pointe de la modernité, est servie par une flotte de près d’un millier d’unités de tous tonnages jaugeant 90 438 tonnes de jauge brute.
Il n’en demeure pas moins vrai qu’à cause de nombreuses années de surexploitation que les autorités ont laissé faire, malgré les avertissements de l’Institut de recherches marines, l’Islande se trouve aujourd’hui confrontée à une diminution inquiétante des morues pêchables et qu’en 1992 le total admissible des captures (T.A.C.) n’a même pas pu être atteint.
Un secteur secondaire en expansion
L’Islande est aussi un pays industriel, ce que l’on tend à oublier bien souvent. L’industrie occupe en effet 23,3 p. 100 de la population active, dont 10,8 p. 100 pour la construction, et a contribué pour 13,6 p. 100 au produit national brut en 1989 (construction exclue). Faute de posséder des ressources minières, l’Islande s’est efforcée avec succès de développer sa production d’énergie hydroélectrique, en particulier grâce aux nombreux sites naturels aménageables. L’hydroélectricité (4 950 GWh) et l’énergie géothermique (1 100 GWh) représentent 95 p. 100 de la production nationale d’énergie et couvrent totalement une consommation intérieure croissante. Cette électricité à bon marché a permis le développement de la grande industrie, avec comme «fer de lance» la production d’aluminium, dont les 90 000 tonnes annuelles représentent environ 10 p. 100 des ventes du pays. Celui-ci doit certes importer la totalité de la bauxite, mais cette activité assure des recettes substantielles. Si l’on ajoute la production des cimenteries (97 000 t), des engrais, du ferro-silicium (51 000 t) et de la diatomite (20 000 t), on voit que l’Islande s’oriente lentement vers une économie plus diversifiée, susceptible dès lors de réduire sa dépendance vis-à-vis des pêcheries. L’Islande peut d’autant mieux prétendre développer son secteur industriel qu’elle a la capacité d’accueillir sur son sol des branches exigeantes en énergie; en effet, elle n’a utilisé jusqu’à aujourd’hui qu’une faible partie du potentiel disponible.
On ne saurait non plus omettre de signaler la part que le tourisme joue dans les revenus du pays. L’infrastructure hôtelière se développe et, chaque année, ce sont environ 140 000 visiteurs étrangers qui viennent, le plus souvent par la compagnie aérienne Icelandair, découvrir les impressionnants paysages islandais demeurés encore à l’état sauvage et les diverses manifestations des activités volcaniques.
Des difficultés économiques dans une société stable
Malgré ce bilan globalement positif, l’économie islandaise a longtemps souffert d’un mal profond. L’inflation y a été pendant de longues années la plus élevée de tous les pays de l’O.C.D.E., avec un taux de 44 p. 100 en 1979, puis de 54 p. 100 en 1980. Des taux d’intérêt très bas incitaient entreprises et particuliers à s’endetter. De plus, les hausses régulières de salaires nominaux alimentaient la spirale inflationniste. En 1980, un changement radical d’orientation intervenait. Il devait conduire à l’encadrement du crédit et à la hausse relative du taux d’intérêt. Le gel des prix et des salaires suivait, pendant une période de six mois. L’année 1981 était alors marquée par une légère amélioration et le retour à une plus grande stabilité. Le 1er janvier 1981 était décidée la création d’une nouvelle monnaie d’une valeur cent fois supérieure à l’ancienne couronne, totalement dévalorisée par le processus inflationniste. À la fin de 1981, et comme résultat de ces diverses mesures, le taux d’inflation retombait à 40 p. 100, un chiffre toujours considérable avec de lourdes conséquences sur la dette extérieure et sur l’équilibre de la balance des paiements. Malgré cette situation difficile, les indicateurs du niveau de vie restaient favorables. Le produit national brut par habitant était évalué à 12 410 dollars en 1980, ce qui plaçait l’Islande au treizième rang mondial, bien inférieur toutefois à celui de ses voisins. Si l’Islande n’échappait pas aux effets de la crise économique mondiale, elle parvenait cependant à maintenir un niveau de vie et de consommation envié, en consentant des hausses de salaires substantielles. Le salaire moyen augmentait de 43,5 p. 100 en moyenne annuelle entre 1975 et 1981, dépassant ainsi la hausse des prix, qui était en moyenne de 41 p. 100 par an pour la même période. L’Islande offrait de plus la rare particularité de ne posséder qu’un très faible taux de chômage, de l’ordre de 0,5 p. 100.
Société stable, l’Islande ne connaît pas de mouvements revendicatifs violents ou larvés. L’économie, en dépit de ses signes évidents de faiblesse, n’est pas asphyxiée. Le système de taxation est bien accepté par une population sécurisée dans les principaux domaines de la vie. La couverture sociale reste exemplaire, les services médicaux étant pratiquement gratuits, tandis que les diverses formes de prestations sociales ont été particulièrement majorées. Quant à l’éventail des revenus, il est très fermé. L’écart du salaire brut entre travailleurs qualifiés et non qualifiés n’excédait pas 10 000 francs annuels en 1981.
En ce qui concerne la structure de la population active, la tendance, à l’instar des pays développés, est au renforcement du secteur tertiaire, qui, en 1990, occupait 59,9 p. 100 de la population active (commerce, 14,5 p. 100; communications, 6,7 p. 100; services et autres, 38,7 p. 100). Ces branches d’activités attirent de plus en plus de personnes, surtout parmi la population féminine qui se voit garantir l’égalité d’accès et de revenus.
Avec 40 p. 100 d’habitants ayant moins de dix-huit ans, la population islandaise présente un visage très jeune, qui garantit, sans risques de grippage pour la machine économique, le renouvellement des générations. Une poussée démographique est en marche, avec un taux élevé de natalité (20 p. 1 000) et un taux de mortalité très bas (6,4 p. 1 000). La croissance annuelle de la population varie de 0,72 p. 100 (1989) à 1,51 p. 100 (1991). L’espérance de vie est de 75,08 ans pour les hommes et de 80,79 ans pour les femmes.
Au 1er décembre 1992, la population islandaise s’élevait à 262 193 habitants, ce qui correspond à une densité de 2,5 habitants au kilomètre carré. Elle est essentiellement urbaine puisqu’un peu plus de 20 000 personnes seulement vivent dans les campagnes. La capitale, Reykjavik, regroupe, avec les localités avoisinantes, 151 779 habitants, ce qui pose, bien sûr, certains problèmes pour la répartition des équipements collectifs et l’aménagement du territoire.
Politique culturelle et système d’enseignement sont exemplaires à plus d’un titre, eu égard à la richesse du pays. La scolarité est obligatoire jusqu’à quinze ans, tandis que trois universités et «collèges» assurent l’enseignement supérieur du pays.
Théâtres, cinémas et centres culturels se sont multipliés, malgré une évidente centralisation dans la capitale. Celle-ci possède trois théâtres et une douzaine de galeries d’art. Le Théâtre national, l’Opéra et l’Orchestre symphonique islandais ont atteint une réputation qui dépasse les frontières scandinaves, tout comme le cinéma, qui fait preuve d’une étonnante vitalité.
La vie culturelle est désormais intimement liée à la vie politique depuis l’élection, en 1980, à la présidence de la République d’une femme de théâtre sans étiquette politique, Vigdis Finnbogadottir.
Le microcosme islandais à l’épreuve de la crise
La chute brutale des prises de capelan se traduisait par une baisse du volume total des prises de 1,5 million de tonnes en 1981 à 800 000 tonnes en 1982 et en 1983. Dans le même temps, le déficit de la balance commerciale et la dette extérieure s’alourdissaient, en raison aussi de la situation sur les marchés internationaux. La dépréciation de la couronne entraînait un taux d’inflation supérieur à 100 p. 100 au début de 1983.
Un programme de stabilisation était mis en place dès 1983, accompagné d’une désindexation des salaires et d’une baisse du revenu réel de 12 p. 100. Mais il fallait attendre 1985 et 1986 pour que la balance commerciale se rééquilibre, notamment après que le tonnage de la pêche eut retrouvé son niveau normal. L’élément principal de cette stabilisation reste les nouvelles conditions des marchés internationaux à partir de 1986, avec la revalorisation des produits de la mer, notamment sur le marché américain, la baisse du prix du pétrole (qui représentait 15 p. 100 de la valeur totale des importations en 1985) et la réduction des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux, qui allégeait le service de la dette extérieure (de 11 p. 100 du P.N.B. en 1984 à moins de 9 p. 100 en 1986). Cette évolution favorisait en même temps le processus désinflationniste.
Toutefois, le produit national brut par habitant, bien que toujours élevé, ne dépassait pas 11 000 dollars en 1986. Avec une dette extérieure de 1,8 milliard de dollars – soit près de la moitié du P.N.B. – et dont le service représentait 20 p. 100 des exportations, la situation économique de l’Islande paraissait encore très fragile et le nouveau gouvernement ne cachait pas ses préoccupations devant de nouvelles difficultés. La première tâche du gouvernement de coalition, de la droite aux socialistes, et dirigé par un conservateur, Thorsteinn Pálsson, fut de faire accepter aux Islandais une réduction de leur niveau de vie. La seconde était la diversification des activités économiques pour rendre le pays plus indépendant du volume des pêches et des fluctuations du marché des produits de la mer.
Aux élections législatives d’avril 1987, les deux partis représentés au gouvernement – Parti de l’indépendance (droite) et Parti progressiste (centre agrarien) – enregistraient un recul sensible et perdaient, bien que de justesse, leur majorité au Parlement, ouvrant ainsi une période d’instabilité. Le principal bénéfice de ces élections revint à l’Alliance des femmes, qui doublait le nombre de ses sièges, bien que ne présentant pas de programme déterminé, ainsi qu’aux sociaux-démocrates, désormais le plus important groupe parlementaire socialiste devant l’Alliance du peuple. Un nouveau gouvernement de coalition se formait, regroupant le Parti de l’indépendance, les progressistes et les sociaux-démocrates, autour d’un programme d’intérêt national donnant toute priorité au renforcement de l’économie.
Les femmes triomphaient aussi aux élections présidentielles de juin 1988, où la présidente sortante, Vigdis Finnbogadottir, ne recueillait pas moins de 92,7 p. 100 des suffrages, devant une rivale qui n’en obtenait que 3 p. 100.
L’actualité internationale s’est tournée vers Reykjavik au mois d’octobre 1986, à l’occasion de la rencontre au sommet Reagan-Gorbatchev: ce choix ne fut pas un hasard, et la position stratégique de l’Islande – traditionnellement reconnue – est de plus en plus évidente. Au demeurant, l’Islande est résolument orientée vers l’Ouest depuis son adhésion à l’O.T.A.N. en 1949. Elle franchissait un pas supplémentaire en 1986, en créant un département de la Défense au sein de son ministère des Affaires étrangères et en décidant de participer désormais à l’état-major permanent de l’O.T.A.N. qui conserve toujours sa base à Keflavik.
Les élections de 1991 ont permis de retrouver une majorité gouvernementale au Parlement. S’appuyant sur une coalition composée du Parti de l’indépendance (26 sièges) et des sociaux-démocrates (10 sièges) et laissant dans l’opposition les progressistes (13 sièges), l’Alliance du peuple (9 sièges) et l’Alliance des femmes (5 sièges) tandis que le Parti des citoyens disparaissait, le nouveau Premier ministre David Oddsson a pu poursuivre dans un contexte difficile l’entreprise d’assainissement monétaire engagée. Il s’est efforcé de ne pas trop rogner sur le niveau de vie des Islandais qui s’élevait en 1990 à 25 235 dollars par habitant, ce qui correspond à celui des autres pays scandinaves, mais il a dû affronter une sensible augmentation du chômage (3 p. 100 de la population active en 1992) et un ralentissement de la croissance qui a été négative depuis 1988, sauf en 1991. En revanche, c’est naturellement avec la baisse de l’inflation, qui longtemps avait dépassé les 20 p. 100 et qui fut seulement de 2,4 p. 100, un record, en 1992, et avec la diminution du déficit budgétaire que les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus. Pour 1992, les estimations étaient de 103,447 milliards de couronnes pour les recettes et de 110,607 milliards pour les dépenses, soit un déficit de 7 p. 100 correspondant à 2 p. 100 du P.I.B. (368,670 milliards de couronnes). La dette extérieure, cependant, demeure lourde et représente 55 p. 100 du P.I.B., sans espoir de diminution dans l’immédiat.
En 1992, les exportations islandaises se sont élevées à 87,833 milliards de couronnes, soit 24 p. 100 du P.I.B., contre 96,895 milliards pour les importations, soit un déficit d’à peu près 10 p. 100. Concernant les exportations, après le poisson qui occupe une place prépondérante (80 p. 100), on trouve les produits métallurgiques (11 p. 100). Quant aux importations, en baisse, les biens de consommation viennent en tête (33 p. 100) devant les biens d’équipement (31 p. 100) et les produits intermédiaires (27 p. 100).
En ce qui concerne les relations commerciales de l’Islande avec ses principaux partenaires, l’essentiel est réalisé avec les pays de la Communauté européenne pour les importations et encore plus pour les exportations, mais le plus gros fournisseur du pays est la Norvège, tandis que le Royaume-Uni apparaît comme le client le plus important (tableau).
En janvier 1993, le Parlement islandais a approuvé l’accord créant l’Espace économique européen, mais l’Islande ne désire pas adhérer à l’Union européenne dont elle juge la politique en matière de pêche contraire à ses intérêts, ce qui n’empêche pas l’existence d’accords particuliers.
Malgré son isolement jusqu’ici relativement confortable, mais dans lequel un début d’intégration avec la Communauté européenne a ouvert quelques brèches, l’Islande n’échappe pas à la récession à l’orée de 1994. Elle bénéficie pour y faire face d’éléments beaucoup plus solides qu’il y a une quinzaine d’années mais, dans un avenir proche, la situation demeure préoccupante avec la baisse des ressources tirées du poisson et des produits métallurgiques, la chute du revenu national, la baisse de la consommation intérieure et la contraction des investissements. C’est pourquoi, afin de ne pas perdre les bénéfices des performances réalisées, le gouvernement avait décidé dès juin 1993 de prendre de nouvelles mesures de rigueur. Afin d’augmenter la compétitivité islandaise, handicapée par le prix de la main-d’œuvre, sur le plan international, la couronne a été dévaluée de 7,5 p. 100, et une diminution des dépenses publiques, notamment dans le domaine de la santé, des pensions et des subventions, a pour objectif de sauvegarder l’essentiel des avantages du modèle islandais au prix de quelques sacrifices.
La littérature
L’ère de la grandeur
Les Islandais n’ayant appris à écrire, aux divers sens du mot, qu’après la christianisation de leur île (999) et selon les enseignements de l’Église, il n’existe pas d’œuvre de leur main antérieure à 1100 approximativement. Et leurs premiers écrits accusent fortement l’influence de la littérature hagiographique, du style clérical dit style savant (lœr face=F3210 吝um stil ), et d’une conception du monde orientée par l’augustinisme.
Pourtant, dès le commencement, la littérature islandaise présente trois caractères originaux: elle bénéficie, presque d’emblée, d’écrivains de génie qui mènent immédiatement certains genres, histoire et récit en prose en particulier, à un point de perfection; elle est le fait d’auteurs qui, presque tous, ou bien descendent directement de Vikings célèbres (on se rappellera que, vers 1100, le phénomène viking a disparu) et, à ce titre, gardent quelque chose d’un esprit d’aventure, d’entreprise et d’ouverture, ou bien restent comme imprégnés d’une conception active, énergique, de la vie et du destin; surtout, elle possède, selon toute probabilité, une tradition orale prodigieusement riche où se mêlent non seulement les souvenirs récents des actes prestigieux des ancêtres célèbres – Norvégiens, Danois et Irlandais en majorité –, mais encore les évocations de textes anciens, religieux ou profanes, nés dans toute la Scandinavie antérieurement au IXe siècle et, de plus, partiellement, les grandes traditions sacrées ou épiques du monde germanique.
Pendant deux siècles, toute l’Islande s’est mise à écrire sur tous les sujets en usage à l’époque et, en ce qui concerne les textes eddiques et scaldiques en particulier, il est presque impossible, dans la plupart des cas, de décider s’ils ont été fidèlement retranscrits selon une tradition orale bien vivante, ou s’ils ne l’ont que partiellement été, ou même s’ils ont purement été inventés à partir de réminiscences plus ou moins vagues. Néanmoins, pour la commodité de la présentation, on a l’habitude, après avoir fait droit au rôle éminent des deux initiateurs, Ari Þorgilsson inn fró face=F3210 吝i et Saemundr Sigfússon inn fró face=F3210 吝i , de distinguer dans la production de l’Islande médiévale quatre courants, probablement successifs, mais en fait souvent parallèles: l’eddique, le scaldique, le clérical et le (para-)historique.
De Saemundr inn fró face=F3210 吝i (le Savant, le Sage; 1056-1133), dont toute l’œuvre est perdue, on ne sait rien sinon qu’il écrivit en latin une chronique des rois de Norvège, qui a dû donner le ton et servir de modèle à l’historiographie islandaise. En revanche, on est mieux renseigné sur Ari inn fró face=F3210 吝i (1067 ou 1068-1148), prêtre-chef (godhi ), qui composa, entre autres ouvrages, l’Islendingabók (Livre des Islandais ) dans lequel il raconte l’histoire de l’île, de la colonisation à ses jours, en passant par la christianisation. Par sa volonté de rigueur scientifique, étonnante pour l’époque, par sa façon d’utiliser ses sources et d’en faire la critique, surtout par son style, rapide sans sécheresse, il met au point le type d’écriture d’une littérature qui saura maintenir ses trois grandes qualités: l’objectivité, la précision, le dynamisme. Il se pourrait qu’Ari ait été aussi l’inventeur d’une œuvre unique en son genre dans la littérature mondiale, et qui connaîtra de nombreuses versions ou remaniements en Islande, le Livre de la colonisation qui relate l’installation des quatre cents premiers occupants de l’île, et dont dérive très certainement toute la littérature de sagas.
La poésie eddique
La découverte, au XVIIe siècle, d’un manuscrit datant du XIIIe siècle, le Codex regius , dont le contenu est incontestablement bien antérieur, a confirmé l’existence, chez les Islandais, d’un grand nombre de traditions remontant au paganisme pangermanique. Ces textes, anonymes, divers par l’origine (Norvège et Islande surtout) et la date (échelonnés peut-être du VIIe au XIIIe siècle), retracent dans des formes et des genres multiples, au fil de l’évolution disparate des techniques, toute l’histoire cosmogonique, mythologique, épique et héroïque de ce que l’on entend par le Nord. Documents irremplaçables, ils éclairent d’un jour décisif sa préhistoire, en même temps qu’ils la rattachent clairement au monde indo-européen sans négliger pour autant de vieilles traditions noroises, finnoises ou même chamanistes. Ils se groupent d’eux-mêmes en deux catégories: les poèmes mythologiques où se détachent l’extraordinaire Völuspá (Prédiction de la voyante ) avec ses visions dantesques, les subtils Hávamál (Dits du Très-Haut ) qui condense la sagesse nordique ancienne, le troublant Skírnisför (Voyage de Skírnir ), aux implications animistes, érotiques et magiques; et les poèmes héroïques qui donnent la version nordique de l’histoire de Siegfried-Sigur face=F3210 吝r, vainqueur du dragon, et de ses ancêtres: ici, c’est toute la Germania qui parle sur des thèmes bien connus depuis Wagner. D’un art extrêmement concerté, écrits par et pour des Vikings, et donc exaltant des valeurs d’action et de triomphe sur le destin, baignant dans un halo magique assez fascinant, les poèmes de l’Edda constituent une remarquable collection de chefs-d’œuvre. S’y ajoute le curieux manuel composé vers 1230 par Snorri Sturluson, précisément pour rendre intelligibles certaines obscurités de ces textes, et que l’on appelle Edda de Snorri .
La poésie scaldique
Née en même temps sans doute que les textes les plus anciens du genre eddique, et qu’elle soit littérature magique, funéraire ou de cour, la poésie scaldique semble spécifiquement scandinave. Encore qu’elle ait pu exister dès le VIe siècle, elle n’est attestée pour la première fois qu’au IXe siècle avec l’œuvre du Norvégien Bragi le Vieux. Elle va connaître un prodigieux succès chez les Islandais, attirés sans doute par les prouesses techniques qu’elle exige. En effet, elle se sert d’un mètre particulier, le dróttkvaett aux multiples variantes, d’une complication qui égale les plus belles contorsions de nos grands rhétoriqueurs, et n’existe pas sans l’utilisation de procédés torturés dont le caractère commun est d’éviter à tout prix le terme propre et la phrase discursive, entre autres le heiti – sorte de synonyme – et la kenning , ou métaphore filée. Ce genre aura fleuri sans discontinuer jusqu’au XIVe siècle, faisant souvent partie intégrante des sagas, et il est difficile de dire dans quelle mesure les Islandais, de nos jours encore, échappent à sa fascination.
Il a trouvé un maître dès le Xe siècle en la personne du Viking Egill Skallagrímsson (910?-990), auteur, entre autres chefs-d’œuvre, de l’inoubliable Sonatorrek (Perte irréparable des fils ), où la douleur paternelle se trouve peu à peu sublimisée en extase poétique. Au siècle suivant, Kormákr Ögmundarson célèbre la belle Steinger face=F3210 吝r en poèmes amoureux qui feront école, tandis que se lève toute une génération de poètes de cour que domine Sighvatr Þór face=F3210 吝arson (995?-1045), chantre de saint Olaf, auteur de fort beaux poèmes savants comme les Austrfararvísur (Strophes sur un voyage à l’Est ) et les Bersöglísvísur (Strophes à cœur ouvert ). Nombreux seront les successeurs de Sighvatr – citons le Geisli (Le Rayon ) d’Einarr Skúlason au XIIe siècle, les essais de Snorri Sturluson et de ses neveux Sturla Þór face=F3210 吝arson et Óláfr Hvítaskáld au XIIIe siècle –, mais le genre dégénérera assez vite pour se réfugier dans de pures prouesses techniques comme le Háttalykill (c’est-à-dire Clavis metrica ) de Hallr Þórarinsson et Rögnvaldr kali (XIIe s.) ou le Háttatal (Dénombrement des mètres ) de Snorri Sturluson (1222).
La littérature de clercs
Dès son implantation dans l’île, l’Église s’est appliquée à imposer ses sujets d’inspiration et son type d’écriture. Elle l’a fait avec souplesse, respectant à la fois le génie conteur des Islandais et des traditions dont ils vivaient encore, créant des écoles et formant des évêques conscients de l’originalité de leur peuple. Il s’ensuit qu’en poésie c’est sous l’influence des scaldes et des textes eddiques que naîtront des chefs-d’œuvre comme l’anonyme Sólarljó face=F3210 吝 (Lai du soleil , vers 1200) ou, au XIVe siècle, le pathétique Lilja (Le Lys ) écrit par le moine Eysteinn Ásgrímsson à la gloire de la Vierge Marie. En prose, les clercs s’intéressent très tôt aux sciences exactes, astronomie et mathématiques en particulier, à la grammaire, à la rhétorique et surtout à la jurisprudence: au Premier Traité grammatical (fin XIIe s.) qui atteste un philologue au sens moderne du mot répond le surprenant Grágás (XIIIe s.), recueil de lois et de coutumes qui reprend les codes norvégiens antérieurs. Surtout, à l’imitation des vitae latines, les Islandais se mettent à écrire la biographie, d’abord de leurs évêques (Byskupa sögur ), puis de leurs ancêtres ou contemporains: de là vient la littérature de sagas, qui doit beaucoup également au genre historique qui avait débuté, on l’a vu, avec Ari et Saemundr. Ceux-ci avaient été rapidement imités, et l’on compte un nombre respectable de sagas consacrées aux deux rois norvégiens Óláfr Tryggvason et Óláfr Haraldsson le Saint. Mais en matière d’histoire, le maître incontesté est Snorri Sturluson (1179-1241), grand chef au destin mouvementé, qui fut aussi scalde. Sa Heimskringla (Orbe du monde ), qui raconte la vie des rois de Norvège des origines mythiques à Magnús Erlingsson, laisse loin derrière tout ce que l’Europe a pu écrire en fait d’histoire à la même époque.
Les sagas
Les sagas sont nées, vers la fin du XIIe ou le début du XIIIe siècle, des influences conjuguées de l’historiographie européenne et de l’hagiographie. Leur origine reste très discutée: il paraît vraisemblable tout de même que, loin d’être la transcription fidèle de traditions orales, ce soient des œuvres éminemment littéraires, composées avec soin sur des modèles établis par des auteurs hautement conscients de leur art. Elles rapportent la vie et les aventures de héros ou de personnages mémorables, mythiques ou ayant réellement existé, dans un style lapidaire, rapide, concis jusqu’à l’obscurité parfois, attaché aux faits et aux actes, ennemi du pathos et de la digression, d’une force tragique ou d’un humour froid admirables; elles peuvent se hisser sans effort apparent au mode épique ou dramatique.
Elle se répartissent assez naturellement en cinq catégories, selon leur date probable de rédaction. Les plus anciennes sont les sagas royales (Konungasögur ) consacrées aux grands rois de Danemark (Knytlinga saga ) ou de Norvège (toute une série de textes sur saint Óláfr Haraldsson, dont le joyau est la Saga de saint Óláfr , de Snorri Sturluson, dans sa Heimskringla ), sans compter des textes certainement anciens, comme la Saga des Vikings de Jómsborg (Jómsvíkinga saga ) ou celle des jarls des Orcades (Orkneyinga saga ). Assez directement imitées, pour la structure d’ensemble et les thèmes, de l’hagiographie médiévale, elles ont suscité un chef-d’œuvre, la Heimskringla , de Snorri Sturluson, collection de seize sagas qui retracent l’histoire des rois de Norvège depuis les origines mythiques (Ynglinga saga ) jusqu’au début du XIIIe siècle, où elles sont relayées par la Saga de Sverrir , de l’abbé Karl Jónsson. Ce sont des documents de premier ordre, qui valent en outre pour un art de dire et une science de la composition sans grands équivalents au Moyen Âge européen.
Viennent ensuite les sagas dites de contemporains (Samtí face=F3210 吝arsögur ), ainsi appelées parce que leurs auteurs, qui font la chronique des événements islandais entre le début du XIIe siècle et la fin du XIIIe, ont été contemporains des faits qu’ils relatent ou ont consulté des témoins. On compte dans cette catégorie, qui a vu le jour au cours du XIIIe siècle, deux collections: celle des Sagas des Évêques (Byskupa sögur ) islandais, et celle de la Saga des descendants de Sturla (Sturlunga saga ), qui rassemble en fait une bonne douzaine de textes dont le chef-d’œuvre est la Saga des Islandais (Íslendinga saga ), de Sturla Þór face=F3210 吝arson, neveu de Snorri Sturluson. Ce sont des œuvres vivantes, d’une bonne qualité historique et qui, surtout, nous renseignent admirablement sur la mentalité et la vie quotidienne des Islandais de ce temps.
Datent de la même époque les sagas dites de familles ou, plus justement, des Islandais (Íslendingasögur ). Les auteurs, presque tous anonymes, retracent les hauts faits des colonisateurs de l’île et de leurs premiers descendants, qui vivaient donc aux IXe et Xe siècles. Cette catégorie contient tous les grands fleurons du genre des sagas en général. Elles peuvent être réalistes et sauvages comme Egils saga Skallagrímssonar (qui est peut-être de Snorri Sturluson), truculentes et baignées de paganisme nordique comme Eyrbyggja saga (La Saga de Snorri le godi ), romantiques comme Gísla saga Súrssonar , chevaleresques comme Laxdoela saga , démesurées et fatidiques comme Grettis saga , classiques comme Hrafnkels saga Freysgo face=F3210 吝a . L’ensemble est dominé par Brennnu-Njáls saga , la Saga de Njáll le Brûlé , un des chefs-d’œuvre de la littérature européenne au Moyen Âge.
Restent les sagas légendaires (Fornaldarsögur ), rédigées sans doute à partir de la fin du XIIIe siècle, sur des thèmes légendaires pangermaniques, scandinaves ou même étrangers. Elles ne se déroulent plus en Islande, et font appel au fantastique ou à l’invraisemblable, registres que les précédentes catégories s’interdisaient. Certaines, comme Völsunga saga , dédoublent le cycle des poèmes héroïques de l’Edda , d’autres, comme Hervarar saga ok Hei face=F3210 吝reks konungs , se font l’écho de lointaines réminiscences qui remontent à l’âge des migrations, celle d’Oddr l’Archer (Örvar-Odds saga ) accueillant tout le trésor de mythes, légendes et «dits» que véhiculait le Moyen Âge.
Quant aux dernières venues, les sagas de chevaliers (Riddarasögur ), ce sont des traductions ou adaptations, faites en général sur l’incitation des souverains norvégiens qui voulaient mettre leur cour à l’heure européenne, comme Hákon Hákonarson et ses successeurs, de romans de Chrétien de Troyes (Parcevals saga ), de chansons de geste (Karlamagnúss saga ), de romans arthuriens ou du cycle d’Alexandre.
À partir du XIVe siècle et sous l’influence, d’une part, de cette dernière catégorie de sagas, d’autre part, de divertissements populaires anciens où intervenaient satire, érotique et danse, les dansar , l’Islande développe une nouvelle forme originale de littérature, les rímur , sortes de romans mesurés ou de ballades aux mètres fixes, fort savants eux aussi: la poésie scaldique se survit également dans ce genre, qui a produit de nombreux chefs-d’œuvre comme Skí face=F3210 吝a ríma ou le Poème de Tristan .
Les ouvertures successives (du XVIe s. à 1918)
Diverses causes, et en particulier la perte de l’indépendance (1264), puis les calamités naturelles et l’isolement vont précipiter la décadence des lettres islandaises. Elles végètent tant bien que mal pendant quelques siècles.
La Réforme entraîne bien quelques traductions intéressantes de la Bible, celle, partielle, d’Oddur Gottskálksson, vers 1540, celle, intégrale, de l’évêque Gu face=F3210 吝brandur Þorláksson en 1584, en particulier. Mais une véritable renaissance ne se dessine qu’au XVIIe siècle. Sous l’impulsion d’Arngrímur Jónsson le Savant (1568-1648), les Islandais reprennent goût à l’étude. Il écrit sa Crymogaea (1609) qui inaugure la reprise des études historiques en Islande. Désormais, fait caractéristique, la plupart des grands écrivains de l’île mèneront parallèlement deux activités: l’une, proprement littéraire, l’autre, plus scientifique et attachée à l’étude des antiquités islandaises. Arngrímur aura un successeur en la personne d’Árni Magnússon (1663-1730) qui a rassemblé, sa vie durant, la prodigieuse collection des manuscrits islandais anciens sans laquelle on ignorerait l’existence des chefs-d’œuvre du Moyen Âge.
À partir de 1550, d’ailleurs, et pour deux siècles, la littérature de rímur avait retrouvé un second souffle, tandis que les anciennes dansar revivaient sous la forme des vikivakar , sortes de ballades populaires qui connurent un succès considérable: la plupart des poètes s’essayèrent à l’un et à l’autre exercice. Mais ils s’effacent devant l’imposante figure de Hallgrímur Pétursson (1614-1674), auteur fécond dont le chef-d’œuvre, les Passíusálmar (Psaumes de la Passion ), atteint à une pathétique grandeur, et devant celle, plus profane, de Stefán Ólafsson (1620-1688) dont les Kvoe face=F3210 吝i (Poèmes ) évoquent Rabelais par leur verdeur et leur humeur satirique. On retiendra encore Jón Þorkelsson Vídalín (1666-1720), savant austère dont les Húspostilla (Sermons ) sont gâtés par une enflure rhétorique qu’une nature passionnée et un penchant prononcé au sarcasme lui font heureusement oublier de temps à autre.
L’Islande se rouvre aux influences étrangères, anglaises et françaises surtout, à compter de 1750 et jusqu’à 1830. L’ère des Lumières provoque un courant rationaliste et utilitaire dont le grand représentant est Eggert Ólafsson (1726-1768), poète et géographe. On peut oublier ses Poèmes (1832), mais son Voyage à travers l’Islande (Reise igjennem Island , 1772), traduit presque aussitôt en plusieurs langues dont la française, reste par son pittoresque et sa verve un monument de l’esprit national.
Vers 1830, le romantisme atteint l’Islande: il trouvait dans le passé glorieux de l’île des sagas un merveilleux sujet d’exploitation. Les influences allemandes et danoises aidant, une véritable frénésie de résurrection du passé s’empare des écrivains. Le lyrisme connaît une floraison d’œuvres sans précédent, tandis qu’une étude scientifique, méthodique, des trésors d’autrefois, est entreprise par quelques savants infatigables qui n’hésitent pas à s’exiler, comme Gu face=F3210 吝brandur Vigfússon ou Eirikur Magnússon, pour faire connaître le patrimoine culturel islandais. Bjarni Vigfússon Thorarensen (1786-1841) et Jónas Hallgrimsson (1807-1845) sont des poètes féconds tandis que Jón Þór face=F3210 吝arson Thoroddsen (1818-1868) crée le roman islandais moderne avec Piltur og stúlka (Garçon et fille , 1850). Grímur Thomsen (1820-1896), poète et traducteur, retrouve dans ses poèmes le ton des temps anciens, et Benedikt Sveinbjarnarson Gröndal (1826-1907), dont on apprécie encore les poèmes, reste avant tout l’auteur d’une excellente satire, Heljarsló face=F3210 吝arorusta (La Bataille sur les champs d’enfer ), où il tourne en ridicule la «victoire» de Napoléon III à Solferino. Fait intéressant: désormais, presque tous les écrivains islandais, et ce jusqu’à nos jours, se feront un devoir d’adjoindre à leurs écrits de fiction et à leur études scientifiques des traductions d’auteurs étrangers, anciens ou modernes. C’est ainsi que, comme presque tous ses prédécesseurs, Steingrímur Thorsteinsson (1831-1913) mène de front une féconde activité poétique dans le goût romantique pour la nature et le passé national, et une œuvre de traduction et d’étude. Le plus grand nom de cette période est certainement celui de Matthias Jochumsson (1835-1920). Poète de talent, essayiste et mémorialiste, il eut en outre le mérite de doter son pays d’un répertoire dramatique (Skugga-Sveinn , 1864; Jón Arason , 1900) où les ombres de Shakespeare et d’Ibsen se mêlent à celles des héros d’autrefois.
Vers 1874, date du premier pas fait par l’Islande sur la voie de l’indépendance, se dessine tout un faisceau de tendances contradictoires. L’évolution politique, économique, et la naissance de quelques villes, conjuguées aux influences venues d’Angleterre, d’Amérique où commence à se développer un fort courant d’immigration islandaise, de France et du Danemark (Georg Brandes surtout), déterminent un courant réaliste puissant aux colorations politiques prononcées (nationalistes en particulier). Les représentants les plus notables en sont Gestur Pálsson (1852-1891), romancier et auteur de nouvelles acides, Þorsteinn Erlingsson (1858-1914), auteur de poèmes d’une grande perfection formelle, Einar Hjörleifsson Kvaran (1859-1938), romancier dans la manière de Henry James, et Hannes Hafstein (1861-1922), poète puissant qui a célébré son pays, la vie, l’amour et la poésie. Mais, presque parallèlement, apparaît une tendance à l’idéalisme, sinon au mysticisme, bientôt accueillante à la leçon du symbolisme français, voire à celle de la décadence. De cette évolution témoigne au moins un écrivain de premier plan, Einar Benediktsson (1864-1940).
Le XXe siècle
Pendant plusieurs siècles, tous les écrivains islandais sont restés assez fidèles à deux impératifs: respecter le legs culturel du Moyen Âge, défendre farouchement un nationalisme ardent qu’exaspéraient les circonstances. À partir de 1918, l’excellence des antiquités nationales est unanimement reconnue, au moins dans les pays germaniques et anglo-saxons, tandis que l’autonomie reconquise fait perdre au nationalisme son caractère polémique. Un problème nouveau se trouve posé: qui doit l’emporter d’un traditionalisme si ferme ou d’un modernisme résolu?
Suivant l’exemple donné au théâtre par Jóhann Sigurjónsson (1880-1919), quantité d’écrivains de tous ordres ont essayé de secouer le vénérable joug du fond comme de la forme. Le plus célèbre est Halldór Kiljan Laxness (né en 1902), prix Nobel de littérature en 1955, tempérament puissant et contradictoire, que manifeste son évolution: du catholicisme au marxisme, puis à la mystique orientale; de la rage iconoclaste à un retour pondéré aux sources toujours vives du passé. Avec lui, Þorbergur Þór face=F3210 吝arson (1889-1974) défend le socialisme, tendance qui est à l’origine du mouvement des poètes dits «atomiques» qui s’efforcent, sous des influences diverses, les surréalistes français surtout, de faire de la poésie chose explosive en rompant complètement avec les anciennes façons de dire. Ils reconnaissent pour aîné Jóhannes úr Kötlum (1899-1972), au caractère révolutionnaire; la revue d’avant-garde Birtingur regroupe les principaux: des poètes comme Einar Bragi (né en 1921), Jón Óskar (né en 1923), Jón úr Vör (né en 1917), et un romancier comme Thór Vilhjálmsson (né en 1925). Mais la vieille veine traditionnelle n’a jamais cessé de nourrir de beaux talents d’écrivains; tels Sigur face=F3210 吝ur Nordal (1886-1974), Einar Ól. Sveinsson (1899-1980), Jón Helgason (1899-1983) ou le poète Tómas Gu face=F3210 吝mundsson (né en 1901). On n’oubliera pas, enfin, que sont Islandais deux grands romanciers qui ont composé en danois la majeure partie de leur œuvre, Gu face=F3210 吝mundur Jónsson Kamban (1888-1945) et Gunnar Gunnarsson (1889-1975).
Les toutes dernières décennies ont poursuivi la valse-hésitation entre respect de la tradition et volonté de rester aux écoutes du modernisme. Pourtant, l’actualité a bouleversé le paysage mental. La politique, qui avait suscité tant d’œuvres militantes, a laissé progressivement place à une littérature plus symbolique ou suggestive, tandis que perdure le sens de la narration qu’ont dicté les sagas médiévales. On assiste à de passionnants revirements, comme celui de Thor Vilhjálmsson, qui retourne à ses sources avec La mousse grise brûle (1986). Le lyrisme garde ses droits avec Hannes Pétursson (né en 1931) – Trente-Six Poèmes , 1983 – ou Sigurjón B. Sigur face=F3210 吝sson (né en 1940, pseudonyme Sjón), voire l’ex-«atomique» Stefán Hör face=F3210 吝ur Grímsson (né en 1920) – Lien , 1987 – ou encore Sigfús Da face=F3210 吝ason (né en 1928) – Contours au-delà du souvenir , 1987. Le temps présent est à l’arrière-plan de quelques grandes œuvres centrées sur Reykjavík. Ainsi de la trilogie romanesque d’Einar Kárason (né en 1955) – L’Île d’or , 1985, en est le sommet – ou de Battements d’ailes au bord du toit (1983) d’Einar Már Gu face=F3210 吝mundsson (né en 1954), le genre étant dominé par la verve mi-sarcastique, mi-épique de Gu face=F3210 吝bergur Bergsson (né en 1932) – Quête du beau pays , 1985 – et par l’art feutré de Pétur Gunnarsson (né en 1947) – Voilà toute l’histoire , 1985. Bien entendu, ici comme ailleurs dans le Nord, les femmes cherchent à s’imposer, avec Svava Jakobsdóttir (née en 1930) qui passe d’un récit à la Camus, Le Locataire (1969), à des textes kafkaïens (Contes pour les enfants , 1973), puis à une exaltation de la vie en poésie (La Saga de Gunnlö face=F3210 吝 , 1987), ou Álfrún Gunnlaugsdóttir (née en 1938) avec Errance (1987). De cette intense activité littéraire se détachent les noms de Þórarinn Eldjárn (née en 1949) avec ses poèmes et ses récits dans le goût légendaire (Histoire multiple , 1985), de Sigur face=F3210 吝ur Pálsson (née en 1948), qui oppose ses recueils de poèmes à toutes les tentations de l’histoire et de l’esprit, et, peut-être, surtout, de Steinunn Sigur face=F3210 吝ardóttir (née en 1950), romancière et poète qui tempère de son humour extrêmement fin (Princesse pomme de terre , 1987) une belle méditation sur l’affrontement, en nous, des forces de vie et de la fascination de la mort (Le Voleur de temps , 1985). L’observateur demeure saisi d’admiration devant la production littéraire sans égale de ce petit peuple que l’on dit à bon droit le plus lettré du monde.
Islande
(république d') état insulaire de l'Atlantique Nord; 102 829 km2; 247 000 hab., croissance démographique: 1 % par an; cap. Reykjavík. Nature de l'état: rép. parlementaire. Langue off.: islandais. Monnaie: couronne islandaise. Relig.: luthéranisme. Géogr. phys. et hum. - île volcanique (volcans actifs, geysers, sources chaudes), l'Islande compte plus de 5 000 km de côtes, très découpées au N., plus régulières au S. L'île appartient au monde arctique mais la dérive nord-atlantique adoucit son climat. Toutefois, la toundra est la végétation naturelle et les glaciers couvrent 12 % du territoire. La population vit à 90 % dans les villes du littoral. écon. - La pêche est la principale ressource (salaison, conserveries, congélation): 20 % des actifs et 70 % des exportations; les prises par hab. (6 t) constituent un record mondial. Le milieu est surtout propice à l'élevage ovin. 80 % de la pop. est chauffée par géothermie; l'hydroélectricité permet de produire de l'aluminium (en partie exporté). Le tourisme est notable. Le revenu par hab. est l'un des plus élevés du monde mais, auj., on note inflation, endettement, déficit du budget et de la balance commerciale. Hist. - Découverte par des moines irlandais (VIIIe s.), colonisée par les Vikings (IXe s.), l'Islande resta indép. jusqu'au XIIIe s.: une assemblée d'hommes libres (Althing) la gouvernait. Passée sous l'autorité du roi Haakon IV de Norvège (1262), puis des Danois (1380), qui imposèrent le luthéranisme (XVIe s.) et monopolisèrent le comm. (XVIIe s.), elle se dépeupla. Son statut polit. se modifia au XIXe s.: rétablissement de l'Althing (1843), institution de deux chambres (1874). Auton. en 1904, indép. en 1918, elle ne garda de commun avec le Danemark que sa monnaie, la couronne. Le 17 juin 1944, la Rép. islandaise fut proclamée après référendum. La vie polit. de l'Islande (membre de l'O.C.D.é. dep. 1948, de l'OTAN dep. 1949, de l'A.E.L.é. dep. 1959) a vu alterner des coalitions de centre gauche et de centre droit. Elle affirme son neutralisme et la maîtrise des eaux territoriales, portées à 200 miles (1975). En 1980, Vigdís Finnbogadottir a été la première femme, dans le monde, élue présidente de la Rép., réélue en 1984, en 1988, reconduite (seule candidate) en 1992. En 1996, Olafur Ragnar Grimsson lui a succédé. Cette m. année, la surgescence d'une énorme coulée de lave a provoqué des dégâts extrêmes.
Encyclopédie Universelle. 2012.