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KALIMANTAN
KALIMANTAN

Située au cœur de l’Insulinde, la grande île de Bornéo compte parmi les rares régions du globe encore largement inexplorées. Ses 736 000 km2 sont couverts par une immense forêt. La plus grande partie de l’île, Kalimantan, (539 400 km2), appartient à l’Indonésie.

1. Climat et végétation

Kalimantan est encore très mal connue et n’a jamais été totalement explorée. Les côtes sont hostiles: à l’est, elles sont frangées d’une barrière presque continue de récifs coralliens; un peu partout, elles sont basses; plates, marécageuses, couvertes par la mangrove (palétuviers Rhizophora puis palmiers Nipa fruticans ), qui constitue un obstacle considérable à la pénétration. Les rivières sont fréquemment barrées à l’embouchure par des bancs de sable; elles sont, plus ou moins loin à l’amont, coupées de rapides.

Une forêt dense et constamment verte occupe l’intérieur. Deux ou trois strates arborées se superposent, et l’étage moyen forme un moutonnement continu de cimes dominé de loin en loin par quelques géants au tronc lisse et clair. Cette formation exubérante, encombrée d’épiphytes et de lianes, a un aspect uniforme en dépit de la variété des espèces où dominent les Diptérocarpacées.

Dans l’immense plaine méridionale, drainée par Seruyan, Mentaya, Katingan, Kahayan, entre mangrove et forêt à Diptérocarpacées, s’interpose une forêt assez homogène à Agathis, d’abord sur marécages et tourbe puis sur sables blancs (podzols).

Cette végétation correspond à un climat équatorial constamment chaud et humide. Peu de stations sont, à cet égard, aussi typiques que Pontianak, sur la côte ouest (exactement sous l’équateur): moyenne thermique: 27 0C, pratiquement immuable; 3 180 mm de pluie avec un maximum en octobre-novembre; et le mois le moins arrosé reçoit encore 167 mm de pluie; l’humidité relative est de 83 p. 100; l’insolation atteint cependant 56 p. 100, car les pluies tombent le plus souvent en grosses averses ou en orages et sont surtout nocturnes. Les vents sont faibles; les pressions au sol à peu près constantes et toujours inférieures à la moyenne (environ 1 010 millibars toute l’année). À Balikpapan, sur la côte est, il pleut 206 jours par an (2 355 mm) et l’humidité relative atteint 85 p. 100.

Il n’est guère étonnant dans ces conditions que l’île soit mal connue même dans son relief. Il semble qu’elle soit beaucoup moins montagneuse qu’on ne se l’était imaginé: une bonne partie de l’île est à moins de 100 mètres d’altitude.

2. Structure et relief

Les montagnes forment trois ensembles principaux: la chaîne des monts Kapuas (sud-ouest – nord-est, de 1 700 à 2 000 m) à la frontière malayo-indonésienne, dont le plus haut sommet, le Kinabalu (4 175 m) à Sabah (Malaysia), est le point culminant, les monts Meratu (1 897 m) dans le sud-est de l’île; enfin, au cœur même de Kalimantan, des massifs et plateaux, plus ou moins accolés aux monts Kapuas, parmi lesquels les monts Madi et les monts Schwaner. La plupart de ces montagnes, à l’exception du Kinabalu, sont peu élevées (les monts Schwaner ont, en moyenne, 1 200 m). Rayonnant du centre de l’île, quatre fleuves: Kapuas, Kajan, Mahakam (Kutaï) et Barito ont édifié de vastes plaines alluviales littorales.

Kalimantan comprend les deux zones structurales de l’Insulinde. La plus grande partie de l’île correspond au «pseudo-socle» prétertiaire en partie recouvert d’une couverture horizontale de grès éocènes détritiques, qui se prolonge à l’ouest et au sud sous une mince pellicule marine dans la plate-forme de la Sonde (mer de Java, profonde de moins de 55 m). Situés en bordure de mers profondes (mer de Sulu, 4 000 m; mer de Sulawesi, 5 000 m), les monts Meratu et Kapuas correspondent au contraire à des plissements très récents et se rattachent aux «guirlandes» ou «arcs», mais sans volcanisme actif donc à l’arc externe.

L’ouest, le centre et le sud de l’île forment donc une zone consolidée et massive, que nous appellerons pseudo-socle pour simplifier, bien que les derniers plissements ne soient pas très anciens, puisqu’ils seraient crétacés. Ces plissements ont affecté surtout des terrains primaires (calcaires ouralo-permiens dits de Brunéi) et triasiques (schistes, roches éruptives anciennes, quartzites et grauwackes) dits de la série de Danau. L’orogenèse crétacée a été de type Pacifique. Les plis sont lourds; ils ont été précédés, accompagnés ou immédiatement suivis d’intrusions granitiques: les granites sont néo-triasiques (monts Schwaner), jurassiques (granites de Karimata) ou crétacés. Les chaînes crétacées ont été réduites à l’état de pédiplaine où subsistent d’assez forts reliefs résiduels (inselberg). La pédiplaine, elle-même, au fur et à mesure de sa formation, a été enfouie sous les débris des chaînes et recouverte ainsi de grès blanchâtres d’âge éocène. Par la suite, cette couverture est restée subhorizontale, affectée seulement par des plis à grand rayon de courbure et par des failles. Dans ces conditions, les formes de relief sont liées au maintien de la couverture gréseuse ou, au contraire, à l’apparition du socle. Le relief le plus simple est réalisé lorsque la couverture de grès éocènes subsiste, plus ou moins horizontale; elle donne alors de grands plateaux subhorizontaux limités par des falaises escarpées. Ailleurs le socle a été dégagé: il donne avec son épais manteau d’altérites un paysage de «demi-oranges». Les monts Schwaner, correspondent à un batholite de granite triasique affecté postérieurement par une faille. Certains reliefs, enfin, sont dus à des épanchements volcaniques relativement récents: les monts Niut (à l’ouest) sont un dyke de roches acides.

Tout à fait différents sont les monts Kapuas et les monts Meratu, au nord-ouest et à l’est, chaînes de médiocre altitude, mais composées essentiellement de terrains tertiaires et créées par des orogenèses tertiaires. Malgré la jeunesse et la vigueur des orogenèses, les montagnes sont peu élevées, parce que les terrains tertiaires sont tendres. Les monts Kapuas (mont Murud, 2 600 m) résultent de plissements mio-pliocènes et post-pliocènes; ces mouvements ont concerné des terrains tertiaires marins très épais; mais ils ont, également, affecté le socle prétertiaire (calcaires permiens, granites), portant notamment à plus de 4 000 mètres d’altitude le granite crétacé du Kinabalu. Cette structure rappelle celle des monts Barisan de Sumatra mais sans volcanisme actuel. Les monts Meratu sont d’une tectonique plus récente encore. Les terrains tertiaires sont extrêmement épais (13 000 m), mais le socle a été, lui aussi, affecté et affleure au centre. Les plis, d’âge pliocène, sont très vigoureux; ils ont engendré notamment deux chaînes parallèles de terrains tertiaires qui flanquent la zone axiale plus ancienne; les crêtes tertiaires, de roches tendres, sont planes, ce qui laisse supposer qu’elles ont été aplanies au fur et à mesure de leur soulèvement; les derniers mouvements sont si récents (soulèvement quaternaire?) que le Mahakam à Samarinda traverse tout l’ensemble par antécédence. Relief et structure rappellent les chaînes du Rembeng et du Kandeng au nord-est de Java. La chaîne continuerait à se soulever (P. Birot).

3. Populations et genres de vie

Kalimantan a 17 habitants au kilomètre carré (en 1991). Si les côtes ont été, assez tôt, fréquentées, l’intérieur est resté isolé. Le climat équatorial est peu favorable à la culture sur brûlis à longue jachère qui est la pratique normale des populations; les sols sont souvent très mauvais (tourbes et podzols). Aujourd’hui encore s’opposent les côtes, qui ont quelque population ponctuelle, et le centre qui est presque vide: au kilomètre carré, Kalimantan Ouest a 22 habitants et Kalimantan Sud 69 habitants, mais Kalimantan Est et Centre n’en ont que 9; les statistiques officielles donnent une population de 3 273 000 habitants pour les 365 000 km2 du centre et de l’est de Kalimantan. L’intérieur est peuplé essentiellement de proto-Malais, les Dayak ; les zones côtières sont peuplées de Dayak convertis à l’islam et de deutéro-Malais qui sont, pour la plupart, des Bandjar, des Bugi de Sulawesi (Célèbes) et des Javanais. Les Chinois sont particulièrement nombreux autour de Pontianak et de Sambas, où ils sont installés depuis peut-être un millénaire, ce qui explique qu’on ait parfois donné le nom de «Districts chinois» à cette région.

Il existe dans l’est de Bornéo, aux confins de Kalimantan et de Sarawak, une population particulièrement primitive: les Punan. Ils vivent en nomades, par petits groupes de vingt ou trente, ne pratiquent aucune culture. Ils chassent le sanglier à la lance et tuent oiseaux ou singes à la sarbacane avec des flèches empoisonnées. Leur alimentation comporte une alternance de festins lorsque la chasse a été fructueuse et de très longues disettes au cours desquelles il leur arrive d’abattre de grands arbres pour cueillir quelques maigres grappes de fruits dont ils mangent même les noyaux. Ils évitent les rivières qu’ils ne peuvent franchir, car ils ne savent ni construire de pirogues ni même nager. Ils se procurent auprès des Dayak quelques produits, notamment le tabac, qui a sur eux les effets d’une véritable drogue. Leur natalité est très faible et leur survie semble aléatoire (P. Pfeffer).

Les Dayak sont des proto-Malais. Leur langue fait partie du grand groupe des langues malaises et, ethniquement, ils ne diffèrent guère des autres populations de l’Insulinde. Mais ils n’ont pas subi l’influence de la civilisation indienne, n’ont pas été islamisés et sont pour la plupart animistes. Ils ignorent l’écriture. Divisés en nombreuses tribus: Kajan, Kanyak, Bahan, Ngaju, ils pratiquent la culture sur brûlis à longue jachère (ladang ), mais dans des conditions difficiles, parce que les terrains sont accidentés et surtout parce que les arbres abattus brûlent mal dans ce climat trop humide. Les Dayak de Kalimantan Timur (Est) ont gardé les traits essentiels de cette ethnie. Ils abattent les arbres avec une espèce de sabre, le mandau ; le feu est mis au bout d’une dizaine de jours sans pluie. Les ladang sont localisés le long des cours d’eau, de préférence en aval des villages. Les Kajan plantent dans les cendres essentiellement du riz mais aussi quelque tabac, manioc, concombre, pastèque. Pendant la croissance des plantes, chaque famille construit un abri pour surveiller ses récoltes: une famille a besoin d’une parcelle de deux hectares pour vivre. À maturité, les épis de riz sont coupés, un par un, à l’aide d’une petite rondelle de métal. Dans cette humidité permanente, le ladang est, dès la récolte, envahi par la végétation, de sorte qu’après une année de culture, il retourne en jachère pour une décennie. Mais, dans ces conditions, les sols s’épuisent vite et il faut se déplacer fréquemment à la recherche de nouveaux terrains; le ladang des Kajan est une vraie «culture itinérante». Aux ressources agricoles s’ajoute la chasse, notamment la chasse aux sangliers: les Kajan attendent les migrations saisonnières de ces animaux et, quand ceux-ci traversent une rivière, piroguiers excellents, ils les massacrent. En outre, ils exploitent certains produits forestiers, en particulier le damar dont on extrait le copal, utilisé dans la fabrication des laques; le damar est une résine sécrétée sous l’action d’insectes par l’Agathis alba; la récolte est, le plus souvent, très difficile, car il faut grimper au sommet de l’arbre. Les Kajan ne connaissent ni tissage ni poterie; ils sont vêtus très simplement de pagnes d’écorce battue au maillet (tapa ). Ils habitent de «longues maisons», construites sur de hauts pilotis; longues parfois de 200 mètres, elles abritent plusieurs centaines d’individus (jusqu’à 50 familles): chaque ménage descendant d’une ancêtre commune y dispose d’une petite cellule. Chez les Kanyak, chaque famille dispose d’une pièce avec foyer donnant sur un couloir latéral; ailleurs, le couloir est central et les cellules se situent de part et d’autre. Les murs sont faits de grandes planches débitées à la hache et les toits de «tuiles» en «bois de fer» (ulin ): ces tuiles sont le seul matériau de valeur et on les emporte lorsque le village est abandonné.

Les Dayak ont été «chasseurs de têtes». En dehors des guerres, c’était là, d’après P. Pfeffer, une pratique rituelle pour effacer un deuil; elle est remplacée aujourd’hui par «l’achat de têtes»: l’arrivée d’une tête met fin au deuil d’une famille. Les Dayak élèvent des bœufs pour le sacrifice, notamment lors du «Pesta Tiwali», secondes funérailles plusieurs années après le décès.

Mais la plupart des Dayak et notamment les Ngaju de Kalimantan Tengah (Centre) sont, aujourd’hui, acculturés. Plus de «longue maison» (Betang) mais des maisons individuelles, sur pilotis, aux toits à quatre pentes couverts de tuiles d’«ulin » (Eusideroxylon Zwageri), aux cloisons encore souvent en écorce de «meranti » (Shorea). Plus de pagne d’écorce mais culotte, jupe et chemisette. Depuis trente ans, enfin, les Ngaju plantent dans le ladang, entre les poquets de paddy, des hévéas ou du rotin, créant ainsi des Kebun Karet et des Kebun rotan , de sorte que l’économie est devenue commerciale. D’immenses concessions forestières ont été accordées. Enfin si beaucoup de Ngaju sont chrétiens, l’Islam propagé par les Bandjar fait des progrès très rapides.

4. La vie économique

À Kalimantan, trois régions offrent un intérêt économique.

À l’ouest, les Districts chinois correspondent au delta du Kapuas, le plus long fleuve de Bornéo (1 040 km). La culture du riz est peu importante, bien que les rendements soient bons et qu’on obtienne fréquemment deux récoltes annuelles. Le sagoutier (Metroxylon) est exploité en bord de mer. Les Chinois ont développé deux cultures commerciales: l’hévéa, et le cocotier sur des éminences sableuses (permatang ). Pontianak, construite en grande partie sur l’eau, avec des maisons sur pilotis et des maisons flottantes (sur radeaux), compte 200 000 habitants.

À l’est, le delta du Mahakam (Kutaï) est une grande zone pétrolière et Balikpapan, surnommée «Pertamina City» du nom de la compagnie nationale, est une capitale du pétrole, pourvue d’une raffinerie. La compagnie Total exploite le gisement de Handil et celui, «off shore», de Bekapai; elle a construit un terminal pétrolier à Senipah; sa production est de 12 millions de tonnes. Un très puissant gisement de gaz naturel a été découvert (Badak).

Au sud-est, la région de Hulu Sungai (Kalimantan Sud), la plus peuplée de l’île (Amuntai, Kandangan), produit, elle aussi, caoutchouc et coprah. Le poivre, autrefois renommé, a disparu. Les rizières, en revanche, ont ici quelque étendue. À l’abri des monts Meratu, la région a trois mois «subsecs» au cours desquels les pluies ne dépassent pas 100 mm: les épis mûrissent mieux; les sols sont moins lessivés. En outre, les rivières apportent des monts Meratu des eaux assez riches en calcium et les rizières sont donc plus fertiles. La récolte a lieu pendant la période la moins humide, de juillet à septembre. Les monts Meratu, dans toute leur partie sud, ont été complètement déboisés et sont revêtus d’une savane d’alang-alang (Imperata cylindrica ); mais leurs sols, basiques, ont gardé une bonne structure; des colons javanais y ont été installés dans le cadre de la transmigration (Tajau Pecah). Banjarmasin compte 400 000 habitants d’origines très mélangées; les Bandjar, musulmans fervents, ont une renommée ancienne de commerçants et de marins. La ville elle-même, sur le Barito, construite sur l’eau, vivant sur l’eau, témoigne d’une extraordinaire animation; ses chantiers navals construisent les voiliers qui assurent l’essentiel du commerce interinsulaire.

Dans Kalimantan Centre, toutefois, des faits nouveaux sont intervenus: mise en place d’une administration efficace avec création de toutes pièces – à la limite de la tourbe et des podzols – d’une capitale, Palankaraja (1958), développement sur les fleuves de la navigation à moteur et attribution de grandes concessions forestières à des sociétés nationales ou en joint-ventures qui ont pénétré la forêt par des pistes (logging-roads ). Enfin, un très grand centre de transmigration javanaise a été créé au nord de Sampit, en zone de socle, sur un périmètre défini après un véritable travail d’exploration mené par l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (O.R.S.T.O.M.) et le gouvernement indonésien.

Encyclopédie Universelle. 2012.