MAGISTRATURE
MAGISTRATURE
Dans son acception la plus large, le terme de magistrat s’applique à toute personne investie d’une fonction publique: édiles locaux, juges. Le sens du vocable se rapproche alors de celui qu’il avait à Rome. Dans une acception moins large, le terme de magistrat s’entend de celui qui est appelé à se prononcer sur une affaire, à trancher un litige, après en avoir été régulièrement investi par la puissance publique. Le vocable de magistrat est alors synonyme de celui de juge. Un arbitre, non investi par la puissance publique, n’est pas considéré comme un magistrat, mais qu’en est-il des personnes élues, et de ce fait appelées à connaître des litiges pendants, comme aux prud’hommes, au tribunal de commerce, au tribunal paritaire des baux ruraux, ou même aux assises, quant aux jurés? Dans une acception plus étroite encore, qui sera la nôtre, le terme de magistrat s’entend des juges de carrière de l’ordre administratif et judiciaire.
Le problème des magistrats est intimement lié à celui du rapport entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Suivant l’idée que l’on se fait de ce rapport, l’on sera amené à considérer le juge, partie du pouvoir judiciaire, comme un mandataire de l’exécutif ou comme un personnage dont l’indépendance doit à tout prix être sauvegardée ou encore, à mi-chemin, comme un personnage partiellement indépendant. Dans les faits, ce problème se traduit par plusieurs questions: Qui va choisir les magistrats? Sur quels critères? Parmi quelles personnes? Comment ces magistrats, une fois nommés, vont-ils avancer dans la hiérarchie? On peut concevoir plusieurs modes de recrutement des magistrats. La charge de judicature peut tout d’abord être vénale; telle était la situation sous l’Ancien Régime où le critère d’argent conduisait au maintien de l’ensemble du pouvoir judiciaire dans la classe possédante. La charge de judicature peut encore être héréditaire; ce caractère apparaît souvent comme la conséquence directe de la vénalité. Contrairement à une opinion répandue, sauf pour les justices seigneuriales, la charge n’était pas héréditaire sous l’Ancien Régime. Mais les héritiers du de cujus s’étaient vu octroyer par le pouvoir royal, du moins à la fin de l’Ancien Régime, un véritable droit de préemption sur la vente de l’office que l’État avait récupéré par le décès du titulaire, droit qui était acheté (la paulette) par le de cujus avant sa mort ou par les héritiers après celle-ci. C’est ainsi que l’on connut de grandes dynasties de magistrats comme les Harlay, les Lamoignon ou les d’Ormesson. Du caractère vénal de la charge de judicature dérive aussi le système de la cooptation: à la fin de l’Ancien Régime, les magistrats achetaient, outre leur droit de préemption au profit de leurs héritiers, la possibilité de présenter leur successeur à l’agrément du roi. Les charges de judicature étaient alors devenues véritablement d’un prix prohibitif et Montesquieu pouvait dire dans les Lettres persanes qu’un magistrat qui venait d’acquérir une charge de judicature était un homme ruiné.
Le système de la vénalité (et ses conséquences) fut rejeté par le droit intermédiaire (c’est-à-dire par le droit de la période située entre l’Ancien Régime et la promulgation des différents codes), qui lui préféra celui de l’élection des juges. Le système de l’élection des juges présente l’avantage de garantir le pouvoir judiciaire de toute intrusion du pouvoir exécutif dans son domaine; de plus, le justiciable se sent proche de celui qu’il a élu. Mais ce système présente, en retour, de très graves défauts: le juge élu n’a pas forcément la compétence requise pour occuper sa fonction; on ne peut donc lui confier toutes les tâches sans risquer de voir la justice ne plus être rendue valablement. D’autre part, l’élection risque toujours d’être teintée de politique. Enfin et surtout, même en dehors de ces deux inconvénients, la justice court le grand risque de devenir démagogique, le juge élu désirant ménager sa réélection. Ce système a donc été aboli après la Révolution, mais il a néanmoins été maintenu dans certains domaines où la compétence technique du juge doit être assurée; c’est ainsi que, aujourd’hui encore, les personnes qui siègent aux conseils de prud’hommes, au tribunal de commerce, au tribunal paritaire des baux ruraux sont élues par leurs pairs. À l’étranger, certains pays ont encore recours à l’élection des juges, il en est ainsi en Russie, en Suisse ou aux États-Unis, pour les juges inférieurs.
Reste le dernier système, celui de la nomination des magistrats par le pouvoir exécutif. Encore celui-ci peut-il soit les choisir parmi les avocats les plus renommés, comme en Grande-Bretagne, soit les nommer après une admission sur concours d’entrée. En France, les magistrats sont actuellement recrutés à partir d’un concours d’entrée annuel, ouvert aux licenciés en droit, étudiants (premier concours) ou fonctionnaires (second concours). Les épreuves, tant orales qu’écrites, couvrent l’ensemble du programme des études de droit de licence; une note de synthèse et une sérieuse épreuve de culture générale permettent d’éliminer les candidats trop exclusivement absorbés par leurs études de droit. Parallèlement à ce concours existe un recrutement sur titres. Les candidats reçus entrent à l’École nationale de la magistrature à Bordeaux. Ils suivent en cette école et en stages divers (aussi bien auprès de différentes juridictions qu’auprès de commissariats et dans des usines) vingt-huit mois d’études comme auditeurs de justice. À la sortie de l’École est établi un classement par ordre de mérite, suivant lequel les nouveaux magistrats choisissent leur poste. Ils sont alors nommés par décret du président de la République sur proposition du garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Le magistrat est, par principe, polyvalent: il peut donc aussi bien être affecté au parquet qu’au siège et même, par la suite, passer de l’un à l’autre, ce qui rend d’autant plus difficile le respect du principe de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la magistrature. La carrière de magistrat est incompatible avec toute autre fonction publique ou salariée et avec toute fonction présentant un caractère politique. La grève est strictement interdite, ainsi que toute démonstration de caractère politique, et l’on connaît les controverses qu’a suscitées l’existence de syndicats au sein de la magistrature. Un certain nombre d’incapacités s’attachent à la personne des magistrats: lorsqu’il existe, par exemple, un lien de parenté ou d’alliance entre les magistrats d’un même tribunal, ou lorsque le magistrat siégeant alors a naguère occupé des fonctions d’auxiliaire de la justice ou d’officier ministériel dans le ressort de la cour d’appel où il devrait professer, la période d’incapacité étant dans ce dernier cas de cinq ans. Enfin, ces incapacités générales ne préjugent en rien des incapacités spéciales pouvant, le cas échéant, se révéler (renvoi, récusation). La responsabilité civile du magistrat obéit à un régime spécial, celui de la prise à partie.
Les magistrats du siège sont, en France, actuellement inamovibles. Ce principe, qui devrait être absolu, de manière à protéger les magistrats de toute pression extérieure, a cependant subi maintes atteintes lorsque la période était troublée: très près de nous encore, l’inamovibilité fut écartée par le gouvernement provisoire de la République (ordonnance du 10 sept. 1943) et rétablie seulement deux années plus tard. La règle de l’inamovibilité ne suffit malheureusement pas à protéger les magistrats du siège des pressions éventuelles d’un exécutif qui se révélerait trop envahissant: le problème de l’avancement demeure, en effet. Or, ici, force nous est de reconnaître qu’aucun système n’est parfait; si l’avancement est automatique, on court le risque de voir des magistrats de moindre valeur accéder à des postes auxquels ils ne devraient pas avoir droit, eu égard à leur compétence. Si l’avancement s’effectue par notation interne, la magistrature risque de revêtir un caractère népotique. Si l’avancement est régi par un organisme extérieur, celui ou ceux qui effectuent le choix acquièrent par là un moyen de pression efficace sur le pouvoir judiciaire. Pour pallier les imperfections de ces différents systèmes, la hiérarchie de la magistrature est, en France, ramenée à deux grades, divisés chacun en deux groupes: l’avancement du second au premier grade est établi par une commission d’avancement qui prend l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Mais, par contre, le passage du premier grade à une fonction hors hiérarchie est décidé par le gouvernement après avis du Conseil supérieur de la magistrature; seuls les conseillers à la Cour de cassation et les premiers présidents de cour d’appel sont nommés par le gouvernement sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. Notons encore que la hiérarchie est établie de telle sorte que, à fonction égale, les magistrats exerçant leurs fonctions à Paris et dans les tribunaux périphériques appartiennent à un groupe au-dessus de ceux qui les exercent en province.
magistrature [ maʒistratyr ] n. f.
• 1472; de magistrat
1 ♦ Charge de magistrat. Magistrature municipale. Loc. La magistrature suprême : la présidence de la République.
2 ♦ Fonction d'un magistrat, état des magistrats de l'ordre judiciaire. La magistrature de juge d'instance. Faire carrière dans la magistrature. — Par ext. Durée des fonctions d'un magistrat.
3 ♦ Corps des magistrats de l'ordre judiciaire. Conseil supérieur de la magistrature. Magistrature assise. ⇒ juge. Magistrature debout. ⇒ 1. parquet.
● magistrature nom féminin Dignité, fonction de magistrat ; durée de cette charge. Corps des magistrats et, en particulier, ensemble des magistrats du siège (magistrature assise) et du parquet (magistrature debout). ● magistrature (expressions) nom féminin Magistrature suprême, fonction de président de la République, en France.
magistrature
n. f.
d1./d Dignité, charge de magistrat (sens 1).
d2./d Spécial. Fonction, charge d'un magistrat de l'ordre judiciaire.
— Par ext. Temps pendant lequel un magistrat exerce ses fonctions.
d3./d Corps des magistrats de l'ordre judiciaire.
— Magistrature assise: les magistrats du siège (inamovibles).
— Magistrature debout: les magistrats du parquet (amovibles).
⇒MAGISTRATURE, subst. fém.
A. —Charge, fonction de magistrat (v. magistrat A). Exercer une magistrature; une haute magistrature; la magistrature suprême. Un petit nombre d'intrigans qui se partageront toutes les magistratures, et donneront à la France des juges, des administrateurs, des législateurs (ROBESP., Discours, Marc d'argent, t. 7, 1791, p. 171). On ne devrait pas laisser les hommes sans instruction parvenir aux magistratures de l'État (DUHAMEL, Maîtres, 1937, p. 98):
• .... puis arrivait la lettre de Barras, qui donnait sa démission de directeur. Ce misérable disait: «Citoyens représentants, Engagé dans les affaires publiques uniquement par ma passion pour la liberté, je n'ai consenti à accepter la première magistrature de l'État, que pour la soutenir dans le péril, etc. (...)»
ERCKM.-CHATR., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 515.
♦Au fig. Il [Goethe] exerce une sorte de suprême fonction, une magistrature de l'esprit européen, plus vénérée encore, et plus pompeuse que celle de Voltaire (VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 125).
— En partic. Fonction, carrière des magistrats de l'ordre judiciaire (v. magistrat B). Se destiner à la magistrature. Il avait fait son droit à Caen et n'était entré qu'assez tard dans la magistrature, où son origine paysanne, aggravée par une faillite de son père, avait rendu son avancement difficile. Substitut à Bernay, à Dieppe, au Havre, il avait mis dix ans pour devenir procureur impérial (ZOLA, Bête hum., 1890, p. 72).
B. —P. méton.
1. Ensemble de magistrats. Ils [les évêques] exerçaient la plupart des prérogatives de l'ancienne magistrature municipale (THIERRY, Récits mérov., t. 1, 1840, p. 327).
— En partic. Corps des magistrats de l'ordre judiciaire. Gringoire (...) n'aimait pas la magistrature. Ce qui tenait peut-être à la rancune qu'il gardait au Palais de Justice depuis sa mésaventure dramatique (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 351).
♦Magistrature assise ou magistrature du siège. Corps des magistrats chargés de rendre la justice, les juges. Magistrature debout ou magistrature du parquet. Corps des magistrats chargés de requérir la justice au nom de l'État, les procureurs et les avocats généraux. Synon. parquet, ministère public. Les magistrats (ceux du Parquet exceptés) sont nommés par le président de la République sur présentation du Conseil supérieur de la Magistrature. Les magistrats du siège sont inamovibles. Le Conseil supérieur de la Magistrature est chargé d'assurer la discipline et l'indépendance de la profession; il assure également l'administration des tribunaux (LIDDERDALE, Parlement fr., 1954, p. 69).
2. Durée des fonctions d'un magistrat. Le fait a eu lieu durant sa magistrature (Ac. 1935).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1472 «dignité que confère le gouvernement municipal» (Les Clabault, famille municipale amiénoise, par Auguste Janvier, 107 ds BARTZSCH, 37); 2. 1636 «temps pendant lequel un magistrat exerce ses fonctions» (MONET); 3. 1681 «corps des membres de l'ordre judiciaire» (PATRU, Plaidoié 9 ds RICH. t. 2); 1830 magistrature du parquet (BALZAC, Double fam., p. 205); 1839 magistrature assise (ID., Une Fille d'Ève, ch. I ds QUEM. DDL t. 16); 1839 magistrature debout (ID., Cabinet ant., p. 136). Dér. de magistrat; suff. -ure1. Fréq. abs. littér.: 398. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 807, b) 825; XXe s.: a) 685, b) 148. Bbg. QUEM. DDL t. 16.
magistrature [maʒistʀatyʀ] n. f.
ÉTYM. 1472; de magistrat.
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1 Charge, dignité, fonction de magistrat (2.). || Loi qui établit (cit. 7) une nouvelle magistrature. || Obtenir une magistrature (→ Aristocratique, cit. 1). — Magistrature municipale. ⇒ Édilité. — Anciennes magistratures romaines (→ Attribution, cit. 2; empereur, cit. 3; exigence, cit. 1).
1 (…) les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont (…) toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XI, VI.
♦ Par métaphore. || « La magistrature auguste d'instituteur (cit. 7) des hommes ».
2 Un tel journal, qui devait désigner tant d'hommes à la haine du peuple (qui sait ? peut-être à la mort), était, dans la réalité, une magistrature terrible (…)
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, V.
2 Fonction d'un magistrat, état des magistrats de l'ordre judiciaire. || Exercer (cit. 37) l'importante magistrature de juge de paix. || Entrer, faire carrière dans la magistrature (→ aussi Étayer, cit. 10).
♦ (1636). Par ext. Durée des fonctions d'un magistrat. || « Cela est arrivé pendant sa magistrature » (Littré).
3 (1686). Collectivt. || Un corps de magistrature (→ Exécuteur, cit. 2). — Spécialt. Corps des magistrats de l'ordre judiciaire. || Conseil supérieur de la magistrature (→ Grâce, cit. 46). || Costume traditionnel de la magistrature (→ Accoutrement, cit. 3, Duhamel). — (1838). || Magistrature assise : les juges. — (1840). || Magistrature debout : le ministère public. ⇒ Parquet.
3 Puisque j'ai prononcé ce mot splendide et terrible, la Justice, qu'il me soit permis (…) de remercier la magistrature française de l'éclatant exemple d'impartialité et de bon goût qu'elle a donné dans cette circonstance (l'acquittement de Flaubert, auteur de Madame Bovary).
Baudelaire, l'Art romantique, XVII, II.
Encyclopédie Universelle. 2012.