MARQUETERIE
Bien que le terme de marqueterie nécessite une explication et une définition précise, il évoque presque immédiatement et principalement le décor de bois qui enchanta les demeures privées et les églises durant tout le XVe et une partie du XVIe siècle en Italie. La fragilité du matériau, soumis plus que tout autre à l’épreuve du temps et aux dangers de l’incendie, ne laissait pas prévoir à l’origine un tel succès. En fait, la marqueterie de bois représenta, à la Renaissance, l’une des manifestations essentielles de l’évolution du goût, comme l’a montré André Chastel: «L’expansion de l’intarsio n’est pas seulement un épisode de l’histoire du décor intérieur; la nouvelle technique se situe au carrefour de tous les arts. Le travail du bois exigeant des cadres et des montages, elle intéresse tourneurs, menuisiers et sculpteurs; son répertoire abstrait bouleverse les formules de l’ornement; dans les motifs figuratifs, nature morte, figure en buste..., la marqueterie semble bien avoir précédé la peinture; elle est enfin, par l’administration systématique des formes géométriques et des mises en perspective, étroitement liée au thème de la «vue d’architecture». Il est permis d’y reconnaître un phénomène central de la période.»
Définition. Techniques voisines
On entend généralement par marqueterie une technique qui consiste à appliquer sur de la menuiserie toute une série d’éléments découpés dans différentes matières, telles que le bois, le métal, etc., dans l’intention d’obtenir des effets ornementaux ou figuratifs. Cette technique a trouvé son application dans la décoration du petit et du grand mobilier de l’Antiquité.
D’autres techniques présentent des affinités avec celle de la marqueterie. En particulier, l’incrustation qui consiste à enchâsser dans une matière quelconque, sans grande valeur, une autre plus précieuse. Elle est utilisée, elle aussi, dès l’Antiquité dans la décoration du mobilier comme on peut le voir notamment dans les cuivres incrustés d’argent syro-égyptiens. On la rencontre également dans l’art oriental et musulman, en Espagne, en France aussi dès le Moyen Âge, mais surtout au XVIe siècle, dans la décoration des armes, et aux XIXe et XXe siècles. C’est l’Extrême-Orient qui produira, dès les époques les plus reculées, les exemples les plus nombreux de bois incrustés de nacre. L’effet obtenu grâce à ce procédé est très voisin de celui de la marqueterie, mais la technique est essentiellement différente: tout d’abord, dans l’incrustation, l’artiste doit creuser le fond (bois, métal, etc.), tandis que, dans la marqueterie, il ne lui fait subir aucun traitement. De plus, dans la marqueterie, le fond est toujours de bois, alors que, dans l’incrustation, il peut varier.
Le damasquinage est une variante de l’incrustation. Ce procédé consiste à creuser dans une plaque de cuivre, de fer ou d’acier, un dessin à bords vifs et à marteler dans la cavité ainsi obtenue un fil d’argent, d’or ou de cuivre de telle manière que les bords du dessin enchâssent le fil. Une lime douce et un polissage à l’émeri terminent ensuite le travail. Le damasquinage est utilisé dès la plus haute antiquité en Égypte, en Grèce, à Rome. Au XVIe siècle, il connaît une grande vogue à Venise, où l’on produit des imitations de pièces syro-égyptiennes, et en France.
Les Italiens emploient pour toutes ces techniques: marqueterie, incrustation, damasquinage, le terme intarsio , de l’arabe tars 稜 , et, pendant toute l’époque médiévale et moderne, désignent par un autre terme, tarsia , dérivé du précédent, soit une œuvre de marqueterie en bois, soit une œuvre de mosaïque en pierre ou en marbre, introduisant ainsi une nouvelle parenté entre marqueterie et mosaïque. Les deux techniques sont en effet voisines, car toutes deux utilisent une infinité de petits éléments, de bois ou de marbre, assemblés de façon à produire une décoration figurative ou ornementale, d’après un carton établi au préalable, mais la différence essentielle réside dans le fait que la régularité des tesselles pour la mosaïque permet de plus grands effets picturaux, alors que l’irrégularité et l’aplatissement des éléments de la tarsia produisent une sorte d’écrasement et de rigidité dans le dessin.
La marqueterie englobe donc également la tarsia de pierre, héritière de la grande mosaïque gréco-romaine, qui connut une certaine vogue en Italie pendant l’époque médiévale et moderne, surtout à la Renaissance.
Histoire
Différents types de marqueterie
La marqueterie sur marbre et sur d’autres matières
La tarsia de pierre semble bien dériver de ce que les Latins appelèrent opus sectile ou opus interrasile . Ces termes désignaient des œuvres en mosaïque obtenues, dans le premier cas, par encastrement de parcelles de marbre dans une surface de même matière ou, dans le second cas, par l’insertion des parcelles dans des cavités ménagées à cet effet dans la surface de marbre. Pendant le Moyen Âge, la tradition romaine de la mosaïque de pierre se retrouve dans les décorations murales à Ravenne aux Ve et VIe siècles (baptistère des Orthodoxes, San Vitale), plus tard à Florence au XIIe siècle (San Miniato). Les effets recherchés sont avant tout des effets de couleur. Au XIVe siècle apparaît un type de tarsia en marbre noir et blanc. À l’intérieur de cavités réalisées dans des plaques de marbre, l’artiste plaçait un mélange obtenu à partir de poix. Les exemples les plus célèbres se trouvent dans le baptistère de Florence, le dôme de Sienne, la bibliothèque Laurentienne à Florence. La marqueterie de marbre ne connut qu’à la période baroque un développement nouveau, bien qu’éphémère, auquel succéda un déclin définitif. L’exemple le plus brillant en est certainement la décoration de la chapelle Spada, dans l’église Saint-Jérôme de la Charité, à Rome, et qui est l’œuvre de l’architecte Borromini.
En Chine, la pratique de la marqueterie sur laque remonte à la période Tang, c’est-à-dire entre le VIIe et le Xe siècle. Elle décore des objets variés. De même, au Japon, elle est employée pour la décoration de petits objets, combinée à la laque, dorée ou noire. Dans le monde islamique, elle semble constituer l’héritage des Coptes et des peuples de la Mésopotamie sassanide qui connaissaient la marqueterie de bois associée parfois aux ivoires, au bronze ou à la nacre. Cette technique est absente du monde ethnologique et des civilisations précolombiennes. Toutefois, chez les peuples d’Océanie, on trouve des placages de nacre sur des vases et autres objets de l’ameublement ou du culte, sur des armes également.
La marqueterie sur bois
Les origines de la marqueterie de bois sont encore très mal connues aujourd’hui, mais il semble que son apparition coïncida, en Italie, avec l’utilisation du bois nu qui n’advint pratiquement pas avant le XIVe siècle. Jusqu’à cette époque, les objets de bois étaient en effet recouverts de stuc ou de peinture. À ce facteur s’ajoute le développement rapide du mobilier, petit ou grand, profane et religieux, qui offrit aux productions d’objets de bois un marché de choix.
Menuisiers et sculpteurs sur bois recherchèrent alors des effets décoratifs comme le démontre par exemple la technique de la «marqueterie à la chartreuse» (tarsia alla certosina ), utilisée au XIVe siècle pour des meubles de petite dimension: coffrets, boîtes, cadres, objets sacrés. Elle consiste en de minuscules tesselles polygonales de bois, d’os ou de nacre (ou toutes ces matières à la fois), appliquées sur les objets de bois. Appelée ainsi parce qu’elle fut en usage principalement dans les monastères de l’ordre de Saint-Bruno, elle connut une certaine vogue jusqu’au XVe siècle en Lombardie et en Vénétie où les monastères de cet ordre étaient nombreux. Les décorations réalisées comportaient presque uniquement des dessins géométriques.
Dans le courant du même siècle, apparut en Toscane, et plus précisément à Sienne, ce que l’on appellera plus tard la «marqueterie picturale» (tarsia pittorica ). Cette dénomination souligne bien l’intention qu’avait l’artiste de parvenir sinon à une imitation totale de la peinture, du moins aux mêmes effets en jouant des différentes couleurs de bois et en exécutant des décorations ornementales et figuratives d’après un carton, comme dans l’art de la mosaïque.
À partir d’un carton, où était tracé le dessin à réaliser, l’artiste découpait dans des feuilles de bois de couleurs variées, à l’aide de ciseaux à bois ou d’un fer très coupant, autant de petits éléments nécessaires à l’exécution du dessin. Ces différents éléments étaient à leur tour reportés et juxtaposés sur un panneau de bois bien lisse, où ils étaient fixés avec une colle spéciale, souvent confectionnée à partir de poisson. Le panneau était alors mis sous presse jusqu’à ce que tout fût sec, puis soumis aux coups du rabot ou du racloir pour égaliser la surface. En dernier lieu, on faisait briller le panneau à l’aide d’un peu de cire.
Aux XIVe et XVe siècles, les dessins étaient exécutés très souvent par les marqueteurs eux-mêmes, mais aussi par des peintres, cette pratique devenant plus fréquente au XVIe siècle. Au début, les artistes jouèrent principalement du contraste des tons clairs et foncés des bois naturels; plus tard, dans le courant du XVe siècle, devenus plus experts, ils parvinrent à obtenir une variété assez grande de couleurs: le vert, le bleu, le jaune, le rouge, par exemple. À ce propos, Giorgio Vasari dans le Proemio (préface) des Vite (première édition de 1550) assure que les couleurs ont été introduites dans la marqueterie à la fin du XVe siècle, par Fra Giovanni da Verona, grâce à l’emploi de teintures. En réalité, de tels effets se voient déjà dans l’œuvre des frères Canozi da Lendinara, au Santo de Padoue notamment, achevé en 1469. Il est en outre très difficile d’affirmer que ces couleurs ont été obtenues par des teintures, car seuls des examens chimiques des bois pourraient apporter une réponse définitive. Il semble que de tels examens n’ont pas encore été réalisés jusqu’à présent. De plus, les menuisiers interrogés à ce sujet affirment de façon unanime que les différentes couleurs qui apparaissent dans la marqueterie du nord de l’Italie pendant la seconde moitié du XVe siècle ont été obtenues à partir de bois naturels non traités qui possèdent tous des veines où le bleu, le vert, le rouge, le jaune sont présents. Selon les mêmes menuisiers, cette science des bois constituerait d’ailleurs une preuve supplémentaire de l’extrême habileté des marqueteurs de la Renaissance.
C’est donc dans le courant du XIVe siècle que semble s’affirmer une école siennoise dont le représentant le plus important fut Vanni dell’Ammannato. Cet artiste réalise avec de nombreux collaborateurs les panneaux marquetés du chœur de la cathédrale d’Orvieto, décorés de motifs ornementaux et de figures de saints. Dans le même esprit, il faut situer l’œuvre de Domenico del Coro, notamment pour la chapelle du Palais public de Sienne, où une série de panneaux illustrent les articles du Credo.
Marqueterie et perspective
Les réflexions sur la perspective qu’entreprirent, vers 1425, à Florence, les premiers théoriciens de la Renaissance: Brunelleschi, Alberti, Paolo Uccello, Piero Della Francesca, apportèrent une petite révolution dans l’esprit de la marqueterie; elles en renouvelèrent et elles en fixèrent pour longtemps le répertoire. En effet, Brunelleschi illustra ses recherches sur l’espace en réalisant les deux célèbres vues urbaines de Florence, disparues aujourd’hui mais évoquées dans les textes. Les lignes de fuite, déterminées par les édifices rangés de part et d’autre d’une place dallée ou d’une rue, dessinaient comme un puzzle dont les différents éléments correspondaient parfaitement à ceux que pouvait découper dans le bois le marqueteur. Paolo Uccello pratiqua les mêmes recherches sur des corps géométriques comme les cubes et les polyèdres; Piero Della Francesca fut sans doute l’un des principaux représentants du style géométrique qui pouvait inspirer des marqueteurs comme les Lendinara. On sait par Vasari que Brunelleschi avait, avant Piero, stimulé les marqueteurs de sa génération, mais leurs œuvres ne nous sont pas parvenues, à l’exception de fragments de guirlandes de fleurs sur fonds d’architecture, exécutées par Antonio Manetti pour la sacristie de la cathédrale de Florence. On peut situer, entre 1460 et 1470, l’âge d’or de la marqueterie florentine, représentée par les frères Giuliano et Benedetto da Maiano dont les travaux furent nombreux à Florence, et par Francione qui fut actif à Pise. Après 1470, les grands événements de la marqueterie se dérouleront loin de Florence puisque c’est à Urbin d’abord, puis à Gubbio et enfin à Sienne que l’on pourra admirer la virtuosité toscane. C’est en effet au Florentin Baccio Pontelli que revient la gloire des boiseries destinées au studiolo du duc Frédéric de Montefeltre, exécutées peut-être d’après des dessins de Francesco di Giorgio et de Botticelli, et de celles réalisées pour le studiolo de Guidobaldo de Montefeltre à Gubbio. Il s’agit là des ensembles les plus célèbres qui aient été réalisés pour des demeures privées. Les loggias en trompe l’œil laissent apercevoir des vues architecturales, les placards feints des objets de toute sorte, et les niches encadrent des personnages représentés en pied. À Sienne, enfin, Antonio Barili fit, entre 1482 et 1502, les stalles du chœur de la chapelle de San Giovanni, dont six panneaux se trouvent actuellement à San Quirico d’Orcia.
Au moment où l’art des marqueteurs atteint son apogée en Toscane, le nord de la Péninsule semble tout à coup conquis par les possibilités de cette technique. L’impulsion paraît bien venir de Toscane, et plus précisément de Piero Della Francesca qui influença les artistes rencontrés lors de son séjour à Ferrare. Il en fut ainsi pour les frères Lorenzo et Cristoforo da Lendinara dont il devint l’ami, si l’on en croit Luca Pacioli, alors qu’ils étaient occupés aux décorations du studiolo de Belfiore à Ferrare, au milieu du XVe siècle. On peut reconnaître la marque de Piero dans le géométrisme pur des panneaux conçus pour le chœur de la cathédrale de Modène, entre 1461 et 1465, tandis que ceux destinés au chœur du Santo de Padoue, hélas! disparus, et exécutés presque en même temps (entre 1462 et 1469) semblent s’orienter vers un parti plus pictural. Dans ces deux ensembles, les vues architecturales alternent avec les natures mortes et les figures de saints. L’œuvre des Lendinara fut considérable et se perpétua dans celles de nombreux élèves et disciples, dont le plus important reste Pier Antonio dell’Abate, gendre de Lorenzo et auteur des panneaux destinés au chœur de Santa Corona de Vicence.
Un autre maître s’illustra dans l’art de la marqueterie et contribua de façon déterminante au succès et à l’apogée de cette technique en Italie du Nord: le moine olivétain Fra Sebastiano da Rovigno, qui fonda une véritable école de marqueterie dans le monastère de Sant’Elena à Venise, pour lequel il réalisa des panneaux, en collaboration avec son élève le plus célèbre, Fra Giovanni da Verona. Ce dernier conduisit son art à un degré de perfection et d’équilibre qui ne sera plus jamais atteint, en tempérant le cubisme des Lendinara, en utilisant avec une grande virtuosité les possibilités du trompe-l’œil, les ressources coloristes des différents bois tout en choisissant avec sobriété et retenue les représentations, qu’il s’agisse de figures de saints, de vues architecturales ou d’objets, qui restent encore très lisibles. On peut admirer aujourd’hui le chœur de Santa Maria in Organo de Vérone, terminé en 1499, et celui de Monte Oliveto Maggiore, près de Sienne, qui fut construit entre 1503 et 1505 et dont une grande partie se trouve dans le chœur de la cathédrale, tandis que les marqueteries placées actuellement dans le chœur du monastère proviennent du chœur de San Benedetto de Sienne, aujourd’hui disparu. On peut admirer aussi le chœur de Sainte-Marie-des-Lombards à Naples, les boiseries de la sacristie de Santa Maria in Organo à Vérone, qui fut la dernière œuvre de Fra Giovanni en 1525, sans compter les travaux entièrement disparus que cet artiste exécuta pour la chambre de la Signature au Vatican et que les monochromies de Perin del Vaga remplacèrent en partie au XVIe siècle.
Après Fra Giovanni, la marqueterie déclina rapidement en Italie. En effet, la perfection technique à laquelle était parvenu cet artiste donna de plus en plus aux marqueteurs la tentation de rivaliser avec la peinture. C’est ce que permettent de constater les panneaux de la cathédrale de Bergame, exécutés entre 1524 et 1530 par Cristoforo Capodiferro d’après des cartons de Lorenzo Lotto, puis ceux du chœur de San Bartolomeo de Bergame, par Fra Damiano de Bargamo, lui aussi issu de l’école de Santa Elena, puis, toujours par le même auteur, ceux du chœur de San Domenico de Bologne, faits entre 1528 et 1540. À ce courant se rattachent également les œuvres de Francesco Zambelli, auteur des chœurs de San Lorenzo de Gênes et du dôme de Savone. Chez tous ces artistes, dominent l’accumulation des détails narratifs et l’abus des personnages. Le bois disparaît alors peu à peu sous le récit de plus en plus dense.
Alors qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle la marqueterie perd de son originalité et de sa force en Italie, elle connaît en Allemagne une période de faveur, notamment à Augsbourg, qui devient le centre d’une production importante. Mais c’est surtout en France qu’elle rencontra un succès important, favorisé peut-être par la création, en 1662, de la Manufacture royale des meubles de la Couronne, par Louis XIV. Cette nouvelle impulsion technique et artistique est liée au nom d’André-Charles Boulle qui exerça son influence sur l’Europe entière. Boulle, ainsi que les autres marqueteurs français, utilisa beaucoup l’incrustation de pierres ou de matériaux précieux, se référant ainsi à un type de marqueterie en usage à Florence à la fin du XVIe siècle. En outre, pour obtenir les différents petits éléments de bois de leur dessin, ces artistes sciaient les feuilles de bois placées deux par deux l’une sur l’autre.
Au XVIIIe siècle, la production continue avec les meubles des ébénistes parisiens Jean François Leleu, Jean-Henri Riesener, Jean François Œben qui emploient des bois variés, souvent bois précieux, pour représenter des guirlandes, des paniers de fleurs, des figures de type pastoral. Ils inspirèrent Abraham et David Roentgen en Allemagne et, en Italie, Piffetti qui fut ébéniste du roi de Sardaigne à partir de 1731.
Depuis le XIXe siècle, l’art de la marqueterie n’a plus connu de nouveaux développements. On ne l’utilise guère que dans la copie des meubles anciens ou dans des travaux de restauration. Pour ces raisons, il continue à faire partie de l’enseignement des futurs ébénistes.
marqueterie [ markɛtri; markətri ] n. f.
• 1416; de marqueté
1 ♦ Assemblage décoratif de pièces de bois précieux (ou d'écaille, d'ivoire, de nacre, de métal ⇒ tesselle) appliquées par incrustation ou par placage sur un fond de menuiserie. Bibelots, coffret en marqueterie.
2 ♦ Branche de l'ébénisterie relative à ces ouvrages. Bois de marqueterie : anis, ébène, myrte, noyer.
3 ♦ (1588) Ensemble formé de parties disparates. ⇒ 1. mosaïque, patchwork (cf. Habit d'arlequin). « une unité faite de pièces et de morceaux, une vraie marqueterie » (Sainte-Beuve).
● marqueterie nom féminin (de marqueter) Ouvrage de bois de rapport, accessoirement de métal ou d'autres matières de diverses couleurs, appliqué sur de la menuiserie par feuilles minces ou placages formant divers dessins. Branche de l'ébénisterie qui fabrique ce genre d'ouvrage. Ouvrage de l'esprit, composé de morceaux disparates. ● marqueterie (difficultés) nom féminin (de marqueter) Prononciation [&ph97;&ph85;ʀ&ph95;ɛ&ph104;ʀ&ph93;] ou [&ph97;&ph85;ʀ&ph95;ə&ph104;ʀ&ph93;], le premier e peut être prononcé comme è ou comme le e de petit. Orthographe Avec un seul t.
marqueterie
n. f.
d1./d Ouvrage d'ébénisterie constitué de placages de bois, de nacre, d'ivoire, etc., de différentes couleurs et formant un motif décoratif. Table de (ou en) marqueterie.
d2./d Art du marqueteur.
d3./d Fig. Ensemble disparate.
⇒MARQUETERIE, subst. fém.
A. — Technique (et p. méton. ouvrage) d'ébénisterie assemblant des pièces de bois, d'essence et de tons différents, juxtaposées sur un fond de menuiserie en vue d'obtenir des dessins, des motifs variés. Scie de marqueterie, marqueterie peinte. Marqueterie en papier peint (pour l'ameublement à bon marché) (Lar. encyclop.). Peut-on refuser une espèce de génie à ces véritables poètes qui (...) en mariant dans des marqueteries chatoyantes les essences étrangères, thuya, violette, amarante (...) ont empreint dans ces humbles choses, un fauteuil, une bergère (...) une vie opulente et légère? (BOURGET, Monique, 1902, p. 12). La technique du placage et de la marqueterie avait été portée à un tel degré de perfection qu'il ne restait plus guère d'innovation possible dans ce domaine (VIAUX, Meuble Fr., 1962, p. 105):
• 1. Quand le placage est bien sec, on enlève le papier et la colle, et on corroie la marqueterie pour la mettre bien de niveau...
NOSBAN, Manuel menusier, 1857, p. 144.
— P. métaph. Qu'on ouvre les livres du Père Garasse (...) la pensée n'y va qu'à travers toutes sortes d'allusions érudites et sous une marqueterie de métaphores, toutes plus raffinées les unes que les autres (SAINTE-BEUVE, Portr. contemp., t. 3, 1840, p. 371). Il [Marcel Proust] s'est fabriqué à l'aide d'une marqueterie de méditations sur le concert, un monde abstrait où il vit heureux (L. DAUDET, Salons et journaux, 1917, p. 257).
—En emploi adj. De marqueterie. Inspiré de la technique de la marqueterie. Un peintre doit avoir deux manières, l'une lâche et violente, abrégée, l'autre miniature et de marqueterie (L. DAUDET, Astre noir, 1893, p. 169).
— P. méton. ,,Atelier où se fait ce travail`` (RAYMOND 1832).
SYNT. Marqueterie d'amarante, de bois de rose; bureau, cabinet, secrétaire, table de/en marqueterie; meuble, ouvrage, plancher de marqueterie; une marqueterie artistique, fleuretée, fragile; une fastueuse marqueterie; d'impeccables marqueteries; marqueterie(s) anciennes(s), délicate(s), massive(s); ouvrier en marqueterie; travailler en marqueterie.
B. — Au fig., péj. Ouvrage d'esprit composé de morceaux disparates, reliés artificiellement entre eux. Ce livre est une marqueterie/un ouvrage de marqueterie; une vraie marqueterie. Ce poète travaille en marqueterie (BESCH. 1845). Ce discours est une marqueterie (Ac. 1835-1935). Synon. mosaïque. Ce livre [Jean Cavalier, d'Eugène Sue] n'est ni une marqueterie où toutes les pièces se commandent, ni un collier où les perles sont tenues par le même fil (BALZAC, Œuvres div., t. 3, 1840, p. 290). J'ai volontairement passé sous silence l'Opéra qui n'est qu'une marqueterie de tous styles, un raccord de toutes les époques (HUYSMANS, Art mod., 1883, p. 95).
— P. ext. [D'une façon plus gén., péj. ou non péj., à propos du style d'un aut. ou dans d'autres domaines artist.: en peint., en mus.] Je m'extasiais devant ces quatre gros volumes [de l'Histoire de la Littérature anglaise de Taine], devant cette vaste machine si délicatement et si solidement construite; j'admirais les marqueteries irrégulières et bizarres de ce style, l'ampleur de certaines parties et la sécheresse des attaches (ZOLA, Mes haines, 1866, p. 162). [La cathédrale de Pise] les assises, alternativement blanches et noires, produisent à l'extérieur une sorte de marqueterie étrange qui est devenue un des caractères de l'architecture italienne à cette époque (MÉNARD, Hist. B.-A., 1882, p. 42). Quarante [années] de travail l'ont mis [le maître de ballet] à même de régler cette scène à grande figuration comme un mouvement d'horlogerie. — De l'horlogerie, peut-être, de la danse, non! crie le Directeur. Des pièces détachées qui s'ajustent, de la marqueterie, de la gesticulation conventionnelle (MORAND, Rococo, 1933, p. 49).
C. — P. ext. Ouvrage de ce genre employant (sur fond de menuiserie) d'autres matériaux que le bois. Marqueterie d'or, d'argent, de nacre. On copie tout naturellement les meubles fabriqués par André Charles Boulle; leur somptuosité, l'emploi du sombre ébène, le clinquant de la marqueterie de cuivre, d'ivoire et d'écaille, plaisent aux contemporains de Napoléon III (VIAUX, Meuble Fr., 1962, p. 164).
♦Marqueterie de marbre. Ouvrage de marbre de différentes couleurs, formé de lames minces appliquées sur un fond de maçonnerie. Marqueterie sur lambris; marqueterie sur sol d'une galerie (BESCH. 1845). Dans bien des cas, la marqueterie se confond avec la mosaïque (JOSSIER 1881).
— P. anal. Lettres en marqueterie. ,,Caractères dont le corps est divisé en compartiments peints de couleurs diverses`` (LITTRÉ).
D. — Art de faire des ouvrages de marqueterie. Habile en marqueterie, la marqueterie est un art assez difficile. Bien connaître la marqueterie (LITTRÉ). La marqueterie est un travail d'artiste (DAVAU-COHEN 1972):
• 2. C'est à Florence que prit naissance le goût de la marqueterie [it. ds le texte], et cet art y fut porté très loin. De grands artistes (...) dirigèrent les grands travaux de marqueterie [id.] dont on orna les chaires des églises, les stalles des choeurs et toutes sortes d'objets d'ameublement. L'art et le goût de la marqueterie [id.] se sont propagés en France, et, depuis la Renaissance, chaque siècle a imprimé à ce travail un genre particulier.
CHABAT 1881, p. 346.
Prononc. et Orth.: [], [--]. Att. ds Ac. dep. 1694. La prononc. [--] peut se traduire dans l'orth. par un doublement du t: -etterie (cf. MART. Comment prononce 1913, p. 172), et, p. ex., NIZAN, Conspir., 1938, p. 181: le petit bureau de marquetterie. Étymol. et Hist. 1. a) 1416 «ouvrage de bois de diverses couleurs appliqué sur de la menuiserie pour former les dessins» (Doc. ds GUIFFREY, Inventaires de Jean, duc de Berry, t. 1, p. 27); b) 1671 «branche de l'ébénisterie relative à ces ouvrages» (POMEY); 2. ca 1590 fig. «ensemble fait de parties disparates, mosaïques» (MONTAIGNE, Essais, III, 9, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 964). Dér. du rad. de marqueter; suff. -erie. Fréq. abs. littér.:93. Bbg. QUEM. DDL t. 16.
ÉTYM. 1416; de marqueté.
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1 Assemblage décoratif de pièces de bois précieux, d'écaille, d'ivoire, de nacre ou de métal, appliquées par incrustation ou plus souvent par placage sur un fond de menuiserie, de manière à former des dessins. || Marqueterie en mosaïque. || Bibelots (cit. 1), boîte, coffret en marqueterie. || Table de marqueterie (→ Condamner, cit. 14). || Gaine (cit. 12) d'horloge enrichie de marqueterie.
1 Les marqueteries (dans le mobilier Louis XV) dessinent soit de grands compartiments, arrondis ou ondulés, qui continuent la mode Louis XIV et dont le dessin est identique à celui des bronzes, soit de menus motifs qui décorent les larges compartiments précédents ou ornent les divers panneaux du meuble; ce sont des losanges traités « à la manière de mosaïques », des quatrelobes, des damiers, des cubes, des chevrons, parfois de véritables tableaux de fleurs, trophées, oiseaux, personnages, paysages (…)
P. Verlet, le Style Louis XV, IV, II.
♦ Par anal. || Marqueterie de marbre (→ Lapicide, cit.).
2 (1868). Par ext. Branche de l'ébénisterie appliquée à la fabrication de ces ouvrages. || Bois de marqueterie : anis, carouge; ébène (cit. 1), myrte, etc.
3 (1588). Fig. Ensemble composé de parties disparates. ⇒ Bigarrure, mosaïque.
2 Mon livre est toujours un. Sauf qu'à mesure qu'on se met à le renouveler (…) je me donne loi d'y attacher (comme ce n'est qu'une marqueterie mal jointe) quelque emblème supernuméraire.
Montaigne, Essais, III, IX.
3 C'est (…) de toutes ces surfaces brillantes juxtaposées en faisceau que se compose ce poème bigarré, le trophée qu'on appelle sa vie (de Chateaubriand). Unité d'artiste, unité factice, car c'est une unité faite de pièces et de morceaux, une vraie marqueterie.
Sainte-Beuve, Chateaubriand…, t. I, p. 237.
Encyclopédie Universelle. 2012.