ORTHOGRAPHE
ORTHOGRAPHE
Manière d’écrire correctement les mots d’une langue. Dans les langues qui possèdent une écriture alphabétique, ce qu’on attend d’une orthographe, c’est essentiellement qu’elle soit claire et pour cela qu’elle soit aussi phonétique que possible, c’est-à-dire qu’à chaque phonème de la langue corresponde un signe et un seul. En fait, bien peu de langues ont une orthographe satisfaisante de ce point de vue; l’espagnol ou l’italien s’en approchent; le français, au contraire, a une orthographe particulièrement inadéquate. Ainsi le a nasal (comme dans «rang») s’écrit aussi bien an , am (lampe), en (vent), em (temps), aon (paon), aen (Caen); le i nasal se note in (fin), ain (pain), ein (rein), etc. Cela tient à plusieurs raisons.
Tout d’abord il est rare qu’une langue soit notée à l’aide d’un alphabet qui lui soit propre; l’alphabet est souvent emprunté à une autre langue, cela pour des raisons de domination politique et culturelle, comme dans la plupart des phénomènes d’emprunts linguistiques. Il se peut alors que les caractères phonétiques de chaque langue soient très différents. De plus, quand bien même l’alphabet serait adéquat à un moment donné, il cesserait progressivement de l’être en raison des différences qu’on peut observer entre les vitesses d’évolution de la prononciation et de la graphie. Les indications de prononciation données par Littré, il y a maintenant un siècle, sont depuis longtemps désuètes: certaines consonnes finales, muettes pour Littré, sont aujourd’hui prononcées, ainsi le t et le s dans «but» et «ours», par exemple.
L’orthographe établie au XIIe siècle pour le français était assez bonne et notait toutes les lettres prononcées. À partir du XIIIe siècle, les scribes introduisirent nombre de lettres parasites, tant pour gonfler leurs honoraires ou pour faire figure d’érudits que pour tenter d’éliminer certaines homonymies (on écrit ung pour «un», pour éviter la confusion avec uit , «huit»). La plus grande fantaisie règne dans la notation, et certains mots connaissent jusqu’à vingt variantes. Au milieu du XVIe siècle, Peletier du Mans et Meigret proposent de simplifier l’orthographe, mais c’est le courant des érudits qui l’emporte, avec Robert Estienne à sa tête, et qui commence à régulariser l’orthographe en se référant à l’étymologie (par ailleurs plus ou moins exacte). Les imprimeurs contribuent largement à ordonner et à systématiser les règles qu’on établit alors et que consacrera l’Académie française dans sa première édition du Dictionnaire , en 1694. Par la suite, des réformes très partielles se succéderont jusqu’en 1835, date à laquelle l’orthographe de l’Académie devient l’orthographe officielle et est imposée dans l’enseignement.
Depuis la fin du XIXe siècle, on parle à nouveau d’une réforme de l’orthographe. Mais l’arrêté de 1901 autorisant certaines tolérances grammaticales n’est susceptible d’aucune application pratique de quelque ampleur. Quant aux différentes commissions de réforme qui se sont attachées à ce travail (Langevin-Wallon en 1946, Beslais en 1952), aucun de leurs projets n’a abouti. Les difficultés pratiques d’une réelle et profonde réforme de l’orthographe seraient immenses: réimpression de tous les livres, reformulation de toutes les inscriptions et, pour chaque individu, nécessité d’user en fait d’une double graphie. De plus, les récents travaux de la linguistique ont montré l’intérêt de certains phénomènes orthographiques aberrants du point de vue de la pure phonétique. Il semble peu probable qu’une vaste réforme puisse être mise en œuvre dans un proche avenir.
orthographe [ ɔrtɔgraf ] n. f.
1 ♦ Manière d'écrire un mot qui est considérée comme la seule correcte. Chercher l'orthographe d'un mot dans le dictionnaire. Orthographe d'usage : graphie usuelle des mots. Orthographe d'accord : graphie de ces mots selon la fonction qu'ils remplissent dans la phrase. Règles d'orthographe. Dictée pour l'apprentissage de l'orthographe. Faute d'orthographe. Réforme, simplification de l'orthographe. « notre orthographe [...] est un recueil impérieux ou impératif d'une quantité d'erreurs d'étymologie artificiellement fixées par des décisions inexplicables » (Valéry).
♢ Capacité d'écrire sans faute. « Je ne sais pas grand'chose, mais je sais l'orthographe » (Anouilh). Être bon, nul en orthographe. Concours d'orthographe. Trouble d'acquisition de l'orthographe. ⇒ dysorthographie.
2 ♦ Manière dont un mot est écrit. ⇒ graphie. Mots qui ont la même orthographe. ⇒ homographe. Ce mot a deux orthographes (⇒ variante) .
3 ♦ Système de notation des sons par des signes écrits, propre à une langue, à une époque, à un écrivain. ⇒ écriture. L'orthographe du XVI e siècle, de Ronsard. Orthographe étymologique, phonétique, conforme à l'étymologie, à la prononciation.
● orthographe nom féminin (latin orthographia, du grec orthographia) Ensemble de règles et d'usages définis comme norme pour écrire les mots d'une langue donnée. (On distingue l'orthographe d'accord, fondée sur les règles de la grammaire, et l'orthographe d'usage, qui n'obéit pas à des règles précises.) Maîtrise, connaissance de ces règles et de ces usages : Avoir une orthographe désastreuse. Manière d'écrire les mots : Orthographe phonétique. Graphie correcte d'un mot : Il y a deux orthographes possibles pour ce mot. ● orthographe (citations) nom féminin (latin orthographia, du grec orthographia) Théophile Gautier Tarbes 1811-Neuilly 1872 Je mettrai l'orthographe même sous la main du bourreau. Mot rapporté par Charles Baudelaire dans Mon cœur mis à nu ● orthographe (difficultés) nom féminin (latin orthographia, du grec orthographia) Genre Féminin : il a une bonne orthographe ; l'orthographe du mot est indécise.
orthographe
n. f.
d1./d Ensemble des règles régissant l'écriture des mots d'une langue. Réforme de l'orthographe.
|| Application effective de ces règles. Avoir une bonne orthographe.
d2./d Manière correcte d'écrire un mot. L'orthographe de "rhododendron".
⇒ORTHOGRAPHE, subst. fém.
A. —[L'accent est mis sur la notion de correction]
1. Manière, considérée comme correcte, d'écrire un mot. Orthographe d'un nom difficile, vérifier l'orthographe d'un mot. Si votre Excellence daignait me dicter l'orthographe des mots lettre à lettre, les envieux ne sauraient plus que dire (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p.191). Les noms anciens n'ont pas d'orthographe (NERVAL, Filles feu, Angélique, 1854, p.562):
• 1. [Il] donna à son oncle le nom d'un détacheur bien supérieur à tout ce qu'on fait en ce genre, nom dont M. Octave prit note, par politesse, se faisant même préciser l'orthographe, encore qu'il eut l'intention bien arrêtée de n'acheter jamais ce produit...
MONTHERL., Célibataires, 1934, p.809.
2. Ensemble des règles fixées par l'usage, la tradition, qui régissent l'organisation des graphèmes, la manière d'écrire les mots d'une langue; connaissance et application de ces règles. Apprendre, mettre, savoir l'orthographe; ne pas avoir d'orthographe; réforme de l'orthographe. Est-il une faute d'orthographe que d'écrire escamotter avec deux tt? escamotez-en un, alors (FLAUB., Corresp., 1864, p.146). Dompeteur:cette prononciation absurde est un des méfaits de l'orthographe enseignée à des enfants du peuple. On ne sait d'ailleurs où des humanistes ont pris le p dont ils ornèrent ce mot (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p.156). [Pour les linguistes] l'orthographe n'est pas seulement un code ou une institution sociale, mais un ensemble de signes linguistiques (N. CATACH, L'Orthographe, Paris, 1978, p.54):
• 2. Toute orthographe phonologique dans son principe doit savoir faire des concessions, parfois très importantes, à une notation appropriée du système morphologique de la langue; c'est surtout le cas lorsque l'instabilité phonétique multiplie les variantes combinatoires, ou qu'il semble utile de conserver les caractères graphiques de la forme de base pour mieux faire sentir l'unité grammaticale ou lexicologique.
E. JUNG ds N. CATACH, L'orthographe, Paris, 1978, p.93.
♦Orthographe d'accord, d'usage. ,,On distingue l'orthographe d'usage et l'orthographe d'accord, l'une concernant la pure graphie du mot, l'autre sa situation et son rôle dans la phrase`` (LEIF 1974).
— P. métaph. La pauvre enfant n'a guère de littérature. Je suis sûr qu'elle se borne à l'orthographe du coeur, celle qui ne met point d's au pluriel (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p.59).
— P. anal., domaine de la mus.
♦Orthographe musicale. ,,De même que, dans la langue française, les mêmes sons changent de signification dès qu'ils sont représentés par des combinaisons différentes de signes graphiques, de même, dans l'orthographe musicale, une même sonorité notée par un ut dièse ou par un ré bémol correspond à des tonalités distinctes et devient d'une double ressource dans le discours harmonique`` (BRENET, Dict. prat. et hist. mus., 1926, p.133).
— Au fig., vieilli. Faute d'orthographe. Manquement aux usages, aux bonnes moeurs. Pas la moindre faute d'orthographe dans la conduite de la mère ou de la fille (STENDHAL, Nouv. inéd., 1842, p.53). Je l'espère bien que vous ne m'avez jamais trouvée ridicule. Suis-je femme à faire de pareilles fautes d'orthographe dans une toilette? (BALZAC, Splend. et mis., 1844, p.166).
B. — P. ext. [Sans idée de réf. à une norme]
1. Manière, quelle qu'elle soit, d'écrire un mot. Il y avait là des lettres, des projets, des pétitions de toutes les écritures et de toutes les orthographes (ZOLA, E. Rougon, 1876, p.228). Ce nom de Swann (...), que je connaissais depuis si longtemps, était maintenant pour moi (...) un nom nouveau (...). Je le décomposais, je l'épelais, son orthographe était pour moi une surprise (PROUST, Swann, 1913, p.413):
• 3. Hucheloup avait inventé une chose excellente (...) des carpes farcies qu'il appelait carpes au gras (...). Hucheloup, un beau matin, avait jugé à propos d'avertir les passants de sa «spécialité» (...) comme il avait une orthographe à lui de même qu'une cuisine à lui, il avait improvisé sur son mur cette inscription remarquable: CARPES HO GRAS.
HUGO, Misér., t.2, 1862, p.313.
2. Système de représentation des sons par des graphies, qui est propre à une époque, à un pays, à un auteur, etc. Orthographe du XVIe siècle, de Ronsard, de Voltaire; orthographe phonétique. Philippe est pour l'orthographe réformiste. Il écrit:une cais d'eu (RENARD, Journal, 1906, p.1041). On comprend qu'on puisse parler de l'«orthographe d'Untel», lorsqu'en s'en tenant aux variations admises, une forte personnalité pratique systématiquement un type de graphie qui la signale à l'attention (Cl. BLANCHE-BENVENISTE, A. CHERVEL, L'Orthographe, 1969, p.88):
• 4. ... les voyageurs, les marins, les hommes d'armes, les découvreurs, tous aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l'orthographe d'une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu'ils étaient des grands vivants...
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p.15.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1529 (GEOFFROY TORY, Champfleury, f° 44 v°). Empr. au lat. orthographia terme de gramm. «orthographe», et d'archit. «orthographie, élévation, profil», du gr. ayant également ces deux sens; v. orthographie. Fréq. abs. littér.:373. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 453, b) 833; XXe s.: a) 600, b) 391. Bbg. BEAULIEUX (Ch.). Hist. de l'orthographe fr. Paris, 1927, 2 v. —BLANCHE-BENVENISTE (Cl.), CHERVEL (A.). L'Orthographe. Paris, 1969, 238 p. — BURNEY (P.). L'Orthographe. Paris, 1955, 128 p. —CATACH (N.). L'Orthographe. Paris, 1978, 128 p.; L'Orthographe fr.: traité théor. et pratique... Paris, 1980, 334 p. —THIMONNIER (R.). Pour une pédag. rénovée de l'orthographe et de la lang. fr. Paris, 1974, 96 p.; Le Syst. graph. du fr. Paris, 1967, 409 p.
orthographe [ɔʀtɔgʀaf] n. f.
ÉTYM. 1529; ortografie (→ Orthographie), XIIIe; lat. orthographia, mot grec, de orthos « droit », et graphein « écrire ».
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1 Manière d'écrire (un mot, une suite de mots) considérée comme la seule correcte. || Chercher l'orthographe d'un mot dans le dictionnaire. || Orthographe des mots empruntés aux langues étrangères. — Ensemble des règles, officiellement enseignées ou imposées par l'usage, selon lesquelles on doit écrire les mots d'une langue. || Orthographe d'usage : ensemble des conventions qui régissent la graphie des mots indépendamment de la fonction qu'ils peuvent remplir dans une phrase. || Orthographe d'accord : ensemble des règles qui régissent la graphie des mots selon la fonction qu'ils remplissent dans une phrase. || Orthographe et grammaire. || Faute (cit. 33) d'orthographe. || L'orthographe française s'est fixée à une date relativement récente. || Bizarrerie, inconséquences (cit. 7) de l'orthographe. || Réforme, simplification de l'orthographe.
1 L'absurdité de notre orthographe, qui est, en vérité, une des fabrications les plus cocasses du monde, est bien connue. Elle est un recueil impérieux ou impératif d'une quantité d'erreurs d'étymologie artificiellement fixées par des décisions inexplicables.
Valéry, Variété III, p. 279.
2 On s'expliquera pareilles singularités (de l'orthographe) si l'on songe, d'une part, que l'orthographe française s'est fixée à une époque où la prononciation continuait à évoluer (…) d'autre part, que, dans la suite, l'imprimerie, en fixant l'écriture, a exercé une influence conservatrice sur cette dernière et rendu par là même plus difficile une harmonisation de l'orthographe et de la prononciation.
Fischer et Hacquard, À la découverte de la grammaire franç., p. 47.
♦ Connaissance de ces règles; fait de les appliquer avec rigueur et sûreté. || Apprendre l'orthographe. || Exercice, leçon d'orthographe. || Il n'a pas d'orthographe. || Être bon, mauvais en orthographe. || Trouble d'acquisition de l'orthographe. ⇒ Dysorthographie. — Application effective de ces règles dans un texte. || Mettre l'orthographe (→ Hors, cit. 20).
3 Je ne sais pas grand'chose, mais je sais l'orthographe. Et les couplets que l'on chante chez moi, je veux qu'ils soient écrits avec l'orthographe.
J. Anouilh, Ornifle, I, p. 32.
2 Manière dont un mot, un énoncé, un texte est écrit. ⇒ Écrire, graphie. || Écrire un mot selon telle ou telle orthographe. ⇒ Orthographier. || Mots qui ont la même orthographe. ⇒ Homogramme, homographe. || L'orthographe de qqn, sa façon d'écrire, quant à l'orthographe (1.), aux règles. || Orthographe correcte, barbare (cit. 16), capricieuse (→ Illettré, cit. 6), vicieuse. || Cet enfant a une très mauvaise orthographe, il doit l'améliorer.
4 Il lit et écrit couramment. Son orthographe est très mauvaise, oui, très mauvaise.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XX, p. 161.
3 Ensemble de graphies, système de notation des sons par des signes écrits; norme graphique. → aussi cit. 1 et 2, ci-dessus. || L'orthographe d'une langue. || L'orthographe française, anglaise. || L'orthographe du XVIe siècle, de Ronsard, de Voltaire. || L'orthographe des éditeurs lyonnais, parisiens, au XVIe siècle. || Orthographe étymologique, phonétique. || Orthographe commode, rationnelle, absurde, encombrée de lettres étymologiques. || Fixer, normaliser l'orthographe d'une langue récemment écrite. || Problèmes de l'orthographe des créoles.
5 (…) on doit se demander d'abord dans quelle mesure une orthographe est capable d'atténuer le désaccord entre la parole et l'écriture, jusqu'à quel point la graphie peut représenter la prononciation. Certaines orthographes doivent justement leurs complications au désir de renseigner le lecteur de la façon la plus précise sur la prononciation des mots (…) jamais une orthographe n'a exactement reproduit le langage parlé. Imaginons une orthographe dite phonétique, enrichie de caractères variés, pourvue de signes diacritiques; elle ne permettra jamais à quelqu'un qui n'aurait pas entendu parler la langue d'en réaliser parfaitement la prononciation.
J. Vendryes, le Langage, p. 390.
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DÉR. Orthographier, orthographique. — V. Orthographie.
Encyclopédie Universelle. 2012.