PARANOÏA
Le mot «paranoïa» (du grec 神見福見, contre, et 益礼羽﨟, esprit) est synonyme de « folie » dans le langage populaire allemand depuis le XVIIIe siècle; en France, l’équivalent de ce mot est «paranoïe» (Larousse, 1874), terme beaucoup moins employé. «Paranoïa» prend la signification psychiatrique actuelle de « délire systématisé progressif» d’abord en Allemagne avec Heinroth (De paranoia fixa perperam dicta monomania ) en 1842, et surtout avec K. Kahlbaum en 1863. Il est introduit en France par J. Seglas (Archives de neurologie , 1887) et par le Traité clinique des maladies mentales de R. Krafft-Ebing, traduit en 1897. Seglas en donne dans ses leçons cliniques de 1895 une définition toujours valable: «On désigne sous le nom de paranoïa – folie systématique – un état psychopathique fonctionnel, caractérisé par une déviation particulière des fonctions intellectuelles les plus élevées, n’impliquant ni une décadence profonde ni un désordre général, s’accompagnant presque toujours d’idées délirantes systématisées et permanentes. Ce délire [...] se présente comme une sorte de perception inexacte de l’humanité, échappant à la loi du consensus universel, comme une interprétation particulière du monde extérieur dans ses relations avec la personnalité du malade qui rapporte tout à lui, soit en mal, soit en bien («caractère égocentrique» des auteurs allemands); et il s’accompagne toujours d’un manque de critique, de contrôle, d’une foi absolue, bien que la lucidité reste complète en dehors du délire. Les hallucinations, lorsqu’il en existe, sont créées à l’appui de ce délire, le personnifient en quelque sorte, et, par suite, ont le même caractère égocentrique.»
1. Histoire nosographique
En France, la paranoïa correspondait au délire de persécution décrit par C. Lasègue. Cette entité nosologique, apparue en 1852, trouvait son origine dans certaines formes de « mélancolies » ou délires partiels de P. Pinel, et se situait dans le cadre des « monomanies » créé par J. E. Esquirol pour bien distinguer la mélancolie, ou lypémanie (délire triste), des délires monomaniaques dont la monomanie de persécution était une des formes les plus fréquentes. F. Leuret insiste le premier sur la distinction entre les délirants «incohérents» et les «arrangeurs» dont le délire se systématise, s’organise d’une manière logique (1834). Plus tard, V. Magnan précise les caractères du délire chronique à évolution systématique en l’opposant aux délires mal construits des dégénérés. Ses élèves, P. Sérieux et J. Capgras, attachent leur nom à la forme de délire la plus typique: le délire d’interprétation, ou folie raisonnante (1909), qui viendra se confondre avec la paranoïa telle qu’elle apparaît alors, dans la classification de E. Kraepelin, sous le nom de Verrücktheit . En Allemagne, c’est ainsi que, dès 1845, l’avait dénommée W. Griesinger, en insistant sur son origine primitive, indépendante de toute cause extérieure ou de tout état morbide antérieur. Kahlbaum reprend, dans son traité de 1863, le terme «paranoïa» pour décrire, au chapitre sur les vecordias (maladies mentales où l’atteinte psychique est partielle, par opposition aux vesanias, qui lèsent définitivement la totalité du psychisme, et aux dysphrenias, qui ne la touchent que temporairement), les troubles de l’entendement. À côté de la paranoïa, il fait place à la dysthymia, atteinte de la sphère affective, et à la diastrephia, atteinte de la volonté. Dans cette perspective héritée, par l’intermédiaire de J. C. Heinroth, de la philosophie kantienne, la paranoïa apparaissait donc comme la maladie des fonctions du jugement et de l’entendement, s’opposant à celle des émotions et des sentiments, ce qui en excluait toute pathogénie émotionnelle ou affective.
Cependant E. Mendel décrit, en 1883, à côté de la paranoïa primaire, des paranoïas secondaires, et K. F. Westphall les «paranoïas aiguës» qui deviendront les bouffées délirantes paranoïdes, plus ou moins confusionnelles. Krafft-Ebing, quant à lui, n’admet que la paranoïa primitive. Il décrit dans son Traité clinique , à côté de la paranoïa persécutoire tardive classique, une paranoïa «originaire», qui survient chez l’adulte jeune et qui est moins cohérente. C’est à partir de la séparation de plus en plus tranchée entre la paranoïa primitive, dont le délire est bien systématisé, et les paranoïas mal systématisées, secondaires, aiguës, pour lesquelles est créé le qualificatif de «paranoïde», que Kraepelin rapproche peu à peu la première des psychonévroses et fait rentrer les secondes dans le cadre de la démence précoce sous le nom de «démences paranoïdes». Cet auteur, qui va marquer profondément la nosographie psychiatrique, isole ainsi soigneusement la paranoïa de la démence précoce, à tel point qu’au cours des éditions successives de son traité elle prend une place de plus en plus limitée pour ne plus définir que des délires bien systématisés, sans aucune «atteinte démentielle», et surtout interprétatifs. Il s’agit, écrit-il, du «développement insidieux, sous la dépendance de causes internes et selon une évolution continue, d’un système délirant durable et impossible à ébranler, qui s’instaure avec une conservation complète de la clarté et de l’ordre de la pensée, de la volonté et de l’action».
2. La structure paranoïaque des délires
Ce rétrécissement du cadre de la paranoïa va permettre d’étendre celui de la démence précoce qui, devenue avec E. Bleuler la «schizophrénie», englobe finalement presque toutes les psychoses chroniques. L’école française s’oppose, cependant, à cette évolution nosographique constatée en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. Sous l’influence de H. Claude puis de H. Ey, les délires chroniques restent isolés de la démence précoce. Ils se regroupent selon leur organisation, leur construction, leur structure, en trois grandes catégories: délires à structure paranoïde (délires incohérents, non systématisés, les plus proches des formes délirantes de la schizophrénie que sont les démences paranoïdes); délires à structure paraphrénique (délires fantastiques dont la prolifération, quoique encore très chaotique et d’inspiration diverse, s’organise un peu, comme en architecture, le «palais idéal» du facteur Cheval); délires à structure paranoïaque, qui se «caractérisent par le développement systématique et cohérent d’un drame persécutif, l’argumentation irréductible, lucide, pénétrable et même contagieuse, la tonalité affective et agressive fondamentale, l’absence d’affaiblissement psychique notable. Ces délires regroupent, hallucinatoires ou non, les délires passionnels, les délires d’interprétation, certains délires d’influence» (H. Nodet). Cette spécificité structurale de la paranoïa va donc en sous-tendre les manifestations cliniques.
3. Le délire paranoïaque et ses formes
Sur le plan clinique (cf. supra ), le mécanisme du délire est essentiellement interprétatif. L’interprétation morbide amène le malade à donner une signification allant dans le sens de son délire à des événements banals, au comportement et aux propos d’autrui, pourtant dénués d’intention hostile et normalement perçus. Les intuitions sont rares; quant aux hallucinations, elles restent généralement au second plan, mais sont plus fréquentes que ne le pensaient Sérieux et Capgras. Les contenus délirants, les thèmes, touchent le plus souvent à l’histoire personnelle du patient. Ils sont égocentriques. Au sentiment fréquent d’atteinte du moi, dans la période initiale, succède fréquemment celui d’hypertrophie du moi à la période terminale. Comme l’avait déjà remarqué Lasègue, le sujet passe successivement de la dépression à la persécution, puis à la mégalomanie (folie des grandeurs). L’extension du délire peut se faire soit en secteur, c’est-à-dire en restant localisée à l’idée prévalente (passion amoureuse ou jalouse, revendication, invention, mysticisme, réforme religieuse ou politique, filiation), soit en réseau, c’est-à-dire en gagnant progressivement toutes les relations et tous les secteurs de la vie du malade. C’est le cas habituel dans la forme classique du délire interprétatif de persécution. Ainsi se trouvent caractérisées deux grandes formes de délires: les délires passionnels à idée prévalente (érotomanie, jalousie, revendication) et les délires interprétatifs extensifs.
L’érotomanie, magnifiquement décrite par G. de Clérambault, est l’illusion délirante d’être aimé par un «objet» le plus souvent inaccessible (vedette, homme politique en vue, médecin, prêtre, avocat, ces trois dernières professions étant spécialement prédisposées à servir d’objet à l’érotomane, qui, huit fois sur dix, est une femme). L’affection évolue selon trois stades: après une phase d’espoir souvent prolongée arrive la phase de déception durant laquelle les sollicitations sont de plus en plus inopportunes pour l’«objet», puis la phase de rancune qui peut s’accompagner de manifestations médico-légales graves (chantage, conduites agressives et parfois tentatives de meurtre).
Le délire de jalousie est une jalousie amoureuse morbide qu’il faut bien distinguer des délires de jalousie secondaire de l’alcoolique. Elle est souvent l’expression d’une passion homosexuelle inconsciente pour le rival (D. Lagache).
Le délire de revendication est caractérisé par le besoin prévalent et la volonté irréductible de faire triompher une demande que la société se refuse à satisfaire. Le patient a la conviction inébranlable de détenir la vérité et d’être d’une entière bonne foi. S’en rapprochent les délires de filiation et de parenté célèbre méconnue (dans le genre faux «Louis XVII», «fille du Tsar rescapée du massacre», entre autres), les délires mystico-religieux et politiques (dont sont atteints certains assassins de chefs d’État, régicides décrits par E. Régis), les délires d’invention («inventeurs méconnus» du traitement du cancer, du mouvement perpétuel, par exemple; il n’est pas toujours aussi facile qu’on l’a dit de les distinguer des inventeurs authentiques). Enfin, les «idéalistes passionnés» décrits par Dide et Guiraud, souvent réformateurs ou mystiques, peuvent rentrer dans cette catégorie, encore qu’il s’agisse moins de véritables délirants que de personnalités psychopathiques, lesquelles posent le problème, envisagé plus loin, du passage de la personnalité paranoïaque au délire paranoïaque.
La forme la plus classique des délires interprétatifs est le délire de persécution à interprétations multiples, qui s’étend en réseau et envahit peu à peu toutes les activités du patient. Il s’accompagne parfois d’hallucinations. Les conduites agressives y sont très fréquentes: dénonciations, plaintes non justifiées à la police et au procureur, coups, blessures et parfois meurtre du ou des «persécuteurs». S’en rapproche une forme individualisée par E. Kretschmer, le délire de relation, ou paranoïa sensitive, survenant chez des sujets sensibles et timides, capables de retenir des expériences vécues pénibles jusqu’à la réaction brutale délirante qui envahit sur le mode persécutoire tout le système relationnel du patient. On a pu parler à ce sujet d’une véritable compensation paranoïaque à une infériorisation affective et sociale prolongée.
4. Étiologie et pathogénie: la personnalité paranoïaque
L’apparition des délires paranoïaques, chez des sujets le plus souvent prédisposés, les a fait considérer soit comme des psychoses purement endogènes (Kraepelin, Kehrer, Gaupp), soit comme un développement de la personnalité antérieure (Jaspers, Lacan) sans qu’il y ait véritable solution de continuité entre le caractère paranoïaque et le délire. Rares sont les psychiatres qui ont retenu la possibilité d’un véritable processus morbide entraînant un bouleversement total de la personnalité (G. de Clérambault, K. Schneider). Il est cependant admis que certaines expériences délirantes primaires, des «crises» ou «moments féconds» dans la vie du sujet, de véritables intuitions délirantes peuvent brusquement faire basculer dans la psychose ce qui n’était jusque-là qu’une personnalité paranoïaque.
Celle-ci, bien décrite par G. Genil-Perrin en 1926, se définit par un certain nombre de tendances ou traits de caractère: orgueil, méfiance, fausseté du jugement, psychorigidité et inadaptabilité. Ces tendances relèvent de deux troubles fondamentaux: la surestimation pathologique du moi et la fixation de la sexualité à un stade prégénital.
Le premier trouble aurait son origine dans un égocentrisme primitif qui entraîne une altération unilatérale des relations du sujet avec autrui et lui donne le sentiment de vivre dans un monde de «méchanceté convergente» (Alby): la méfiance qu’il affiche est alors inévitable; la fausseté précoce du jugement l’amène à se tromper sur lui-même et sur les autres; l’autocritique est fortement troublée, et la systématisation abusive apparaît facilement.
Le second trouble est caractérisé par un choix d’objet sexuel prégénital: soit hétérosexuel avec difficultés de relations sexuelles normales et troubles du type de l’éjaculation précoce (refus de donner au partenaire) ou de l’exhibitionnisme, soit non réalisé (très forte timidité), soit homosexuel. Mais dans ce dernier cas, l’homosexualité reste généralement inconsciente et latente. Sa manifestation est inacceptable pour le patient qui va s’en défendre par la projection paranoïaque; celle-ci donne la clé de la psychogenèse du délire paranoïaque.
C’est Freud qui, en étudiant les Mémoires d’un célèbre paranoïaque, le président Schreber, interné pendant de nombreuses années, a montré l’importance des processus de projection dans le déclenchement du délire: «Une perception interne est réprimée, et, en ses lieu et place, son contenu, après avoir subi une certaine déformation, parvient à la conscience sous forme de perception venant de l’extérieur. Dans le délire de persécution, la déformation consiste en un retournement de l’affect; ce qui devrait être ressenti intérieurement comme de l’amour est perçu extérieurement comme de la haine.» Ainsi naît la «persécution», par une projection défensive contre un sentiment intolérable que Freud ramène finalement à une proposition unique: «Moi (un homme), je l’aime (lui, un homme)», que le délirant contredit en proclamant: «Je ne l’aime pas, je le hais.» Mais cette contradiction reste inconsciente et se trouve traduite – la perception intérieure étant remplacée dans le mécanisme projectif par une perception venant de l’extérieur – par le processus suivant: «Je le hais» devient, grâce à la projection, «Il me persécute», ce qui justifie la haine propre du délirant.
Dans le délire de jalousie, comme l’a montré Lagache, le mécanisme est identique, le malade soupçonnant le conjoint d’aimer des partenaires qu’il désire lui-même, inconsciemment. D’où cet intérêt persécutoire chez le jaloux pour le rival, comme on le voit parfaitement décrit dans L’Éternel Mari de Dostoïevski. J. Lacan, enfin, a bien insisté sur la valeur de châtiment inhérente au système de persécution paranoïaque où s’est enfermé le patient. Il s’agirait d’un châtiment inconsciemment désiré, donnant finalement un sens autopunitif à la paranoïa.
Ainsi, la paranoïa n’est pas un simple trouble intellectuel, une erreur du jugement. Elle a ses racines dans une perturbation plus profonde, d’ordre instinctivo-affectif. Et c’est à ce niveau qu’elle peut se traiter, sinon toujours se guérir. Mais il faut reconnaître que les limites du pathologique entraînant l’intervention psychiatrique sont parfois difficiles à caractériser. Entre la connaissance «paranoïaque-critique» de l’artiste et du poète, préconisée par Salvador Dali (Le Mythe tragique de l’Angelus de Millet ) et le véritable délire, se situent toute une série de degrés qu’il faut savoir apprécier. Beaucoup de grands révolutionnaires l’ayant été effectivement, les opposants au régime politique, à la culture d’une société sont facilement classés comme «paranoïaques» par les défenseurs de ce régime ou de cette société. Le milieu social peut d’ailleurs avoir une influence déterminante. E. Lembert a pu démontrer que, dans certains cas, le «processus pathologique» de la paranoïa n’est pas seulement le fait de l’évolution d’une personnalité prémorbide, mais celui de l’ensemble des interactions et des relations sociales du patient. En raison de l’intolérance du milieu, le futur paranoïaque est progressivement exclu et véritablement «persécuté» par un entourage méfiant et hostile qui adopte à son égard une attitude policière et «conspiratrice». On peut dire que «les paranoïaques ont aussi leurs ennemis». De plus en plus «indésirables», ils sont alors isolés de leur groupe social, professionnel, familial même, mis en quarantaine, «au secret». Les manifestations originales de leur comportement sont «amplifiées», interprétées dans un sens à la fois péjoratif et pathologique. Ils vivent alors au sein d’une véritable «spirale de mensonges» (E. Gofman) les acculant littéralement au délire de persécution. Cette «sociogenèse» de la paranoïa est plus fréquente qu’on ne le croit et pourrait expliquer que des régimes totalitaires aient pu faire de certains de leurs opposants, jusque-là sains d’esprit, de véritables délirants condamnés ainsi à la perte de leur liberté et à l’internement psychiatrique pour des raisons politiques.
paranoïa [ paranɔja ] n. f.
• paranoïe 1838 ; mot all. (1772); gr. paranoia « folie »
♦ Méd.
1 ♦ (jusque v. 1920) Vx Délire systématisé avec conservation de la clarté de la pensée, ou délire d'interprétation.
2 ♦ Mod. Troubles caractériels (orgueil démesuré, méfiance, susceptibilité excessive, fausseté du jugement avec tendance aux interprétations) engendrant un délire et des réactions d'agressivité. — Abrév. fam. (av. 1971) PARANO [ parano ]. C'est de la parano !
● paranoïa nom féminin (grec paranoia, folie) Psychose caractérisée par la présence d'idées délirantes systématisées et permanentes, surtout à thème de persécution. Comportement, attitude de quelqu'un, d'un groupe qui a continuellement tendance à se croire persécuté et agressé.
paranoïa
n. f. PSYCHIAT Psychose caractérisée par la surestimation du moi, la méfiance, la susceptibilité, l'agressivité et qui engendre un délire de persécution.
⇒PARANOÏA, subst. fém.
PSYCH. Psychose chronique développée à partir du caractère paranoïaque, caractérisée par un délire systématisé et cohérent, à prédominance interprétative (délire de persécution, de grandeur, de jalousie), ne s'accompagnant pas d'affaiblissement intellectuel, évoluant lentement sans aboutir à la démence. D'après leur contenu, les formes de la paranoïa sont décrites comme manie des grandeurs, manie des persécutions, érotomanie, manie de la jalousie, etc. (FREUD, Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959 [1922], p.453). Le caractère paranoïaque, défini par l'égocentrisme, l'orgueil, la méfiance et la fausseté de jugement qu'entraînent ces déviations affectives, est un type prémorbide qui trouve son développement dans la paranoïa délirante ou folie raisonnante (DELAY, Psychol. méd., 1953, p.148):
• ♦ Freud assimile le paranoïaque à son «type d'exception» qui, sa vie durant, réclame une compensation à une injustice ressentie dans l'enfance (...). Klages et Prinzhorn dénoncent de leur côté une affirmation orgueilleuse du moi portant sur un fond de grande pauvreté organique (...). D'autres ont voulu voir le noyau de la paranoïa dans une tendance à déformer et à grossir les faits (Arnaud), dans «une vision inexacte de l'humanité» (Séglas), dans un antagonisme du moi avec les obstacles extérieurs (Delmas et Boll), dans un sentiment de culpabilité d'origine infantile déjeté sur autrui.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p.548.
♦Paranoïa sensitive. Ensemble des ,,interprétations délirantes constituées à partir de conflits, de déceptions, de circonstances pénibles chez des sujets hyperémotifs, sensibles, impressionnables, vulnérables, et s'accompagnant souvent de réactions dépressives et hyposthéniques. À distinguer de la paranoïa. Syn.: Délire sensitif de relation`` (MARCH. 1970).
Prononc. et Orth.:[]. Plur. des paranoïas. Étymol. et Hist. 1822 (Nouv. Dict. de méd. ds Fr. mod. t.37, 38). Empr. au gr. «trouble de la raison, folie», terme créé en all. en 1772 par Vogel (v. LAL. 1968). Fréq. abs. littér.:10.
paranoïa [paʀanɔja] n. f.
ÉTYM. 1838, paranoïe; paranoia en lat. sav., 1795, cit. 1; t. dû à l'all. Vogel, 1772, du grec paranoia « folie », de para (→ 1. Para-), et noûs « esprit ».
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1 Psychopath. Vx. Maladie mentale, trouble de l'intelligence (par opposition aux troubles de l'affectivité).
1 M. Vogel a agi de même, en séparant des paranoiæ les fausses perceptions (…)
Cullen, Éléments de médecine pratique (trad.), II, p. 469 (1795).
♦ Vieilli. (Jusque vers 1920; acception due à Kraepelin). Délire chronique systématisé avec conservation de la clarté et de l'ordre dans la pensée. Syn. : délire d'interprétation.
REM. « Le terme de paranoïa est (…) peu à peu abandonné en France dès la deuxième décennie de ce siècle, en même temps que l'on isole et regroupe les formes cliniques des délires chroniques sur des bases de plus en plus profondes. Le vocable “paranoïaque” (…) le remplace en pratique » (Bardenat, in Porot, 1975).
♦ Psychan. Psychose chronique caractérisée par un délire, bien systématisé ou non, la prédominance de l'interprétation, l'absence d'affaiblissement intellectuel, et n'évoluant pas en général vers la détérioration. || Freud englobe dans la paranoïa le délire de persécution, l'érotomanie, le délire de jalousie et le délire des grandeurs.
2 Kraepelin distingue nettement paranoïa d'une part et forme paranoïde de la démence précoce d'autre part; Bleuler fait entrer la paranoïa dans la démence précoce ou groupe des schizophrénies; Freud, lui, rattacherait volontiers à la paranoïa certaines formes dites paranoïdes de la démence précoce, et ceci notamment parce que la « systématisation » du délire n'est pas à ses yeux un bon critère pour définir la paranoïa.
(…) la paranoïa se définit, dans ses différentes modalités délirantes, par son caractère de défense contre l'homosexualité (…) Lorsque ce mécanisme est prévalent dans un délire dit paranoïde, c'est là pour Freud une raison majeure de rapprocher celui-ci de la paranoïa, même en l'absence de « systématisation ».
J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Voc. de la psychanalyse.
2 Littér., arts (1929, S. Dali). || Paranoïa critique. ⇒ Paranoïaque.
3 Cour. Constitution paranoïaque. — Abrév. fam. (v. 1970). || Parano, n. f. : état de méfiance exagérée d'un individu ou d'un groupe, à l'égard de menaces réelles ou imaginaires.
3 Dans le train, légère parano à la vue des rochers de banlieue (…)
Actuel, févr. 1980, p. 53.
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DÉR. Paranoïaque, paranoïde.
Encyclopédie Universelle. 2012.