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OBJET
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L’étymologie du mot objet (ce qui est placé devant) indique qu’il s’agit de ce que l’on vise , soit pour l’atteindre, soit pour le connaître. C’est cette dernière acception qui nous retiendra.

C’est d’abord par l’usage de nos sens que nous percevons des objets; une première question, qui intéresse alors le psychologue, et sans doute aussi le sociologue, est de reconnaître comment se découpent et s’individualisent ces objets dans notre champ perceptif. Les essais actuels pour construire des robots capables de s’orienter dans un milieu étranger, de s’y mouvoir et d’y exécuter des ordres contribuent à renouveler la position du problème empirique de la perception des objets, sinon à le résoudre.

Sur le plan philosophique, la première interrogation sur le statut des objets en tant que visés par une connaissance concerne leur représentation dans un langage . Que signifie le privilège accordé aux noms dans tout symbolisme, comment s’expriment et se distinguent l’existence et la possibilité d’objets de pensée ?

Dans le prolongement de cette problématique, on conçoit qu’il faille examiner la notion d’objet en tant qu’elle se différencie selon les types de connaissances et l’on rencontre tout aussitôt le cas des objets mathématiques. Quel est leur degré d’indépendance à l’égard du symbolisme où ils sont construits, et à l’égard de l’empirie à quoi on les applique avec succès? En quel sens ont-ils pu être assimilés à des «essences» immuables et autonomes?

Quant aux objets des sciences empiriques, on en proposera une caractérisation au moyen de «modèles» abstraits, fixant et découpant les phénomènes en vue d’une représentation précise et d’une explication de leurs régularités. Mais une distinction sans doute essentielle devra alors être examinée: comment traiter comme objets les phénomènes humains.

1. Les objets, le langage et la pensée

Sans aborder ici les très intéressants problèmes posés au psychologue, il suffira de noter que ce que l’on nomme objet, à quelque niveau que ce soit – immédiat ou élaboré – de l’exercice de la pensée, ne peut être confondu sans plus avec des données, considérées indépendamment de leur assemblage et organisées en unités distinctes, que l’on nommera phénomènes: «ce qui apparaît».

La philosophie critique de Kant, rejetant l’hypothèse «dogmatique» d’une détermination pure et simple de la pensée des objets par des réalités extrinsèques déjà toutes formées, attribue à la nature intrinsèque du sujet connaissant cette mise en forme des impressions sensibles, ordonnées selon l’espace et le temps et organisées en objets soumis à la dépendance des effets aux causes. Mais il n’est pas nécessaire de se rallier à la doctrine de l’idéalisme transcendantal pour en retenir cette idée de structuration constitutive de l’objet, pour donner au mot objet le sens le plus général de ce qui peut être pensé comme actuellement – ou virtuellement – séparé, et comme structuré ou susceptible de l’être.

Être pensé, c’est-à-dire être représenté dans un symbolisme plus ou moins élaboré. Comment se manifeste pour ainsi dire grammaticalement le statut d’objet, en particulier dans la langue ordinaire, ainsi que dans les symbolismes formulaires créés par les logiciens? Frege propose à cet égard une distinction devenue classique entre objet (Gegenstand ) et concept (Begriff ), qui nous semble procéder à la fois de deux points de vue. D’une part, de l’opposition entre sujet et prédicat d’une proposition; le Gegenstand fonctionnant nécessairement comme sujet, car il est ce dont on dit quelque chose, le concept étant, dans son usage propre, prédicat. D’autre part, l’opposition entre symbole «saturé» et «non saturé»: le symbole d’objet est saturé en ce qu’il est complet en lui-même, alors que le symbole de concept (ou plus généralement de «fonction») comporte une ou plusieurs places encore vides et devant être occupées par des noms. La notation empruntée aux mathématiques f (x ) – pour désigner la propriété, ou concept f convenant à un objet x non fixé –, traduit cette distinction.

L’autonomie, et pour ainsi parler l’autosuffisance de l’objet représenté par un nom dans un langage ne laisse pas cependant de soulever des difficultés logiques nées des mécanismes complexes de la référence , des modes de renvoi des noms aux objets dans un discours. Il semblerait que la substituabilité de deux noms d’un même objet soit un réquisit simple et minimal. Frege avait cependant déjà nuancé cette exigence en distinguant Bedeutung – renvoi à l’objet même – de Sinn ou sens – renvoi à la manière dont l’objet est présentement donné et pensé. Les logiciens philosophes à sa suite ont longuement analysé et discuté le cas des contextes «opaques», dans lesquels la substitution ne peut avoir lieu sans précaution. C’est ainsi que de deux énoncés vrais, où entre le nom du nombre 9 – «le nombre des planète est 9», et «le nombre 9 est nécessairement impair» –, on ne saurait conclure par simple substitution que «le nombre des planètes est nécessairement impair». Russell avait déjà dans un article fameux de 1905 («On Denoting») montré qu’il convenait de ne pas reconnaître obligatoirement comme renvoyant effectivement à un objet certaines expressions du langage et proposé, pour éliminer de tels «pseudo-objets», le stratagème des «descriptions définies». Le nom peut être alors éliminé de l’énoncé en introduisant une clause qui attribue à un objet indéterminé x une propriété convenable. Au lieu de dire: «un carré rond n’existe pas», on dira par exemple: «il est faux qu’il existe un objet x qui soit à la fois rond et carré». Ainsi serait évitée la contradiction fâcheuse qui consiste à poser un objet – afin d’en pouvoir parler – pour aussitôt lui dénier l’existence .

Mais qu’est-ce donc qu’exister pour un objet de pensée? On observera tout d’abord que le mot exister a ici un sens métaphorique, puisque dans son usage ordinaire le mot d’existence suppose une détermination dans l’espace et dans le temps, ou à tout le moins dans le temps. Pour la tradition classique, l’existence d’un objet de pensée requiert comme condition nécessaire – et pour certains philosophes suffisante – la non-contradiction des propriétés qui le définissent. Mais pour un courant de pensée qu’on pourrait qualifier, en un sens large, d’«intuitionniste», la non-contradiction n’est pas le critère approprié. Chez J. H. Lambert, contemporain de Kant, la Gedenkbarkeit (capacité d’être pensé) est, en particulier pour les concepts représentant des objets simples, une relation sui generis au sujet. De tels objets forment un système, une «harmonie», que la science a pour but de mettre en évidence et de formuler, au moins partiellement, dans un système de signes (Neues Organon , Alethiologie, paragr. 179-181). Pour Bolzano, un siècle plus tard, la Gegenständlichkeit (la propriété de se rapporter à des objets authentiques) attribuée à une représentation ou à une proposition est la propriété d’avoir ce qu’on appellerait aujourd’hui un modèle. L’objet d’une représentation est «le quelque chose, existant ou non existant, duquel nous disons d’ordinaire qu’elle le représente» (Wissenschaftslehre , paragr. 49). Bolzano reconnaît qu’il y a des représentations sans objets, c’est-à-dire ne pouvant avoir de relation avec quelque objet que ce soit: par exemple «rien» ou « 漣 1»... Mais cette «non-objectalité» n’empêche nullement leur emploi comme parties de propositions vraies, dans la mesure où elles sont prises alors au second degré, la représentation vide d’objet devenant ainsi l’objet d’une représentation d’elle-même. Plus près de nous, Husserl et Meinong ont développé des théories de l’objet de pensée faisant apparaître différents degrés d’existence. Dans une perspective plus radicale, Quine propose de prendre pour critère de l’existence des objets de pensée indispensables à une théorie l’occurrence de leur désignateur sous un signe de quantification. C’est qu’alors en effet un domaine d’entités est explicitement postulé, afin que la formule considérée prenne sens et valeur de vérité.

Il nous semble que les différents points de vue sur l’existence des objets de pensée puissent être interprétés au moyen d’une thèse générale que nous proposons ici sous le nom de principe de dualité . Elle consiste à observer que toute pensée d’objet est corrélative de la pensée, plus ou moins explicite quoique toujours effective, d’un système d’opérations qui détermine ces objets. L’une des manifestations particulières assez claires de cette dualité serait, en mathématiques, la relation des objets d’une géométrie – des figures – avec un groupe de transformations, selon les vues de Felix Klein. Mais il faut radicaliser et généraliser ce fait épistémologique essentiel. Au niveau de la logique prise au sens le plus strict – le calcul classique des propositions – la codétermination des opérations et des objets est si parfaite que ces derniers n’ont aucun contenu, aucune propriété que celle d’être les supports transparents des opérations du système. Et il faut comprendre en ce sens la thèse de Wittgenstein dans le Tractatus , qu’«il n’y a pas d’objets logiques». On peut bien alors parler avec F. Gonseth d’«objets quelconques», susceptibles d’interprétations variées: «propositions», mais aussi «classes», à condition bien entendu que l’on considère l’objet-proposition comme un tout sans structure interne, et que l’objet-classe ne fasse pas apparaître une distinction et une relation entre classe et éléments. Des objets sans qualités autres que celle d’être posés ou non-posés. C’est à ce prix que la dualité opération-objet est totalement assurée, ce qui se manifeste par des méta-propriétés globales du système, connues des logiciens sous les noms de non-contradiction, complétude et décidabilité.

2. Les objets mathématiques

Les objets mathématiques ont bien évidemment des propriétés, un contenu, qui les différencie non en tant qu’individus réalisés hic et nunc, mais en tant que concepts déterminés, car ils ne sont pas saisissables comme tels dans une expérience sensible. Les philosophes ont pris à leur égard des positions très variées, qu’on peut cependant répartir entre quelques grandes orientations; nous présenterons cette classification sommaire de deux points de vue.

Réalisme et nominalisme

Du point de vue du type de réalité qu’on leur attribue, on distinguera l’orientation réaliste et l’orientation nominaliste . La première pourrait être représentée par Platon chez les Anciens, par Frege chez les Modernes, quoiqu’en des sens fort différents. Elle consiste à considérer les mathemata non pas tant comme des objets que comme des êtres , indépendamment du mode de connaissance qu’on en peut avoir. On connaît la boutade de Frege: le nombre entier est aussi réel que la mer du Nord... Quelle que soit la manière dont la thèse est entendue, il en résulte évidemment que la mathématique est une science de découverte, que les objets mathématiques existent de toute éternité et que leurs propriétés, comme celles des objets du monde sensible, peuvent être soupçonnées, conjecturées, entrevues avant même que des démonstrations explicites les viennent à coup sûr établir. En faveur d’une telle thèse, on alléguera les obstacles et les contraintes qu’offrent à la pensée les objets mathématiques, leur caractère immuable une fois défini, et l’expérience de nombreux mathématiciens créateurs qui disent «voir» et manipuler les objets de leurs recherches.

Selon l’orientation nominaliste, en revanche, on considère ces objets comme des constructions de langage, renvoyant en dernier ressort à des sensations. Pour Locke, ils consistent en relations d’idées, non de fait dont l’exacte manipulation a surtout pour effet de procurer une habitude de «raisonner rigoureusement avec ordre» (De la conduite de l’entendement , paragr. 7, p. 35). Selon Berkeley, la science des nombres concerne des idées abstraites, et si elles sont détachées «des noms et des figures, comme de tout usage et pratique, ainsi que des choses particulières qui sont dénombrées, on peut supposer qu’elles n’ont aucun objet» (The Principles of Human Knowledge , paragr. 120). Pour un nominaliste, il serait donc possible d’éliminer de la science des choses ces agencements de symboles en explicitant leur construction jusqu’à ses derniers éléments. Des tentatives radicales ont été poursuivies en ce sens, pour exposer avec quelque détail des procédures de pensée permettant de reformuler des théories physiques en se passant des notions de nombre et plus généralement même de l’analyse: exhiber «une science sans nombres», selon l’expression de H. Field. De telles entreprises, et la position nominaliste en général, ont certainement le mérite d’attirer l’attention sur la place et l’importance du symbolisme dans la connaissance; mais en le réduisant à n’être qu’un appareillage extérieur, elles passent sous silence la fécondité propre et l’aspect autonome du devenir des objets mathématiques.

Entre ces deux positions tranchées, il y a place du reste pour des doctrines en quelque sorte intermédiaires. Pour Aristote, par exemple, les mathemata sont bien des réalités incorruptibles, objets de l’une des trois sciences théoriques. Mais ils n’ont point d’existence séparée de celle des êtres périssables mais existants desquels la pensée les abstrait. Pour Hilbert, chez les Modernes, les objets mathématiques ont assurément une réalité propre, autre que celle des symboles où ils s’expriment; mais le grand mathématicien a cependant cru possible d’en établir les propriétés logiques, en tant qu’ils forment système, en les réduisant à cette expression symbolique, en traitant les «inscriptions» mathématiques comme des objets.

Logicisme et intuitionnisme

Du point de vue de leurs fondements originaires , on distinguera l’orientation logiciste et l’orientation intuitionniste , qui peuvent l’une et l’autre s’associer avec plus ou moins de cohérence à chacune des deux tendances précédentes. Le logicisme sous sa forme radicale consiste en un effort pour réduire l’objet mathématique à une pure construction logique, entendant par logique ici le calcul des prédicats et des relations. Frege et Russell sont les grands initiateurs modernes de cette entreprise. L’un des moments cruciaux de la réduction est évidemment la définition du nombre cardinal comme classe d’équivalence de classes bijectives («équinumériques»), les notions de classe, de relation d’équivalence et de bijection ayant été préalablement construites au moyen des seules notions considérées comme logiques de connecteur propositionnel, de prédicat, de quantificateur et de fonction (au sens d’application fonctionnelle). Les tentatives logicistes de Frege et Russell-Whitehead, consignées dans deux monuments de la philosophie moderne des mathématiques, ont rencontré deux espèces d’obstacles, reconnus et attaqués en vain par ces mêmes auteurs. C’est d’une part la nécessité de recourir à un axiome spécifique, apparemment étranger au fonds de la pensée logique: l’axiome dit de l’infini garantissant l’indéfinie extension de la suite des objets logiques assimilés aux entiers. C’est, d’autre part, la menace des paradoxes dont l’un, découvert par Russell lui-même, consiste à déduire une contradiction de la notion de classe telle que l’introduisaient, chacun selon son style, les deux pères fondateurs du logicisme.

On a retenu le mot «intuitionnisme» pour désigner la seconde orientation annoncée. Mais on lui donne ici un sens plus large que son sens historique strict, qui s’applique aux conceptions inaugurées par L. E. J. Brouwer. Ainsi compris, il s’applique aussi aux thèses plus récentes dites «constructivistes», et jusqu’à un certain point au «finitisme» de Hilbert et aux thèses exposées par Wittgenstein postérieurement au Tractatus . L’idée fondamentale en est d’exiger des conditions strictes assurant l’existence effective des objets mathématiques. Il en résulte, relativement aux mathématiques classiques, une restriction du champ des manœuvres démonstratives autorisées, soit par le biais d’une exclusion des procédures ne pouvant être achevées en un nombre fini de pas, soit en refusant le concept général et abstrait d’une règle faisant correspondre à tout nombre naturel un nombre naturel, soit en rejetant l’équivalence de la double négation et de l’affirmation d’une propriété. Un objet mathématique ne sera donc admis, une propriété ne sera démontrée, que si, en des sens qui peuvent varier selon les doctrines, l’objet et la propriété sont effectivement présentés à la pensée et construits. L’intuitionnisme établit ainsi qu’une partie importante de l’analyse classique ne répond pas à ses exigences et introduit des objets qu’il ne saurait recevoir tels quels. L’exemple classique proposé par Brouwer est le suivant.

Appelons p le nombre tel que la p -ième décimale dans le développement de 神 précède pour la première fois la séquence (0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9). Formons la suite a n telle que: a n = (face=F0019 漣 1/2)n si np et a n = (face=F0019 漣 1/2)p si np . Cette suite est bien convergente mais on ne peut dire si sa limite est égale à 0 ou différente de 0, car le nombre p , pourvu de sens pour les classiques, ne saurait cependant être construit puisqu’on ne peut démontrer ni que la séquence (0, 1...9) existe ni qu’elle n’existe pas dans le développement décimal de 神.

Il ressort des divers points de vue présentés sur la nature et l’existence des objets mathématiques que le problème central qu’ils proposent au philosophe des sciences se situe bien, en fin de compte, dans leur rapport aux systèmes d’opérations dont ils sont les supports et les produits. L’histoire des mathématiques montre que les systèmes opératoires qui se constituent d’abord en dualité apparemment parfaite avec les champs d’objets (l’arithmétique et les entiers naturels, l’algèbre et les nombres algébriques réels) se trouvent pour ainsi dire débordés par ces objets mêmes . C’est ainsi que surgit la nécessité de donner un statut aux entités «feintes» nées de certaines soustractions originairement interdites (on l’utilise dans les calculs, mais on ne se résoudra explicitement que bien tardivement, au XVIIIe siècle, à légitimer les nombres négatifs...); c’est ainsi que le cas irréductible de l’équation du troisième degré oblige à étendre le champ des nombres algébriques réels et à reconnaître de nouveaux objets – «imaginaires» – auxquels s’appliqueront sans réserves toutes les opérations de l’algèbre. Un mouvement créateur scandé par des états successifs d’inadéquation entre l’opératoire et l’«objectal» et d’adéquation (provisoirement) reconquise caractériserait ainsi l’histoire des objets mathématiques. L’un des mérites de l’intuitionnisme, que soient ou non bien-fondées les restrictions qu’il exige, est sans doute de mettre en évidence cette corrélation de l’opération et de l’objet, et c’est ainsi qu’on peut interpréter le mot bien connu de Brouwer, repris textuellement – ou réinventé – par Wittgenstein: la mathématique est plutôt une activité qu’une doctrine; «mehr ein Tun dann eine Lehre ».

3. Les objets des sciences de la nature

C’est dans les sciences de la nature que la notion d’objet se présente de la façon la plus spontanée, parce qu’il semble tout d’abord que les objets de la physique, de la chimie, de la biologie, etc., ne sont que le prolongement convenablement schématisé des objets primitifs de notre perception. Une telle homogénéité de la perception et de la science est en effet la thèse généralement adoptée par les philosophes empiristes, thèse dont a hérité le criticisme de Kant, qui, on ne l’oubliera pas, a parlé de l’expérience comme du «maître qui s’offre véritablement à nous». Pour ce dernier, les cadres et les principes qui structurent le donné des impressions pour les constituer en objets sont immanents à la pensée du sujet connaissant, formes a priori de la sensibilité, catégories et principes de l’entendement et leur champ d’application, selon Kant, ne s’étend justement pas au-delà des intuitions sensibles. La mathématique n’est que l’explicitation des propriétés a priori des formes de ces intuitions. Les sciences de la nature, dont le modèle serait alors la mécanique newtonienne, ne sont que le développement et l’organisation des propriétés empiriques des objets dans le cadre des mêmes principes qui gouvernent notre perception du monde.

Les véritables empiristes, quant à eux, ont toujours visé à reconstituer à partir de la sensation des objets de la perception, et, dans leur prolongement direct, les objets de la science. Un exemple classique pourrait être emprunté à Locke (An Essay Concerning Human Understanding ). Mais on en trouverait, plus près de nous, d’autres exemples très instructifs, chez Russell et Carnap. Les tentatives de Russell pour construire l’objet de perception et de science ont considérablement varié; sans nous attacher au détail de cette chronologie, nous en retiendrons seulement quelques traits significatifs.

Russell

1. Il s’agit bien, depuis le début, de construire à partir du sensible des objets «ayant les propriétés spatio-temporelles que la physique exige des choses» (Signification et vérité ; cf. Jules Vuillemin, La Logique et le monde sensible , chap. IV et V).

2. Les tâches qu’il faudrait alors remplir, et qui ont été abordées sous différents aspects, sont l’élimination des coefficients de subjectivité de notre expérience , dont les marques n’apparaissent plus dans le discours de la science (plus de «je», plus d’«ici»), et l’introduction des relations spatio-temporelles et causales dans l’univers des données sensibles .

3. Dans la «première philosophie» de Russell, la donnée sensible est définie comme constituée de sensibilia , qui ne se confondent pas avec les sensations attachées à la conscience d’un sujet, mais en sont considérées au contraire comme détachables, en quelque sorte objets élémentaires de sensations pouvant n’être que virtuelles. Le passage des sensibilia aux objets de la physique est alors décrit comme une procédure strictement logique , qui construit des choses à partir d’ensembles d’apparences donnés comme sensibilia . Ces apparences sont originairement saisissables comme appartenant à deux «espaces»: l’univers privé de chaque sujet et l’univers de tous les mondes privés dont chacun pris globalement serait un «point». Le problème est de mettre en rapport cohérent ces deux espèces d’univers et d’en tirer la formation de classes d’apparences constituant des «choses» stables à travers les permutations de mondes privés.

4. Dans la «seconde philosophie» (Signification et vérité , 1940; Human Knowledge , 1948), les données sensibles sont désormais définies comme «événements». La subjectivité de la sensation est reportée globalement sur l’ensemble complexe de mon expérience présente, et les «qualités» sont des aspects abstraits de ce complexe, dont on énoncera des jugements de co-présence ; transférables d’un monde à l’autre, neutralisant ainsi leur subjectivité. Ce sont ces qualités qui se combinent en événements susceptibles d’occurrences répétées, et sur quoi pourra porter la science. La construction des choses ne se fera plus alors seulement par la seule vertu de la logique, mais en faisant appel à des hypothèses sur les propriétés du monde, et en particulier à des liens de causalité.

Une autre tentative remarquable de reconstruction des objets de la perception et de la science à partir des données de l’expérience, et par le seul usage de relations logiques, est celle de Carnap dans La Construction logique du monde . On en soulignera seulement les aspects qui concernent directement la notion d’objet.

Carnap

1. Le point de départ choisi pour la construction est nommé simplement «expérience vécue» (Erlebnis ), notion primitive indéfinissable, dont il est dit seulement qu’elle est antérieure à une distinction du sujet et de l’objet (elle est subjektlos ) et qu’elle est prise originairement comme globale, non structurée, indécomposable.

2. La «constitution» des objets ne va donc pas s’effectuer par décomposition et analyse de ce vécu global, mais par «quasi-analyse». Cette opération logique repose sur la donnée immédiate d’une relation fondamentale de «ressemblance mémorielle» (Erinnerungsähnlichkeit ) réflexive et symétrique, inhérente aux vécus, qui ne sont à ce niveau rien de plus que son support. On forme grâce à elle des «cercles de ressemblance» de vécus. L’application d’opérations ensemblistes et logiques à ces cercles permet la construction de nouvelles relations, de nouvelles classes de ressemblance ou d’équivalence, conduisant à spécifier des classes ou classes de classes correspondant aux qualités, et des relations correspondant à l’organisation spatio-temporelle des objets du monde.

Cette construction, qui se veut strictement logique dans sa démarche, produit une hiérarchie de «quasi-objets», car ce sont des classes et des classes de classes à différents niveaux, seulement représentatives de ce que, dans le langage ordinaire, on substantifie comme qualités, lieux, moments, objets... Cette hiérarchie fait successivement apparaître les domaines de quasi-objets appartenant d’abord au psychisme propre ou solitaire, puis au monde physique, puis au domaine interpsychique et au domaine de la «culture».

3. Cette pluralité des types de quasi-objets, et le caractère abstrait de leur structure, ne doit pas faire oublier l’unicité et l’unité du monde, selon Carnap. Ces quasi-objets sont bien des formes d’objets définies en extension, mais ces formes sont telles que seuls doivent pouvoir les remplir les contenus effectifs de nos expériences. Ce qui dans ces contenus passe pour ainsi parler à travers les mailles de ce filtre des quasi-objets est subjectif et ne relève pas d’une connaissance véritable.

L’objet scientifique irréductible à l’objet perçu

Le but de la «constitution» était de produire le cadre tout préparé pour les descriptions et l’établissement des lois empiriques de la physique, ainsi que – mais avec quelques réserves – de la psychologie et des sciences sociales. De telles constructions systématiques sont, dans une large mesure, des échecs instructifs. L’une des raisons en est que l’hypothèse d’une homogénéité de la perception et de la science ne semble guère confirmée par l’histoire des sciences. C’est bien plutôt une rupture avec la perception que nous présentent les moments où une discipline se constitue radicalement comme scientifique. L’exemple classique est celui de la mécanique, théorie du mouvement. C’est en effet seulement lorsqu’un concept de mouvement a été formé par abandon des notions richement intuitives de changements qualitatifs, de naissance, de corruption qu’ont pu être formulés des axiomes simples et appliqués des raisonnements rigoureux, et même, en l’occurrence, des schémas quantitatifs pourvus de sens. Telle fut la décision , plus ou moins implicite à l’origine, de ne considérer dans les phénomènes de mouvement que des variations de position spatiale dans le temps, des taux de changement dans le temps de ces variations (des accélérations), puis un concept d’abord imprécis de résistance à ces changements caractéristiques d’un mobile matériel donné (la masse). Dans ce cas particulier même, on sait que le premier principe définissant en somme le mouvement d’un corps libre de toutes contraintes par la conservation de la direction et de la vitesse (le principe d’inertie), loin d’être suggéré par l’expérience immédiate, se trouvait en contradiction apparente avec la perception du mouvement des objets matériels, qui, toujours entravé de quelque manière occulte, montrerait plutôt que le maintien d’une vitesse rectiligne constante exige l’application constante d’un effort extérieur.

Le passage des objets perçus aux objets d’une science des corps matériels s’effectue donc par la détermination de catégories , concepts définissant et délimitant par simplification, choix des variables et du point de vue, le champ même d’une connaissance, et par la construction de schémas abstraits, de «modèles» , pris comme représentation des phénomènes. L’exploration de ces modèles par le raisonnement, le va-et-vient entre la pensée formelle et les résultats d’expérience que cette pensée même suggère enrichissent l’objet de science, mais ne l’amènent pas à s’identifier aux objets perçus.

Cette irréductibilité de l’objet scientifique à l’objet de perception se manifeste de façon patente par le statut des qualités sensible dans l’un et l’autre objet. Les sciences physico-chimiques ne se proposent pas de connaître le qualitatif comme tel, en tant que différenciation des impressions des sujets. Elles font correspondre à ces différences des variations de structure . Le cas de la représentation des différences de couleur par des différences de longueur d’onde est typique, car il montre la substitution d’une structuration d’objet abstrait – l’oscillation du champ électromagnétique – à une organisation de sensations, très diversement transposée du reste dans les différentes langues naturelles, qui ne découpent ni n’ordonnent toutes de la même manière l’éventail des couleurs. Mais on se gardera de croire, sur la foi de cet exemple, que cette structuration abstraite doive toujours et nécessairement se formuler en termes de quantités. La représentation des différences de qualités sensibles peut fort bien être représentée par des propriétés non métriques d’objets abstraits. Les modèles dits «catastrophiques», à la René Thom, par exemple, peuvent représenter des changements proprement qualitatifs du perçu-rupture, passage brusque d’un régime de fonctionnement à un autre – par la présence de singularités, au sens des mathématiciens, dans le modèle représentatif, ou plus précisément dans la partie de ce modèle qui «pilote» globalement le phénomène. Le qualitatif sensible est en pareil cas transposé en un qualitatif abstrait, mathématique, dont le prototype le plus simple serait donné par les propriétés topologiques d’un espace, par opposition à ses propriétés métriques. Ainsi l’objet scientifique appartient bien à un mode de représentation du réel radicalement différent de celui de la perception, et d’abord en ce qu’il évacue les qualités sensibles. Cette opposition n’est cependant pas celle de la quantité à la qualité; la science requiert au contraire le développement d’une mathématique non strictement quantitative; quelque décisif qu’ait été et soit encore le rôle joué par la quantité dans la constitution d’objets scientifiques, il convient de convertir et d’élargir le sens de la devise «il n’est de science que du mesurable», en disant: «il n’est de science que du structurable ».

Une autre caractéristique de l’objet de science, qui marque mieux encore sa spécificité, serait son rapport aux notions d’espace, de temps et de causalité, telles qu’elles sont spontanément mises en œuvre dans notre perception du monde. On a vu que pour Kant il s’agissait de formes et de principes a priori organisant nécessairement nos impressions sensibles, constitutifs de toute pensée d’objet. Le paradigme d’une science de la nature que le philosophe de Königsberg avait alors à l’esprit était la mécanique newtonienne. Il est bien vrai en effet que, pour cette science «classique», les propriétés du schème abstrait de la spatialité et de la temporalité dans lequel nous nous représentons spontanément les phénomènes ne font que fixer et exprimer formellement les propriétés intuitives de l’espace et du temps des objets perçus. Il en est de même de l’idée de relation causale. Cette permanence du cadre de la perception dans la science, à ce niveau, est-elle cependant de droit ou simplement de fait? La construction des géométries non euclidiennes, déjà, faisait entrevoir dès le milieu du XIXe siècle que la structuration de l’espace pouvait, sans contradiction, être effectuée autrement. Mais il était encore permis de penser qu’il ne s’agissait là que d’une extension de l’univers des objets mathématiques, sans conséquences pour une représentation des objets physiques par la science. Les théories de la relativité, surtout de la relativité générale, ont obligé à prendre au sérieux la question d’une représentation non classique de l’espace-temps des phénomènes physiques. Quel que soit le rôle qu’on attribue à la commodité ou à la convention dans le choix d’un mode de représentation, il n’est pas possible de considérer l’adoption d’une structuration spatio-temporelle-causale comme pure affaire de langage. Pour représenter le réel, l’objet scientifique doit être pensé dans un cadre d’espace et de temps qui lui est au moins partiellement imposé par les progrès de l’expérimentation et qui est rendu possible par ceux de la mathématique. Or ce cadre ne coïncide avec celui de la perception et de la pratique usuelle qu’à un certain niveau de la construction . Le cas des objets «quantiques» est à cet égard tout à fait frappant. Quelle que soit, ici encore, la part faite à l’arbitraire des interprétations de structures mathématiques très abstraites, on ne peut refuser de constater que le modèle proposé sous différentes formes par la mécanique quantique oblige à renoncer, pour les objets et les «événements» quantiques, à une représentation dans un espace-temps classique, où des objets individuellement bien distincts sont pensés comme clairement localisés dans l’espace, dans un état déterminé de mouvement à un moment arbitrairement choisi du temps. Les objets quantiques, échappant pour ainsi dire par définition à la perception, même amplifiée, les événements quantiques ne pouvant par définition être repérés qu’indirectement et par la mise en œuvre de procédures macroscopiques, on saisit alors sur leur exemple l’hétérogénéité qui était masquée par la bonne coïncidence, au niveau de la physique classique, du statut des objets scientifiques et de celui des objets perçus. Dans le cas quantique, l’événement – la collision de particules par exemple – n’est pas même à proprement parler un phénomène: il est la représentation élaborée de la cause d’un phénomène, le clic du compteur Geiger ou la trace d’une condensation dans la chambre de Wilson. C’est alors une nouvelle conception de l’objet physique qui est exigée, dont le type classique ne devrait apparaître que comme un cas particulier. Une telle refonte conceptuelle prendra tout son sens lorsque les physiciens eux-mêmes auront mis au jour de façon claire les catégories avec lesquelles ils opèrent; ne nous y trompons pas: ce sera, compte tenu des différences dues à l’état avancé de la science actuelle, la même espèce de démarche génialement inventive que celle d’un Galilée donnant un sens nouveau à l’idée de mouvement. Mais rien n’autorise à interpréter les apories actuelles de la physique quantique comme annonçant un bouleversement de l’idée de réalité . Certains physiciens, frappés de l’étrangeté des nouveaux concepts dont aucune catégorie cohérente de l’objet ne fait encore la synthèse, les rapportent à tort directement à une réalité cachée et croient pouvoir en tirer des conclusions métaphysiques sur la nature spirituelle du réel ou la réversibilité du temps vécu. C’est aller trop vite en besogne et confondre le réel avec ses représentations comme objet.

4. Les objets des sciences humaines

Pour les faits où l’homme, ses pensées, ses réactions et ses actes entrent de façon essentielle, la question se pose de savoir ce qui peut être connu scientifiquement et par conséquent réduit au statut d’objet .

Les «significations» et les faits humains

Les faits humains se donnent dans notre expérience comme pourvus de «significations». Entendons par là que les faits expérimentés, comportements ou œuvres des hommes, sont saisis comme «renvoyant» à quelque autre chose. Cette notion de renvoi doit être considérée comme primitive, indéfinissable, et le prototype en est évidemment fourni par le fonctionnement du langage ordinaire. On observera que, dans les périodes pré- ou protoscientifiques de la connaissance de la nature, des significations étaient également bien souvent attachées aux phénomènes non humains. Tout fait de la nature pouvait être saisi comme symbolique, renvoyant à quelque autre chose soit du règne même de la nature (les affinités des choses du «grand monde» et des parties, organes ou fonctions du microcosme que serait l’homme), soit d’un règne surnaturel et surhumain. Mais la neutralisation de ces renvois symboliques, une fois pris le parti de décrire et d’expliquer des objets, a pu s’effectuer sans que les faits naturels paraissent avoir rien perdu d’essentiel. Peut-il en être de même des faits humains? Le caractère signifiant ne peut plus apparaître alors, après coup, comme un ornement ou un supplément se superposant à un noyau premier de notre expérience; les significations font ici partie de ce noyau même, elles caractérisent le fait comme humain. Le problème des sciences de l’homme est donc de découvrir comment et jusqu’à quel point objectiver les significations. Non pas sans doute les expulser, comme l’ont fait avec succès les sciences de la nature, mais trouver la manière de les traiter, en sorte de les décrire comme données et d’en expliquer le rôle comme facteurs du déroulement des phénomènes. C’est donc un type original de modèles qu’il conviendrait de mettre en œuvre. Nous ne pensons pas que ce problème ait d’ores et déjà trouvé une solution satisfaisante; nous essaierons seulement, à partir des indications fournies par l’état actuel des différentes disciplines, d’ébaucher les directions dans lesquelles il nous semble les voir s’orienter.

Puisque tout fait humain est signifiant, une première idée peut d’abord venir à l’esprit, qui est d’assigner pour paradigme à toute étude des faits humains la linguistique. Cependant, s’il faut reconnaître le fait linguistique comme ingrédient ou aspect d’un fait ethnologique – telle l’organisation des relations de parenté – ou d’un fait économique – comme la formation des prix sur un marché –, on ne peut réduire l’organisation de ces faits à celle d’un fait de langue, en affirmant que tout fait humain est «structuré comme un langage».

Cette réserve faite sur un «panlinguisme» abusif, on reconnaîtra l’intérêt du recours modéré au paradigme linguistique, pour la constitution de l’objet en sciences humaines. Appliquons-le à l’interprétation de quelques couples de concepts rencontrés par différentes disciplines et capables de révéler des points de vue féconds sur le statut signifiant des faits humains. C’est tout d’abord l’opposition des infrastructures aux superstructures . Dans son sens marxiste primitif, cette opposition dissocie une organisation dont le fonctionnement serait de type «naturel»: celle des formes de production et une organisation chargée de significations. L’interprétation que nous suggérons en maintenant cette distinction, qui semble profonde, consisterait à étendre le sens de l’infrastructural à tout ce qui peut être représenté par des modèles – au sens qui va être tantôt précisé –, les superstructures étant alors constituées par les «résidus», ou si l’on préfère les «surplus» de cette mise en forme, par les «redondances» que présentent par rapport à elle les systèmes concrets de faits et qui contribuent à leur individuation.

Un second couple de concepts, d’origine psychanalytique, est celui du latent et du manifeste . Sans nous reporter à l’évolution des idées de Freud sur ce point, nous dirons que cette opposition correspond comme la précédente, mais sous un autre jour, à la mise en rapport d’un système de forces – latent – à un système de significations, qui à la fois le cache et l’exprime. Un tel jeu est certainement caractéristique des faits humains, sociaux ou individuels. L’objet doit donc être ici pensé comme à double face, ou plus exactement à deux niveaux, mais sans postuler, comme il est d’abord normal pour le langage, que le «manifeste» soit originairement une expression intentionnelle.

Objet humain et «modèles»

Aussi le problème d’une science de l’homme est-il de constituer comme objets l’expérience toujours chargée de significations des faits humains. C’est la mise au jour d’une telle catégorie qui fonderait d’une manière sûre le caractère scientifique de la connaissance de ces faits, en déterminant sans équivoque ce dont il est question dans les théories et en établissant le type de modèles par le moyen desquels ces faits peuvent être objectivement représentés. Dans l’état actuel de ces disciplines, bien qu’une claire constitution des objets, universellement acceptable, n’ait pas encore été formulée, il est permis de tenter d’indiquer déjà quelques conditions auxquelles semblent devoir être soumis de tels modèles, par comparaison avec ceux dont le règne est bien établi par les succès des sciences de la nature.

1. Une distinction essentielle apparaît entre les modèles que nous nommerons métaphoriquement «énergétiques» et les modèles «cybernétiques». Dans les premiers, la production des phénomènes est représentée comme transformation d’une certaine entité – dont le prototype serait l’énergie en mécanique et en physique. Le modèle est un système d’éléments abstraits dont les relations sont telles que cette entité s’y trouve modifiée selon des lois dans sa quantité ou dans sa forme. Tel serait le cas exemplaire de l’explication d’un phénomène physique, comme l’évaporation d’un liquide déterminée par les variables qui seraient la température et la pression, l’«énergie» étant effectivement alors l’énergie calorifique, mécanique et interne des physiciens. Mais on peut aussi parler d’un modèle énergétique d’explication dans le cas de théories comme celles de l’équilibre général en science économique, où le rôle de l’énergie est tenu par l’«utilité», chez Walras et Pareto, les variables liées dans le système étant les quantités de marchandises et les prix.

De tels modèles sont caractérisés par le fait que leur mécanisme se déploie pour ainsi dire sur un plan unique où les variables se codéterminent. Tout au contraire, dans les modèles cybernétiques, la détermination s’effectue sur deux plans. Sur l’un d’eux, le jeu homogène des variables est du type énergétique. Sur l’autre circule de l’«information». Le prototype le plus connu en est la boucle d’asservissement illustrée par le régulateur de la machine à vapeur de Watt. Sans doute cette information a-t-elle toujours un support de même nature que l’énergie du premier niveau; mais la grandeur de cette circulation d’énergie est alors d’un ordre négligeable relativement à celle des échanges de premier niveau, qu’elle règle ou met en branle, ses effets dépendant non de cette grandeur, mais du «sens» du message qu’elle véhicule. Le trait essentiel est ici l’hétérogénéité des deux plans. Ce sont les machines qui en ont fourni les premiers exemples; mais ils s’appliquent également à la représentation des phénomènes naturels, et l’idée de variables de «pilotage» (le niveau «informationnel») d’un système dynamique (le niveau «énergétique») en théorie des catastrophes transpose assurément cette dissociation des deux plans.

2. Mais c’est pour la représentation des faits humains que la configuration cybernétique paraît devoir être nécessairement visée. Nous citions plus haut comme exemple d’un modèle énergétique les théories de l’équilibre général; or l’une des raisons de leur vertu limitée est probablement de ne pas superposer et articuler, au niveau des variables homogènes qu’elles décrivent, un niveau «informationnel» qui relèverait sans doute d’une psychologie et d’une sociologie économiques. La formulation des variables et des relations situées à ce niveau exigerait alors une analyse que nous nommerions sémantique des phénomènes, exposant sous forme d’un système symbolique (et pas nécessairement organisé comme un langage naturel) le fonctionnement des éléments informationnels qui contribuent à la détermination complète du phénomène.

3. D’une manière plus générale, il semble que l’objet des diverses sciences humaines ne puisse être constitué que comme une représentation feuilletée , c’est-à-dire par le moyen d’une superposition et d’un enchevêtrement de modèles partiels ou locaux, éventuellement hiérarchisés. Une telle exigence traduit sans doute une incomplétude essentielle de la représentation objective des faits humains. Nous ne la considérons pas comme un obstacle dirimant à leur connaissance scientifique, mais, conséquence inévitable de leur caractère signifiant, elle est cause sans doute d’une difficulté particulière de son développement et d’une limitation de sa portée.

Si l’on accepte de donner au mot objet un sens strict, et si l’on refuse de le confondre avec la désignation du vécu saisi comme individuel, on voit donc qu’il faut le définir comme représentation du réel au moyen d’une schématisation plus ou moins abstraite. On reconnaît alors que les objets de la science n’ont été conçus que grâce à une rupture avec la visée des objets de perception. On reconnaît aussi qu’une fois cette rupture consommée, le champ s’est ouvert pour une diversification et une élaboration jamais achevée des formes que le génie humain donne à cette conception.

objet [ ɔbʒɛ ] n. m.
object 1346; lat. scolast. objectum « ce qui est placé devant », de objicere « jeter (jacere) devant »
IConcret
1Didact. Toute chose (y compris les êtres animés) qui affecte les sens, et spécialt la vue. La perception des objets. « L'histoire naturelle embrasse tous les objets que nous présente l'univers » (Buffon).
2Plus cour. Chose solide ayant unité et indépendance et répondant à une certaine destination. chose; fam. bidule, machin, 1. truc. Forme, matière, grandeur d'un objet. Objets fabriqués. Saisir le premier objet qui tombe sous la main. Manier un objet avec précaution. « Reconnaître un objet usuel consiste surtout à savoir s'en servir » ( Bergson). Spécialt (1973) Objet spatial : corps naturel ou artificiel situé dans l'espace, dont l'orbite n'a pas été calculée. — Objet volant non identifié. ovni. Bureau des objets trouvés, où l'on rassemble les objets trouvés, où leurs propriétaires peuvent venir les réclamer. Objets de première nécessité. Objets utiles, à usage professionnel. instrument, outil. Objets de toilette. affaire, article. Objets pieux, objets de piété. Petit objet sans valeur. bagatelle, broutille, colifichet. Objets précieux de grand prix, de luxe. Un bel objet. Loc. OBJET D'ART, ayant une valeur artistique (à l'exception de ce qu'on appelle œuvre d'art, et des meubles). Collection d'objets d'art.
IIAbstrait
1Tout ce qui se présente à la pensée, qui est occasion ou matière pour l'activité de l'esprit. L'objet de la pensée. « La géométrie a pour objets certains solides idéaux » (Poincaré).
2Philos. Ce qui est donné par l'expérience, existe indépendamment de l'esprit, par opposition au sujet qui pense. Le sujet et l'objet. Traiter quelqu'un en objet. Femme-objet. Langage-objet et métalangage.
3 ♦ OBJET DE... : être ou chose à quoi s'adresse (un sentiment). Être un objet de pitié, d'horreur, de mépris, de convoitise pour qqn. Être l'objet des railleries, des soins, de la sollicitude de qqn. La curiosité dont il est l'objet. « Rome, l'unique objet de mon ressentiment » (P. Corneille). Objet d'amour, objet aimé : personne qu'on aime. — Absolt (Style précieux et vx) « Femmes ! objets chers et funestes ! » (Rousseau).
4Ce vers quoi tendent les désirs, la volonté, l'effort et l'action. but, 1. fin. L'objet de nos vœux. L'objet que je me propose, mon objet est de... : mon intention, mon dessein est de... « Il ne soupçonnait pas même l'objet de ma visite » (France). Cette démarche, cette plainte est dès lors sans objet, n'a plus de raison d'être. Remplir son objet : atteindre son but. La visite qu'il lui a faite n'a pas rempli, atteint son objet, a manqué son objet.
Psychan. Cause globale (personne, partie d'une personne, objet matériel ou fantasme) susceptible de constituer pour le moi le terme d'une relation, d'un rapport investi d'un point de vue affectif. Relation d'objet. objectal. Objet transitionnel, libidinal.
5Par ext. L'objet d'un discours. matière, substance, 3. sujet, thème. Cette circulaire a pour objet la salubrité publique. concerner (cf. Avoir rapport à).
♢ FAIRE, ÊTRE L'OBJET DE : subir. Ce malade est l'objet d'une surveillance constante. Faire l'objet de nombreuses critiques.
6Dr. Matière sur laquelle portent un droit, une obligation, un contrat, une convention, une demande en justice. L'objet d'un litige, d'un procès.
7Gramm. COMPLÉMENT D'OBJET. Complément d'objet d'un verbe, désignant la chose, la personne, l'idée sur lesquelles porte l'action marquée par le verbe. Complément d'objet direct, ou ellipt objet direct, directement rattaché au verbe sans l'intermédiaire d'une préposition (ex. je prends un crayon). Complément d'objet indirect, ou ellipt objet indirect, rattaché au verbe par l'intermédiaire d'une préposition (ex. j'obéis à vos ordres). ⇒ transitif. Proposition complément d'objet ou complétive (ex. je lui ai annoncé que tu étais parti). Infinitif complément d'objet d'un verbe (ex. désirer partir).
⊗ CONTR. Créature, forme, 3. sujet.

objet nom masculin (latin objectum, chose placée devant) Toute chose concrète, perceptible par la vue, le toucher : Perception des objets. Chose solide considérée comme un tout, fabriquée par l'homme et destinée à un certain usage : Une lampe, un livre sont des objets. Chose définie par son utilisation, sa valeur, etc., ou chose de nature diverse, utilisée à des fins décoratives, de collection, etc. : Objets de toilette. Vous a-t-on pris des objets de valeur ? Chose inerte, sans pensée, sans volonté et sans droits, par opposition à l'être humain : On nous traite comme des objets. Entité définie à l'intérieur d'une science : Objet mathématique. Ce sur quoi porte une activité, un sentiment, etc. : Quel est l'objet de vos recherches ? Un objet de désir. But d'une action, d'un comportement : Toutes ces précautions ont pour objet la sécurité publique. Chose ou personne qui motive une pensée, un sentiment, une action : Il est l'objet d'une jalousie féroce. Sa colère est sans objet. Art contemporain Élément à trois dimensions, emprunté, assemblé ou créé de toutes pièces par l'artiste, constituant tout ou partie d'une œuvre. (Exemple : ready-made ; objets surréalistes ; assemblages…) Droit Opération juridique définie par un contrat. Bien ou prestation sur lesquels porte un droit ou une obligation. Résultat auquel tend une demande en justice. Optique Ensemble de plages, de points dont un système d'imagerie donne une image. Psychanalyse Selon Freud, « ce en quoi la pulsion peut atteindre son but ». ● objet (citations) nom masculin (latin objectum, chose placée devant) Gaston Bachelard Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962 C'est encore en méditant l'objet que le sujet a le plus de chance de s'approfondir. Le Nouvel Esprit scientifique P.U.F. Gaston Bachelard Bar-sur-Aube 1884-Paris 1962 Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet. Le Nouvel Esprit scientifique P.U.F. André Breton Tinchebray, Orne, 1896-Paris 1966 Rien de ce qui nous entoure ne nous est objet, tout nous est sujet. Le Surréalisme et la Peinture Gallimard Alphonse de Prât de Lamartine Mâcon 1790-Paris 1869 Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? Harmonies poétiques et religieuses, Milly ou la Terre natale Antoine de Saint-Exupéry Lyon 1900-disparu en mission aérienne en 1944 L'homme se découvre quand il se mesure avec l'objet. Terre des hommes Gallimardobjet (difficultés) nom masculin (latin objectum, chose placée devant) Emploi 1. Objet / sujet. Ces deux mots ne sont synonymes qu'au sens de « ce sur quoi porte une réflexion, une activité, ce dont on parle » : l'objet ou le sujet d'une recherche, d'une réunion, d'une polémique. 2. Objet / but. Dans l'expression soignée, on emploie avoir pour objet quand le sujet est une chose : cette loi, cette décision, cette mesure a pour objet de réduire l'inflation ; quand le sujet est une personne, on dit plutôt avoir pour but : le Premier ministre a pour but de réduire l'inflation. 3. Être l'objet de / faire l'objet de. On emploie indifféremment être l'objet de ou faire l'objet de : il a été l'objet de poursuites, il a fait l'objet de poursuites. ● objet (expressions) nom masculin (latin objectum, chose placée devant) Objet social, activité commerciale ou civile d'une société, telle que la définissent et l'expriment les statuts sociaux. Complément d'objet, syntagme nominal complément du verbe, qui désigne l'être ou la chose qui subit l'action exprimée par le verbe. (On distingue le complément d'objet direct, qui dépend du verbe[transitif en ce cas] sans l'intermédiaire d'une préposition[Il lit un livre], et le complément d'objet indirect, qui dépend du verbe [transitif indirect] par l'intermédiaire des prépositions à ou de[Il obéit à son patron].) Complément d'objet interne, complément d'objet précisant la modalité particulière de l'action exprimée par le verbe (par exemple Vivre sa vie). Complément d'objet second ou secondaire, nom parfois donné au complément d'attribution. Choix d'objet, mode d'élection des objets d'amour. Objet a, pour Lacan, ensemble de fonctions qui marque la cause du désir inconscient, l'objet du fantasme, l'objet de la pulsion partielle et le masquage imaginaire du réel. Objet partiel, objet de la pulsion partielle. Objet total, selon M. Klein, la personne prise comme objet d'amour. (S'oppose à objet partiel.) [L'objet partiel ne se résorbe pas intérieurement dans l'objet total mais continue à agir pour son propre compte dans l'inconscient.] Relation d'objet, mode de relation de l'individu avec ses objets libidinaux. ● objet (synonymes) nom masculin (latin objectum, chose placée devant) Toute chose concrète, perceptible par la vue, le toucher
Synonymes :
Chose solide considérée comme un tout, fabriquée par l'homme et...
Synonymes :
Ce sur quoi porte une activité, un sentiment, etc.
Synonymes :
- matière
- thème
But d'une action, d'un comportement
Synonymes :

objet
n. m.
d1./d Ce qui peut être perçu par les sens, spécial. la vue. Les hallucinogènes déforment la perception des objets.
d2./d Chose, généralement maniable, destinée à un usage particulier. Objet en métal, en bois. Objet fragile. Objet d'art, créé par un artiste.
d3./d Objet volant non identifié: V. ovni.
d4./d PHYS Tout corps lumineux ou éclairé dont un système optique forme l'image.
d5./d Ce qui occupe l'esprit. Le vrai est l'objet de l'entendement.
|| PHILO La chose même qui est pensée, par oppos. au sujet qui pense.
d6./d Ce à quoi est consacrée une activité de l'esprit. L'objet des mathématiques.
|| Matière, sujet. Objet d'une note de service.
d7./d But, fin. Son objet est de nous convaincre.
d8./d Personne, chose à laquelle s'adresse un sentiment. être un objet de respect.
d9./d GRAM Complément du verbe (mot ou groupe de mots) indiquant l'être ou la chose qui subit l'action réalisée par le sujet. Le sujet et l'objet du verbe. Complément d'objet direct ou objet direct: complément d'un verbe transitif direct, construit sans préposition (ex.: le vase dans il a cassé le vase). Complément d'objet indirect ou objet indirect: complément d'un verbe transitif indirect, construit avec une préposition (ex.: un malade dans cela ne convient pas à un malade).

⇒OBJET, subst. masc.
I. —[Dans une visée concrète]
A. —Tout ce qui, animé ou inanimé, affecte les sens, principalement la vue. Comment analyser les impressions qui résultent de la vue de ces objets gigantesques et menaçans, dont l'immensité est si disproportionnée à la foiblesse de nos organes? (CRÈVECOEUR, Voyage, t.2, 1801, p.184). Revenu à moi, non je n'oublierai jamais la sensation que m'a fait éprouver le premier objet offert à ma vue: Napoléon, la figure penchée sur mon visage, me considérant avec l'expression du plus grand intérêt (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.328). Nous avons déjà vu que la convergence des yeux n'est pas cause de la profondeur et qu'elle présuppose elle-même une orientation vers l'objet à distance (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.300):
1. ... la maison est de prime abord un objet à forte géométrie. On est tenté de l'analyser rationnellement. Sa réalité première est visible et tangible.
BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.59.
SYNT. Objet animé, inanimé, inerte, concret, matériel, extérieur, éloigné, proche, observable, sensible, visible; objets environnants; distinguer, percevoir les objets.
Spécialement
ASTRONOMIE
Objet (céleste). Corps céleste dont les caractéristiques ne sont pas encore parfaitement déterminées. Objet diffus. Si nous ne pouvons pas «résoudre» ces nébuleuses, ce serait à cause de la petitesse extrême des composantes, et non pas parce que ces objets célestes sont excessivement éloignés (H. POINCARÉ, Hyp. cosmogon., 1911, p.269):
2. C'est par hasard que W. Herschel, qui recherchait des étoiles doubles, découvrit en 1781 la planète nommée plus tard Uranus; dans le champ de l'oculaire à fort grossissement adapté au télescope de 7 pieds, l'objet avait un diamètre apparent perceptible; on reconnut bientôt qu'il avait été observé comme étoile à plusieurs reprises depuis 1690.
Hist. gén. sc., t.3, vol.1, 1961, p.148.
Objet spatial. ,,Corps céleste artificiel dont l'orbite n'a pas été calculée`` (PINDER-ROUSS. 1971).
Objet volant non identifié (abrév. ovni). Phénomène spatial aérien insolite dont on ne peut formellement expliquer l'origine, qui se présente sous une forme sphérique, discoïdale, elliptique, fusiforme (ou plus complexe) apparaissant et disparaissant soudainement et silencieusement, variant en luminosité et en couleur et pouvant avoir des effets secondaires souvent perturbants sur l'environnement. Pour la première fois, en français, voici un panorama des observations faites en Chine sur des objets volants non identifiés (OVNI) (Sc. et Avenir, n° 434, avr. 1983, p.6).
OPT. ,,Point de départ, réel ou virtuel, des rayons lumineux divergents que l'on observe à l'aide d'un système optique`` (Sc. 1962). D'une façon générale, on peut dire qu'un point est objet réel par rapport à un système si le faisceau de rayons ayant ce point pour sommet est un faisceau divergent pour la face d'entrée du système. Il est un objet virtuel si le faisceau dont il est le sommet est convergent pour la face d'entrée du système (Encyclop. Lar. t.2 1968, p.482a).
B. —Chose solide, maniable, généralement fabriquée, une et indépendante, ayant une identité propre, qui relève de la perception extérieure, appartient à l'expérience courante et répond à une certaine destination. Collection, ensemble d'objets; vente d'objets; prendre, renverser, soulever un objet. A chaque nouveau colis, la foule frémissait. On se nommait les objets à haute voix. «Ça, c'est la tente-abri... ça, ce sont les conserves... la pharmacie... les caisses d'armes...» (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p.46). Elle prenait les objets un à un, les palpait, puis les rangeait dans sa valise, avec une lueur de contentement au fond des yeux (DABIT, Hôtel Nord, 1929, p.159):
3. Ceux qui affirment sur les choses la maîtrise la plus autoritaire ne sont pas les plus humains de tous. Eux aussi, comme ceux qui se laissent modeler par elles, ont vidé les choses de la tendresse et du respect humains. Les objets ne sont plus pour eux que des objets, évacués de présence, d'appels, de connivences échangées des uns aux autres et d'eux à nous. Ils y gagnent évidemment un sentiment d'aisance parmi les choses, soumises sous leur main à un multiple et souple esclavage.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p.80.
[Distingué des êtres animés et des éléments naturels] C'est en vain qu'on brise avec les objets et les êtres extérieurs (MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, p.177). Les plus cultivés d'entre nous se surprennent ainsi à peupler les objets, le monde animal, la nature, l'événement, de volontés malveillantes dirigées contre nous (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.128).
[Symbole de ce qui est inanimé et n'a aucune volonté propre] Sous ces regards inquisiteurs, je me sentais devenir un objet, une fleur en pot (SARTRE, Mots, 1964, p.72). La mort, quel déshonneur! Devenir soudain objet... (E.-M. CIORAN ds Le Monde, 5 août 1983, p.13).
[Avec déterminant évoquant une caractéristique de nature, permanente ou circonstancielle]
Objet bizarre, coloré, élastique, fragile, lourd; objets disparates, divers, hétéroclites; menus, petits objets. Les beaux objets réalisés d'une main heureuse sont tout naturellement «continués» par la rêverie du poète (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.89).
Objet chinois, japonais; objet colonial, étranger, exotique. Les trouvailles de vases crétois ou égéens jusque dans la Haute-Égypte, et réciproquement celles d'objets égyptiens en Crète (VIDAL DE LA BL., Princ. géogr. hum., 1921, p.83).
Objet de bois, de bronze, de métal, métallique. Les nefs (...) rapportèrent la victoire, des nègres, des objets d'ivoire d'or et d'airain (ADAM, Enf. Aust., 1902, p.197).
Objet fabriqué, moulé, sculpté, travaillé; objet artisanal, industriel. Paul Valéry séjourne longtemps devant l'idéal d'un objet modelé, d'un objet ciselé qui justifierait sa valeur d'être par la belle et solide géométrie de sa forme en se détachant du simple souci de protéger sa matière (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p.106). Dans le prix de tout objet manufacturé une valeur est ajoutée à chaque stade (LESOURD-GÉRARD, Hist. écon., 1968, p.125).
Objet caché, exposé. M. Ossowiecki est capable de retrouver des objets perdus ou volés (AMADOU, Parapsychol., 1954, p.129).
Objet trouvé. Objet perdu par son propriétaire et retrouvé par quelqu'un d'autre. Aller au bureau des objets trouvés.
Objet précieux, objet de valeur. Objet qui a une grande valeur marchande. L'année dernière, cinq dames en voiture ont emporté divers objets précieux dans leurs manchons (MICHELET, Journal, 1835, p.217).
Objet d'art. Objet ayant une valeur artistique. V. inventaire I A 3 ex. de Lacretelle.
Objet mobilier. Objet de la nature des meubles:
4. En orfèvrerie, le XIXe siècle n'a guère produit d'objets mobiliers. Les très rares meubles de vermeil ou d'argent doivent leur existence à des circonstances bien particulières.
GRANDJEAN, Orfèvr. XIXe s., 1962, p.55.
[Avec déterminant évoquant l'usage auquel est destiné l'objet]
Objet usuel, d'usage courant, de première nécessité. Ils examinent longuement les objets familiers: le rouleau, la herse, la charrue, le tarare (GIONO, Colline, 1929, p.76).
Objet de consommation courante, d'échange, de négoce. C'étoient les jésuites du Canada et de la Louisiane, qui avoient (...) découvert de nouveaux objets de commerce pour les teintures et les remèdes (CHATEAUBR., Génie, t.2, 1803, p.411).
Objet de fantaisie (v. fantaisie A 2 a), de luxe. La maison entière était un bazar; tous les étages étaient encombrés d'objets de pacotille, de marchandises hétéroclites, d'articles de bric-à-brac (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.426).
Objet de literie, de quincaillerie. Cet appoint apporté par le lait garantissait les besoins supplémentaires du foyer: les épices, les objets de mercerie, le sel de la soupe, la lumière (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.234).
Objet de cuisine. Eugénie se mit à ranger le linge, les objets de toilette que son cousin avait apportés (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.128). Le colporteur offrant tous objets de ménage ou personnels non fournis par la terre (PESQUIDOUX, Livre raison, 1928, p.121).
Objet religieux, sacré; objet de piété. Il faut (...) qu'une fois conçu et idolâtré l'objet du culte revienne transfigurer et parfaire toutes les ébauches de l'action et toutes les oeuvres incomplètes (BLONDEL, Action, 1893, p.310). S'il n'est plus objet de culte, le totem ne meurt pas pour cela (Philos., Relig., 1957, p.48-5).
POSTES ET TÉLÉCOMM. Objet de correspondance. Jusqu'à présent, plus de 800 machines à affranchir les objets de correspondance et de 400 machines à affranchir et à enregistrer les objets recommandés sont en service (Admin. Postes et Télécomm., 1964, p.18). Objet recommandé. Objet de correspondance envoyé en recommandé. V. ex. ci-dessus.
Rem. Le terme chose recouvre un ensemble de réalités plus large et plus vague que objet: il désigne, en quelque sorte, tout ce qui existe (concrètement), sans les limitations qui distinguent ce que l'on nomme objet, c'est-à-dire, principalement, dimensions limitées, maniabilité et destination. Voir A. MOLES ds Communications n° 13, 1969, p.5.
C.P. ext.
1. Tout élément ayant une identité propre, produit par un art ou une technique et considéré dans ses rapports avec cet art ou cette technique. Objet plastique, musical. L'on en était réduit à n'appréhender l'objet sonore que sous les deux formes sous lesquelles il se manifestait: soit sous forme de projet, la partition, soit sous forme du «souvenir» de l'exécution (SCHAEFFER, Rech. mus. concr., 1952, p.144).
Rem. L'objet sonore peut, d'apr. Mus. 1976, ,,se définir de deux manières, complémentaires l'une de l'autre. 1° D'une manière psycho-physiologique, c'est un phénomène sonore ayant à la fois un caractère d'unité (perçu comme un seul phénomène) et un caractère de complétude (perçu comme entier et terminé). 2° D'une manière physique, c'est un phénomène sonore susceptible d'une représentation tridimensionnelle en fonction des axes temps, intensité, fréquence``.
P. anal. Objet mathématique. V. logique1 ex. 4.
2. Vieilli. Synon. de chose. La dentelle seule déguisait ce que sa personne offrait de désirable, et l'on sait comment la dentelle déguise ces objets-là (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.294).
II. —[Dans une visée abstr., souvent p. oppos. à sujet]
A.PHILOSOPHIE
1. Ce qui a une existence en soi, indépendante de la connaissance ou de l'idée que peut en avoir l'être pensant. Aimer Dieu vous ramène toujours, en dernière analyse, à la vie, qui comprend le fini, le moi et le non-moi, un sujet et un objet, de même qu'elle comprend aussi l'infini, c'est-à-dire une intervention de l'être universel par laquelle le moi et le non-moi, le sujet et l'objet, se distinguent tout en s'unissant (P. LEROUX, Humanité, 1840, p.205). Le comportement humain s'ouvre à un monde (Welt) et à un objet (Gegenstand) par-delà les ustensiles qu'il se construit, il peut même traiter le corps propre comme un objet (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.377):
5. L'esprit s'éveillant à la vie intérieure est pourtant en quête d'un objet. Il renonce à l'objet que l'action propose pour un objet de nature différente, mais ne peut se passer d'objet: son existence ne peut se fermer sur elle-même. Les mouvements intérieurs ne sont nullement objet, ils ne sont pas sujet non plus en ce qu'ils sont le sujet qui se perd, mais le sujet peut à la fin les ramener à lui-même et comme tels ils sont équivoques; à la fin la nécessité d'un objet, ce qui revient à dire: de sortir vraiment de soi, se fait impérieuse.
G. BATAILLE, Exp. int., 1943, p.181.
2. Vieilli, rare. [Chez Descartes, repris par Renouvier] Ce qui est pensé ou représenté par l'esprit, indépendamment de toute réalité lui correspondant et du sujet ou de l'acte par lequel il est pensé ou représenté. La conformité alléguée entre le sujet et l'objet, entre le représenté en soi et le représenté dans la représentation, démontre qu'en voulant poser autre chose que la représentation, c'est encore elle, elle seule que l'on pose (Ch. RENOUVIER, Essais de crit. gén., 1er essai, Traité de logique gén. et de logique formelle, 2e éd., Paris, 1875, p.36).
B.Cour. Ce sur quoi porte un procès ou un processus, ou ce à quoi il tend.
1. [À propos de l'activité de l'esprit en gén.] Ce à quoi s'applique cette activité. Objet(s) d'entendement, de pensée. Combien de fois, sans nous rien dire, nous eûmes la certitude que le même objet nous occupoit également! (FIÉVÉE, Dot Suzette, 1798, p.147). Cette correspondance de généralités de mots et de pensées méconnue par Condillac à un point qui prouve combien peu ses idées étoient développées sur ces objets importans (BONALD, Législ. primit., t.1, 1802, p.307). L'esprit peut (...) revenir à ses soins ordinaires, ce qui se fait sans qu'on y pense, et, par le désarroi d'une rêverie sans objet fixe, ramène l'ennui (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p.268).
2. Gén. au sing. [À propos d'une manière d'être ou d'une activité particulière]
a) Gén. hors loc., souvent avec un compl. subst. prép. de
) Domaine des sentiments et de la volonté
Ce qui donne matière à une réaction affective, ce qui est cause ou motif d'un sentiment. Ceux qui ont perdu un être aimé qu'ils ne revoient jamais en dormant (...). Dans leur impuissance à se représenter l'objet de leur douleur, ils s'accusent presque de n'avoir pas de douleur (PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p.490). V. affermi ex. 10.
SYNT. Objet de dégoût, de mépris, d'épouvante, d'étonnement, d'horreur, de terreur, d'extase, de jouissance, de jalousie, de rancune, de ressentiment, de sentiments.
Ce sur quoi portent ou ce vers quoi sont dirigés une réaction affective, un état d'âme et sa manifestation. Madame Grandet, qui regarda sa fille avec cette intuition sympathique dont sont douées les mères pour l'objet de leur tendresse, et devina tout (BALZAC, E. Grandet, 1834, p.96). Maintes fois il avait essayé d'aider le curé au patronage, au cercle d'études, et toujours perclus de honte, stupide, objet de risée, était rentré dans sa nuit (MAURIAC, Baiser Lépreux, 1922, p.154). Il n'a pas pris part à vos complots, il a été élevé loin de moi et ne peut pas me haïr; ou s'il me hait, l'objet de sa haine est un être abstrait, sans rapport avec moi-même (MAURIAC, Noeud vip., 1932, p.201).
SYNT. Objet d'admiration, d'adoration, d'amour, d'attachement, d'idolâtrie, de respect, de tendresse, de vénération; objet de sollicitude; objet de plaisanteries, de railleries.
En partic. [Sans compl. subst. prép. de, mais souvent avec déterm. adj.]
Vieilli. Femme aimée, p. ext., personne aimée (homme ou femme). Objet adoré, chéri, jeune objet; adorer un objet. Je ne puis ni supporter l'éloignement de l'objet auquel mon sort est lié, ni m'astreindre à son exigence (STAËL, Lettres jeun., 1791, p.471). Pour que le seul remplacement de la femme, comme objet aimé, par un jeune homme, déclenchât aussitôt autour de celui-ci tout le processus de complications sociales qui se développent autour d'une liaison ordinaire (PROUST, Sodome, 1922, p.1059):
6. Si un de ces garçons aime un objet indifférent, armez en lui l'ambition contre l'amour. Faites-lui sentir qu'il est honteux à un coeur de soupirer pour un objet insensible, ou qui lui en préfère un autre.
BERN. DE ST-P., Harm. nat., 1814, p.332.
Arg., vieilli. Amant(e). Je parvins avec elle (...) à la porte du repaire où elle comptait retrouver son objet (VIDOCQ, Mém., t.3, 1828-29, p.197). Pour qu'on te fasse voir ton objet dans son paradis, il faut prendre Cydalise et avoir l'air d'entrer là, par suite d'une erreur de bonne, avec ta particulière (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p.383). Depuis lors à son sujet Mon coeur battit la breloque, Quand j'appris que mon objet M'accordait la réciproque (Fleur de thé) (DELESALLE, Dict. arg.-fr. et fr.-arg., 1896, p.194).
PSYCHANAL. Ce qui est en dehors du moi et vers quoi tend la pulsion. Objet d'amour; choix, perte d'objet. Le désir tyrannique d'être aimé, la prédominance du souci du moi sur le souci de l'objet sexuel, voire sur le souci hétérosexuel tout court (MOUNIER, Traité caract., 1946, p.145). Combien de gens se croient amoureux parce qu'ils projettent sur l'objet une image intérieure (CHOISY, Psychanal., 1950, p.176):
7. Le tableau symptomatique (...) de la démence précoce ne se compose pas uniquement des symptômes découlant du détachement de la libido des objets et de son accumulation dans le moi, en qualité de libido narcissique. Une grande place revient plutôt à d'autres phénomènes se rattachant aux efforts de la libido de retourner aux objets...
FREUD, Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959 [1922], p.451.
Objet partiel. ,,Partie ou fragment du corps pris pour objet de pulsions partielles`` (FEDIDA 1974). Ainsi les premières relations sont vécues en termes d'objets partiels: bon ou mauvais sein selon que le besoin oral est gratifié ou frustré (Encyclop. univ. t.6 1970, p.210c).
Objet transitionnel. ,,Objet que le sujet traite comme étant à mi-chemin entre lui-même et une autre personne`` (RYCR. 1972):
8. Pour D. W. Winnicott, l'accès à la perception d'un objet nettement différencié du sujet et à la relation d'objet proprement dite est favorisée par l'«objet transitionnel». On remarque que, bien souvent entre quatre et douze mois, l'enfant suçote un coin de couche ou de couverture, objet dont il ne veut se séparer à aucun prix, surtout au moment de l'endormissement. Cet objet intermédiaire «entre le pouce et l'ours de peluche» est aussi la «première possession de quelque chose qui n'est pas moi».
Encyclop. univ. t.6 1970, p.210b et c.
Relation d'objet. ,,Relation du sujet à son objet`` (RYCR. 1972). H. Ezriel, à partir de sa pratique des cures psychanalytiques en groupe, met l'accent sur le désir des patients d'établir une relation d'objet particulière, ici et maintenant, avec le psychanalyste, relation qui peut être déplacée défensivement sur un autre membre (Encyclop. univ., t.8, 1970, p.52a). V. aussi ex. 8.
Ce vers quoi tend le désir ou la volonté. Objet de la convoitise de qqn, objet du désir. Il s'assit à portée de l'urne métallique où rayonnaient, tendre objet de ses voeux, les cinq cents louis d'or promis au vainqueur (CLADEL, Ompdrailles, 1879, p.297). Âme d'ambitieux, assez lucide, assez séparé des hommes ou assez malade pour mépriser tous les objets de son ambition, et son ambition même? (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p.224). Chacun de tes rapports avec l'homme et avec la nature, écrit Marx, doit être une manifestation déterminée et correspondant à l'objet de ta volonté de la réalité individuelle (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p.39).
) Domaine de l'activité
Ce à quoi s'applique une activité (dans sa réalisation ou dans son résultat). Je n'aurai d'amour que pour les belles choses, et ne proposerai à mon activité d'autre objet ici-bas (RENAN, Avenir sc., 1890, p.490). Tel a été l'objet du décret du 29 juillet 1958 qui crée une licence d'histoire de l'art et d'archéologie (Encyclop. éduc., 1960, p.230).
SYNT. Objet de connaissance, de contemplation, de controverse, de discussion, d'enquête, d'étude, d'examen, d'expérience, d'investigation, de méditation, de recherches, de réflexion, de spéculation, de transactions, de travaux; objet de la chimie, de la linguistique; objet d'un chapitre, d'un traité.
ADMIN. Matière traitée. Objet d'une réunion. Il est recommandé: (...) de dactylographier en lettres minuscules, sans soulignement, le texte relatif à l'«objet» (SPR. 1967, p.210).
DR. Ce sur quoi porte un droit, une procédure, un acte juridiques. Objet d'un litige. Le débiteur obligé à fournir une caution doit en présenter une qui ait la capacité de contracter, qui ait un bien suffisant pour répondre de l'objet de l'obligation (Code civil, 1804, art.2018, p.362):
9. L'objet d'un contrat, ou plus exactement l'objet des obligations qu'il fait naître, est la prestation imposée aux parties par ce contrat. Il doit être certain, c'est-à-dire déterminé ou déterminable par les éléments du contrat, possible (ainsi, lorsque la chose a péri en totalité, il est considéré que l'objet n'est pas possible)...
Encyclop. Lar. t.3 1968, p.614a.
Ce que l'on pose comme finalité de l'activité, de son moyen ou de son résultat. Synon. but, fin, objectif. Poursuivre un double objet. Le premier objet de toute constitution doit être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même (ROBESP., Discours, Constit., t.9, 1793, p.496). La force armée a trois objets différents (CONSTANT, Princ. pol., 1815, p.109). L'objet de ces enduits vitreux est de rendre la pâte imperméable (Al. BRONGNIART, Arts céram., t.1, 1844, p.172):
10. Une analyse complète d'Eurêka: n'étant pas actuellement mon dessein, je ne parlerai presque point de l'usage fait par l'auteur, de l'hypothèse de Laplace. L'objet de Laplace était restreint. Il ne se proposait que de reconstituer le développement du système solaire.
VALÉRY, Variété [I], 1924, p.135.
Loc., vieilli ou littér.
Remplir son objet. Accomplir ce qui était assigné, atteindre ce qui était visé. Synon. remplir son office. En nous constituant sur le pied de guerre, nos ennemis ont déjà rempli leur objet (ROBESP., Discours, Guerre, t.8, 1792, p.151). Au lieu de me retirer rapidement, après avoir rempli mon objet, et peut-être donné l'éveil à mes ennemis (STENDHAL, Chartreuse, 1839, p.161). Remplir un objet. Un corps que constitue un tissu cellulaire très-souple, et dont les cellules communiquent entre elles par des pores, peut remplir cet objet (LAMARCK, Philos. zool., t.2, 1809, p.76). Var. au plur. Il leur prescrira de concourir (...) à remplir les objets indiqués par ce mémoire (Voy. La Pérouse, t.1, 1797, p.48).
Manquer son objet. Ne pas atteindre ce qui était visé. Synon. manquer, rater son but. L'ambitieux qui a manqué son objet, et qui vit dans le désespoir (CHAMFORT, Max. et pens., 1794, p.26).
b) Loc. en rapport, selon les cont., avec l'un ou l'autre des emplois distingués supra a.
) Être/devenir l'objet de + subst.
♦[Sentiment] Toute autre excellence, telle que celle de l'indépendance relativement à Dieu ou celle de l'ambition de commander aux autres, n'a pu être l'objet de l'orgueil de Lucifer (Théol. cath. t.4, 1 1920, p.399).
♦[Réaction psychique ou sa manifestation] La réprobation dont il [tout délit] est l'objet résulte de sa délictuosité (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p.47).
♦[Activité ou son résultat] Méthodes arithmétiques qui sont l'objet de ce traité (LAGRANGE, Résol. équations num., 1808, p. XXIII). Ce certificat devra suivre l'animal au cours de toutes les transactions dont il sera l'objet (BRION, Jurispr. vétér., 1943, p.276). Cette théorie, qui fut l'objet de vives controverses, est aujourd'hui solidement assise (Hist. gén. sc., t.3, vol.2, 1964, p.650).
) Faire l'objet de + subst.
♦[Réaction psychique ou sa manifestation] Même chez les Bricard, gens un peu frustes, l'amitié de Juliette et d'Alain faisait l'objet de plaisanteries indulgentes (VAN DER MERSCH, Invas. 14, 1935, p.240).
♦[Activité ou son résultat] Les générations directes, qui font l'objet de ce chapitre (LAMARCK, Philos. zool., t.2, 1809, p.89). Non plus que les livres, toujours remis à une prochaine fois, (...) ne vont faire l'objet de notre entretien (MALLARMÉ, Dern. mode, 1874, p.784). Les phénomènes graphiques ou la mesure du temps, qui font l'objet de la paléographie ou de la chronologie (L'Hist. et ses méth., 1961, p.670).
) Avoir pour objet
+ subst.
[Sentiment] Lorsque l'amour a pour objet une femme qu'on n'a jamais possédée (VAILLAND, Drôle de jeu, 1945, p.88).
[Activité ou son résultat] La philosophie naturelle, dit Barthez, a pour objet la recherche des causes des phénomènes de la nature, mais seulement en tant qu'elles peuvent être connues d'après l'expérience (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p.194). On enseigne, sous le nom de cosmographie, des éléments d'astronomie, science qui a pour objet les astres, leur position, leurs mouvements et leur constitution physique (A. DANJON, Cosmogr., 1948, p.9). [Avec idée de finalité] Sous un régime d'égalité, toute épargne qui n'a pas pour objet une reproduction ultérieure ou une jouissance est impossible (PROUDHON, Propriété, 1840, p.240). Ces écoles ont pour objet la formation des cadres supérieurs, techniques, professionnels et administratifs de l'agriculture (Encyclop. éduc., 1960, p.234).
Prendre pour objet + subst. La philosophie qui prend pour objet l'esprit humain à l'état concret et vivant (P. LEROUX, Humanité, 1840, p.142).
+ de + inf. Viser à, avoir pour finalité de. Celle des fonctions du système nerveux, qui a pour objet d'envoyer le fluide subtil des nerfs aux fibres musculaires ou à leurs faisceaux (LAMARCK, Philos. zool., t.2, 1809, p.142). L'ouverture de conversations tripartites ayant pour objet de soumettre des propositions au gouvernement australien et à moi-même (DE GAULLE, Mém. guerre, 1954, p.359). Les soins locaux ont pour objet de décaper les lésions (QUILLET Méd. 1965, p.301).
Se donner pour objet de + inf.:
11. L'auteur n'insiste plus pour nous persuader que les Confessions avaient été écrites, en partie du moins, dans un but de santé publique. Elles se donnaient pour objet, nous dit-il plus franchement, de montrer quelle puissance a l'opium pour augmenter la faculté naturelle de rêverie.
BAUDEL., Paradis artif., 1860, p.442.
) Sans objet. Sans fondement, sans raison (d'être).
♦[En fonction d'adv.] Lutter, se passionner sans objet. Le poulain (...) Galopoit sans objet, se baignoit sans envie, Ou se reposoit sans besoin (FLORIAN, Fables, 1792, p.82). Son oeil clair, jaune et dur tombait sur vous comme un rayon de soleil en hiver, lumineux sans chaleur, inquiet sans pensée, défiant sans objet (BALZAC, Lys, 1836, p.49).
♦[En fonction d'adj.] Besoin, jalousie, vérité sans objet. La société des nicolaïtes ne ressuscita pas après la Révolution comme celle des sulpiciens; le bâtiment de la rue Saint-Victor demeura sans objet (RENAN, Souv. enf., 1883, p.164). Engagements contractés par un incapable, ou sans objet, ou dont la cause est illicite (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p.189):
12. ... la conscience du fait de sa mort faisait un affreux désert. Froid de métal. Que m'importait qu'il y eût d'autres gens à aimer? L'amour que je dirigeais vers lui, accompagné d'ébauches intérieures, d'échanges qui ne pouvaient avoir lieu qu'avec lui, était sans objet.
S. WEIL, Pesanteur, 1943, p.144.
3. GRAMM. Complément d'objet ou objet
a) GRAMM. TRADITIONNELLE
) Terme de la proposition désignant la personne ou la chose sur laquelle porte l'action exprimée par le verbe. Certains verbes appellent nécessairement un complément d'objet (tantôt direct, tantôt indirect) et ne s'emploient jamais absolument; ce complément d'objet peut être dit objet essentiel: Alléguer des raisons. Attenter à ses jours (GREV. 1975, § 195, p.158).
(Complément d') objet direct. Complément d'objet directement rattaché au verbe (transitif) sans préposition, qui exprime l'objet, le résultat ou parfois le contenu de l'action, répond à la question ... qui? ... quoi? posée après le verbe et peut devenir sujet lorsque la proposition est tournée au passif (d'apr. GREV., 1975, § 195, p.158). Synon. vieilli régime direct; abrév. c.o.d. L'accord dépend de la place du complément d'objet direct (ESTAUNIÉ, Ascension M. Baslèvre, 1919, p.96). La plupart des grammairiens déclarent que l'inversion du sujet est impossible quand le verbe est suivi d'un nom en fonction d'objet direct (R. LE BIDOIS, L'Invers. du suj. dans la prose contemp., Paris, D'Artrey, 1952, p.265).
(Complément d') objet indirect. Complément d'objet rattaché indirectement au verbe (transitif indirect) par l'intermédiaire de la prépositon à ou de, qui exprime la personne ou la chose vers laquelle se dirige l'action et répond à la question ... à/de qui? ... à/de quoi? posée après le verbe (d'apr. GREV., 1975, § 195, p.158). Synon. vieilli régime indirect; abrév. c.o.i. ou c.o. ind. Dans ces dernières phrases, le «courant» du verbe se dirige à peu près également vers l'attribut qui précède et vers l'objet indirect postposé (R. LE BIDOIS, L'Invers. du suj. dans la prose contemp., Paris, D'Artrey, 1952, p.369). Le pronom personnel complément d'objet indirect se rattache parfois au verbe sans préposition:Cette habitude vous nuit (GREV. 1975, § 192, p.156, rem. 3).
(Complément d') objet interne. Complément d'objet direct toujours accompagné d'une épithète ou d'un déterminatif, employé avec des verbes intransitifs et exprimant l'idée nominale contenue dans le radical du verbe ou une idée analogue à celle de ce radical (d'apr. GREV., loc. cit.). La grande difficulté, on le sait, c'est de traiter ensemble d'objets externes comme dans battre quelqu'un, tuer César, etc. et d'objets internes comme:vivre une vie épuisante, sentir le musc, etc. (J.-Cl. CHEVALIER, Hist. de la synt., Genève, Droz, 1968, p.533).
♦Plus rare. (Complément d') objet second ou secondaire. Complément d'attribution des verbes du type donner. Il n'y a jamais d'accord entre le participe passé conjugué avec avoir et le complément d'objet second (celui-ci ayant la forme d'un complément d'objet indirect) (R. GALIZOT, J.-P. DUMAS, B. CAPET, Précis de gramm. fonctionnelle de la lang. fr., Paris, Nathan, 1970, p.107).
Rem. Autre sens ds GREV. 1975, §192, p.156, rem. 1: ,,En tant qu'il vient s'ajouter à un objet direct (exprimé ou implicite), l'objet indirect peut être appelé objet secondaire; l'objet direct est dit alors objet premier``.
) En partic. Complément d'objet direct. Le signe (consistant dans la place des mots) de la relation entre verbe transitif et complément d'objet («cuire la pâte, labourer la terre», etc.) (BALLY, Lang. et vie, 1952, p.81):
13. Les verbes d'action eux aussi expriment une direction d'un pôle sujet vers un pôle objet. Le verbe a un sujet personnel et un complément d'objet. L'analogie va même plus loin: dans le langage courant nous appelons «objets» les «ustensiles» que nous manipulons. Il ne s'agit pas là seulement d'une équivoque verbale entre l'objet-ustensile et l'objet au sens grammatical de «complément d'objet»...
RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.193.
b) GRAMM. GÉNÉRATIVE
(Complément d') objet (principal). Syntagme nominal constituant d'un syntagme verbal, lorsque le noyau de la phrase de base peut subir une transformation passive et le syntagme nominal constituant une transformation de détachement accompagnée de pronominalisation. L'impossibilité de déplacer le terme objet n'est pas suffisante, car d'autres catégories grammaticales ne peuvent être déplacées, sans être pour autant des compléments d'objet, par exemple l'attribut de l'objet (J. LE GALLIOT, Description générative et transformationnelle de la lang. fr., Paris, Nathan, 1975, p.222).
(Complément d') objet indirect. Syntagme prépositionnel constituant d'un syntagme verbal, lorsque le noyau de la phrase de base ne peut pas subir de transformation passive mais que le syntagme prépositionnel peut subir une transformation de détachement accompagnée de pronominalisation, le pronom ayant la forme oblique à la troisième personne et la forme tonique aux deux premières ou les formes en et y (d'apr. J. LE GALLIOT, Description générative et transformationnelle de la lang. fr., Paris, Nathan, 1975, p.96).
(Complément d') objet secondaire. Syntagme prépositionnel constituant d'un syntagme verbal comportant déjà un constituant complément d'objet principal, lorsque le noyau de la phrase de base peut subir une transformation passive et le syntagme prépositionnel une transformation de détachement accompagnée de pronominalisation, le pronom ayant la forme oblique à la troisième personne et la forme tonique aux deux premières (d'apr. J. LE GALLIOT, Description générative et transformationnelle de la lang. fr., Paris, Nathan, 1975, p.96).
REM. 1. -objet, élém. de compos. a) [Le 1er élém. est un subst. désignant une chose; -objet signifie que cette chose est considérée pour elle-même, le plus souvent pour ses qualités esthétiques, en faisant abstraction de sa fonction] Corps-objet, livre-objet, mot-objet. Mais que sa beauté ne confine pas la Passat dans le rôle de voiture-objet. Sous cette très élégante silhouette se cache un vrai tempérament (L'Express, 10 oct. 1977, p.202, col.2). b) [Le 1er élém. est un subst. désignant une catégorie d'êtres; -objet signifie que l'être est considéré comme un élém. matériel passif] Femme-objet (v. femme I C 3 a rem.). [Paul Guth] passe aujourd'hui notre siècle en revue, une drôle de revue et une revue drôle, où l'on parle de tout un peu; de l'argent —on en parle trop —, de l'amour —on n'en parle pas assez —, de la femme à muscles et de l'homme-objet (Elle, 31 oct. 1977, p.9, col.3). c) [Correspond à objet II B 2 a ] Sémiologie. Langage-objet. ,,Langage devenant l'objet d'études pour un autre langage qui le prend sous sa visée`` (Média 1971). 2. Objectité, subst. fém., philos., rare. Caractère de ce qui est chose en soi, indépendante du sujet (v. objet II A 1). Séduire, c'est assumer entièrement et comme un risque à courir mon objectité pour autrui, c'est me mettre sous son regard et me faire regarder par lui, c'est courir le danger d'être vu pour faire un nouveau départ et m'approprier l'autre dans et par mon objectité (SARTRE, Être et Néant, 1943, p.439).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 1370-72 «toute chose qui affecte les sens et en particulier la vue» (N. ORESME, Ethiques, éd. A. D. Menut, La table des moz divers et estranges, fol. 223c, p.545); 1370-72 «ce qui frappe les autres sens» (ID., ibid.); 2. 1784 «se dit de tout ce qui est doté d'existence matérielle» objets de frivolité (NECKER, Admin. fin., IV, p.547 ds BRUNOT t.6, p.384, note 5); p. ext. 1831 objet d'art (MICHELET, Introd. Hist. univ., p.433). II. 1. 1370-72 «tout ce qui se présente à la pensée, qui est occasion ou matière pour l'activité de l'esprit » (N. ORESME, op. cit., livre X, chap.VI, fol.204d et note 5); en partic. 1647 philos. «ce qui est donné par l'expérience, existe indépendamment de l'esprit» (DESCARTES, Méditation troisième ds OEuvres et lettres, éd. A. Bridoux, p.288); 2. 1556 «se dit de ce qui, être ou chose, est la cause, le motif d'un sentiment» (RONSARD, Nouvelle continuation des Amours, p.2 ds OEuvres, éd. P. Laumonier, VII, p.272); 3. 1612 «ce vers quoi tendent les désirs, la volonté, l'effort et l'action» (RÉGNIER, Satyres... revueues et augmentées, Paris, Toussaincts du Bray, XIII, 10); en partic. 1669 «matière, substance, sujet d'une étude, d'un ouvrage» (PASCAL, Pensées, éd. Lafuma, 586, p.583: l'objet de la géométrie ... l'objet de la médecine); 4. 1798 gramm. «désigne le complément ou régime direct» (CONDIL., Gramm., II, 26 ds LITTRÉ); 1922 compléments d'objet (BRUNOT Pensée, p.300); 5. 1804 dr. «ce sur quoi porte un droit, une obligation etc...» (Code civil, art.525, p.97). Empr. au lat. scolast. objectum proprement «ce qui est placé devant» (part. passé subst. neutre de obicere «placer devant») d'où «ce qui possède une existence en soi, indépendante de la connaissance ou de l'idée que des êtres pensants en peuvent avoir» (BLAISE Lat. Med. Aev.), s'oppose à sujet surtout en gramm. et en philos., bien que dans la lang. cour. la distinction ne soit pas toujours observée. Fréq. abs. littér.:18579. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 32491, b) 14924; XXe s.: a) 18362, b) 32252. Bbg. BERNARD (G.). La Transitivité du verbe en fr. contemp. Thèse, Lille, 1972, 394 p.passim. — BLINKENBERG (A.). Le Probl. de la transitivité en fr. mod. Copenhague, 1960, 366 p. — CHEVALIER (J.-Cl.). Hist. de la synt. Genève, 1968, p.351, 359, 533, 644, 700. — Communications 1969, n°13 (Les Objets), 139 p., passim. — GOUGENHEIM (G.). L'Objet interne et les catégories sém. des verbes intrans. In: [Mél. Delbouille (M.)]. 1964, t.1, pp.271-285. — GROSS (M.). Rem. sur la notion d'objet direct en fr. Lang . fr. 1969, n°1, pp.63-73. — VARDAR (B.). Le Terme objet dans le CLG. Cah. F. Sauss. 1977, n°31, pp.269-276.

objet [ɔbʒɛ] n. m.
ÉTYM. 1346, object, Oresme; lat. scolast. objectum, proprt « ce qui est placé devant », d'où « chose qui affecte les sens ».
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I (Concret).
1 (Incluant les êtres animés). Didact. Ce qui, affectant les sens d'un sujet, peut être distingué de ce qui l'entoure; spécialt (cour.) chose sensible à la vue. || Qualités sensibles, forme, grandeur (cit. 36), matière des objets, d'un objet. || Voir, apercevoir un objet (→ Aspect, cit. 10). || Distinguer (cit. 22) des objets dans l'obscurité. || Couleur, coloris des objets (→ Enluminer, cit. 1). || Objet lumineux, sombre (→ Aurore, cit. 5), coloré. || Image (cit. 7 et 9) d'un objet. || Image (cit. 12) renversée d'un objet sur la rétine. || Le premier objet qui se présenta, s'offrit à sa vue… || Dessiner un objet. || Dessiner d'après un objet. || Prendre un objet pour modèle. || Représentation, imitation des objets par l'art (→ Étude, cit. 44; 1. idéal, cit. 8). || Lunette qui grossit deux fois, cinq fois les objets. || Objets que l'on voit plus gros sous la loupe.Palper, toucher, manier un objet… || Objet lourd, pesant, léger… || Chien qui sent, renifle, flaire un objet…Objet affreux, répugnant (→ Enfer, cit. 10).
1 (…) ces merveilleuses lunettes (…) nous ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel, et d'autres nouveaux objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y avions vus auparavant (…)
Descartes, Dioptrique, Disc. premier.
2 (…) les moindres objets m'étaient perceptibles, ils restaient exactement tels qu'ils apparaissent dans la vie courante : leur forme, leur couleur, leur poids, leur raison d'être même ne m'échappaient pas.
H. Bosco, Un rameau de la nuit, p. 240.
Didact. (Incluant les êtres vivants, les personnes). || « L'histoire (cit. 37) naturelle embrasse tous les objets que nous présente l'univers » (Buffon).
Vx (langue classique). Personne (qui a de l'importance par rapport à un sujet qui la perçoit). || « Quel objet pour les yeux d'une amante ! » (→ Forme, cit. 22, Racine; et aussi étendre, cit. 5, Voltaire). → ci-dessous II, A., 4, avec une valeur sémantique différente, mais dans le même contexte.
Didact. || Les objets extérieurs, du monde extérieur. || Les objets et la sensation. || La perception des objets. || L'hallucination (cit. 2 et 3) n'a pas de prétexte dans le monde des objets extérieurs, est « une perception sans objet ». || Selon les psychologues modernes, la notion d'objet est non pas innée, mais construite. || Les objets et l'imagination (cit. 4), et la perception (→ Impression, cit. 46). || Les objets et la pensée. || « Un objet est pensé et non pas senti » (Alain).
3 (…) les objets que nous touchons, voyons ou percevons par un sens quelconque, ne sont que des simulacres ou fantômes exactement semblables à ceux qui naissent dans l'esprit d'un hypnotisé, d'un rêveur, d'un halluciné, d'un homme affligé de sensations subjectives.
Taine, De l'intelligence, t. II, p. 72.
4 Les objets extérieurs (…) pour lesquels le mot objet a été inventé, sont justement des objets et non des apparences fuyantes et insaisissables parce que ce ne sont pas seulement des groupes de sensations, mais des groupes cimentés par un lien constant.
Henri Poincaré, la Valeur de la science, p. 266.
Psychan. → ci-dessous II.
2 Plus cour. Chose solide ayant unité et indépendance et répondant à une destination. Chose; fam. Bidule, machin, truc. || Objets matériels (→ Fétichisme, cit. 1 et 2). || Objets hétéroclites (→ Grenier, cit. 11), de pesanteur (→ Jongler, cit. 1), de forme, de nature différentes. || Forme, matière, grandeur d'un objet. || Objets fabriqués. || Saisir le premier objet qui tombe sous la main. || Acheter un objet dont on a envie (cit. 24). || Manier un objet avec précaution (→ Étiquette, cit. 2). || Ranger, classer des objets par catégories. || Énumérer des objets, donner une liste d'objets (→ 1. Canne, cit. 1; connaissement, cit. 1). || Reconnaître, identifier, nommer des objets (→ Caisse, cit. 2). || « Reconnaître un objet usuel, c'est savoir s'en servir » (→ Esquisser, cit. 6, Bergson). || Objets trouvés dans les poches (→ Identité, cit. 14).
Loc. Objet perdu; objet trouvé. || Réclamer dans un commissariat de police un objet perdu. || Bureau des objets trouvés, où l'on rassemble les épaves, où leurs propriétaires peuvent les réclamer.Guichet où l'on dépose les objets recommandés, les objets expédiés en valeur déclarée… dans les bureaux de poste. || Déclaration (cit. 7) des objets à la douane.
Objets naturels et objets artificiels. || Objets manufacturés. || Le Système des objets, ouvrage de J. Baudrillard.(Suivi d'un qualificatif ou d'un déterminatif précisant la catégorie à laquelle appartient l'objet de par sa matière). || Objets de bois, de corne,… objets métalliques.(De par son usage). || Objets de première nécessité (→ Industrie, cit. 12). || Objets familiers (→ 1. Exode, cit. 3), de cuisine. Ustensile. || Objets utiles (→ Art, cit. 64), à usage professionnel. Outil. || Objets de toilette ( Article). || Objets pieux, objets de piété.Objets de fantaisie.Petit objet sans valeur. Bagatelle, broutille, colifichet. || Petit objet décoratif. Bibelot.
(1973). Spécialt. || Objet spatial : corps naturel ou artificiel, situé dans l'espace, dont l'orbite n'a pas été calculée.Objet volant non identifié. Ovni.
Sc. || Objet fractal.
Par anal. Math. Dans la théorie des catégories, Élément de l'une des deux classes (dite classe des objets) données dans une catégorie.
(Opposé à être animé). || Les objets et les êtres (animés). → Genre, cit. 27. || « Objets inanimés, avez-vous donc une âme »… (cit. 8, Lamartine). || Objets morts (→ Housse, cit. 4), dont la vue donne l'impression de l'absence de vie. || « Les objets ne déçoivent pas… » (→ Chose, cit. 8, Maurois).
Objets précieux (→ Jade, cit. 2), objets de grand prix, de luxe. || Objets de curiosités (cit. 21), de goût (vieilli). || Objets à la mode (→ Kaléidoscope, cit. 1).
(XIXe). Loc. Objet d'art, ayant une valeur artistique (à l'exception de ce qu'on appelle proprement œuvres d'art et des meubles). → Ameublement, cit. 1; enchère, cit. 4; luxe, cit. 15. || Collection d'objets d'art. || Magasin d'antiquités et d'objets d'art.Ellipt. || Objet (pour objet d'art). || Une superbe collection d'objets 1900. || Un bel objet.« L'Objet », titre d'une importante exposition, en 1962.
5 Pourquoi suis-je allé chercher un éventail, rue de Lappe ! chez un Auvergnat ! qui vend des cuivres, des ferrailles, des meubles dorés ? Moi, je crois à l'intelligence des objets d'art, ils connaissent les amateurs, ils les appellent (…)
Balzac, le Cousin Pons, Pl., t. VI, p. 553.
5.1 — Mais n'y a-t-il sur ces instruments, sur ces outils, sur ces livres, aucune marque, aucune adresse, qui puisse nous en faire reconnaître la provenance ? demanda Gédéon Spilett.
C'était à voir. Chaque objet fut donc attentivement examiné, principalement les livres, les instruments et les armes.
J. Verne, l'Île mystérieuse, t. I, p. 322.
6 Un fanal éclaire un vaste fouillis d'objets hétérogènes plus ou moins grignotés par les rats.
Loti, Mon frère Yves, XXXIV.
7 On sentait bien que la piété fraternelle d'Antoine s'était, par principe, interdit de toucher à rien; mais, depuis qu'il prenait là ses repas, peu à peu, chaque objet avait été déplacé, avait changé de destination, et tout avait pris un aspect différent (…)
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 164.
8 Macaire n'avait donc pas eu de peine à ranger les autos parmi les objets qui entourent l'homme, s'ajoutent à lui, le prolongent, et qui peuvent d'ailleurs devenir aussi redoutables que les êtres animés, quoique d'une autre façon : chaises, fouets, armoires, brouettes, charrues, machines à battre.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, VIII, p. 80.
9 Les objets, cela ne devrait pas toucher, puisque cela ne vit pas. On s'en sert, on les remet en place, on vit au milieu d'eux : ils sont utiles, rien de plus. Et moi, ils me touchent. C'est insupportable. J'ai peur d'entrer en contact avec eux tout comme s'ils étaient des bêtes vivantes.
Sartre, la Nausée, p. 23.
9.1 Mais dans l'objet d'art, Rome légitime l'art par l'objet, et l'objet par sa fonction. En figurant la victoire des dieux sur les géants, l'autel de Pergame dédiait aux dieux celle des Grecs sur les barbares; Rome invente les arcs de triomphe qui rappellent ses victoires aux vaincus, les colonnes qui les lui racontent à elle-même.
Malraux, la Métamorphose des dieux, p. 100.
Dr. || Objets mobiliers (→ Épave, cit. 4; loterie, cit. 2), meubles et immeubles (→ Exploration, cit. 1). || Objet vendu, acheté, déposé en gage… || Objet de commerce : chose ou produit sur lequel s'exerce le commerce (→ Gagner, cit.1; label, cit. 1).
Par ext. Élément, produit de l'activité artistique, considéré dans ses rapports avec celle-ci. || Objet plastique. || Objet sonore.
10 Qu'il s'agisse, en effet, des objets plastiques ou des objets mathématiques ou d'objets purement imaginaires comme les « êtres de raison » que crée l'imagination littéraire, il existe toujours certaines relations identiques entre le créateur et le produit matériel ou spéculatif de son activité.
P. Francastel, Art et Technique, p. 130.
11 L'objet sonore (dans la musique dite « concrète »), tout comme l'objet visuel, affranchi de toute ressemblance, est recherché pour lui-même, est assemblé en séries et en ensembles. Séries et ensembles tiennent lieu de mélodies et d'harmonies.
P. Schaeffer, in Picon, Panorama des idées contemporaines, p. 473.
(En appos.). Qui constitue un objet (d'art). || Livre objet.
Par compar.Traiter qqn comme un objet, en objet, sans tenir compte de sa qualité de personne humaine.Spécialt (dans les relations érotiques et affectives). || Il la considère comme un objet.
3 Collectivt. || L'objet : l'ensemble des objets manufacturés (dans leur rapport à l'homme, leur importance sociale). || Une civilisation de l'objet. || Rôle de l'objet dans l'art contemporain, le pop art. || L'objet de grande consommation.
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II (Abstrait).
A
1 (Mil. XVIe). Élément qui se présente à la pensée, qui est occasion ou matière pour l'activité de l'esprit. (S'oppose alors à sujet). || L'objet de la pensée. || Son esprit est occupé de plusieurs objets à la fois. || Rêverie sans objet déterminé (→ Jeter, cit. 35). || L'imagination, l'esprit erre (cit. 22) d'objet en objet, se fixe à un objet, sur un objet (→ Douloureux, cit. 6). || « L'objet infini de l'âme… » (→ Gouffre, cit. 10, Pascal). || Réunion de l'âme à son objet (→ Extase, cit. 2).Objets réels et objets imaginaires (cit. 3).
Les objets des mathématiques, les objets mathématiques. || La géométrie a pour objets certains solides idéaux (1. Idéal, cit. 3). || L'objet d'un théorème (→ Figure, cit. 5).
12 Pour lui (le savant), l'objet de la géométrie ou de la physique mathématique n'existe que dans la science (…)
Léon Brunschvicg, Vie intérieure et vie spirituelle, Anthologie, p. 379.
2 Philos. Ce qui est donné par l'expérience, existe indépendamment de l'esprit (par oppos. au « sujet qui pense »). || L'objet est la source des sensations (→ Centre, cit. 8). || L'imagination (cit. 1) est affectée de l'objet. || L'entendement (cit. 4, Malebranche) connaît les objets. || L'objet et l'idée (cit. 4, 5 et 11), et le concept (cit. 2). || Essence et existence (cit. 7) de l'objet. || Pour l'immatérialisme (cit.) le tout de l'objet est dans l'esprit. || Le sujet et l'objet, l'esprit et la matière (→ Idéalisme, cit. 1, Bergson).Par ext. || L'art est une magie (cit. 9, Baudelaire) suggestive contenant à la fois l'objet et le sujet.
13 (…) j'ai souvent remarqué, en beaucoup d'exemples, qu'il y avait une grande différence entre l'objet et son idée.
Descartes, Méditations, IIIe Méditation.
13.1 Je m'étais rendu compte que seule la perception grossière et erronée place tout dans l'objet, quand tout est dans l'esprit; j'avais perdu ma grand'mère en réalité bien des mois après l'avoir perdue en fait (…)
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 912.
14 Selon qu'on parle plutôt le langage de l'ontologie ou celui de l'épistémologie, objet et sujet, objectif et subjectif se prennent en effet en deux acceptions différentes et presque contraires, où tantôt ils s'opposent comme la réalité absolue à l'apparence individuelle, et tantôt s'appellent comme les deux faces de la connaissance.
Robert Blanché, Sciences physiques et Réalité, p. 136, note 1.
(Aux sens 1 ou 2). || Objet de connaissance, de savoir.
Loc. (en appos.). || Langage objet (par rapport à un métalangage).
3 (Déb. XVIIe). || L'objet de qqch. (sentiment, réalité psychique).
a Être ou chose qui est la cause, le motif (d'un sentiment, etc.); ce à quoi s'adresse (un sentiment). || « Le comique (cit. 5) est dans le rieur, nullement dans l'objet du rire ». || Objet de pitié, d'horreur (→ Inhumainement, cit.), de colère (→ Assassin, cit. 3), de mépris (→ Main, cit. 66), de convoitise (cit. 2), de risée (→ Doigt, cit. 15), de haine (→ Gratifier, cit. 8)… || Être l'objet de la haine… de qqn, un objet de haine pour qqn, inspirer de la haine… || La curiosité dont il est l'objet lui est importune (cit. 15). || Être l'objet des railleries, des soins (→ Camouflage, cit. 1), de la sollicitude de qqn.« Rome, l'unique objet de mon ressentiment » (→ Anaphore, cit. Corneille). || « Et malheureux objet d'une injuste rigueur… » (→ Misérable, cit. 1, Corneille).
15 (…) je n'ai rien fait dans le but de me voir l'objet de votre reconnaissance (…) Vous vous trompez en ceci (…)
Balzac, l'Initié, Pl., t. VII, p. 372.
16 Le rôle de cet art (la musique) est de purger notre corps d'émotions accumulées qui ne trouvent pas leur objet dans la vie civile ou militaire.
A. Maurois, les Discours du Dr O'Grady, IX.
b Spécialt. (Êtres vivants, personnes). || Objet d'amour. || L'objet de ses vœux (→ Céder, cit. 1).
4 (Mil. XVIe, Ronsard). Vx (langue class.). Personne (spécialt, femme) considérée comme l'objet (3.) d'un sentiment amoureux. || Objet aimé (→ Admiration, cit. 5; autel, cit. 17; cristallisation, cit. 4; exagérer, cit. 15; fâcherie, cit. 3; honnêteté, cit. 11).Absolt. (Style précieux, vx). || Cher objet. || « Volage adorateur de mille objets divers » (→ Mais, cit. 20, Racine). || « Femmes ! objets chers et funestes ! ».
REM. On trouve parfois au XVIIe et au XVIIIe siècles dans le style plaisant ou familier, le mot objet appliqué à des parents ou des personnes amies.
17 Adieu, mon cher objet, mille compliments à Maleteste (…)
Desbrosses, Lettres d'Italie, À M. de Neuilly.
Personne considérée comme l'objet passif du désir.
17.1 (…) tu veux sçavoir à présent, Thérèse, ce qui l'engage à tenir pension ? … le libertinage, mon enfant, le seul libertinage, passion portée à l'extrême en lui. Mon père trouve dans ses écoliers de l'un et l'autre sexe, des objets que la dépendance soumet à ses penchans, et il en profite …
Sade, Justine…, t. I, 106.
REM. Cette valeur est proche de l'emploi métaphorique moderne, ci-dessous 6.
5 Psychan. (et psychol. influencée par le freudisme). Partie du monde extérieur, réel et perçu, ou imaginaire, pouvant correspondre à une personne, une partie du corps d'une personne, à une entité (aussi bien qu'à un objet au sens usuel) et corrélative de la pulsion, de l'amour ou de la haine. || L'objet « est ce par quoi et en quoi (la pulsion) cherche à atteindre son but, à savoir un certain type de satisfaction » (Laplanche et Pontalis). || Objet partiel : les parties du corps (réelles ou évoquées par le fantasme) et leurs équivalents symboliques. || Objet pulsionnel, sexuel, hétérosexuel (→ Objectal, cit. 2). || Bon objet, mauvais objet : premiers objets pulsionnels de l'enfant, répartis selon la projection des pulsions libidinales ou destructrices. || Objet transitionnel.
17.2 Dans les écrits psychanalytiques, le terme objet se rencontre aussi bien seul que dans de nombreuses expressions (…) qui peuvent dérouter le lecteur non spécialiste. Objet est pris dans un sens comparable à celui que lui donnait la langue classique (…) Il ne doit pas évoquer la notion de « chose », d'objet inanimé (…)
J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Voc. de la psychanalyse.
17.3 Le texte de notre conférence est : « La perte de la mère ». En termes psychanalytiques, nous préférerions dire La perte de l'objet libidinal.
R. Spitz, in Foulquié, Dict. de la langue philosophique.
Loc. || Relation d'objet : mode de relation avec le monde, particulier à un sujet, et qui dépend de l'organisation de sa personnalité, de ses types de défense, et de la façon dont les « objets » agissent sur lui. Objectal. || Choix d'objet (ou choix objectal) : choix d'une personne ou d'un type de personne comme objet d'amour. || Choix d'objet infantile, pubertaire. || Choix d'objet narcissique, qui se fait sur le modèle de la relation du sujet à sa propre personne (narcissisme). || Choix d'objet « par étayage », qui se fait sur le modèle de la relation aux figures parentales (syn. : choix d'objet anaclitique).REM. Ces emplois relèvent à la fois du sens concret général (philosophique) ci-dessus I., 1., et de plusieurs sens abstraits II., 1., 2., et même 3.
6 Par métaphore. Personne traitée en objet (I., 2.), considérée indépendamment de sa qualité de sujet humain.REM. Ce sens, issu des comparaisons indiquées ci-dessus (traiter qqn comme un objet) emporte certaines connotations du sens classique II., A., 4., et comme lui concerne surtout les femmes : || Les femmes ne veulent plus être des objets.Appos. || La femme objet.Objet érotique, sexuel.
B
1 L'objet de… (une pulsion, un désir, un besoin) : ce vers quoi tendent les désirs, la volonté, l'effort et l'action. But, fin. || Les objets des désirs (cit. 15). || L'objet de nos vœux, de nos souhaits (→ Accomplissement, cit. 1). || L'indépendance (cit. 4), objet de tous nos désirs. || Désirs sans objet (→ Flottant, cit. 11).
18 C'est un objet déterminé d'une forme fixe, arrêtée, qui mène toute la nation, qui transporte, enlève les cœurs; à chaque pas que l'on fait, il apparaît plus ravissant, et la marche est plus rapide (…) Enfin, l'ombre disparaît, le brouillard s'enfuit, la France voit distinctement ce qu'elle aimait, poursuivait sans le bien saisir encore : l'unité de la patrie.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., IV, XI.
19 (…) ces éternels objets des désirs humains, santé, richesse, bonheur.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, I, III.
L'objet de qqn, de son activité, de ses besoins… But, intention. || Mon objet en vous écrivant, est de… || L'objet que je me propose est de… : mon intention, mon dessein est de…(Choses). || Indiquez, exposez l'objet de votre visite.Cette démarche, cette plainte est dès lors sans objet, n'a plus de raison d'être.Remplir son objet : atteindre son but. || La visite qu'il lui a faite n'a pas rempli, atteint son objet, a manqué son objet.
20 Ses petits yeux agiles s'arrêtèrent sur moi avec curiosité, et ce n'est pas sans une cruelle angoisse que je m'aperçus qu'il ne soupçonnait pas même l'objet de ma visite.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, II, p. 319.
21 Ce devoir professionnel, auquel il avait tout sacrifié, devenait sans objet.
Renan, Souvenirs d'enfance…, I, IV.
2 Ce pour quoi une entreprise est faite. Objectif; but. || L'objet d'un dictionnaire (cit. 6 et 8) est l'usage contemporain. || L'objet de la comédie (→ Caractère, cit. 67), d'une composition dramatique (cit. 5), des sciences (→ Échelonner, cit. 5). || L'objet des études du philologue (→ Latitude, cit. 1). || L'objet du commerce (→ Douane, cit. 1), d'une entreprise (→ Anonyme, cit. 5).Avoir pour objet. Porter (sur); proposer (se). || « L'art (cit. 78) n'a pas la vérité pour objet » (France). || « L'entendement a pour objet les vérités éternelles » (Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu…, IV, V).
3 Ce sur quoi s'exerce une activité narrative, textuelle; ce à quoi s'applique un discours, un texte. Matière, substance, sujet, thème. || « L'objet propre de mes confessions » (cit. 8, Rousseau). || L'objet d'un discours. || Distraire le lecteur de l'objet principal d'un roman (→ Épisode, cit. 3). || Cette question a fait l'objet de nombreuses études. || Cette circulaire a pour objet la salubrité publique. Concerner; rapport (avoir rapport à). || C'est un objet sans limite… (→ Dessein, cit. 5).
22 Traiter d'une matière, c'est en faire l'objet d'un travail, d'une dissertation.
Littré, Dict., art. Traiter.
23 J'emportai dans la grande pièce les quelques papiers qui devaient faire l'objet de mon premier travail.
Gide, Isabelle, II.
4 Chose abstraite sur quoi s'exerce intentionnellement une activité de l'esprit. || Choses, sujets, questions qui sont l'objet d'une rencontre (→ Impersonnel, cit. 5), d'une conversation, d'un entretien, d'une résolution.L'objet d'une querelle (→ Hypocondrie, cit. 2), d'une dispute (→ Inoculation, cit. 2). Cause.
24 Julien remarqua avec effroi qu'il arrivait à ce grand seigneur de lui donner des décisions contradictoires sur le même objet.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, VII.
25 Le préopinant décide ce qui, selon mes faibles lumières, me paraît devoir être l'objet de la discussion.
Balzac, le Député d'Arcis, Pl., t. VII, p. 660.
Loc. Faire, être l'objet de : subir. || Ce malade est l'objet d'une surveillance constante de la part de son entourage. || Faire l'objet de jugements sévères (→ Latifondiaire, cit. 1). || Être l'objet de sollicitations (→ Finance, cit. 2), de mesures de rigueur, de faveur… (cf. Être en butte à…, exposé à…). || Mineur qui fait l'objet d'une condamnation (→ Excuse, cit. 10).
26 (…) les collègues de M. Le Bourguignon, restés dans le salon, avaient l'honneur d'être l'objet ordinaire des plaisanteries de mademoiselle de La Mole.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, IV.
27 Les privautés qu'il prend (…) doivent en fin de compte tourner, suivant les lois sidérales de l'amour, à l'avantage de la femme qui en est l'objet.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XII, p. 130.
5 (1804, Code civ.). Dr. Prestation sur laquelle porte un droit, une obligation, une convention, une demande en justice… || L'objet d'un litige, d'un procès. || Objet d'un gage (cit. 1). || L'objet d'un jugement (→ Autorité, cit. 30).
C (1775, Condillac). Gramm. Élément de l'énoncé dont le sens est analysé comme l'objet sur lequel porte l'action exprimée par le verbe. || Le sujet et l'objet du procès.
Complément d'objet. || Complément d'objet d'un verbe, désignant l'objet, la personne, l'idée sur lesquels porte l'action marquée par le verbe. || Complément d'objet direct, ou, ellipt., objet direct, directement rattaché au verbe sans l'intermédiaire d'une préposition (ex. : Je prends un crayon). || Complément d'objet indirect, ou, ellipt., objet indirect, rattaché au verbe par l'intermédiaire d'une préposition (ex. : J'obéis à vos ordres). Transitif. || Le complément d'objet direct dépend d'un verbe transitif direct, le complément d'objet indirect d'un transitif indirect.
REM. Cette terminologie est généralement admise et enseignée dans les grammaires scolaires depuis la Pensée et la Langue de F. Brunot (cf. p. 300). Elle permet notamment de différencier le complément d'objet indirect du complément dit d'attribution (prêter un livre à un ami); elle est cependant loin d'être acceptée sans réserve.
Objet secondaire d'attribution, nom donné par certains grammairiens (cf. Le Bidois, Syntaxe du français moderne, §1808) à une sorte de complément d'appartenance, comme dans l'exemple suivant : la robe que j'avais vue ce jour-là à ma sœur. || « Quand on t'a connue, on trouve aux plus jolies un goût fade » (France, le Lys rouge, p. 246).Proposition complément d'objet, ou complétive (Je lui ai annoncé que tu étais parti, ton départ). || Infinitif complément d'objet d'un verbe (désirer partir), d'un substantif verbal (son désir de partir).
CONTR. Créature, forme, sujet.
DÉR. et COMP. Femme-objet, livre-objet, porte-objet. V. 1. Objectif.

Encyclopédie Universelle. 2012.