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POGONOPHORES
POGONOPHORES

En 1914, le zoologiste français M. Caullery décrit, sous le nom de Siboglinum , un curieux ver tubicole récolté en 1900 par l’expédition océanographique du Siboga. L’animal, obtenu en grandes quantités dans plusieurs stations d’Indonésie entre 400 et 2 000 mètres de profondeur, rappelait vaguement certains Annélides Polychètes sédentaires, mais présentait tellement de traits originaux que Caullery n’osait le rattacher à un groupe zoologique connu.

En 1939, une classe nouvelle, les Pogonophora , est créée par Johannson pour le genre Lamellisabella décrit quelques années plus tôt; en 1951, A. V. Ivanov y ajoute Siboglinum . Citons également les travaux du même Ivanov sur l’important matériel des expéditions océanographiques soviétiques dans le Pacifique nord (1949-1958). Dans sa mise au point de 1963, Ivanov décrivait soixante-dix espèces réparties en quatorze genres. Il pouvait attribuer aux Pogonophores le rang de phylum, et il les rapprochait des Stomocordés [cf. STOMOCORDÉS] et, par conséquent, les rangeait dans le vaste ensemble des Deutérostomiens (cf. règne ANIMAL). Mais, depuis, de nouvelles découvertes ont entraîné certaines révisions et amené des controverses.

Morphologie générale

Les Pogonophores sont des vers allongés, filiformes, dont le corps est divisé en quatre parties inégales (fig. 1):

– le protosome , antérieur, assez court, porte un lobe céphalique médian et, sur sa face ventrale, un groupe de très longs tentacules insérés le plus souvent selon un cercle, un demi-cercle ou une spirale; ces tentacules, en nombre variable (de 1 à plus de 200), sont garnis, sur leur bord interne, de rangées de fines pinnules;

– le mésosome , à peu près cylindrique, présente parfois des sillons médians dorsaux ou ventraux, mais toujours une paire de crêtes cuticulaires brunes, le frenulum , passant obliquement de la région dorsale à la région ventrale. Le rôle de cet organe tégumentaire demeure inexpliqué; peut-être permet-il l’accrochage du mésosome sur la paroi du tube;

– le métasome (ou tronc) forme la plus grande partie du corps. Il est séparé du mésosome par un sillon net et comporte diverses formations cuticulaires, en particulier deux anneaux incomplets de petites plaquettes ovales. Ces dernières représentent la partie superficielle de soies implantées dans l’épiderme, comparables à celles de certains Annélides Polychètes sédentaires. En arrière des anneaux, le métasome porte des rangées transversales de papilles cuticulaires ainsi que les pores génitaux;

– une quatrième partie est longtemps passée inaperçue, sans doute parce que son union avec le métasome est une zone fragile; c’est l’opisthosome , portion postérieure métamérisée comportant un nombre réduit de segments avec un petit nombre de soies épidermiques.

Le tégument est constitué, pour l’essentiel, par l’épiderme, fait d’une seule assise de cellules de types variés. Ce dernier repose sur une lame basale qui le sépare de la couche musculaire circulaire. Des faisceaux de fibres nerveuses se glissent entre les cellules épidermiques et la lame basale. La face libre de l’épiderme est recouverte par une cuticule continue, d’épaisseur localement variable. Cette cuticule, élaborée par les cellules épidermiques non spécialisées, est traversée par de fines microvillosités issues de la face apicale de ces cellules; elle est faite de nappes superposées de fibrilles collagènes emballées dans une matrice polysaccharidique.

Anatomie, physiologie

Le système nerveux , peu distinct de l’épiderme, a une organisation très primitive. Il forme un plexus continu avec des épaississements locaux de cellules ganglionnaires. Dans le protosome, un massif volumineux dorsal de cellules nerveuses unipolaires et multipolaires constitue le «cerveau», relié à un anneau ventral d’où partent les nerfs tentaculaires. Le cerveau envoie en outre un cordon nerveux dorsal qui s’étend jusqu’à l’extrémité postérieure en s’élargissant au niveau d’une bandelette ciliée du métasome.

L’équipement sensoriel se compose surtout de récepteurs disséminés principalement dans le lobe céphalique; la bandelette ciliée dorsale de la région antérieure du métasome est interprétée comme étant un chimiorécepteur.

L’appareil circulatoire comprend deux vaisseaux longitudinaux principaux, l’un dorsal, l’autre ventral, reliés en circuit fermé en avant par les vaisseaux des tentacules, et en arrière par des anastomoses latérales. La paroi du vaisseau ventral, localement épaissie et renforcée en éléments musculaires au niveau du protosome, joue le rôle de cœur. On manque d’observations sur la circulation sanguine; on admet que le cœur propulse le sang vers les tentacules. Ainsi la circulation serait postéro-antérieure dans le vaisseau ventral et antéro-postérieure dans le vaisseau dorsal.

La cavité générale des Pogonophores est un vrai cœlome formé de trois parties correspondant aux différents segments du corps. Le cœlome du protosome, ou protocœle (fig. 2), de taille réduite, envoie des diverticules dans les tentacules. Une paire de fins canaux ciliés met en communication la cavité cœlomique avec l’extérieur; ils ont sans doute un rôle dans l’excrétion et sont interprétés soit comme des cœlomoductes, soit comme des néphridies [cf. ANNÉLIDES]. Le mésocœle (cœlome du mésosome) est une paire de sacs cœlomiques occupant tout le segment, sans communication avec l’extérieur. Le métacœle est formé aussi de deux sacs pairs s’étendant sur toute la longueur du tronc. Certaines cellules de l’épithélium cœlomique se chargent de granulations diverses brunâtres (produits d’excrétion) et fonctionnent ainsi comme un rein d’accumulation. Les deux cœlomoductes du métacœle assurent l’évacuation des produits génitaux.

L’absence complète de tube digestif , déjà notée par Caullery chez Siboglinum , a été observée depuis chez tous les Pogonophores connus. Il n’y a donc ni bouche ni anus, et à aucun stade du développement on n’observe de cavité digestive. C’est une situation unique parmi les Métazoaires non parasites. On admet que les tentacules assurent l’absorption et la digestion des aliments. Constitués de divers types de cellules épithéliales disposées autour d’un diverticule axial du protocœle, les tentacules longs et grêles portent, alignés sur leur bord interne, de curieux prolongements cellulaires parcourus par des capillaires sanguins, les pinnules (fig. 3). L’ensemble des tentacules, jointifs ou partiellement soudés les uns aux autres, délimite une cavité ouverte à son extrémité distale. Les mouvements ciliaires créent un courant d’eau qui entraînerait au fond de cette cavité les particules et micro-organismes alimentaires. Ceux-ci seraient digérés par l’action de cellules glandulaires (digestion extra-cellulaire), et l’absorption se ferait au niveau des pinnules.

Chez les Siboglinum , la cavité tentaculaire est réalisée par l’enroulement en spirale du tentacule unique.

Depuis 1979, des recherches ont mis en évidence dans un tissu particulier (le trophosome) du métasome de plusieurs espèces (Siboglinum , Riftia... ) de Pogonophores provenant de biotopes variés, de bactéries autotrophes chimiosynthétiques. Ces bactéries élaborent des substances organiques à partir de C2 en tirant l’énergie nécessaire à ces synthèses de réactions d’oxydation des sulfures. Des bactéries sulfureuses autotrophes sont connues depuis longtemps (Beggiatoa ) [cf. BACTÉRIES], mais ce type de symbiose associant des bactéries autotrophes intracellulaires et un organisme animal n’est pas commun. C’est peut-être la clef de la nutrition des Pogonophores.

Reproduction

Les Pogonophores semblent ne se reproduire que par voie sexuée. Les sexes sont séparés. Les gonades sont situées dans le métasome et les cœlomoductes sont utilisés, on l’a vu, comme conduits génitaux. Ceux-ci débouchent, chez la femelle, dans la région moyenne du métasome. Chez le mâle, on trouve dans la partie postérieure du tronc une paire de testicules allongés communiquant avec une paire de cœlomoductes modifiés, dont les orifices ou pores génitaux s’ouvrent sur la face ventrale du métasome à la limite le séparant du mésosome. Les spermatozoïdes sont émis dans un spermatophore, petit sac chitineux de forme propre à chaque espèce et souvent pourvu d’un long filament. Le dimorphisme sexuel n’apparaît que dans les positions respectives des pores génitaux.

Le développement de Siboglinum est le mieux connu (fig. 4). Les œufs, de forme allongée (0,5 mm environ), ont un cytoplasme riche en inclusions lipidiques et protéiques. Ils sont pondus, fécondés et incubés dans la portion antérieure du tube. La segmentation, égale et irrégulière, aboutit à un embryon compact, une sterroblastula. La gastrulation se réalise par délamination, sans formation d’un blastopore. L’endoderme est un massif interne de quelques grosses cellules riches en vitellus, à la surface duquel s’isole le mésoderme. Celui-ci se creuse pour former les cavités cœlomiques: vers l’avant, une cavité impaire, ébauche du protocole; dans la partie postérieure, une paire de fentes allongées, ébauches communes des cœlomes du mésosome et du métasome (fig. 4). On ignore ce que devient par la suite l’endoderme. La partie postérieure du corps de l’embryon est marquée par une constriction qui isole le métasome, d’abord très court. L’embryon présente alors la division en trois parties. Une couronne ciliée entoure le protosome, une autre le métasome. Les ébauches des tentacules apparaissent successivement et de manière dissymétrique (Oligobrachia ; fig. 4). Le jeune ver abandonne le tube maternel et sécrète bientôt le sien.

Écologie et distribution

Tous les Pogonophores connus ont été récoltés au chalut, souvent à des profondeurs considérables (jusqu’à 8 000 m), mais quelques espèces vivent à quelques dizaines de mètres de la surface de la mer. Ce sont des animaux benthiques et sédentaires. La plupart des espèces proviennent du bassin de l’océan Pacifique; cela est dû à ce que les récoltes les plus importantes ont été effectuées par les expéditions soviétiques dans le Pacifique Nord. Mais l’existence de Pogonophores dans l’océan Indien, l’Antarctique, l’Arctique et l’Atlantique (Groenland, côte de Norvège, côtes anglaises) indique une très large distribution. En 1979, l’exploration, grâce au minisubmersible Alvin, du rift des Galapagos a permis la découverte d’un écosystème où règnent des conditions exceptionnelles. À plus de 3 000 mètres de profondeur, des cheminées crachent des nuages noirs d’une eau à plus de 300 0C. Au voisinage de ces cheminées, une faune riche et variée comprend des Polychètes, des Crustacés, des Mollusques, parfois de taille exceptionnelle. Parmi cette faune remarquable figure, en colonies denses, un Pogonophore géant (genre Riftia ) avec des individus de près de 2 mètres de long et de 4 centimètres de diamètre.

Affinités

Par le mode d’apparition du cœlome (entérocœlie) et sa subdivision en trois parties, d’où découle la trimétamérie, et par leur organisation nerveuse, les Pogonophores rappellent des Stomocordés et se rattachent ainsi au vaste ensemble des Deutérostomiens qui réunit, en outre, les Échinodermes et les Cordés. Cependant, quelques traits originaux, comme la présence de cœlomoducte au niveau du métasome, et surtout l’absence de tractus digestif, font des Pogonophores un phylum indépendant.

Enfin, la découverte de l’opisthosome métamérisé, l’étude cytologique de l’épiderme et de ses annexes (soies, cuticule) ont amené à un rapprochement avec les Annélides. Quelques auteurs ont aussi vu chez les Pogonophores des ressemblances avec les Lophophoriens.

Cette réunion de caractères disparates, contradictoires, ne facilite pas la découverte des affinités réelles.

pogonophores [ pɔgɔnɔfɔr ] n. m. pl.
• 1964; autre sens 1823; du gr. pôgôn « barbe » et -phore
Zool. Embranchement comprenant de petits invertébrés marins vermiformes, couronnés de tentacules, qui vivent sur les hauts-fonds, et qui, sans tube digestif, absorbent directement leur nourriture par la peau et les tentacules. Au sing. Un pogonophore.

pogonophores
n. m. pl. ZOOL Embranchement d'invertébrés marins vermiformes qui vivent en eau profonde dans des tubes de chitine qu'ils sécrètent.
Sing. Un pogonophore.

pogonophores [pɔgɔnɔfɔʀ] n. m. pl.
ÉTYM. 1964; 1823, autre sens; du grec pôgôn « barbe », et -phore.
Zool. Embranchement comprenant de petits invertébrés marins vermiformes, couronnés de tentacules, qui vivent sur les hauts-fonds et qui, sans tube digestif, absorbent directement leur nourriture par la peau et les tentacules.Au sing. || Un pogonophore.

Encyclopédie Universelle. 2012.