AUTOPORTRAIT
AUTOPORTRAIT
Ô dangereusement de mes regards la proie , écrit Valéry dans La Jeune Parque . L’autoportrait désigne, dans l’art de représenter le corps humain, le genre plus spécifiquement narcissique qui consiste, pour un artiste, à se prendre pour modèle. Effet d’économie narcissique qui n’apparaît vraiment comme tel qu’avec la dialectique introduite par le jeu des miroirs entre le réel et l’imaginaire. Mais le miroir ne suffit pas, il faut qu’avec lui naisse et s’épanouisse une image hautement valorisée du corps et du geste qui le représente. Des autoportraits subreptices où l’artiste se glisse en apôtre ou en donateur sans qu’il en ressorte à proprement glorifié, il en apparaît déjà avant la Renaissance. Dès lors, on peut noter la transgression qui consiste à se faire cause de soi. Mais l’intérêt fascine pour soi-même; celui de Montaigne ou celui de Vinci ne peut s’expliquer que par la double révolution qui touche au XVe et au XVIe siècle l’image du corps humain et la structure du corps social. Le cogito va surgir d’un front cartésien, d’une prunelle active et expressive, d’une bouche prolixe mais rigoureuse. Le portrait était un genre complaisant et fouineur qui se mettait en quête de la nature humaine. C’est bien pour cette raison, d’une généralité formelle néo-platonicienne (expression de l’Essence), que l’autoportrait vient en contrepoint de ce projet. L’autoportrait finit par détruire, par les effets indéfinis de la singularité, ce que le portrait voudrait théoriquement construire. L’autoportrait, comme le nom propre, entretient des rapports tantôt ironiques, tantôt sauvages avec le concept. Dans sa pratique même, la mise en abîme du geste renvoie sans repos possible de la cause à l’effet. C’est le terme originaire et la fin ultime de la production qui se trouvent mis en scène. Je me fais me faisant, je me vois me voyant; et pourtant l’œuvre ne produit plus rien que des effets imaginaires dont le spectateur-producteur peut se demander s’il n’en est pas lui-même à son tour qu’un éphémère miroitement. La production jubilatoire des autoportraits n’est pas une histoire sans faille. Au contraire, elle subit comme toute la peinture les chocs et les transformations des structures productives. Sartre prétend qu’«on ne peut être objet pour soi-même» (L’Être et le Néant ). Or, c’est bien ce dont il s’agit dans l’autoportrait, de cette mise en œuvre du rapport du sujet à l’objet et du sujet à lui-même comme autre. Dans l’autoportrait on peut être objet pour un autre. Dès lors la question ramène à la double interrogation, celle de la mort qu’implique l’être-matière, celle du pouvoir que suppose la manipulation de l’autre comme objet. Regard sur la mortalité et sur l’aliénation, regard qui veut indéfiniment démasquer tout ce à quoi prétend le portrait. De Rembrandt à Francis Bacon, c’est une suite féroce de défigurations attentives et douloureuses, au milieu desquelles il est bon de glisser pour sourire l’autoportrait de Hyacinthe Rigaud (1698) ou celui de Largillierre (1710). Les relations de l’autoportrait et de la mort sont évidemment la suite inévitable des sources narcissiques. «N’est-ce point penser à la mort que de se regarder au miroir? N’y voit-on pas son périssable? L’immortel y voit son mortel. Un miroir nous fait sortir de notre peau, de notre visage. Rien ne résiste à son double» (Valéry). Finalement, il n’est d’autoportrait que d’écorché tant est grand le désir de déchirer le voile, l’épiderme, la forme trop connue. Mais l’anéantissement narcissique n’est pas seul en cause. L’autoportrait se fait souvent caricature; le droit de se prendre comme objet de son propre rire (Goya, Toulouse-Lautrec, Klee, Cocteau...) devient un effet plus général du pouvoir qu’a l’artiste de disposer de l’art. Van Gogh, Gauguin, Picasso, en atteignant leur propre corps dans ses assurances familières, ébranlent le narcissisme du spectateur, le narcissisme culturel en général, le centre vivant de toutes les fiertés et de tous les abus. L’illusion sur soi-même est le nerf qui actionne toute idéologie. Pourfendez, défigurez, balafrez le miroir et ce sont toutes les somnolences collectives qui sont secouées. L’autoportrait a pu trouver aujourd’hui des substituts et des équivalents formels dans des productions ou expositions d’objets qui se donnent pour être le vrai visage de l’artiste: un vêtement, un pot de peinture, quelques cheveux, son gros orteil, etc. Dans le langage cinématographique et dramatique, on trouvera avec des accents variables le narcissisme virulent d’Arrabal ou les retours sur soi qui sont des retours sur un monde; profil impossible à saisir du souvenir qui à la fois dilue et explique: Fellini (Amarcord , Roma ).
Michel Foucault prétend que l’homme est une invention récente et que déjà son visage menace de s’effacer. Après avoir été le genre auto-érotique du sarcasme et de la mort, après avoir dénoncé la distance qui sépare la vérité du corps des illusions du sujet, pourquoi l’autoportrait robot n’irait-il pas porter, sur d’autres planètes, le vrai visage de l’humanité?
autoportrait [ otopɔrtrɛ ] n. m. ♦ Portrait d'un dessinateur, d'un peintre exécuté par lui-même. Autoportraits de Rembrandt, de Van Gogh.
● autoportrait nom masculin Portrait d'une personne fait par elle-même.
autoportrait
n. m. Portrait d'un artiste exécuté par lui-même.
⇒AUTO(-)PORTRAIT, (AUTOPORTRAIT, AUTO-PORTRAIT)subst. masc.
PEINT. Portrait d'un artiste-peintre fait par lui-même :
• 1. ... on voit celui-ci [Hoffmann] de dos, mais on devine son beau visage émacié et son regard de feu : l'ironique dessinateur a pris un plaisir évident à placer ainsi son autoportrait en face de celui de son éditeur.
BÉGUIN, L'Âme romantique et le rêve, 1939, p. 106.
— P. anal. Portrait d'un artiste et notamment d'un écrivain par lui-même :
• 2. Faut-il voir en Hugh Vereker, du Motif dans le tapis, l'ultra-profond romancier qu'aucun article de critique ne satisfait, un auto-portrait de Henry James? Cette nouvelle, pleine d'ironie, est un libelle contre la critique littéraire.
BLANCHE, Mes modèles, 1928, p. 168.
PRONONC. :[] ou [-]. Cf. auto-1.
STAT. — Fréq. abs. littér. :4.
autoportrait [otopɔʀtʀɛ] n. m.
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♦ Portrait d'un dessinateur, d'un peintre exécuté par lui-même. || Les autoportraits de Rembrandt, de Goya, de Van Gogh.
1 (…) à gauche le peintre avec sa palette à la main (autoportrait de l'auteur du tableau1) […]
Michel Foucault, les Mots et les Choses, « Les Suivantes », p. 30.
1. Vélasquez, dans le tableau dit Les Suivantes.
2 Si nul ne croit plus que l'autoportrait, voire le portrait, n'eut d'autre souci que d'imiter son modèle, depuis les effigies des sculpteurs égyptiens jusqu'aux toiles cubistes, on continue à le croire du portrait littéraire.
Malraux, Antimémoires, Folio, p. 15.
3 Un autoportrait est toujours un reflet dans un miroir, mais dans celui-ci on dirait que le miroir a disparu, le peintre est vraiment là.
J. Green, Journal, 6 juin 1978, La terre est si belle, p. 289.
♦ Par ext. || Autoportrait littéraire.
Encyclopédie Universelle. 2012.