RACHI
Rabbi Chelomo, fils d’Isaac (ou Isaaki) – ce qui donne, en prenant l’initiale de chacun de ces noms, «Rachi», comme on le surnommait par affection –, fut le plus célèbre et, peut-on dire, le plus populaire des rabbins du Moyen Âge. Au-delà du rayonnement qu’il eut à la tête de son école de Troyes et de son autorité dans les divers domaines de la culture juive, il s’impose principalement par une œuvre exceptionnelle de commentateur de l’Écriture et du Talmud. Une œuvre telle que tout auteur après lui prendra son texte pour base de sa propre exégèse, que toute étude talmudique paraîtra pratiquement impensable sans le recours préalable à l’éclairage donné par Rachi, point de départ indispensable à tout approfondissement.
Rachi de Troyes
Une fois qu’on l’a dégagée du halo merveilleux qui enveloppe toute vie d’homme illustre, on sait fort peu de chose de celle de Rachi. Né à Troyes, qui était alors déjà le siège de foires importantes, il mentionne souvent dans son œuvre les usages de sa ville natale. Il décrit «les amas considérables de marchandises qu’on dispose pour les détailler, ces étalages d’habits ou de laine, de viande salée ou de sauterelles». Dans sa jeunesse, il alla fréquenter l’école talmudique de Worms, l’une des plus célèbres de la Lorraine, le pays de Lothier, où, du reste, on parlait surtout le français. Là, «manquant de nourriture, les vêtements en loques et portant le joug du mariage», il suivit les enseignements de deux maîtres: Jacob ben Yakar et Isaac ben Éléazar Halévi. Il se rendit ensuite à Mayence, auprès d’Isaac ben Juda; il devait avoir vingt-cinq ans lorsqu’il regagna Troyes. «Depuis son retour, il n’eut plus l’occasion de revoir ses maîtres», mais il resta avec eux en contact épistolaire. Dans une de ses consultations, Rabbi Isaac Halévi lui écrit: «Elle n’est pas orpheline, notre génération, puisque tu t’y trouves; puissent être nombreux en Israël ceux qui te ressemblent!»
Il fonda, à Troyes, sa propre yeshiba (école talmudique), qui n’allait pas tarder à attirer de très nombreux disciples. Rachi eut trois filles, qui épousèrent des talmudistes renommés, élèves de leur père. L’un d’eux, Méir ben Samuel de Ramerupt, eut trois fils: Samuel, Juda et Jacob (appelé Rabbenou Tam), qui comptent parmi les talmudistes les plus fameux du Moyen Âge et qui furent les fondateurs de l’école des tossafistes. Celle-ci allait dominer la pensée juive jusqu’à la fin du XIIIe siècle, étendant son domaine sur une grande partie de la moitié nord de la France (Champagne, Bourgogne, Paris, Normandie, région de la Loire, Lorraine) et sur la Rhénanie.
Les dernières années de la vie de Rachi furent attristées par le massacre des juifs des bords du Rhin, lors de la première croisade. Çà et là, dans son œuvre, on croit percevoir l’écho de ce sanglant épisode. «Israël qui a l’amertume au cœur dans son exil et dont les fils sont tués pour la sanctification du Nom...», écrit-il dans son commentaire sur Proverbes XIV, 10.
Il mourut à Troyes. On trouve dans un manuscrit cette note qui témoigne des sentiments que sa disparition provoqua: «Comme le propriétaire du figuier connaît l’époque propice à la récolte des fruits et les cueille au moment de leur maturité, ainsi Dieu connaissait le moment de Rachi et l’enleva en son temps pour le faire entrer dans l’Académie céleste. Il n’est plus, car le Seigneur l’a pris...»
Clarté, lucidité, finesse, telles sont les marques principales de l’esprit de Rachi; la bonté, la modestie, celles de son caractère. On loue son affabilité, sa bienveillance, sa tolérance. «Appliquez-vous, disait-il à ses disciples, à poursuivre la paix, elle sera votre bouclier contre l’envie.» Interrogé sur l’attitude à prendre à l’égard des juifs baptisés de force, il répondit: «Il faut bien se garder de prendre à l’encontre de ces malheureux une mesure de rigueur, propre à les blesser et à les isoler. Ils ont trahi leur foi sous la menace de l’épée, mais ils ont hâte de revenir de leur égarement.» Sa modestie apparaît dans la déférence qu’il témoigne à ses correspondants et dans ces remarques qui émaillent ses œuvres: «Je ne sais pas», «je ne comprends pas cela», «je n’ai pas de tradition à ce sujet». Il n’hésite pas à reconnaître ses erreurs: «Jusqu’à présent, écrit-il dans un de ses responsa , je considérais que c’était permis, mais je me trompais.» «La science ne se trouve pas chez l’orgueilleux, et l’homme humble se revêt de la vertu de son Créateur, qui a renoncé aux montagnes élevées et choisi le mont Sinaï pour y faire résider Sa Majesté» (Sota , 5 a).
Le Commentateur par excellence
Les œuvres principales de Rachi sont, indéniablement, ses commentaires de l’Écriture et du Talmud. S’il est certain que sa science et son autorité s’étendent à tous les secteurs de la culture et de la tradition juives, Rachi reste avant tout le Commentateur par excellence. Cette entreprise colossale que constitue son commentaire de la majeure partie du Talmud représente une œuvre unique dans l’histoire de la culture juive. Elle a supplanté largement tous les commentaires antérieurs et découragé toute tentative ultérieure parallèle, tant il était évident qu’il avait atteint le summum de ce qui était humainement réalisable dans ce genre.
La spécificité du commentaire de Rachi réside en premier lieu dans sa présentation: il ne s’agit pas de gloses informatives autonomes, mais de parenthèses explicatives qui s’insèrent dans le corps même du texte, déployant simplement la phrase talmudique, mais sans la dénaturer, lui conservant ainsi son caractère si profondément oral. L’étudiant est ainsi initié «de l’intérieur» et accède directement et personnellement au texte lui-même. Car, et c’est là une seconde particularité, le commentaire présente un caractère très populaire, vulgarisateur. Sa lecture est si aisée, son style si clair et si simple qu’ils permettent à l’élève qui peine dans le déchiffrage de la langue talmudique – l’araméen – de s’initier simultanément à la forme et au fond. Suivant pas à pas le fil du raisonnement, le commentaire devance les questions qui, au fur et à mesure, viennent à l’esprit du lecteur: celui-ci se laisse ainsi guider et, presque inconsciemment, s’initie à la dialectique talmudique. Toutefois, si l’ouvrage est destiné au débutant, il l’est encore bien plus au spécialiste: sous une apparence presque naïve, Rachi répond aux préoccupations les plus profondes et les plus complexes touchant à l’analyse du texte, mais seuls ceux qui sont versés dans la science talmudique sont à même de les déceler. Ainsi le commentaire de Rachi concerne tous les niveaux et présente lui-même une structure stratifiée dont on pénètre les couches profondes à mesure que l’on progresse en savoir.
C’est cet aspect qui est le plus fascinant dans l’œuvre de Rachi et qui lui confère presque un côté mystique. Des générations de talmudistes expérimentés ont peiné pour établir l’intention dernière de l’auteur. À la base de cette polyvalence, la précision, la concision, la minutie dans l’usage des lettres et des mots. Une lettre mise à la place d’une autre peut révéler au lecteur attentif toute une réflexion, ou même toute une dialectique implicite. Ce sens du lapidaire poussé à l’extrême a été souvent souligné par les rabbins et est devenu proverbial: «La goutte d’encre qui a séché sur la plume de Rachi contient plus de sagesse que l’océan ne contient de vagues.» On a dit encore de lui: «Dans un seul mot, il enfermait des réponses à des faisceaux de questions.» C’est, sans nul doute, ce talent, ce génie de la pédagogie qui ont fait de Rachi le «Maître» par excellence, «la lumière des yeux de tout Israël».
Le commentaire de Rachi présente enfin un intérêt d’ordre historique et général. L’auteur, en effet, doué aussi d’esprit pratique, donne chemin faisant mille indications sur les usages et les métiers de son temps. Sur la taille des pierres: «On équarrit la pierre et on l’(arête); tout se fait d’après les usages locaux, car il y a des endroits où on a l’habitude de lisser la pierre et d’autres de la rayer de nombreuses stries, comme en Allemagne» (Sabbat , 102 b). «La bière ne se faisait alors qu’avec des dattes, tandis qu’en Médie on en faisait avec du jus d’orge, comme nos bières usuelles» (Pessa’him , 42 b). Il sait l’art de fabriquer des vases «avec l’alun que l’on recueille dans les tonneaux» et montre comment les orfèvres obtiennent des «niellures» en sulfurant l’argent, comment «les fondeurs versent dans les vases de métal de l’eau froide pour raffermir et souder les parois». Ces renseignements sont d’autant plus précieux que Rachi utilise presque toujours le mot technique français. On compte ainsi plus de trois mille de ces loazim (mots français transcrits en caractères hébreux) insérés dans le texte. Ils sont d’une importance capitale pour la reconstitution de la langue d’oïl, en une de ses plus anciennes périodes.
Quant au commentaire de Rachi sur l’Écriture, s’il ne revêt pas le même caractère exceptionnel dans le monde de l’exégèse, il n’en jouit pas moins d’une grande popularité. Pourvu aussi de cette ambivalence, il devint l’exigence minimale de la culture juive, tout en faisant l’objet d’études approfondies et de plusieurs ouvrages de la part de rabbins prestigieux. Abraham ibn Ezra donne à Rachi, pour son commentaire de la Bible, le titre de parchandata , l’«exégète» par excellence. C’est qu’il a réussi la synthèse harmonieuse entre le drach (interprétation homilétique, allégorique et parfois mystique du texte sacré) et le pchat (qui donne le sens littéral et naturel). Il avait une réelle prédilection pour ce dernier: «Les midrashim sont nombreux; nos rabbins les ont exposés à leur place dans Beréchit Rabba et d’autres recueils. Quant à moi, mon but n’est que de fixer le sens littéral du texte sacré. Je n’ai recours à l’haggadah que lorsqu’elle concourt à en établir le vrai sens, d’après son contexte» (Commentaire sur Genèse , III, 8). Par son intelligence très fine du génie de l’hébreu, son commerce intime avec l’Écriture, il a donné, comme par divination, la signification de nombreux passages et des explications qui, si elles furent contestées parfois par ses successeurs, sont admises par les exégètes modernes. Outre ces commentaires, on possède de lui des responsa et autres recueils de halakha, compilés pour leur plus grande partie par ses disciples. La plupart de ces responsa ont été réunis dans un recueil très précieux publié par Elfenbein (New York, 1943) sous le titre Techouvot Rachi .
Dans le monde juif, grâce surtout à ses commentaires, l’influence de Rachi fut immense. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que la Bible et le Talmud, fondements de toute la tradition spirituelle du judaïsme, étaient alors le principal aliment de l’activité religieuse et spirituelle. Peu après sa mort, sa célébrité atteint la Provence, puis l’Orient, son autorité devient incontestée. Son commentaire du Pentateuque (trad. franç. Paris, 1964: Traduction du Pentateuque en français et du commentaire de Rachi ) est le premier ouvrage hébreu dont la date d’impression nous soit parvenue (1475). Son influence, du reste, ne se limite pas aux juifs: par le truchement du moine franciscain Nicolas de Lyre, qui, au XVe siècle, le traduisit en latin, il inspira aussi Luther et le monde chrétien. Au sein de la littérature juive, à côté d’ouvrages comme Le Guide des égarés de Maimonide, produit de l’esprit juif greffé sur la culture étrangère, l’œuvre de Rachi apparaît comme appartenant tout entière au judaïsme, comme l’une de ses expressions les plus pures.
rachianesthésie [ raʃianɛstezi ] n. f.
• 1908; de rachis et anesthésie
♦ Méd. Méthode d'anesthésie partielle consistant à injecter dans le canal rachidien (le plus souvent au niveau de la colonne lombaire) une substance qui provoque l'anesthésie des régions innervées par les nerfs sous-jacents. — Abrév. fam. RACHI . Faire une rachi.
● rachianesthésie ou rachi ou rachianalgésie nom féminin Anesthésie régionale de l'abdomen et des membres inférieurs par injection d'un anesthésique dans le canal rachidien. ● rachianesthésie ou rachi ou rachianalgésie (homonymes) nom féminin rachis nom masculin
Encyclopédie Universelle. 2012.