ROMAN NOIR
ROMAN NOIR
Roman «terrifiant», roman noir, ou encore, plus proche de l’anglais, roman gothique: il semble malaisé de définir cet ensemble d’œuvres romanesques, dont la vogue en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, coïncide avec le romantisme, et qui ne se laissent pas enfermer dans un genre clos, encore moins définir par une épithète. Dans la masse de ces romans, de qualité variable, comment découvrir un facteur d’unité, si ce n’est précisément ce que le français ne permet pas de pointer, la distinction, qui n’est pas toujours facile, entre novel et romance , et que le terme de «roman» occulte. Le roman noir, contrairement au novel — récit d’événements réels qui ne s’éloigneraient pas du quotidien —, se veut œuvre d’imagination et s’affirme comme romance — récit d’étranges aventures de chevalerie et d’amour. Dans une perspective chronologique, le roman noir serait une réaction contre les grands romans «réalistes» du XVIIIe siècle, celui de T. Smollett, Ferdinand Count Fathom (1753), ménageant une transition entre les deux catégories ainsi opposées. Encore convient-il de souligner, à propos de romance , quelle ambivalence s’attache au retour au passé, au Moyen Âge essentiellement. Le plus souvent, ce désir avoué de renouer avec une tradition historique et littéraire permet de s’élever contre la société contemporaine, dans une attitude purement conservatrice, comme en témoigne l’ouvrage de Clara Reeve, The Progress of Romance through Times, Countries and Manners (1785). Mais ce qui se donne comme retour aux sources est aussi à l’insu de ses partisans une échappée hors de l’histoire vers l’irrationnel et l’expression d’un désir de rupture libératrice avec la société. Les recherches de Richard Hurd, ses Lettres sur la chevalerie (Letters on Chivalry and Romance , 1762) portent essentiellement, à travers un discours historique et philosophique, sur la fonction de l’imagination.
C’est bien cette ambivalence qui se lit dans le livre d’Horace Walpole, Le Château d’Otrante (The Castle of Otranto , 1764), qui passe pour l’œuvre fondatrice du roman noir. Œuvre d’un aristocrate, passionné par la généalogie, Le Château d’Otrante instaure le traitement dans une forme romanesque de thèmes habituellement réservés à la poésie et répond aussi au goût naissant dans la bourgeoisie pour le gothique, qui se manifeste en architecture et dans la décoration. De même, à la suite de Walpole, on passe progressivement d’une littérature aristocratique à une littérature bourgeoise, puis populaire. Mais si la prolifération du roman noir interdit un recensement véritable, on s’est essentiellement attaché à retenir les romans les plus marquants, c’est-à-dire ceux qui ont servi de modèles, et qui, maintes fois imités, détiennent cependant une qualité unique, inimitable. Les plus célèbres romans d’Ann Radcliffe, Le Roman de la forêt (The Romance of the Forest , 1791), Les Mystères d’Udolphe (The Mysteries of Udolpho , 1794), ou L’Italien (The Italian , 1797) ne sont-ils pas, avec le roman de Clara Reeve, Le Vieux Baron (The Old English Baron , 1777) comme autant de répliques bourgeoises, tirées dans le sens de la vraisemblance et du bon sens, du roman de Walpole et de son décor gothique? Par contre, dans Le Moine (The Monk , 1796) de Matthew Gregory Lewis, dans Frankenstein (1818) de Mary Shelley, ou encore dans Melmoth ou l’Homme errant (Melmoth the Wanderer , 1820) de Charles Maturin, on a pu penser, parfois trop vite ou trop exclusivement, que l’intrusion insistante du surnaturel relevait d’une forte influence allemande. Dans ces différents romans, c’est pourtant moins le décor gothique, cette fois, qui importe. À moins d’entendre ici le terme gothique, non pas dans le sens habituel mais abusif donné à l’architecture médiévale, mais au sens de «gothicité», de sombre, de dévastateur, de barbare: en effet, les thèmes de peur, d’agression sadique, de mystère et de mort parcourent ces récits, où une «inquiétante étrangeté» révèle au plus près les désirs de l’homme. «C’est seulement, écrit André Breton, à l’approche du fantastique, en ce point où la raison humaine perd son contrôle, qu’a toutes chances de se traduire l’émotion la plus profonde de l’être; émotion [...] qui n’a d’autre issue que de répondre à la sollicitation éternelle des symboles et des mythes.» Les mythes de Faust, du Juif errant, de Prométhée, de Satan... sont présents dans ces œuvres que domine le problème du Mal sous ses multiples aspects; les très nombreuses copies et imitations qui alimentent les «bibliothèques circulantes» et les «magazines» de l’époque ne retiendront du genre que l’intrigue, donnant lieu à un appauvrissement, à une véritable dégradation d’une forme romanesque devenue vide: le bric-à-brac des souterrains, des ruines et des fantômes ne suffit plus, dans la plupart des cas, à créer le fantastique démoniaque apprécié des surréalistes. Ceux-ci, en se référant comme modèles aux œuvres maîtresses du roman noir, prolongèrent la fascination qu’elles avaient suscitée tout au long du XIXe siècle tant en Angleterre qu’en France. L’influence du roman noir, directe sur le frénétisme de Charles Nodier, est plus diffuse, mais constante, sur divers écrivains, poètes ou peintres. C’est pourquoi, en isolant le roman noir dans un genre trop étroitement situé dans le temps et l’espace, on le condamnerait à n’être plus que passion de collectionneur, objet de curiosité ou de critique textuelle. Il s’agit plutôt de l’envisager comme un très vaste courant, artistique et culturel autant que littéraire, lié à une situation historique donnée — l’effondrement du monde féodal —, et par lequel s’exprimèrent toutes les possibilités de l’imaginaire.
● Roman noir genre littéraire du XIXe s. anglais, mettant en scène des aventures macabres, des brigands, des fantômes, etc. ; fiction romanesque aux scènes réalistes, relevant de la littérature policière.
Encyclopédie Universelle. 2012.