RUMINANTS
Les Ruminants sont caractérisés, parmi les autres Ongulés paraxoniens [cf. ONGULÉS], par la physiologie très particulière de leur nutrition, à laquelle ils doivent leur nom. La grande efficacité de ce système d’alimentation leur a probablement assuré un avantage décisif sur ces autres herbivores stricts que sont les Périssodactyles. C’est peut-être là que réside la raison de leur réussite évolutive en face de la régression actuelle des derniers cités. D’un tout autre point de vue, il faut signaler l’importance essentielle que les Ruminants ont eue dans l’histoire de l’humanité. La domestication de quelques espèces ovines, bovines et caprines a été, avec la culture des céréales, un des faits majeurs de l’évolution humaine au Néolithique. De nos jours encore, certaines tribus nomades de l’Asie centrale sont complètement dépendantes de l’élevage, et les sociétés modernes tirent de cette même activité économique la plupart de leurs ressources en protéines d’origine animale sous forme de viande et de lait. Le cuir, pour une part essentielle, et la laine, pour la quasi-totalité de notre consommation, proviennent de quelques espèces de Ruminants. Plusieurs problèmes de pénurie alimentaire pourraient être partiellement résolus par une exploitation plus rationnelle de certaines espèces dans les régions démunies du monde [cf. ÉCOLOGIE].
Caractères généraux
Le tégument des Ruminants est remarquable par sa richesse en glandes variées et par les phanères très particulières que sont les bois et les cornes. Les glandes de la peau sont situées diversement. Le larmier, ou glande préorbitaire, est peut-être la plus répandue. Une fosse, creusée en grande partie dans l’os lacrymal, offre souvent un logement à cette structure volumineuse. Aux extrémités des membres, les glandes carpiennes, tarsiennes et métatarsiennes se rencontrent chez beaucoup de Cervidae et d’antilopes. En position inguinale, les Ovinae (et aussi certaines antilopes) portent des glandes sécrétant une substance voisine du cérumen. Plus spéciales à certains genres ou espèces sont les glandes frontales du chevreuil et du cerf muntjac, la glande dorsale de la gazelle Antidorcas , la glande préputiale du chevrotain porte-musc, les glandes subcaudales qui donnent aux boucs leur forte odeur caractéristique. Toutes ces structures glandulaires jouent un rôle important chez les Ruminants: dans le marquage du territoire, le rapprochement intersexuel, les rapports interspécifiques ou intraspécifiques.
Les bois et les cornes frontales ne se rencontrent parmi les Mammifères que chez les Ruminants, mais tous n’en sont pas pourvus, loin de là. Les bois des Cervidae sont constitués d’os dermique spongieux, soumis à un renouvellement périodique; ils sont d’une nature histologique et d’une origine embryologique fondamentalement différentes de celles des étuis cornés, épidermiques, enchâssant les apophyses frontales de certains Bovidae de manière permanente (fig. 1 et 2) .
Le squelette des Ruminants a d’abord comme traits essentiels le nombre et la disposition des doigts [cf. ONGULÉS]. Seuls prennent appui sur le sol les doigts III et IV, disposés de part et d’autre de l’axe du membre (paraxonie). De plus, les métapodes de ces deux doigts médians sont très généralement soudés en un os canon. Les doigts II et V ont soit complètement disparu, soit régressé à l’état de vestiges, ne reposant jamais sur le sol, à une exception près (renne). Les autres paraxoniens que sont les Suiformes [cf. SUIFORMES] n’ont jamais d’os canon parfaitement fusionné, et leurs doigts latéraux sont beaucoup moins régressés.
Le crâne est surtout caractérisé par le développement de processus frontaux sur lesquels s’édifient périodiquement les bois chez les Cervidae ou que recouvrent des étuis cornés chez les Bovidae . Les orbites sont entourées d’anneaux osseux complets. Une fente (ou fontanelle) ethmoïdale est très généralement béante, simplement recouverte par la peau, en avant de l’orbite. Les cornets olfactifs, au nombre de six paires, offrent une assise considérable à l’épithélium sensoriel chez ces animaux qui possèdent toujours un odorat très bien développé.
La denture ne comporte jamais d’incisives supérieures, sauf chez les Camelidae ; les canines sont le plus souvent incisiformes mais peuvent, chez certains Cervidae notamment, être développées en défenses; les dents machelières sont de type sélénodonte et ont une croissance continue ou au moins prolongée (hypsodontie). Un espace, la barre (diastème), sépare toujours les canines des prémolaires. La formule dentaire, à l’exception des Camelidae , peut s’écrire:
L’appareil digestif détient le caractère le plus singulier des Ruminants. L’estomac est divisé (fig. 3) en quatre compartiments: la panse (rumen ), le bonnet (reticulum ), le feuillet (psalterium, omasum ), la caillette (abomasus ). La panse, qui représente 80 p. 100 du volume total de l’estomac, atteint parfois des dimensions considérables (de 100 à 300 litres chez les gros Bovidae ). Les papilles qui tapissent sa paroi interne augmentent beaucoup la surface de cet organe. C’est à son niveau que s’effectue l’absorption d’eau et de métabolites essentiels comme les acides gras volatils, l’ammoniaque, résultant de la fermentation microbienne dans cet organe. Le rumen constitue une parfaite chambre de culture pour les bactéries et les protozoaires qui s’y trouvent en abondance. La prise fréquente de nourriture assure un substrat nourricier permanent; les produits solubles sont absorbés et ne peuvent donc s’accumuler et inhiber l’activité enzymatique; la température est maintenue stable autour de 40 0C (face=F0019 梁 2). Une partie de la population microbienne est régulièrement éliminée de l’enceinte et enfin une énorme quantité de salive (de 50 à 80 litres par jour chez le bœuf) maintient des conditions stables de pH et de concentration ionique. Les protozoaires seraient au nombre de 106 par gramme de contenu gastrique; ils se répartissent en une centaine d’espèces appartenant surtout aux Ciliés Holotriches (Isotricha , Dasytricha ) et Oligotriches (Metadinium , Entodinium ). Le surplus de population est évacué en aval de la panse et constitue pour l’hôte un apport appréciable de protéines. Les bactéries sont encore plus abondantes, de l’ordre de 1010 par gramme de contenu; ce sont surtout des Streptococcus et des Lactobacillus et de nombreuses bactéries cellulolytiques des genres Clostridium , Ruminococcus , Bacteroides , Ruminobacter , etc. Ces dernières sont responsables des processus de fermentation permettant à la cellulose, qu’aucun Mammifère actuel ne peut digérer, d’être dégradée en produits assimilables. Le bonnet est une simple dépendance de la panse dont la paroi alvéolaire est aussi tapissée de papilles. Lui faisant suite, le feuillet a une structure plissée qui le fait un peu ressembler aux feuillets d’un livre, d’où son nom. C’est au niveau de ce dernier organe que s’effectue l’essentiel de l’absorption de l’eau (de 60 à 70 p. 100). Dans la caillette commence l’attaque des aliments par le suc gastrique, sécrété seulement à ce niveau. Une importante différenciation anatomique existe à la paroi interne supérieure du bonnet: la gouttière œsophagienne. Ses lèvres, en s’accolant, interrompent la communication entre la panse et le bonnet. Une contraction péristaltique de la panse permet alors aux aliments d’être régurgités. Après avoir été remastiqués, ils parviennent directement dans le bonnet et cheminent vers le feuillet sans repasser, en principe, par la panse.
Le système nerveux des Ruminants comporte un encéphale analogue à celui des autres Ongulés. Les hémisphères cérébraux ne recouvrent pas le cervelet. Le haut degré d’évolution du cerveau est marqué par l’invagination du néopallium au niveau de la scissure de Sylvius (operculisation). Parmi les organes des sens, l’odorat est certainement le plus développé; tous les Ruminants sont du type macrosmatique. L’ouïe est généralement bonne, et la taille souvent grande des pavillons auditifs en marque extérieurement l’efficacité.
La reproduction présente quelques caractéristiques importantes. Les femelles des Ruminants sont généralement polyœstriennes. Chez un certain nombre d’espèces, plusieurs cycles œstraux se déroulent, pendant une période déterminée seulement. Quelques Cervidae (daim, chevreuil, etc.) ont un seul cycle œstrien annuel. Le placenta est toujours non caduc: il est diffus et de structure épithélio-choriale chez les Tylopodes et les Tragulidae ; il est cotylédonnaire et syndesmochorial chez les Cervidae et les Bovidae . Les mamelles, en position inguinale, sont au nombre de une ou deux paires. La gestation, de durée évidemment variable avec l’espèce, est de 277 à 290 jours chez la vache, de 144 à 152 jours chez la brebis, mais dure 426 jours chez l’okapi. Le plus souvent, les portées comptent un seul jeune, rarement deux. Dès la mise bas, le nouveau-né est en état de suivre la mère; l’allaitement cependant se poursuit parfois pendant longtemps.
Répartition géographique et classification
Les Ruminants peuplent la quasi-totalité du globe à l’exception des régions polaires et de l’Australie. Ce sont tous des animaux terrestres, mais certains sont très inféodés à l’eau et ne s’en éloignent guère. Il semble que ce soient les formes les plus archaïques qui sont surtout forestières, alors que les types dont l’anatomie recèle les traits les plus évolués sont souvent adaptés aux régimes désertiques ou de haute montagne.
En se limitant aux formes actuelles, les Ruminants peuvent être ainsi classés:
DIR
\
Ruminants digitigrades superfamille des Tylopoda famille des Camelidae Ruminants onguligrades superfamille des Elaphoidea famille des Tragulidae famille des Moschidae famille des Cervidae superfamille des Tauroidea famille des Antilocapridae famille des Bovidae famille des Giraffidae /DIR
Tylopoda
Le nom de Tylopode évoque les callosités des membres, déjà présentes d’ailleurs chez le fœtus. Le caractère anatomique essentiel réside dans la parfaite bidactylie des membres, dont l’appui sur le sol est du type digitigrade. Une large sole cornée favorise la marche sur des substrats meubles. La denture, différente de celle de tous les autres Ruminants, répond à la formule:
Canines et incisives supérieures sont de véritables crocs rendant dangereuse la morsure des Camelidae . Citons, parmi les autres particularités anatomiques, la présence d’une ossification dans le diaphragme et la forme ovalaire des hématies. Dépourvus de cornes, les chameaux ont des glandes occipitales très développées qui s’hypertrophient au moment du rut.
L’économie de l’eau est très remarquable chez ces animaux qui peuvent rester sept jours sans boire en région aride et chaude (cf. vie dans les DÉSERTS). C’est surtout la très faible évaporation sudorale qu’autorise l’inconstance de la température interne, l’importance des réserves tissulaires et le faible volume des urines qui sont les points essentiels de cette adaptation.
Les Camelidae sont représentés par deux groupes morphologiquement et géographiquement bien distincts avec deux seuls genres. Le genre Camelus asiatique et africain inclut le dromadaire (C. dromedarius ), qui existe seulement à l’état domestique, et le chameau de Bactriane (C. bactrianus ) à deux bosses dont quelques échantillons sauvages existent peut-être encore dans les déserts d’Asie centrale. Le genre Lama de la cordillère des Andes est connu sous deux formes exclusivement domestiques: le lama (L. glama ) et l’alpaca (L. pacos ); la vigogne (L. vicugna ) et le guanaco (L. huanacus ) subsistent seuls à l’état sauvage.
Elaphoidea
Les trois familles qui composent l’ensemble des Elaphoidea ont atteint des stades très variables dans l’évolution des membres et le développement des bois et des défenses.
Les Tragulidae sont de petits animaux africains et asiatiques, totalement dépourvus de bois et dont les canines sont développées en fortes défenses chez le mâle. Les métacarpiens III et IV ne sont pas soudés en un os canon.
Les Moschidae , exclusivement asiatiques, ont un os canon, mais les bois manquent ici aussi. Les mâles portent d’énormes canines. Le chevrotain porte-musc, unique espèce de cette famille, a une glande préputiale de grandes dimensions, source du musc, autrefois apprécié en parfumerie.
Chez les Cervidae , qui ont tous les métapodes centraux soudés en un os canon, rares sont les formes totalement dépourvues de bois. Ces appendices sont caractéristiques du mâle, sauf chez le Renne, dont la femelle porte aussi des bois volumineux. Les bois, après une période de croissance où ces formations sont recouvertes d’une peau velue, le velours, tombent chaque année sous la commande de sécrétions endocriniennes. Les Cervidae sont représentés par de nombreuses espèces en Eurasie et en Amérique du Nord et du Sud: le chevreuil (Capreolus capreolus ), l’élan (Alces alces ), le renne (Rangifer taurandus ), le cerf (Cervus ), le muntjac (Muntiacus ) sont autant de formes typiques autour desquelles se répartissent une vingtaine de genres différents.
Tauroidea
La famille des Antilocapridae compte une espèce unique: Antilocapra americana , le pronghorn des grandes prairies américaines. Cet animal est d’un intérêt tout particulier, offrant peut-être le terme de transition entre Cervidae et Bovidae . Chez cette espèce, en effet, les processus osseux frontaux sont revêtus d’étuis cornés, fourchus, soumis à un renouvellement saisonnier.
C’est la famille des Bovidae qui est de loin la plus importante, par la diversité des formes qu’elle comporte et, surtout, parce que la totalité du bétail domestique est issue de quelques espèces qui lui appartiennent.
La sous-famille des Bovinae est à l’origine de tout le «gros bétail» à travers le monde. Le taureau domestique est sûrement issu de l’aurochs (Bos primigenius ) disparu au XVIIe siècle. Le zébu (Bos indicus ), le buffle indien (Bubalus bubalis ), le banteng (Bibos banteng ), l’anoa (Anoa depressicornis ), le yack (Poephagus grunniens ) sont autant de formes domestiquées, toutes originaires d’Asie. Le bison, dont on connaît une espèce américaine et une européenne, n’a jamais fait l’objet de domestication.
La sous-famille des Ovinae , qui groupe les moutons et les mouflons, a fourni avec le mouton domestique issu de l’urial (Ovis vignei ) un autre élément de richesse économique.
La sous-famille des Caprinae , composée essentiellement d’animaux de montagne, renferme avec Capra aegagrus l’ancêtre de toutes les formes domestiques de chèvres.
Les nombreuses sous-familles d’antilopes africaines et asiatiques sont riches d’espèces de taille et d’allure très variées. Certaines ont de grandes dimensions, comme l’élan de Derby (Taurotragus derbyanus ) qui peut atteindre le poids de 1 tonne; d’autres sont minuscules, comme certains Cephalophinae dont la taille n’excède pas celle d’un lapin. On connaît des antilopes parfaitement adaptées à la vie désertique, comme l’addax (Addax nasomaculatus ) ou l’oryx (Oryx algazel ); d’autres, comme le lechwe (Onotragus leche ), sont inféodées aux régions humides ou marécageuses. Il est probable que certaines antilopes soient susceptibles d’une relative domestication qui pourrait assurer des ressources alimentaires beaucoup plus sûres dans des régions où le bétail européen est difficile à acclimater.
La famille des Giraffidae , enfin, est représentée par deux genres d’allures bien différentes: la girafe (Giraffa ) et l’okapi (Okapia ). Ces animaux sont, l’un et l’autre, parfaitement bidactyles. Le garrot plus élevé que l’arrière-train commande l’allure à l’amble. Le cou est déjà allongé chez l’okapi et il atteint des dimensions inaccoutumées chez la girafe, sans pour autant que le nombre des vertèbres cervicales soit accru. L’okapi mâle porte une seule paire de cornes, tandis que la girafe des deux sexes a, sur le sommet de la tête, trois ou cinq cornes revêtues de peau et terminées par une touffe de crins. L’okapi est un animal assez rare de la forêt congolaise, où il a été découvert en 1901. Les girafes sont au contraire des animaux de steppes et de savanes. La taille considérable de ces animaux n’excède cependant pas 6 mètres chez le mâle et 5 mètres chez la femelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.