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BACTÉRIOLOGIE
BACTÉRIOLOGIE

La bactériologie a pris naissance dans le sillage de la chimie, à partir du milieu du XIXe siècle. Elle devait devenir en quelques décennies une science autonome sous l’impulsion de trois savants de génie: Louis Pasteur (1822-1895), qui a créé la bactériologie appliquée en ruinant la thèse de la génération spontanée; Joseph Lister (1827-1913), qui a imposé l’hygiène médicale et développé la chirurgie en conditions antiseptiques, et Robert Koch (1843-1910), qui a mis au point la technologie des cultures microbiennes en milieu aseptique.

Un demi-siècle plus tard, la bactériologie portait encore la marque de ses fondateurs et en conservait l’esprit. Mais, sous la façade des instituts qui en perpétuaient le renom, de gigantesques transformations étaient élaborées.

Elles ont fait de la bactériologie la discipline fondamentale sans laquelle n’auraient pu avoir lieu les développements spectaculaires de la biologie, de la biochimie et de la génétique.

En contrepartie, la bactériologie n’a pu conserver sa relative autonomie et a dû s’adapter aux exigences des branches nouvelles qui divergeaient rapidement: bactériologie agronomique, bactériologie médicale, bactériologie industrielle, bactériologie pharmacochimique.

Entre ces divers rameaux qui constituent un véritable «génie bactériologique» multiforme et plein d’avenir, la bactériologie fondamentale peut et doit constituer une véritable plaque tournante, pour pouvoir rester l’un des foyers majeurs du progrès scientifique en biologie.

1. Étapes de la bactériologie

Période prépasteurienne

À la fin du XVe siècle, apparaissent les premières idées «modernes» sur les maladies infectieuses. Elles concernent surtout la syphilis: Ulsénius, en 1496, en affirme la contagiosité, puis vers 1519, von Hutten soupçonne, à son origine, de «petits vers ailés» et Paracelse, «de petits germes vivants». Ces idées, bien que combattues par la majorité des médecins et des savants, amenèrent cependant des mesures de prophylaxie: dès 1500, certaines villes d’Italie avaient institué un contrôle sanitaire des prostituées.

En fait, le premier grand précurseur de la bactériologie fut Jérôme Fracastor, ou Fracastorius, de Vérone. Dans son traité sur les maladies contagieuses, De contagio et contagiosis morbis (1546), il affirme l’existence de très petits organismes vivants, invisibles, capables de se reproduire et de se multiplier, qu’il appelle contagium vivum , ou seminaria contagionis . Il les rend responsables de la syphilis et de la tuberculose: trois siècles avant Pasteur, apparaît ainsi, pour la première fois, la notion de microbes pathogènes.

Fracastor pose également les premières bases de l’épidémiologie, en expliquant la contagion: transmission interhumaine par le contact, et transmission à distance par l’air. Mais ces conceptions sont véritablement révolutionnaires, et rares sont leurs défenseurs, comme Montanus, à Pavie, puis à la fin du XVIe siècle, Ingrassia et Alpino. Les applications pratiques à l’hygiène collective et à la prophylaxie individuelle sont pratiquement inexistantes; bien sûr, on isolait lépreux et pestiférés, mais sans aucune raison précise de le faire, puisqu’aucune base scientifique n’étayait concrètement ces théories.

C’est alors qu’apparaissent les premiers microscopes; grossissant très peu au début, formés d’une seule lentille, ce sont plutôt de fortes loupes; peu à peu ils se perfectionnent, et aboutissent au dispositif actuellement utilisé qui combine plusieurs lentilles.

La première mention d’une observation microbienne directe remonte à 1659: Athanase Kircher croit voir de minuscules vers dans le sang des malades atteints de la peste. Il semble cependant douteux que Kircher ait pu observer un bacille pesteux avec le microscope grossier dont il disposait.

Puis apparaît le véritable précurseur, le Hollandais Antoine Van Leeuwenhoek. Passionné d’optique, il se consacre bientôt à la fabrication d’appareils de plus en plus perfectionnés. Sous le nom général d’«infusoires», il décrit non seulement des protozoaires, mais aussi des bactéries. C’est ainsi qu’il observe, vers 1680, dans le tartre dentaire «de petits animalcules se mouvant de façon charmante».

Cinquante ans plus tard, un Italien, Spallanzani, fait faire un nouveau bond en avant à l’étude des microbes.

Voulant démontrer qu’ils ne se forment pas spontanément, mais proviennent d’autres microbes préexistants, Spallanzani aboutit à trois découvertes capitales. Tout d’abord, il réussit le premier à cultiver des bactéries dans des flacons contenant du jus de viande, un siècle avant Pasteur. Puis il réfute la thèse de la génération spontanée: les microbes n’apparaissent, dans le jus de viande bouilli, que si le flacon est en contact avec l’air; ce sont les germes de l’air qui contaminent le liquide. Enfin, poussant plus loin l’observation, il parvient à isoler un seul microbe dans une goutte d’eau, et le voit, au microscope, se diviser sous ses yeux, donnant naissance à deux, puis quatre descendants; il avait découvert la division par scissiparité.

Malheureusement, ces brillantes découvertes n’ont pas de suite, et la bactériologie, à peine naissante, tombe dans un demi-sommeil de près d’un siècle. Certes, des descriptions précises de micro-organismes sont faites, tentant d’individualiser différentes espèces, mais ce sont des études purement morphologiques, et aucun progrès n’est possible tant que l’on ne sait pas cultiver les bactéries de façon pratique (observations de Brassi, Pollender, C. J. Davaine). Bien sûr, aussi, les théories selon lesquelles des animalcules sont responsables des maladies progressent; von Plenciz insiste sur le rôle d’un «germe vermiculé» spécifique de chaque maladie infectieuse (1762). Mais, fait curieux, aucune relation n’est faite, à cette époque, entre ces théories, d’une part, et les micro-organismes observés, d’autre part.

Vers la fin de cette période, en 1844, un médecin viennois, I. F. Semmelweis, est tout près de la grande découverte; il pressent l’origine infectieuse et le mode de contagion de la fièvre puerpérale, qui décimait les accouchées dans les hôpitaux. Il incrimine sa transmission par les mains des internes qui soignent ces femmes après avoir fait des autopsies et il impose la désinfection des mains à l’hypochlorite, ce qui réduit beaucoup la mortalité. Mais c’est un tollé; on le traite de fou.

Période pasteurienne

Pasteur vient à la bactériologie par ses études sur les fermentations; il pense en effet qu’il s’agit de processus biologiques, et non d’un mécanisme purement chimique, et il va s’efforcer de le démontrer. Dans son premier mémoire, en 1857, il décrit le ferment lactique comme un organisme vivant, visible au microscope sous l’aspect d’un petit bâton, et capable de se développer dans certains milieux de culture artificiels.

À l’occasion de ces travaux, Pasteur avait donc mis au point les techniques de culture des microbes en milieux liquides. Il démontre ensuite que la fermentation alcoolique est due à un autre organisme vivant, une levure. Puis, pendant plusieurs années, il étudie divers ferments, et les différencie par leurs caractères de culture et leurs besoins nutritionnels; ce sont les premiers essais de classification biochimique des micro-organismes.

Des recherches sur la maladie des vers à soie (1865) conduisent alors Pasteur à étudier la pathologie d’origine microbienne. Des vétérinaires et des médecins avaient signalé dans le sang d’animaux charbonneux, des bâtonnets vivants microscopiques dont le rôle était bien contesté. Pasteur démontre que ces êtres vivants, cultivables au laboratoire, inoculables à l’animal, sont pathogènes, c’est-à-dire responsables de la maladie. Koch, travaillant indépendamment, arrivait aux mêmes conclusions.

Puis ce sont les découvertes de nombreux microbes: vibrion septique, staphylocoque (1878), streptocoque (1879) responsable de cette fameuse fièvre puerpérale dont s’était occupé Semmelweis. Enfin, assisté de trois médecins, E. Roux, Chamberland et Joubert, Pasteur découvre la possibilité d’immuniser contre une maladie par l’injection du microbe atténué : des cultures vieillies d’une bactérie entraînent, chez l’animal, une maladie peu grave; mais cet animal est devenu réfractaire au microbe virulent: il est immunisé . C’est le principe des vaccinations.

Cependant, en Allemagne, Koch développait, plus méthodiquement que Pasteur, les techniques microbiologiques: colorations spécifiques des bactéries, milieux de culture adaptés aux différents microbes, culture sur milieux solides permettant d’obtenir des colonies isolées de germes. On lui doit, entre autres, deux découvertes capitales: celle du bacille de la tuberculose, qu’il réussit à isoler et à cultiver, en 1882, après bien des difficultés, et celle du germe du choléra. Les élèves de R. Koch, dont F. Löffler et E. A. von Behring, poursuivirent son œuvre; leurs travaux sur le bacille diphtérique et sa toxine furent d’une importance majeure.

Ainsi, en quelques années, furent découverts la plupart des germes microbiens responsables de maladies infectieuses; on s’aperçut même que certains de ces germes étaient trop petits pour être vus au microscope; on les appela «ultravirus», ou virus «filtrants», car ils passaient au travers des membranes ou des filtres qui retenaient habituellement les microbes. L’un d’eux, le virus de la rage, fut cependant cultivé par passage sur animal vivant, ce qui permit à Pasteur de préparer le vaccin antirabique, bien qu’il n’ait pu observer le germe.

Dans les années qui suivirent, le perfectionnement des méthodes de culture et d’identification des bactéries permit la mise au point de nombreux sérums et vaccins, progrès considérable dans la lutte contre les grandes épidémies.

Période contemporaine

Certes, on découvre encore de nouveaux agents pathogènes, tel le bacille de la «maladie des légionnaires»; mais on assiste surtout à une série de grandes nouveautés dans le domaine de la technologie et de la biologie moléculaire. Ainsi, l’avènement des antibiotiques révolutionne le pronostic de maladies jusque-là mortelles. L’apparition de la microscopie électronique, puis le perfectionnement des méthodes biochimiques (en particulier l’immunochimie) apportent sans cesse de nouvelles connaissances dans l’ultrastructure de la cellule bactérienne. Les travaux de génétique effectués sur les bactéries par O. T. Avery, J. Lederberg et E. L. Tatum, F. Jacob et E. Wollmann, A. Kornberg, A. Lwoff, J. Monod et tant d’autres, permettent peu à peu de décrypter le code génétique; leur portée est immense, puisqu’elle touche à l’essence même des processus vitaux. L’immunologie, enfin, progresse à grands pas, et la connaissance des moyens de défense de l’organisme déborde largement l’étude des microbes, et débouche, entre autres, sur les greffes d’organes et l’approche immunologique du traitement des cancers.

2. Génie bactériologique et bactériologie appliquée

Il y a longtemps que l’homme sait tirer parti des bactéries, et les faire travailler pour son profit: depuis la plus haute antiquité, il utilisait, sans le savoir, des oxydations ou des fermentations bactériennes pour préparer des aliments, des boissons, ou des vêtements. Si la fermentation du vin ou celle de la bière ne sont pas dues à des bactéries, mais à des levures (champignons inférieurs), la production du vinaigre, par contre, est l’œuvre des bactéries acétiques , qui oxydent l’alcool en acide acétique. La fabrication du beurre et des fromages met en œuvre l’action de bactéries lactiques ; la connaissance de leur rôle a favorisé le développement d’une branche spéciale de la bactériologie: la bactériologie laitière . À côté de l’industrie fromagère, les fermentations lactiques du lait ou des végétaux sont utilisées dans la production industrielle d’acide lactique, qui a d’importantes utilisations chimiques et pharmaceutiques. Le rouissage du lin et du chanvre est une décomposition microbiologique contrôlée des structures végétales, permettant de libérer les fibres textiles; ce sont des bactéries butyriques qui permettent cette action. La fermentation butyrique est maintenant utilisée à une échelle industrielle pour la production d’acétone et de butanol: ce sont les besoins de la Première Guerre mondiale qui favorisèrent le développement de cette technique. La Seconde Guerre mondiale vit l’apparition d’une autre application industrielle de la microbiologie: la production d’antibiotiques.

Ces méthodes industrielles ont en commun l’extrême complexité des problèmes qu’elles posent: le risque majeur est la contamination bactérienne des cultures par des espèces néfastes; autant il est simple de maintenir une culture pure dans une fiole de verre, autant les problèmes sont ardus lorsqu’il s’agit d’une cuve métallique de 40 000 litres. À une échelle plus restreinte, les bactéries peuvent être utilisées, comme aussi certains champignons inférieurs, à la production des enzymes et des vitamines dont les applications, en thérapeutique notamment, sont en plein développement. L’une des préoccupations actuelles des bactériologistes est de contrôler les processus de transformation microbienne de certains résidus organiques, soit pour en tirer des substances nutritives, soit pour produire des hydrocarbures ou d’autres matières utiles.

Depuis 1960, les bactéries sont devenues un instrument de choix entre les mains des biochimistes et des généticiens. Les travaux en France de Monod, de Lwoff et de Jacob et ceux de nombreux chercheurs travaillant dans le monde entier, sous les auspices de la biologie moléculaire, ont abouti à une connaissance assez précise des rapports entre les gènes et les synthèses qu’ils contrôlent: codage du «message héréditaire» sur la molécule d’ADN; transmission de l’information par l’ARN messager, aboutissant au ribosome, tête de lecture et chaîne de montage; régulation génétique par les «opérateurs» et les «répresseurs». Le contrôle du génome bactérien connaît aujourd’hui un extraordinaire essor, et débouche sur les réalisations pratiques du génie génétique : production d’hormones humaines ou d’interféron, par exemple, à partir de bactéries auxquelles on a transféré une information génétique appropriée.

Panorama du métabolisme bactérien

À l’échelle chimique, même les plus petites cellules sont incroyablement compliquées. La plupart des chercheurs qui s’intéressent aux caractéristiques essentielles de la croissance et de la division cellulaires portent leur attention sur les bactéries. La bactérie la plus communément utilisée en bactériologie expérimentale, Escherichia coli , pèse environ 2 憐 10-12 gramme (1012 daltons), poids dans lequel l’eau intervient pour 70 p. 100 environ. Le nombre d’espèces moléculaires différentes dans une cellule d’E. coli se situe entre 3 000 et 6 000, dont près de la moitié ne sont que des petites molécules; mais le reste est constitué de macromolécules.

On connaît toutefois un certain nombre de règles de chimie qui permettent de comprendre la croissance cellulaire sans connaître exactement la structure moléculaire de tous ses constituants. Nous savons par exemple que toutes les macromolécules cellulaires sont des polymères édifiés à partir de monomères beaucoup plus petits. Ainsi, les protéines sont des polymères d’acides aminés; les acides nucléiques sont édifiés par l’enchaînement de nucléotides. La majorité de ces polymères, les protéines et les acides nucléiques notamment, sont des molécules à chaînes carbonées linéaires.

Cependant, ces molécules intracellulaires proviennent de la transformation de molécules nutritives. On peut s’en rendre compte en faisant croître E. coli dans un milieu simple, contenant du chlorure d’ammonium, du sulfate de magnésium, du phosphate monopotassique, du phosphate disodique et, comme seule source organique de carbone, un sucre: le glucose.

En conséquence, presque tous les atomes de carbone des molécules d’E. coli (sauf ceux qui ont pour origine le CO2) doivent résulter des transformations chimiques ayant pour effet soit de dégrader les molécules de glucose en des fragments plus petits, soit d’ajouter ces fragments les uns aux autres pour constituer des molécules plus grosses telles que les nucléotides ou le glycogène. Le mécanisme exact de ces transformations, dont l’ensemble est connu sous le nom de métabolisme intermédiaire , est excessivement complexe. C’est pourquoi la plupart des biochimistes ne s’attachent à étudier qu’une faible partie de l’ensemble des interactions. Pour étudier le devenir du glucose après sa pénétration dans la cellule bactérienne, le marquage de ce substrat par des isotopes radioactifs est la méthode usuelle: les atomes radioactifs peuvent être décelés très rapidement dans des molécules amorçant le métabolisme du glucose, tel le glucose-6-phosphate. Ce n’est que plus tard que les atomes marqués se retrouvent dans les divers acides aminés et nucléotides. Le temps écoulé avant l’apparition de la radioactivité dans les divers composés correspond en gros au nombre d’étapes biochimiques qui séparent le glucose des divers métabolites. Donc, chaque étape est occupée par un composé qui, lors de la réaction en chaîne, qui constitue une voie métabolique, intervient soit dans la dégradation d’une molécule alimentaire, soit dans la biosynthèse d’une molécule cellulaire essentielle, comme un acide aminé ou un acide gras. Le métabolisme cellulaire est constitué par l’ensemble de nombreuses voies (fig. 1), reliées entre elles de telle sorte que les produits des voies de dégradation peuvent servir de points de départ pour les biosynthèses.

Cependant, il existe une corrélation entre la complexité de la «carte» métabolique d’un organisme et la quantité d’information génétique (ADN) qu’il contient. Celle-ci impose une limite supérieure au nombre d’enzymes différentes que peut produire la cellule bactérienne. E. coli , la bactérie la mieux étudiée, possède assez d’ADN pour coder les séquences d’acides aminés de 3 000 à 4 500 espèces de protéines, dont seulement un millier ont déjà été identifiées. Donc les voies métaboliques effectivement connues chez cette bactérie ne traduisent qu’une partie de son métabolisme global.

Dans le cadre de la bactériologie appliquée, on distingue trois groupes de bactéries, selon la dépendance envers l’oxygène qu’elles exigent pour leur croissance. Le premier groupe se compose des bactéries aérobies strictes , qui ne peuvent avoir une activité métabolique (et donc croître) qu’en présence d’oxygène atmosphérique. Elles tirent la plus grande partie de leur énergie de la respiration , que l’on peut définir comme l’oxydation des combustibles organiques par l’oxygène moléculaire; l’oxygène sert ainsi d’accepteur final des électrons provenant de la dégradation de ces matières organiques. Le deuxième groupe contient les bactéries anaérobies strictes , qui tirent également la plus grande partie de leur énergie de réactions d’oxydoréduction, mais dans lesquelles les électrons vont passer d’un substrat organique, constituant le donneur d’électrons, sur une autre molécule organique, qui sert alors d’accepteur d’électrons, sans se lier finalement à l’oxygène, ce qui caractérise une fermentation . Comme exemples de ce genre de bactéries, les bactéries vivant dans la mer, les bactéries dénitrifiantes du sol responsables de la réduction des nitrates en azote, les bactéries productrices de méthane (gaz des marais) et certains organismes pathogènes pour l’homme et les animaux, Clostridium perfringens , responsable de gangrènes gazeuses et d’intoxications alimentaires, et Clostridium botulinum , dont la toxine est responsable du botulisme. Le troisième groupe contient les bactéries aéro-anaérobies facultatives qui utilisent l’une ou l’autre des voies métaboliques citées, en fonction de l’environnement dans lequel elles se trouvent.

Le métabolisme anaérobie est toujours moins efficace que la respiration, car la fermentation n’utilise pas la totalité de l’énergie des substrats organiques pour fabriquer le carburant universel de la cellule, l’adénosine triphosphate ou ATP, et pour synthétiser finalement le matériel cellulaire.

Les voies de fermentation sont de deux types:

1. Homofermentaires chez des espèces comme certaines bactéries lactiques, les Streptocoques par exemple, qui dégradent le glucose, molécule à 6 atomes de carbone, en 2 molécules à 3 atomes de carbone en formant de l’acide lactique, seul produit final. Ce type de dégradation a lieu aussi bien dans les cellules des animaux supérieurs, en particulier les mammifères.

2. Hétérofermentaires comme chez d’autres bactéries lactiques, les Leuconostoc , qui transforment une molécule de glucose en une molécule d’éthanol, une molécule d’acide lactique et une molécule de gaz carbonique. Clostridium acetobutylicum , autre bactérie hétérofermentaire, transforme 2 molécules de glucose en 1 molécule de butanol, 1 molécule d’acétone, 4 molécules d’hydrogène et 5 molécules de gaz carbonique.

Régulation du métabolisme bactérien

À toutes les étapes de leur métabolisme, les bactéries utilisent des enzymes . Les enzymes cataboliques servent à dégrader des substrats complexes et à les transformer en molécules plus simples et assimilables. Les enzymes anaboliques, ou biosynthétiques, catalysent les réactions qui retransforment étape par étape les molécules simples en substances nécessaires au métabolisme et à la croissance cellulaire (y compris les enzymes des deux types).

Les bactéries ne synthétisent que la quantité d’enzyme dont elles ont besoin. Cependant cette règle n’est pas immuable, l’apport de tel ou tel substrat en fonction du temps pouvant faire varier la production bactérienne au profit d’un produit recherché par l’expérimentateur. L’induction est une des méthodes utilisées pour augmenter le taux de synthèse enzymatique. Sur le chromosome bactérien, il y a une matrice génétique pour chaque enzyme, faite d’une séquence de nucléotides, appelée gène de structure. Certains gènes de structure sont inactivés normalement en absence du substrat de l’enzyme ou d’une molécule structurellement analogue. On dit alors que la production de l’enzyme est réprimée. On peut déréprimer ou induire cette production, en ajoutant au milieu le substrat nécessaire. Il y a, par exemple, 3 000 molécules de 廓-galactosidase dans chaque cellule d’E. coli lorsqu’elle croît en présence de 廓-galactosides, tel le lactose, mais cette valeur est plus de mille fois inférieure lorsque les cellules croissent sur d’autres sources de carbone.

Cette propriété définit les enzymes inductibles par opposition aux enzymes constitutives qui sont synthétisées en permanence, autrement dit, qui ne nécessitent aucune induction. Par contre, pour fabriquer en grande quantité certaines enzymes cataboliques d’importance industrielle comme les amylases et les protéases à partir de bactéries, il faut surmonter le phénomène dit de répression catabolique . Ce phénomène entraîne une synthèse réduite de certaines enzymes, chez des bactéries cultivées en présence de glucose, ou sur une autre bonne source de catabolites. La répression catabolique est due à une forte diminution de la concentration intracellulaire en adénosine-3 ,5 -monophosphate cyclique (AMPc). Or, si celle-ci n’est pas présente en quantité suffisante, les gènes de structure qui codent pour les enzymes soumises à la répression catabolique ne sont pas transcrits efficacement, et l’enzyme est peu ou pas synthétisée. Dans quelques cas on a observé que le catabolisme rapide de l’inducteur donnait naissance à une répression catabolique. Dans ce cas, un léger apport d’inducteur ou un analogue au point de vue structure, mais métabolisé plus lentement, peut stimuler la synthèse de l’enzyme recherchée.

Dans le métabolisme normal, chacun des constituants nécessaires à la cellule est fabriqué en quantité juste suffisante. Cette fabrication contrôlée s’effectue grâce à une série de réactions de régulation qui stoppent la fabrication des intermédiaires et des produits finals d’une voie métabolique donnée, lorsqu’un composé particulier atteint un certain seuil de concentration. On appelle rétro-inhibition le mécanisme qui inhibe l’activité enzymatique de la première enzyme d’une voie métabolique par le produit final de cette voie. Il en est ainsi dans la production de lysine, acide aminé essentiel pour l’alimentation animale.

Certaines souches de Brevibacterium flavum et de Corynebacterium glutamicum sont capables de convertir en lysine plus d’un tiers du sucre contenu dans un milieu de fermentation pour produire jusqu’à 75 grammes de lysine par litre de milieu de culture. Chez ces bactéries, cet acide aminé est un produit final d’une voie métabolique ramifiée, c’est-à-dire non nécessaire à la croissance cellulaire, conduisant également à la synthèse de deux autres acides aminés, la méthionine et la thréonine, mais sur une autre voie ramifiée, distincte de la première. L’accumulation simultanée de thréonine et de lysine inhibe l’action de la première enzyme de la voie, l’aspartate-kinase ; elle inhibe donc ainsi la production ultérieure de lysine (fig. 2). La synthèse de méthionine et de thréonine est liée à la présence d’une enzyme, l’homosérine déshydrogénase. Il fallait donc trouver un clone bactérien incapable de produire cette enzyme, dont l’absence n’altère en rien la production de lysine. Une telle souche nutritionnellement déficiente, autrement dit auxotrophe, a pu être obtenue par isolement de mutant biochimique. Celui-ci sera cultivé dans un milieu contenant juste assez de thréonine et de méthionine pour permettre sa croissance, mais pas assez de thréonine pour bloquer, en interaction avec la lysine, l’activité de l’aspartate-kinase; la bactérie produit ainsi beaucoup de lysine. En ce qui concerne la production industrielle de lysine, une autre variété de mutant a été découverte, possédant une aspartate-kinase modifiée qui a conservé son activité enzymatique, mais qui ne réagit plus avec la lysine et perd par là même sa sensibilité à la rétro-inhibition. Ce n’est là qu’un exemple d’applications industrielles fondées sur la sélection classique de mutants afin de court-circuiter les régulateurs naturels du métabolisme.

Contrôle du métabolisme bactérien

Le principe de sélection des mutants auxotrophes fait intervenir deux notions importantes de la bactériologie expérimentale: la mutagenèse et le clonage. La mutagenèse est une technique consistant à l’aide de mutagène, c’est-à-dire d’agent physique (radiations ionisantes, ultraviolets, chaleur) ou chimique (produit alkylant ou désaminant), à augmenter la fréquence de mutation, c’est-à-dire des modifications héritables de l’ADN, très au-dessus du niveau de base des mutations spontanées. Pendant de nombreuses années, les diverses formes de radiations ont constitué les mutagènes les plus efficaces. L’utilisation de mutagènes chimiques est aujourd’hui courante. La nitrosoguanidine peut produire des mutations viables (il faut qu’elles le soient pour les observer phénotypiquement) dans presque 1 p. 100 du génome bactérien. Les mutagènes agissent de façon non discriminatoire. Pour isoler une bactérie mutée, il faut ensuite la sélectionner à la faveur du clonage de la souche. Un clone est une population constituée de cellules qui descendent toutes du même ancêtre. En bactériologie, l’obtention de colonies, autrement dit clones bactériens, est aisée car ces colonies sont repérables sur milieu de culture solide. Les clones pourront alors être sélectionnés en fonction de leur capacité à croître sur milieu de composition adéquate pour que se manifeste la dépendance en acide aminé, antibiotique, etc., conséquence de la mutation recherchée.

Ayant constaté depuis 1960 qu’en recherche fondamentale il était plus aisé de travailler sur le code génétique que sur ses produits, la bactériologie appliquée a suivi avec un très grand intérêt l’évolution des manipulations du génome à cultiver qui permettent de transférer à une bactérie facile d’utilisation toutes les informations génétiques permettant l’obtention d’un produit dont cette espèce n’était pas originellement productrice. C’est la raison pour laquelle dans les années à venir la recombinaison génétique aura un énorme impact sur la microbiologie industrielle, car elle diversifie les performances. La recombinaison entre deux cellules de types génétiques différents amène en effet la constitution d’une descendance réunissant des gènes des deux parents. Quoique naturel, ce phénomène est peu applicable dans l’industrie en raison de la fréquence extrêmement faible des recombinaisons entre deux souches. Il a pu être artificiellement accru de façon très importante. La technique de fusion des protoplastes élimine les parois cellulaires de chacun des deux parents, de telle sorte que seule la membrane cytoplasmique entoure chacune des cellules bactériennes qui peuvent ainsi se fondre l’une dans l’autre. La nouvelle cellule qui résulte de cette fusion régénère alors sa paroi, autour de la masse cytoplasmique où coexistent désormais deux génomes.

Cette méthodologie a permis de recombiner des espèces bactériennes à croissance lente, mais à forte productivité, avec des espèces à croissance rapide mais faiblement productrices, afin d’obtenir des souches à croissance rapide ayant une forte productivité. Une récente technique du génie génétique consiste à l’amplification des gènes en amenant les structures qui les portent à être répliquées rapidement. On multiplie ainsi les plasmides, petits morceaux d’ADN circulaires extrachromosomiques au nombre de 2 à 30 par bactérie. Dans certaines espèces, pour amplifier des gènes et les transférer, on peut utiliser non seulement des plasmides mais aussi des bactériophages.

Dans la nature, la recombinaison génétique n’a lieu qu’entre espèces très voisines. En effet, tous les organismes possèdent des enzymes dites endonucléases de restriction, qui identifient un ADN étranger, ou plutôt des courtes séquences palindromiques et le détruisent par coupure, empêchant de la sorte toute recombinaison illégitime. En 1973, on a découvert qu’il était possible de couper les molécules d’ADN avec des enzymes de restriction, de les recoller avec une autre enzyme, l’ADN ligase, et de réintroduire l’ADN recombinant dans E. coli par l’intermédiaire d’un plasmide comme vecteur. Cela a permis l’hybridation moléculaire : des gènes de mammifères, donc des gènes d’eucaryotes, ont pu être introduits et se sont exprimés dans une bactérie, indépendamment du caractère procaryotique de celle-ci.

Exemples de modification expérimentale d’une bactérie

De nombreuses souches de Pseudomonas putida hébergent un plasmide codant pour des enzymes qui ne digèrent qu’une seule classe d’hydrocarbure. Il peut s’agir du plasmide OCT qui permet de dégrader l’octane, l’hexane et le décane; parfois c’est le plasmide XYL, qui code les enzymes hydrolysant, le xylène et le toluène; ou encore le plasmide CAM, le camphre; ou enfin le plasmide NAH, le naphtalène. Par croisements successifs, on a tenté de fabriquer une souche pouvant dégrader les quatre familles, mais on a observé alors que les plasmides CAM et OCT sont incompatibles et ne peuvent coexister séparément dans une cellule. Cette difficulté a pu être tournée en fabriquant un plasmide recombinant, à partir des deux précédents. La bactérie multiplasmidique croît très rapidement sur du pétrole lourd, car elle digère davantage d’hydrocarbures. Son rôle dans le nettoyage des soutes des navires pétroliers ou des nappes de pétrole répandues par eux reste à vérifier.

Une souche de la bactérie Methylophilus methylotrophus qui était une bonne bactérie industrielle a été «reprogrammée» grâce au génie génétique. Les produits de fermentation de cette bactérie apportent un complément protéique destiné à l’alimentation animale: le pruteen. Cette bactérie utilise le méthanol comme source de carbone et les ions ammonium comme source d’azote. L’introduction des acides aminés dans les protéines par l’intermédiaire de l’acide glutamique débute par deux réactions catalysées par la glutamine synthétase et la glutamate synthétase. Cette voie est grosse consommatrice d’énergie, dans la mesure où l’étape catalysée par la glutamine synthétase dépend du transporteur cellulaire d’énergie qu’est l’ATP. Dans d’autres bactéries, et notamment E. coli , il existe une autre voie contrôlée par une autre enzyme, la glutamate déshydrogénase, laquelle conduit aussi à l’acide glutamique mais est plus économe en énergie. Pour obtenir une souche de Méthylophilus moins gourmande en énergie, on a d’abord sélectionné un mutant auxotrophe dépourvu de glutamate synthétase. Dans un deuxième temps, le gène d’E. coli codant pour l’enzyme plus économe a été cloné par intégration dans un plasmide convenablement choisi pour pouvoir être transféré chez Methylophilus methylotrophus dans un dernier temps: le gène glutamate déshydrogénase a pu ainsi être introduit dans la souche de départ auxotrophe, déficiente en glutamate synthétase. Le rendement énergétique de la production de pruteen a donc ainsi été fortement amélioré.

Bactériologie appliquée à l’agriculture

Dans le domaine agronomique, l’influence de la bactériologie augmente sans cesse par suite de l’accroissement des besoins en nourriture et autres produits agricoles, ce qui explique l’intérêt des recherches microbiologiques appliquées à ce domaine. Dans un champ, les problèmes sont différents de ceux qui sont posés par un fermenteur. Dans le fermenteur, une ou quelques espèces bactériennes connues «travaillent». Dans le sol, des milliers de souches bactériennes se battent pour trouver leur nourriture et leur énergie, tout en modifiant la composition chimique des terrains par leur activité métabolique. Avant tout projet de recherche dans le domaine de l’agriculture, il faut commencer par examiner les interactions entre les micro-organismes et le biotope .

Le problème central est ici la fixation de l’azote ; en effet, aucune plante n’est capable d’extraire directement dans l’atmosphère l’azote nécessaire à sa croissance; l’azote doit être préalablement fixé ou transformé sous une forme biologiquement active, par des bactéries ou par des procédés industriels de fabrication d’engrais azotés: procédés fort onéreux et dispendieux sur le plan énergétique. L’espoir est orienté vers la transformation génétique des plantes, chez qui on pourrait introduire les gènes responsables de la fixation de l’azote atmosphérique des bactéries vivant déjà en symbiose avec elles.

L’intérêt des techniques de l’ADN recombinant a donc de multiples impacts, en particulier elles devraient améliorer les cultures actuelles et créer des plantes entièrement nouvelles.

Les Romains savaient déjà que les légumineuses comme les haricots, l’arachide, la luzerne, le soja, le pois, le trèfle amélioraient la fertilité des sols. Ils ne pouvaient pas savoir que les légumineuses favorisent la multiplication des bactéries du genre Rhizobium dans leurs racines, où elles fixent l’azote atmosphérique: la plante nourrit la bactérie qui, en contrepartie, lui apporte de l’ammoniac (NH3), forme assimilable de l’azote. La relation qui s’établit est particulièrement étroite, puisque la bactérie pénètre à l’intérieur des racines des légumineuses pour former des nodosités. Une première étape commence par la fixation des Rhizobium sur les poils radiculaires; cette fixation se fait par un mécanisme de reconnaissance spécifique, lequel est en rapport avec la présence d’une protéine spécifique. Les bactéries pénètrent alors dans les poils radiculaires puis cheminent à l’intérieur des cellules de la racine. Ces cellules une fois infectées vont gonfler et se diviser, d’où le développement de nodosités formées de cellules infectées.

Pour améliorer la capacité des bactéries à fixer l’azote, une première étape consistait à la sélection de Rhizobium à grand pouvoir fixateur; mais cette recherche de mutants les plus compétitifs n’a pas eu de résultats suffisamment décisifs. On a donc envisagé de modifier directement les bactéries grâce aux techniques du génie génétique.

La fixation d’azote est assurée chez Rhizobium par la nitrogénase, enzyme qui catalyse la transformation de l’azote moléculaire en ammoniac. Des électrons sont transportés jusqu’à la nitrogénase qui les transfère à une molécule de 2. Trois électrons sont ainsi associés à un atome d’azote, tandis que trois ions hydrogène H+ provenant du milieu intracellulaire neutralisent ces trois électrons. Ainsi chaque molécule d’azote est transformée en deux molécules d’ammoniac. Cependant, les électrons se recombinent parfois avec les protons H+ avant d’atteindre l’azote, produisant de l’hydrogène gazeux (H2) qui se dégage. Mais cette réaction secondaire, grande consommatrice d’énergie, est contrariée dans certaines souches de Rhizobium par une hydrogénase; elle libère des électrons et des protons qui vont ainsi réalimenter le système nitrogénase dont le rendement est amélioré. Cette hydrogénase est portée par un plasmide et, comme l’ont montré des chercheurs anglais, il pourrait être transféré à des souches de Rhizobium qui en sont dépourvues, mais qui sont par ailleurs de bonnes fixatrices d’azote.

Les bactéries fixant l’azote ne sont pas seulement des symbiotes des légumineuses, il existe d’autres bactéries fixatrices d’azote: par exemple Azotobacter vinelandii , Klebsiella pneumoniae . Azotobacter vinelandii n’a pas les propriétés d’infectivité des racines, ce que des chercheurs ont biaisé en lui transférant certains gènes de Rhizobium .

On peut utiliser dans d’autres cas des bactéries afin de réguler la niche écologique au profit de la plante: en Californie, il a été montré que si l’on répandait des Pseudomonas putida sur des graines de betteraves à sucre ou sur les pommes de terre, on augmentait le rendement de la culture. Ces bactéries fixent le fer du sol, le rendant ainsi indisponible à certains champignons ou bactéries potentiellement nuisibles pour qui le fer est un facteur de croissance.

Le projet le plus ambitieux des chercheurs dans le domaine de l’agriculture consiste à essayer d’introduire des gènes étrangers au règne végétal dans une cellule de plante; notamment l’insertion de gènes fixateurs d’azote dans les céréales aurait des retombées économiques considérables. Plusieurs possibilités ont été envisagées; deux paraissent assez séduisantes. La première utiliserait un plasmide de la bactérie Agrobacterium tumefaciens qui provoque chez la plupart des plantes dicotylédones des tumeurs appelées crown-gale , où sont synthétisés des composés azotés appelés opines. Ce plasmide (appelé aussi ADN de transfert ) peut donc servir de vecteur pour introduire de l’ADN étranger dans une cellule végétale. Son mode d’action particulier a été appelé colonisation génétique : une section du plasmide est insérée dans le chromosome de la cellule végétale infestée. Ces cellules infestées se comportent in vitro comme des cellules tumorales. À partir de ces cellules tumorales, des chercheurs allemands ont réussi à régénérer une plante dont les cellules contenaient toujours l’ADN de transfert qui codait toujours pour l’opine synthétase. Une autre voie consiste à utiliser le virus de la mosaïque du chou-fleur pour introduire des gènes étrangers dans les végétaux, notamment les gènes fixateurs d’azote. Les récents succès de plusieurs groupes de chercheurs à l’université Cornell, à l’Institut Pasteur et à l’université de Jussieu, qui ont réussi à introduire les dix-sept gènes nif fixateurs d’azote de Klebsiella pneumoniae dans une cellule eucaryote, une levure, ont été suivis d’une légère désillusion car, une fois introduits, les gènes ne se sont pas exprimés. Cette incapacité illustre la complexité des méthodes de génie génétique quand il s’agit d’introduire des fonctions biologiques associées à plusieurs gènes. Les dix-sept protéines contrôlées par les dix-sept gènes nif n’ont pas réussi à fonctionner toutes ensemble correctement dans le cytoplasme étranger que constitue celui de la levure. Un autre obstacle pourrait aussi découler de la quantité de fer requise pour le système nitrogénase dans une cellule eucaryote; on sait que la quantité de fer est suffisante pour les bactéries fixatrices d’azote; l’est-elle aussi pour les cellules végétales? Ce genre de problème est l’exemple des progrès accomplis grâce à l’action conjuguée des généticiens et des biochimistes.

Bactériologie appliquée à l’industrie chimique

L’industrie chimique est grande utilisatrice des possibilités de synthèse des micro-organismes, notamment dans l’élaboration de matière première pour d’autres productions. L’augmentation du coût du pétrole rend les méthodes de production bactériennes de plus en plus intéressantes. Parmi les grands produits de l’industrie chimique, les enzymes sont fréquemment obtenues par fermentation. Les enzymes ont la particularité d’être très spécifiques au niveau de leur site d’action: chaque enzyme n’agit que sur un type de molécule. Quatre enzymes sont actuellement produites usuellement: la protéase, la gluco-amylase, l’alpha-amylase et la glucose-isomérase. La principale protéase, dont le site d’action est la coupure d’une liaison peptidique, est extraite de Bacillus licheniformis .

Un autre groupe important de produits chimiques industriels est celui des composés organiques aliphatiques. Nous prendrons comme exemple l’un d’entre eux, l’éthanol, qui est utilisé entre autres comme solvant, agent d’extraction, antigel... C’est un substrat pour la synthèse de multiples autres composés organiques. Sa fabrication actuelle recquiert comme substrat soit du sucre ou mélasse, soit de l’amidon de maïs, de blé ou de manioc, converti préalablement en sucre, dont la fermentation traditionnelle est assurée par Saccharomyces cerevisiae (levure de bière). Mais aujourd’hui on estime qu’il serait plus intéressant de fermenter ces matières premières à meilleur marché et renouvelables que sont la cellulose et les polymères du bois, préalablement dégradés en glucose par des bactéries comme Zymomonas mobilis et Thermoanaerobacter ethanolicus , qui assureraient un rendement meilleur. L’espoir réside en la «fabrication» d’une bactérie capable de faire cette dégradation en une seule étape de fermentation. Si le projet de remplacer un jour l’essence par l’éthanol se réalise, sa fabrication sera essentiellement faite grâce aux concours des biotechnologistes. La principale limitation de production par fermentation de l’éthanol et d’autres solvants est la tolérance des micro-organismes aux solvants qu’ils produisent dont le mode d’action est d’hydrolyser les phospholipides de leur paroi.

L’acide glutamique est un acide aminé important industriellement; il est utilisé comme agent aromatique sous la forme de son sel, le glutamate de sodium; il n’est fabriqué que par voie microbiologique. L’avantage de la production biologique d’un acide aminé, est qu’elle produit en général seulement l’isomère biologiquement actif alors que la synthèse chimique produit en quantité équivalente les deux isomères; donc la moitié de la production est inutilisable. Pour le fabriquer, Corynebacterium glutamicum et Brevibacterium flavum fermentent du glucose. On peut augmenter la production de l’acide aminé en diminuant la quantité de biotine dans le milieu de culture; ainsi, la paroi cellulaire est déficiente en phospholipides, et le glutamate peut s’échapper dans le milieu extracellulaire. Si le milieu ne peut être appauvri en biotine, on ajoute en général de la pénicilline afin d’inhiber la synthèse du peptidoglycane qui constitue la paroi cellulaire bactérienne et d’accroître la perméabilité de celle-ci.

L’intérêt des enzymes s’étend à leur utilisation en recherche pure et appliquée; ainsi les endonucléases de restriction, véritables ciseaux biologiques du génie génétique, grâce auxquelles on peut aussi détecter sur l’ADN des cellules fœtales, dans le liquide amniotique, la présence d’une anémie à hématies falciformes; les ligases, enzymes de liaison servant à l’attachement de fragments d’ADN les uns avec les autres, dont on vient d’augmenter le rendement de production en le multipliant par cinq cents, grâce à l’intégration de plusieurs copies du gène chez E. coli .

Bactériologie appliquée à l’industrie pharmaceutique

C’est la découverte de la pénicilline, un métabolite naturel du champignon microscopique Penicillium , qui déclencha la révolution microbiologique dans l’industrie pharmaceutique. Tant commercialement que cliniquement, les antibiotiques constituent encore l’essentiel des produits pharmaceutiques fabriqués par des techniques microbiologiques; nous ne développerons pas ici leur fabrication [cf. ANTIBIOTIQUES].

L’amélioration des connaissances biochimiques et génétiques des souches bactériennes a permis de réduire considérablement le prix de revient de la vitamine B12, vitamine indispensable à l’humanité. Toute la production industrielle de cette vitamine est d’origine microbienne: en effet, la synthèse chimique qui met en jeu plus de soixante-dix réactions chimiques n’est pas envisageable économiquement. Elle est de plus le monopole des bactéries. Dans les premiers procédés de fabrication, la vitamine B12 était isolée en tant que produit secondaire de certaines productions d’antibiotiques. Aujourd’hui seuls les procédés employant les Propionobacter freudenreichii et P. shermanii , ainsi que Pseudomonas denitrificans , sont utilisés industriellement. La source de carbone, lors de la fermentation, est soit le saccharose soit la mélasse ; la source d’azote, le sulfate d’ammonium ou des protéines végétales ou animales, les sels minéraux essentiels ainsi que, éventuellement, certaines parties de la molécule de vitamine B12 tels le cobalt et le 5,6-diméthyl-benzimidazol (5,6-DBI), le tout dissous dans l’eau. Tout ce milieu complexe est stérilisé avant ensemencement par telle ou telle bactérie. Pour les propionibactéries, la fermentation se fera en anaérobiose pendant deux ou trois jours, ce qui synthétise seulement la partie centrale de la molécule, et en présence d’air pendant trois ou quatre jours, pour achever l’assemblage de la molécule. Si l’on utilise l’autre bactérie Pseudomonas denitrificans , la production se fait constamment en présence d’air comme l’exige le métabolisme de ce micro-organisme; cependant il faudra ajouter à ce milieu de culture de la bétaïne (dont le rôle n’est pas encore élucidé mais dont la présence est nécessaire à la synthèse de la partie centrale de la molécule). Dans ce genre de procédé, il faut une amélioration constante des techniques afin de réduire le coût et le temps de fabrication.

Quatre composants du milieu de fermentation jouent donc un rôle primordial dans la biosynthèse de la vitamine B12 par Pseudomonas denitrificans : le saccharose; la bétaïne; le cobalt, élément directement impliqué dans la structure centrale de la molécule – il faudra donc veiller à ce que la concentration et la vitesse de fixation de cet élément ne constituent pas un facteur limitant; et enfin le 5,6-DBI qui peut être synthétisé par la bactérie à partir de la riboflavine. Dans les conditions normales, ce facteur limite la biosynthèse car il est produit en quantité insuffisante; aussi est-il indispensable de compléter le milieu en cet élément.

L’analyse économique du système a montré que les mélasses revenaient une fois et demie moins cher que le saccharose; l’analyse scientifique a montré qu’elles apportaient peut-être 50 p. 100 de saccharose en moins que le saccharose pur, mais qu’elles contenaient en plus des acides aminés, des vitamines et (notamment la mélasse de betterave) de la bétaïne. À partir de la mélasse de betterave comme source de carbone, la production de vitamine B12 est de 59 milligrammes par litre de moût. La vitamine B12, voie des corrinoïdes, aussi bien que l’hème, voie des porphyrines, sont synthétisées à partir de la glycine et du succinyl-CoA. Ces deux molécules ont un tronc commun de biosynthèse conduisant à l’uroporphyrinogène III. Cette partie commune est régulée par l’hème produit final de la voie des porphyrines. Un des objectifs du programme d’amélioration de souches productrices de vitamine B12 sera de limiter la voie métabolique spécifique des porphyrines, afin de favoriser la biosynthèse de la vitamine B12 et d’éliminer certains verrous régulateurs du tronc commun de la biosynthèse des corrinoïdes et des porphyrines.

La production des hormones stéroïdes fait intervenir des micro-organismes seulement pour des étapes de bioconversions. La nouveauté dans ce domaine réside en la synthèse de protéines humaines par des bactéries dont le génome «naturel» ne possédait pas l’information génétique adéquate. Le premier polypeptide humain synthétisé par une bactérie fut la somatostatine, une hormone hypothalamique. Elle agit au niveau de l’hypophyse où elle inhibe la libération de l’insuline et de l’hormone de croissance. La molécule de somatostatine ne comprend que 14 acides aminés, on a pu construire facilement un gène synthétique à partir de groupes de trois nucléotides chacun. Le gène comportait 52 paires de bases dont 42 constituaient le gène de structure, les 10 autres correspondaient à des extrémités d’insertion. Le vecteur d’expression a été construit à partir du plasmide pBR 322 auquel ont été ajoutés la région de contrôle, c’est-à-dire le gène régulateur de la 廓-galactosidase et l’opéron lactose. Ainsi l’hormone fut synthétisée sous forme d’un polypeptide fixé au bout de l’enzyme 廓-galactosidase codée par l’opéron lactose. Une coupure par le bromure de cyanogène, dont la cible est la méthionine, libéra l’hormone recherchée, car il avait été introduit sur le gène artificiel, en tête de la molécule, un codon pour la méthionine. Ces mêmes techniques ont été appliquées pour la synthèse de l’insuline. La production d’insuline s’avère être excellente: pour 2 000 litres de bouillon de culture, on pourrait obtenir 100 grammes d’insuline pure; il fallait 725 kilogrammes de pancréas d’animaux pour obtenir cette quantité, et le produit recueilli a toujours posé quelques problèmes chez certains sujets diabétiques allergiques aux hormones animales. L’autorisation de produire de l’insuline par génie génétique depuis 1982 permet d’éviter ces troubles. D’autres polypeptides sont susceptibles d’être synthétisés par les bactéries: l’hormone de croissance, les interférons, les facteurs de coagulation, l’urokinase, les immunostimulants, les protéines antigéniques utilisables pour la fabrication de vaccins, notamment celui contre l’hépatite B. Produit par des cellules parasitées par un virus, l’interféron rend ces cellules résistantes à tout autre virus. Son utilisation thérapeutique dans le traitement des maladies virales (sida) et de certains cancers permet de fonder sur lui un grand espoir.

Depuis 1981, un nouvel outil technologique va considérablement aider à la fabrication des outils de base des techniques de recombinaison génétique: les oligonucléotides. En effet, Itakura et Loroy Hood ont développé une machine automatique à synthétiser les gènes. Ces appareils commencent à arriver sur le marché: Biologicals (Canada), Vega Biochemicals (États-Unis), Biosearch (États-Unis), Kabigen (Suède). Ils ont comme caractéristiques générales d’être constitués par un support solide (un gel de silice) où s’effectue la synthèse des chaînes de nucléotides selon deux méthodes classiques (phosphotriester ou phosphite); un élément comprenant différents réactifs et solvants; un microprocesseur contrôlant l’opération de synthèse, à qui l’on donne l’information correspondant à la séquence de l’oligonucléotide désiré. Le temps de couplage entre deux nucléotides varie de trente minutes à deux heures. Le principe de la synthèse est le suivant: une commande informatique actionne une pompe qui va prélever dans chacun des quatre réservoirs de nucléotides (A, T, C, G) la base voulue avec le réactif lui correspondant. Le premier nucléotide de la séquence va se fixer par son extrémité 3 sur le support de silice; son extrémité 5 étant libre de réagir avec l’extrémité 3 du second nucléotide dont l’extrémité 5 est protégée en attendant l’arrivée du nucléotide suivant indiqué par le programme. Une fois assemblées, les chaînes sont séparées des grains de silice. Ces machines seront dans l’avenir indispensables pour l’évolution de la biologie appliquée.

3. Bactériologie médicale

La bactériologie médicale, comme d’autres sciences, est étroitement liée à l’évolution des techniques. Malgré des intuitions parfois anciennes sur l’origine infectieuse de certaines maladies (Fracastor et ses théories sur la contagion, au XVIe siècle, Semmelweis et son concept sur la transmissibilité de la fièvre puerpérale dans les maternités de Vienne en 1844), ce sont des faits d’observation puis des faits expérimentaux (grâce à la mise au point de l’outil essentiel, le microscope, dont A. Van Leeuwenhoek est l’inventeur indiscuté) qui ont permis d’aboutir à la véritable révolution microbiologique de l’ère pasteurienne. Une liste chronologique, non exhaustive, des découvertes de quelques bactéries agents de maladies infectieuses dominantes, de leur pouvoir pathogène et des mécanismes de défense de l’hôte infecté, montre (cf. tableau) comment en quelques décennies de la seconde moitié du XIXe siècle est née la bactériologie médicale et, avec elle, l’immunologie.

L’abord de la bactériologie médicale est indissociable des études de microbiologie générale et de biologie moléculaire qui ont permis de décrire la physiologie et la génétique des bactéries. Ces études ont conduit à mettre au point les procédés d’isolement, d’identification, de typage et la caractérisation des propriétés de virulence, de pathogénicité, de résistance aux agents antimicrobiens, etc.

L’isolement des bactéries

La première étape du diagnostic bactériologique est l’obtention, en culture pure, de la souche bactérienne responsable des dommages observés chez le malade, pour pouvoir ensuite l’étudier. Durant le processus infectieux, les bactéries se sont adaptées aux conditions de vie chez l’hôte, leur prélèvement va consister à les transférer dans un environnement différent où elles risquent de ne pas survivre. Cela impose, d’une part, un délai très bref entre la collecte du produit à analyser et la mise en culture au laboratoire, et, d’autre part, l’utilisation d’un milieu de culture à la composition et à la température d’incubation aussi proches que possible de celles du milieu naturel d’origine (différentes sécrétions ou tissus de l’hôte infecté, sérosités, pus, sang, biopsies d’organes, etc.). Comme les exigences particulières des bactéries dont la présence est soupçonnée sont encore inconnues à ce stade du diagnostic, la règle est d’ensemencer divers milieux empiriques, enrichis ou non en facteurs de croissance (sang ou extraits sanguins, par exemple) et, dans le cas d’associations bactériennes multiples, d’utiliser des milieux sélectifs contre les bactéries commensales, pour favoriser ainsi la croissance spécifique des bactéries pathogènes incriminées a priori. Certaines bactéries ne sont pas cultivables en milieu artificiel; les bactéries parasites intracellulaires obligatoires sont isolées par ensemencement de cultures de cellules eucaryotes, mais d’autres telles que Treponema pallidum (agent de la syphilis) ou Mycobacterium leprae (agent de la lèpre) et sans doute d’autres agents encore insoupçonnés ne bénéficient, à ce jour, pas encore de milieux inertes permettant leur croissance in vitro.

L’identification

Dans de nombreux cas, un diagnostic de présomption peut être porté dès le stade de collection du produit infecté à analyser; l’examen microscopique extemporané (fig. 3) des préparations non fixées (bactéries immobiles ou présentant une mobilité particulière, portant éventuellement une capsule identifiable par sa réfringence, présence de spores, etc.), puis l’examen après fixation et colorations standards telles que les colorations de Gram ou le bleu de méthylène, ou spécifiques, telles que la coloration de Ziehl-Nielsen pour les bactéries acido-alcoolo-résistantes, etc., permettent d’identifier des morphologies caractéristiques d’un genre bactérien (aspect en haltère des Corynébactéries, amas en grappe de raisin des Staphylocoques, aspect incurvé des cellules de vibrion, aspect sinusoïde des spirochètes, entre autres). Des colorations différentielles, telle la coloration de Giemsa, apportent des informations supplémentaires en teintant les cellules des tissus de l’hôte, ce qui permet d’établir une relation entre la présence des bactéries et une réaction cellulaire, immunitaire, et de localiser éventuellement des bactéries dans le cytoplasme des cellules phagocytaires. Après isolement sur milieu sélectif ou non (fig. 4 et 5), de multiples informations sur la taille et la morphologie des colonies, sur leur pigmentation parfois, d’éventuelles réactions colorées en présence d’indicateurs de pH (certains milieux sélectifs contiennent, en plus de la substance inhibitrice pour les contaminants, des substrats dégradables) permettent de conforter le diagnostic évoqué au moment des examens au microscope. Le diagnostic est confirmé par les résultats d’une série d’épreuves standardisées pour chaque famille de bactéries (galerie d’identification): recherche du type trophique, en aérobiose et en anaérobiose; révélations d’enzymes exocellulaires telles que catalase, oxydase, uréase, tryptophanase, protéases, lipases, amylases, désoxyribonucléase, etc. Des études en taxonomie numérique découlent des épreuves de croissance en milieu minimal (solution équilibrée de sels minéraux) additionné d’une source unique de carbone (auxanogramme), d’analyse de la voie métabolique des hydrates de carbone (voie oxydative ou fermentaire) et du métabolisme des composés azotés (réduction des nitrates et des nitrites, par exemple). Dans certains cas, le diagnostic d’espèce ne peut être porté sur le seul profil des caractères biochimiques, il est indispensable de compléter l’identification par le typage antigénique de la souche étudiée (groupage des streptocoques, sérotypie des Salmonella , des Vibrio , des Méningocoques, etc.). La sérotypie à l’aide d’immun-sérums spécifiques des antigènes de paroi (antigène somatique O), ou des déterminants flagellaires (antigène H), éventuellement complétée par une lysotypie (étude de la sensibilité de la souche bactérienne à certains bactériophages spécifiiques) et un antibiogramme (étude de la sensibilité de la souche à des antibiotiques de référence), permet d’identifier précisément des variants phénotypiques au sein d’une espèce (fig. 6). Le sérotype, le lysotype et l’antibiotype (profil de sensibilité déterminé par l’antibiogramme) sont des marqueurs épidémiologiques utilisés pour dépister l’origine de la contamination et l’éventuelle propagation de la souche bactérienne, en cas d’épidémie. En bactériologie médicale de routine, les développements techniques ont permis de mettre au point des galeries d’identification normalisées comportant une batterie d’épreuves nécessaires et suffisantes au diagnostic le plus souvent infaillible des principales espèces pathogènes. Dans tous les cas, l’identification bactérienne est obligatoirement complétée par l’antibiogramme, seul moyen d’appliquer la thérapeutique la mieux adaptée et permettant la détection de mutations vers la résistance aux antibiotiques. Une fois l’identification accomplie, reste le problème délicat de l’interprétation du diagnostic bactériologique; la relation de cause à effet entre la détection de bactéries dans un prélèvement et la maladie infectieuse n’est généralement établie que pour certaines espèces reconnues pour leur pathogénicité. L’isolement de bactéries habituellement non pathogènes à partir de certains produits normalement stériles, tels que le sang ou le liquide céphalo-rachidien, ne permet d’affirmer leur rôle dans le déclenchement de la maladie que lorsque des preuves d’une réaction immunitaire spécifique peuvent être établies (par exemple, une détection d’anticorps à titre élevé).

Les principales bactéries pathogènes

Dans l’extrême diversité du monde bactérien, certaines espèces se sont imposées comme des pathogènes authentiques; chez l’individu exposé à ces bactéries le risque d’induction d’une maladie infectieuse est très élevé, même chez des sujets aux fonctions immunitaires préservées; le déterminisme de la virulence et de la pathogénicité de ces bactéries n’est pas toujours connu. Au contraire, la pathologie infectieuse s’enrichit actuellement de nouvelles maladies dans lesquelles sont incriminées des espèces autrefois considérées comme commensales, voire comme des bactéries de l’environnement; c’est le domaine préoccupant des infections opportunistes survenant chez des sujets immunodéprimés, et des infections dues à des espèces nouvellement identifiées et incriminées en pathologie. Parmi les espèces réputées pathogènes pour l’homme, certaines sont comparables par le mode de leur transmission, la voie de contamination qu’elles utilisent ou le syndrome infectieux qu’elles provoquent; ces paramètres qui régissent l’épidémiologie des maladies infectieuses sont indépendants de la position taxonomique de l’agent causal. On distingue les maladies contagieuses acquises par le sujet exposé à la suite d’un contact direct avec l’agent infectieux dans son réservoir naturel, ou avec un sujet malade, des maladies transmissibles acquises par l’intermédiaire d’un vecteur; ce vecteur étant mécanique (objet ou aliment contaminé ou individu porteur latent) ou biologique (hôte intermédiaire vivant, chez lequel l’agent pathogène se multiplie et se maintient à l’état virulent). En pathologie humaine, les principaux agents d’infections bactériennes à porte d’entrée respiratoire, transmises par des particules en suspension dans l’air, sont: Mycobacterium tuberculosis , agent de la tuberculose; Streptococcus pneumoniae (le pneumocoque, agent de la pneumonie franche), les autres Streptocoques, les Staphylocoques, Hemophilus influenzae , agent fréquent de surinfection dans la grippe et autres maladies respiratoires virales; Bordetella pertussis , agent de la coqueluche; Neisseria meningitidis , agent de la méningite cérébro-spinale; Corynebacterium diphtheriae , agent de la diphtérie; Yersinia pestis , agent de la peste pulmonaire. Les principales espèces bactériennes incriminées en pathologie digestive, transmises par des substances ingérées ayant subi une contamination d’origine fécale, sont les Salmonella typhi et paratyphi , agents de la fièvre typhoïde, Vibrio cholerae et V. el tor , agents du choléra, Shigella dysenteriae , agent de la dysenterie bacillaire, Yersinia pseudotuberculosis , agent de la pseudo-tuberculose abdominale (adénite mésentérique); d’autres Salmonella , telles que Salmonella typhimurium , et d’autres Shigella , telles que Shigella sonnei , S. boydii ou S. flexneri , ainsi que Yersinia enterocolitica et les Escherichia coli entéropathogènes ou entérotoxinogènes sont incriminées dans des entérites fébriles non spécifiques. Certaines bactéries provoquent des infections systémiques d’origine contagieuse, par pénétration cutanée ou muqueuse: Bacillus anthracis , agent du charbon, maladie contagieuse de l’animal à l’homme, les Brucella , agents des fièvres ondulantes, dont la fièvre de Malte due à B. melitensis ; Treponema pallidum , agent de la syphilis, maladie à contagion sexuelle; Neisseria gonorrheae , agent de la gonococcie, maladie à contagion sexuelle ou congénitale; Clostridium tetani , agent du tétanos; Clostridium perfringens , agent de gangrènes gazeuses; les Leptospira , dont L. icterohaemorragiae , agent d’infections graves avec atteinte hépatique et rénale, acquises par contact avec des déjections de rats; Francisella tularensis , maladie commune à l’homme et à certains animaux sauvages (essentiellement les rongeurs). Dans d’autres cas, les bactéries responsables d’infections systémiques sont transmises par piqûre d’insectes vecteurs biologiques: c’est le cas habituel de Yersinia pestis dans la forme la plus fréquente de peste, la peste bubonique, dont le mode de contamination est la piqûre de puce, des Rickettsia transmises par les poux ou les tiques, des Borrelia , agents de fièvres récurrentes transmises par tiques, de Francisella tularensis dans la tularémie acquise par piqûre de tique.

Les toxines excrétées par les bactéries induisent des effets pathologiques indépendamment de la présence des bactéries dans l’organisme de l’hôte; c’est le cas notamment d’intoxications alimentaires dont les agents les plus fréquents sont les Staphylocoques, par l’intermédiaire de leur entérotoxine, et dont la plus grave est le botulisme dû à la toxine de Clostridium botulinum .

Le pouvoir pathogène des bactéries

Les bactéries se comportent dans l’organisme de l’hôte infecté comme des éléments étrangers à ses constituants, dotés de propriétés de parasitisme, capables de se développer à ses dépens et produisant des effets pathologiques par leur prolifération ou par l’intermédiaire de substances qu’elles synthétisent. La pathogénicité des bactéries est un paramètre qualitatif concernant la formation de lésions et leur nature. La virulence des bactéries peut se définir comme la mesure quantitative de la pathogénicité, elle est donc liée soit à la prolifération des bactéries, soit à l’intensité de libération de substances pathogènes telles que des toxines. Selon leur localisation dans les constituants de l’hôte infecté durant l’évolution de l’infection, les bactéries sont classées en bactéries à multiplication intracellulaire et bactéries à multiplication extracellulaire. Les premières (Mycobactéries, Listeria , Salmonella , Brucella , Yersinia , Rickettsia ...) sont capables de persister ou même de se répliquer dans le cytoplasme des cellules phagocytaires. Quant aux secondes, ou bien elles échappent à la phagocytose, grâce à des structures d’enveloppe de la cellule bactérienne (capsules, enveloppes protéiques), ou bien, au contraire, elles ne peuvent subsister que dans les espaces extracellulaires parce qu’elles ne résistent pas à la bactéricidie intracytoplasmique dans les cellules phagocytaires. Cette localisation des bactéries dans l’organisme de l’hôte conditionne l’efficacité des réactions immunitaires de celui-ci.

L’état d’infection, au sens large de contact intime avec des bactéries, est en fait le statut banal des organismes vivants dans des relations symbiotiques ou commensales d’un environnement normal (holoxénie), par opposition à la vie dans des conditions d’environnement exempt de micro-organismes (axénie). Le passage de cet état d’infection à celui de maladie infectieuse implique un déséquilibre dans les relations de l’hôte et des bactéries qui l’environnent au sein d’un même écosystème, parfois même couvrant ses surfaces épithéliales (flores bactériennes de la peau, du tube digestif, des voies aériennes supérieures...). L’induction du processus infectieux se fait soit par intrusion de bactéries dotées de pathogénicité particulièrement active (bactéries hautement virulentes, tels les bacilles de la tuberculose, de la peste ou de la tularémie), soit par la prolifération anormalement élevée de bactéries normalement présentes à la surface d’un tissu. Dans le second cas, la rupture d’équilibre biologique peut être provoquée soit par des traitements détruisant l’équilibre de la flore bactérienne préexistante (staphylococcies et streptococcies cutanées, entérites diverses, entre autres) ou modifiant l’intégrité de la surface d’un épithélium (surinfection de plaies ou de brûlures par des Staphylocoques, des Pseudomonas ...), soit par un affaiblissement plus ou moins étendu des fonctions immunitaires.

Le processus infectieux se déroule de façon diverse, selon les bactéries et selon les compétences immunitaires de l’hôte: invasion mortelle de l’organisme par prolifération bactérienne et libération de substances toxiques (toxines bactériennes ou endotoxine de la paroi des bactéries Gram négatives), infection immunisante efficace suivie de guérison avec stérilisation, infection immunisante laissant néanmoins persister un état de portage latent, infection «muette», immunisante ou non (primo-infection), ou infection latente pouvant être réactivée par une perturbation immunitaire.

L’étape première de déclenchement du processus infectieux est l’adhésion des bactéries aux surfaces épithéliales; on s’est aperçu que certaines structures de la cellule bactérienne, telles que les pili , intervenaient dans cette phase d’adhésion. L’invasivité est un caractère variable selon les espèces bactériennes. Certaines induisent des désordres étendus bien qu’elles ne franchissent pas les revêtements auxquels elles adhèrent (Vibrio cholerae , Escherichia coli entérotoxinogènes, Corynebacterium diphtheriae ...), d’autres peuvent franchir les barrières épithéliales et léser les tissus sous-jacents (les Shigella , les Salmonella et les Staphylocoques), enfin certaines espèces hautement pathogènes diffusent dans les tissus du système réticulo-endothélial, induisant une septicémie (Salmonella typhi , Yersinia pestis ...). L’invasivité intratissulaire de certaines bactéries serait due à la production d’enzymes telles que les hyaluronidases, coagulases, fibrinolysines, collagénases, etc. Des études expérimentales récentes ont montré que la mise en évidence des facteurs de virulence que constituent l’adhésivité et l’invasivité de certaines souches d’Escherichia coli , de Shigella ou de Yersinia était associée à l’existence de certains plasmides dans ces bactéries.

Les déterminants de pathogénicité essentiels de plusieurs bactéries sont des toxines exocellulaires; c’est le cas de Clostridium tetani , Cl. botulinum , Cl. perfringens , Corynebacterium diphtheriae , Bordetella pertussis , Vibrio cholerae et les Staphylococcus aureus , agents de toxi-infections alimentaires. Dans d’autres exemples, le rôle exact de la ou des toxines sécrétées par les bactéries n’est pas fermement établi en tant que facteur dominant de pathogénicité; c’est le cas de Yersinia pestis , Streptococcus pyogenes , Shigella dysenteriae , Escherichia coli , Yersinia enterocolitica .

L’identification précise des déterminants de virulence et de pathogénicité des bactéries est essentielle pour la compréhension des mécanismes de développement des maladies infectieuses et pour leur prévention par vaccination. Les seuls vaccins antibactériens dont l’efficacité soit indiscutée sont les vaccins antitoxiniques contre le tétanos, la diphtérie, du fait de la grande efficacité de neutralisation de la toxine (déterminant majeur de la pathogenèse de ces maladies) grâce aux anticorps élaborés par le sujet vacciné à l’aide des anatoxines (G. Ramon) que contiennent ces vaccins. Il est probable que les développements de la recherche en physiopathologie et en immunologie bactérienne permettront de mettre au point des vaccins aussi efficaces que les anatoxines pour la stimulation des réponses immunitaires spécifiques contre les déterminants de virulence et de pathogénicité qui restent à identifier chez la plupart des bactéries. Les antibiotiques restent par conséquent la seule thérapeutique efficace, dans les limites autorisées par la sélection des mutants polyrésistants.

bactériologie [ bakterjɔlɔʒi ] n. f.
• 1888; de bactérie et -logie
Partie de la microbiologie qui s'occupe des bactéries. Abrév. fam. BACTÉRIO .

bactériologie nom féminin Discipline consacrée à l'étude des bactéries.

bactériologie
n. f. Partie de la microbiologie qui étudie les bactéries et les infections bactériennes.

⇒BACTÉRIOLOGIE, subst. fém.
BIOL. Partie de la microbiologie qui étudie les bactéries et leurs propriétés au moyen de diverses méthodes : observation microscopique, la coloration, culture, etc. :
1. La génétique se rattache, par des liens étroits et divers, à la science des microbes ou bactériologie.
L. CUÉNOT, J. ROSTAND, Introd. à la génét., 1936, p. 111.
2. Tandis que ceux-ci réglementaient la thérapeutique opératoire propre à prévenir ces infections, notamment les septicémies streptococciques et la gangrène gazeuse, et à les traiter, la bactériologie des plaies de guerre a fait l'objet des patientes et minutieuses études de Pierre Delbet, Fiessinger, Louis Ramond, Sacquépée, Baumel, pour ne citer que quelques noms.
Ce que la France a apporté à la méd. dep. le début du XXe s., 1946, p. 17.
3. ... la virologie est à la bactériologie ce que l'atomistique est à la physique.
P. MORAND, Aux confins de la vie, 1955, p. 13.
SYNT. Bactériologie hygiénique ou sanitaire. ,,Consacrée principalement à l'étude des infections en relation avec l'ingestion d'eau, de lait, d'aliments etc., ou avec des facteurs ambiants particuliers, ainsi qu'à l'étude de la prévention de ces infections`` (Méd. Biol. t. 1 1970). Bactériologie médicale. ,,Qui se rapporte, aux maladies infectieuses humaines et animales`` (Ibid.). Bactériologie pathologique. ,,Qui étudie les effets produits sur l'organisme animal par les bactéries et les toxines bactériennes`` (Ibid.). Bactériologie systématique. ,,Qui étudie la classification et l'écologie des bactéries`` (Ibid.).
Rem. 1. 1re attest. 1888 (Gde Encyclop. : ,,Bactériologie. Science qui s'occupe de l'étude, de la recherche et de la culture des bactéries, plus spécialement envisagées au point de vue de la pathologie et de l'hygiène``); dér. de bactérie, suff. -logie. 2. Peut aussi être synon. de microbiologie (cf. ex. 1 et Méd. Biol. t. 1 1970).
PRONONC. :[].
STAT. — Fréq. abs. littér. :9.
BBG. — CHEVALLIER 1970. — GARNIER-DEL. 1961 [1958]. — HUSSON 1970. — Lar. méd. 1970. — Méd. 1966. — Méd. Biol. t. 1 1970.

bactériologie [bakteʀjɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1888; de bacterium (→ Bactérie), et -logie.
Didact. Partie de la microbiologie qui concerne les bactéries.Abrév. fam. bactério [bakteʀjo] n. f.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
DÉR. Bactériologique, bactériologiste.

Encyclopédie Universelle. 2012.