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SERBIE
SERBIE

La Serbie fut l’une des six républiques de la fédération des républiques socialistes de Yougoslavie (S.F.R.J.) proclamée le 29 novembre 1945 (appelée également «Deuxième Yougoslavie»). Avec son voisin le Monténégro, la Serbie forme la république fédérale de Yougoslavie créée le 27 avril 1992. Cette «Troisième Yougoslavie» est toujours privée de reconnaissance internationale au début de 1995. La Serbie est une république qui s’ouvre au nord sur la grande plaine danubienne et s’enfonce au sud au cœur de la péninsule balkanique. Située aux limites de l’Europe centrale et d’une superficie de 88 361 kilomètres carrés, elle a des frontières communes avec la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Sans accès direct à la mer, la Serbie est enclavée. Avec l’exacerbation du nationalisme postcommuniste, la question serbe réapparaît et la légitimation des stratégies politiques et territoriales fait référence à certaines périodes historiques estimées glorieuses. Les territoires serbes furent pourtant dans le passé l’objet de nombreuses transformations géographiques et politiques. La Serbie joue un rôle prépondérant dans les différents foyers de guerre civile de l’ex-Yougoslavie (Croatie et Bosnie-Herzégovine). Selon le recensement de mars 1991, elle comptait 9 791 475 habitants, dont 65,8 p. 100 de Serbes, 17,2 p. 100 d’Albanais, 3,5 p. 100 de Hongrois, 3,2 p. 100 de Yougoslaves, 2,4 p. 100 de Musulmans, 1,4 p. 100 de Monténégrins, 1,1 p. 100 de Croates, 1,4 p. 100 de Tsiganes. Toujours selon le même recensement, 24,6 p. 100 de Serbes vivent hors de Serbie.

Formation et reformation de l’État serbe

Les Slaves du Sud (Jugosloveni) arrivèrent dans la péninsule balkanique au VIe siècle et surtout au début du VIIe, avec tout d’abord les actuels Macédoniens et Slovènes, puis, appelés par l’empereur byzantin Héraclius, Croates et Serbes venus du sud de la Pologne. Peu différents les uns des autres, ils étaient encore indifféremment appelés Croates ou Serbes au XIe siècle. Aux IXe et Xe siècles, on peut parler non pas d’un État serbe, mais bien de plusieurs États serbes (Raška, Duklja, Zahumlje, Neretvljanska, Konavli et Travunja), c’est-à-dire des unions de tribus souvent dépendantes de l’Empire byzantin. Des périodes d’indépendance allaient se succéder au Moyen Âge avec deux États principaux: Raška et Zeta (ancienne appellation du Monténégro). La dynastie des Nemanji が (1170-1371), fondée par Nemanja, joua un grand rôle dans l’émergence d’un territoire serbe politiquement libéré de l’autorité byzantine, avec toutefois des changements territoriaux perpétuels. C’est aussi à cette époque que se forma l’Église orthodoxe serbe autocéphale, créée par Sava, le fils de Nemanja. La christianisation s’était faite dès le IXe siècle avec Cyrille et Méthode envoyés par Byzance. Sava (1174-1235) proposa à son père des assises spirituelles au nouvel État serbe et devint le premier évêque de l’Église serbe. L’orthodoxie devenait religion d’État. D’abord à face="EU Caron" ォi face="EU Caron" カa (1219), le siège fut transféré en 1250 à Pe が (Kosovo).

Grâce à la politique de conquête du tsar Dušan (1331-1355), le territoire serbe constituait l’État le plus puissant des Balkans, comprenant la Serbie à partir du Danube, une partie de la Bosnie, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine, l’Albanie et la Grèce du Nord jusqu’au golfe de Corinthe. Ambitieux, Dušan espérait supplanter l’Empire byzantin. La Serbie médiévale se caractérise également par une grande richesse artistique, un art inspiré essentiellement de la religion orthodoxe et de la culture byzantine, tant sur le plan de l’architecture, avec la construction de multiples monastères (Sopo face="EU Caron" カani, De face="EU Caron" カani, Studenica...), que des fresques religieuses. Cependant, l’ambition et les intérêts particuliers des principaux despotes serbes rivaux empêchèrent une union forte et une organisation politique et militaire efficace. Éphémère (seulement vingt-quatre ans), l’empire de Dušan allait peu à peu être reconquis par l’Empire ottoman. Le moment symbolique de la chute des Serbes fut la bataille de Kosovo Polje, le 28 juin 1389. Même si les deux protagonistes principaux, serbe (Lazar Hrebeljanovi が) et turc (Mourad Ier), y trouvèrent la mort, la victoire ottomane annonçait l’occupation complète et rapide du territoire serbe. Actuellement, cette bataille représente un des symboles de l’identité nationale serbe. Avec la chute de Smederevo (1459), qui était alors la capitale, l’État serbe perd toute autonomie et passe sous la domination ottomane.

L’occupation ottomane

Les territoires serbes, qui devaient plus tard devenir des États (Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Macédoine), connurent sous le régime turc des développements spécifiques qui allaient fonder leur histoire nationale. En Serbie, la population, principalement agricole, n’acceptait pas facilement la domination étrangère et organisa des révoltes, avec l’aide de l’Église orthodoxe qui essayait de créer une conscience nationale serbe. S’il est vrai que la Sublime Porte fit preuve, à maintes reprises, d’incompréhension et de laxisme, guidée par un sentiment de supériorité vis-à-vis des autochtones, l’autorité turque allait évoluer au cours des siècles. L’empire ottoman fondait son État sur la spécificité musulmane, mais il n’y a pas eu islamisation forcée mais conversions volontaires. Ces conversions se faisaient pour des raisons administratives (postes élevés dans l’administration turque) ou fiscales. À côté de la spécificité musulmane de l’État, un règlement organique (kânûnname ) autorisait une certaine cohabitation des musulmans et des non-musulmans: maintien des langues locales, des spécificités culturelles, des religions. Ces communautés ethnico-religieuses étaient désignées sous le nom de millets . De plus, le zimmî conférait aux juifs ou aux chrétiens un statut de protégé qui les autorisait à pratiquer leur religion dans leurs propres lieux de culte. Le zimmî (selon la loi islamique, char 稜’a , tirée du Coran) représentait un réel contraste avec les territoires autrichiens ou hongrois, où l’on pratiquait conversions forcées et persécutions des populations orthodoxes (sauf dans les Confins militaires, les krajina ) ou israélites. En contrepartie, la soumission au sultan était totale. Le peuple devait fournir impôts et soldats. De jeunes garçons pris dans la population chrétienne étaient enrôlés de force dans le corps d’infanterie du sultan, les janissaires. Ils étaient obligatoirement islamisés et circoncis. Les plus brillants étaient destinés à des postes civils ou militaires à responsabilité (administration, services du palais). Le «ramassage» des janissaires (devchirme ) était la hantise des autochtones.

Pendant cette période, de nombreuses vagues d’émigration eurent lieu. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des Serbes fuirent l’Empire ottoman et s’installèrent dans une partie du territoire alors occupé par l’Autriche (actuelle Croatie) disposé en croissant autour de la Bosnie-Herzégovine, les Confins militaires. Au service des Habsbourg, ils devaient servir dans l’armée pour faire la guerre ou encore mater les différentes insurrections. En contrepartie, des privilèges leur furent accordés (associations religieuses et culturelles). Entre 1690 et 1694, un exode massif de plus de 200 000 Serbes eut lieu du Kosovo vers la région de Sremski Karlovci. Karlovac remplaça le patriarcat de Pe が aboli par les Turcs. En Vojvodine, l’Empire austro-hongrois mena une politique de repeuplement au XVIIIe siècle.

Idée et émancipation nationales

Au XIXe siècle, la vie des régions balkaniques allait profondément changer avec la renaissance nationale et ses nombreuses révoltes, et cela plus particulièrement dans les régions sous occupation ottomane. La bourgeoisie serbe souhaitait créer un État spécifique doté d’une organisation politique territoriale (administration, armée, police, industrie nationale, commerce, etc.). Les insurrections nationales se multiplièrent, mais celle que dirigeait Djordje Petrovi が (dit Karadjordje) en 1804 en Šumadija se solda par un échec. Des rivalités entre les Petrovi が et les Obrenovi が devaient conduire à l’assassinat de Karadjordje en 1817. L’insurrection de 1815, dirigée cette fois-ci par Miloš Obrenovi が, plus diplomate que son rival, permit à la Serbie d’obtenir les districts de Niš et de Pirot. Grâce à une entente avec les Ottomans, l’autonomie de la principauté de Serbie fut reconnue en 1830. Cependant, il fallut attendre le Congrès de Berlin (13 juill. 1878) pour une indépendance complète de la Serbie. L’idéologie nationale serbe, mise en place par l’élite, allait peu à peu gagner la conscience populaire avec ses conceptions de l’identité, de la communauté nationale. Néanmoins, les discours nationalistes ne correspondaient pas forcément à une réalité sociale. En effet, il n’y avait pas, à proprement parler, de nation serbe en tant que construction politique, formée d’une façon précise, responsable et capable d’exprimer clairement une identité serbe commune intrinsèque. Il n’existait pas de nation serbe avant la création du nationalisme serbe. Différents projets nationaux furent représentés, certains prônant l’universalisme, le cosmopolitisme (influence de la philosophie des Lumières) et l’union des Slaves du Sud et des autres peuples dans un même État, d’autres préférant des cadres étatiques plus exclusifs avec une politique territoriale impérialiste.

C’est aussi au XIXe siècle qu’eut lieu la réforme linguistique. Les territoires des Slaves du Sud se caractérisaient par de nombreux dialectes. En Slovénie, Jernej Kopitar (1780-1844) avait déjà montré comment construire une langue littéraire sur un dialecte populaire. Les politiciens défenseurs de l’idée yougoslave voulaient arriver à une unification linguistique, afin d’encourager un sentiment national commun. Le Croate Ljudevit Gaj (1809-1872), chef du mouvement unitaire illyrien qui avait pour but d’unifier tous les Slaves du Sud, et le Serbe Vuk Karad face="EU Caron" ゼi が (1787-1864) contribuèrent à la création de la langue serbo-croate (ou croato-serbe). On trouvait alors trois dialectes (sans compter le slovène et le macédonien) qui servirent à l’élaboration du serbo-croate: le štokavien, le kajkavien et le face="EU Caron" カakavien. Le territoire kajkavien était situé au nord-ouest de la Croatie, autour de Zagreb, et le territoire face="EU Caron" カakavien se réduisait à une partie du littoral et des îles (Istrie et une partie de la Dalmatie). Le štokavien était utilisé par le reste des Croates et par tous les Serbes, Monténégrins et Slaves islamisés, c’est-à-dire en Croatie, Bosnie-Herzégovine, Vojvodine, Serbie et Monténégro. Bien que Zagreb, centre politique et culturel des Croates, fût situé au centre du territoire kajkavien, Ljudevit Gaj choisit le dialecte štokavien pour édifier la langue littéraire croate et publier les journaux du mouvement illyrien. L’alphabet cyrillique fut majoritairement adopté en Serbie.

L’indépendance

Comme toutes les régions dominées par l’Empire ottoman, la Serbie était profondément arriérée sur le plan économique et allait peu bénéficier des répercussions de la révolution industrielle. Fortement rurale (90 p. 100 de la population), elle se caractérisait par une communauté familiale patriarcale (la zadruga ) qui prenait la forme d’une organisation sociale, économique et rurale. Soucieuse d’une politique territoriale ambitieuse, la Serbie ne sut pas profiter de son émancipation nationale précoce et gaspilla ses atouts dans des dépenses militaires et administratives excessives. Les secteurs miniers, industriels et bancaires ainsi que les infrastructures étaient faiblement développés, avec cependant une exception pour le petit commerce et l’artisanat. Ces secteurs connurent un essor à partir de 1903, lorsque la Serbie se libéra de la dépendance économique autrichienne. Elle obtint également des crédits de certains pays européens. L’Europe, par l’intermédiaire de l’Empire austro-hongrois qui occupait la Bosnie-Herzégovine depuis le Congrès de Berlin, avait la possibilité de surveiller les activités des nouveaux États indépendants (Serbie et Monténégro), ainsi que celles de l’Empire ottoman décadent. L’Autriche, fortement germanisée, tentait une politique expansionniste surtout économique vers la mer par Salonique, et tenait à sa merci le commerce extérieur de la Serbie. En effet, celle-ci restait enclavée et ne pouvait pas bénéficier du débouché maritime du Monténégro, pays frère, ces deux États restant séparés par le sand face="EU Caron" ゼak musulman de Novi Pazar. L’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 par l’Autriche-Hongrie allait à la fois envenimer les relations serbo-autrichiennes et accélérer le processus de libération des territoires sous domination ottomane. La dernière phase de l’agrandissement de la Serbie se termina avec la première guerre balkanique (1912-1913) à l’issue de laquelle il ne restait plus rien des possessions turques en Europe. Les quatre États de la Ligue balkanique (Serbie, Monténégro, Grèce et Bulgarie) déclarèrent la guerre à la Turquie, et le traité de Londres (30 mai 1913) ratifia la libération de la Macédoine, du Kosovo et du sand face="EU Caron" ゼak de Novi Pazar. Les pactes militaires de la Ligue balkanique furent rompus en juin 1913, lorsque la Bulgarie attaqua la Grèce et la Serbie pour contrecarrer les visées territoriales de ces deux pays sur la Macédoine nouvellement libérée. Par le traité de Bucarest (10 août 1913), la Serbie recevait 39,2 p. 100, soit 26 700 kilomètres carrés, de territoires macédoniens.

Sur le plan politique, la Serbie devint un royaume, et la Constitution de 1888 instaura un pouvoir monarchique parlementaire. Après l’assassinat du roi Alexandre en 1903, la dynastie des Karadjordjevi が remplaça celle des Obrenovi が. La Constitution de 1903 institua un régime parlementaire relativement démocratique: pluripartisme politique (parti radical, parti social-démocrate, parti indépendant, parti libéral indépendant et parti républicain étaient les plus importants), liberté de la presse, de conscience, d’opinion et de réunion. La direction de l’État était exercée par le roi (Petar Ier) qui n’avait cependant qu’un rôle très limité; le véritable pouvoir était détenu par la Chambre des députés (Narodna Skupština), issue du suffrage universel. Le développement de la démocratie en Serbie allait être interrompu par la Première Guerre mondiale.

Le 28 juin 1914, François-Ferdinand d’Autriche fut assassiné à Sarajevo par Gavrilo Princip, membre de l’organisation révolutionnaire La Jeune Bosnie, organisation active dans les territoires dalmates, croates et bosniaques encore occupés. Ce meurtre, qui dénonçait la politique impérialiste autrichienne dans les Balkans et l’annexion de la Bosnie en 1908, fut pour l’Autriche l’occasion idéale de déclarer la guerre à la Serbie. Aucune négociation ne fut engagée. Les offensives allemandes et bulgares en 1915 forcèrent l’armée royale à se retrancher à Corfou. Cette guerre, qui entraîna pour la Serbie de lourds sacrifices et des pertes en vies humaines, confirma l’effondrement de l’Empire austro-hongrois. La Déclaration de Corfou en juillet 1917 allait donner naissance au royaume yougoslave.

Le 1er décembre 1918, le régent Alexandar Karadjordjevi が proclama la création du royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Cependant, si l’idée yougoslave, c’est-à-dire la réunion des Slaves du Sud, avait triomphé, l’esprit démocratique apparu en 1903 faisait défaut. Centralistes, les principaux partis politiques serbes étaient favorables à l’expansion territoriale sans partage du pouvoir, et l’opposition était souvent réprimée. Avantagée par une population plus nombreuse, l’élite serbe devint rapidement dominatrice dans ce royaume baptisé Yougoslavie en 1929 où elle jouissait pleinement des pouvoirs politiques, administratifs et militaires.

La dictature fut instaurée en janvier 1929 par le roi Alexandre Ier qui fut assassiné le 9 octobre 1934 à Marseille. La déception ressentie face à cette première Yougoslavie centraliste autoritaire isola les peuples du royaume qui résistaient chacun à leur façon dans ce nouvel État commun. Le facteur économique joua un rôle déstabilisateur et creusa un fossé entre des régions à développement inégal. Les conflits intérieurs liés aux rivalités politiques, en particulier entre Serbes et Croates, s’exacerbèrent et culminèrent au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Le 27 mars 1941, sous la pression des manifestations, le gouvernement Cvetkovi が-Macek dut annuler l’adhésion du royaume au Pacte tripartite signé deux jours plus tôt. En représailles, Hitler bombarda Belgrade le 6 avril et, le 18 avril, la capitulation fut signée. La Serbie fut occupée par l’Allemagne nazie et par ses alliés hongrois, bulgares et albanais. Trois courants antagonistes s’opposaient dans le royaume de Yougoslavie: les tchetnik , royalistes serbes dirigés par le colonel de l’armée royale Dra face="EU Caron" ゼa Mihajlovi が, les partizani réunis autour de Josip Broz Tito, chef du Parti communiste yougoslave, et le courant fasciste croate des oustacha dirigé par Ante Paveli が. Le retrait des troupes ennemies en 1945 confirma la victoire du Parti communiste yougoslave, et la Yougoslavie socialiste fut proclamée le 29 novembre 1945.

Vers l’exacerbation de la question nationale

La politique titiste avait préparé le terrain aux solutions régionales et locales, et par conséquent nationales: non seulement par une politique nationale insatisfaisante pour tous et l’absence d’une supranationalité yougoslave réellement fonctionnelle, mais encore par une décentralisation économique systématique sans concertation nationale, ce qui allait creuser les inégalités entre républiques riches et républiques pauvres. Tout en restant un État fédéral et non national (la Fédération ne représentait pas une nation particulière), des tendances nationalistes allaient se développer et s’intensifier dans tout le pays. Il y avait imbrication des questions politiques, économiques et nationales.

Pour les nationalistes serbes actuels, la politique titiste était antiserbe, et la trahison leur apparaît évidente avec la Constitution de 1974 qui les privait du contrôle de leurs propres territoires: la Vojvodine et le Kosovo obtenaient un statut de province autonome. Cette mesure fut ressentie par les Serbes comme une tentative d’affaiblissement du peuple serbe et de la Serbie. Pour les Serbes nationalistes, la Fédération yougoslave est considérée comme un accident au cours duquel le développement du dessein national aurait été dévié et où la question serbe n’aurait pas été résolue.

Au début des années 1990, l’éclatement de la Yougoslavie paraissait inéluctable, même si aucun des citoyens n’avait été consulté. Si Slovènes et Croates défendaient l’idée d’une Confédération d’États souverains, avec cependant un flou constitutionnel à propos des questions nationales, la majorité serbe optait pour le maintien de la Fédération. Cependant, ce courant serbe était fortement nationaliste et populiste. Le leader, Slobodan Miloševi が, défenseur du centralisme, avait repris en main depuis 1987 la Ligue des communistes yougoslaves (S.K.J.) et, dès 1988, prônait la souveraineté serbe sur les provinces autonomes du Kosovo et de la Vojvodine. Une dynamique dictatoriale, autoritaire et répressive fut mise en place. Au Kosovo, sous la pression des difficultés socio-économiques, les conflits entre Serbes et Monténégrins minoritaires et la communauté albanaise largement majoritaire renforcèrent un racisme antialbanais. Un grand nombre d’intellectuels jouèrent un rôle prépondérant (ainsi que les médias) dans la propagation de l’idéologie nationaliste serbe. Le texte critique écrit en 1986 par des membres de l’Académie des sciences et des arts de Belgrade (Memorandum) appelle à la reconquête de la souveraineté des Serbes, notamment sur les provinces autonomes, à la formation d’un État exclusivement serbe et dénonce la discrimination des Serbes dans la Yougoslavie titiste au profit des autres nationalités. Un de ses auteurs, Dobrisa face="EU Caron" アosi が, sera président de la nouvelle Yougoslavie de juin 1992 à juin 1993. Ce texte va largement inspirer Miloševi が. Jouissant d’une grande popularité, celui-ci va faire adopter la révision de la Constitution, supprimant l’autonomie du Kosovo et de la Vojvodine (28 mars 1989).

L’implosion de la Fédération

L’année 1990 se caractérisa par la dissolution de la Ligue des communistes et la mise en place d’élections libres avec une multitude de partis politiques aux programmes majoritairement nationalistes, confus et abstraits. Le Parti socialiste (ex-communiste) obtint une majorité écrasante au Parlement serbe, et Slobodan Miloševi が devint président de la République de Serbie. Les mesures autoritaires furent renforcées au Kosovo afin d’empêcher les Albanais de s’autodéterminer (arrestations, licenciements, fermeture des écoles, etc.). Le leader du Parti démocratique du Kosovo, Ibrahim Rugova, prônant une résistance pacifique mais favorable à l’indépendance du Kosovo, était élu président de la «République du Kosovo» (non reconnue par la communauté internationale) en mai 1992. L’éventualité d’une sécession du Kosovo est perçue par les Serbes comme inadmissible, tant ils se sentent liés culturellement à cette région qui, pour eux, symbolise le noyau de l’État serbe et qui est le berceau de l’Église autocéphale serbe créée au XIIIe siècle. Incarnation de leur identité religieuse, elle abrite la plupart des monastères orthodoxes.

Avec le renouveau religieux, l’Église orthodoxe serbe, «gardienne de tous les Serbes», exerce une influence croissante et réoccupe l’espace public, attisant souvent les haines entre les différents groupes nationaux. Chacun s’enferme dans sa propre communauté nationale et lutte contre le particularisme. En Vojvodine, des actes d’intimidation sont perpétrés par le parti d’extrême droite conduit par Vojislav Šešelj, et les membres des minorités nationales se sentent agressés (forte communauté hongroise). Le sentiment de malaise est d’autant plus vif que la Vojvodine, qui n’avait jamais fait partie de la Serbie avant 1918, est marquée par le souvenir toujours vivace d’une coexistence relativement harmonieuse, certainement la plus sereine de toute l’ex-Yougoslavie. Le Sand face="EU Caron" ゼak (région à cheval sur la Serbie et le Monténégro) est lui aussi source d’affrontements entre Musulmans d’un côté et Serbes et Monténégrins de l’autre. Des tendances séparatistes s’affirment avec notamment, en octobre 1991, le référendum (non reconnu par Belgrade) décidant de l’indépendance du Sand face="EU Caron" ゼak et l’élection de son président Sulejman Ugljanin, leader du parti de l’Action démocratique du Sand face="EU Caron" ゼak (branche de la formation du président musulman de Bosnie-Herzégovine, Alija Izetbegovi が). Officiellement, c’est-à-dire selon la Constitution serbe, la Serbie est «l’État démocratique de tous les citoyens qui y vivent», mais en réalité l’idéologie nationaliste est prédominante et altère les bonnes relations entre les différentes communautés.

Consolidation d’un État autoritaire

La victoire écrasante de Miloševi が avec l’aide du parti d’extrême droite de Vojislav Šešelj va se confirmer. Les élections législatives de décembre 1992 voient la défaite du Premier ministre libéral Milan Pani が ouvert au dialogue entre les différentes communautés nationales: Albanais du Kosovo, Hongrois de Vojvodine, Croates de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, Musulmans de Bosnie-Herzégovine. En outre, la destitution du président de la République fédérale de Yougoslavie Dobrisa face="EU Caron" アosi が, le 1er juin 1993, confirme la volonté de Slobodan Miloševi が d’instaurer un pouvoir sans partage et sans contestation. Un pouvoir autoritaire déstructure rapidement la société. Le parti de Miloševi が contrôle les médias (grande vague d’épuration politique et nationale en janvier 1993) utiles pour la propagande nationaliste, ainsi que les organes étatiques, la bureaucratie, les appareils idéologiques et répressifs (armée, justice, police). En juin 1991, l’armée fédérale est intervenue en Slovénie pour défendre les frontières de la Fédération. Alors que la tradition militaire titiste n’était pas grand-serbe (avec un commandement multiethnique et des cadres intermédiaires à majorité serbe en raison de la représentation ethnique proportionnelle), l’armée devint serbe avec la guerre en Croatie et la démission des Slovènes et des Croates des postes de commandement. Elle réquisitionna tout le matériel lourd et se rangea du côté de la cause serbe, conférant une supériorité militaire écrasante aux Serbes sécessionnistes de Croatie (Krajina et Slavonie) et de Bosnie-Herzégovine. Même si les responsabilités des leaders nationalistes dans la guerre en Bosnie-Herzégovine et en Croatie (ainsi que des groupes nationaux légitimant leurs actions) sont partagées, elles ne le sont pas dans les mêmes proportions. Les projets d’union de tous les Serbes, c’est-à-dire le rattachement des territoires des Serbes de Krajina et Slavonie et de Bosnie-Herzégovine à la Serbie, sont soutenus par Slobodan Miloševi が, même si ce dernier, sous la pression des Occidentaux, a officiellement promis de ne plus apporter d’aides militaires et économiques à Radovan Karad face="EU Caron" ゼi が (août 1994). Avec ces promesses, Miloševi が espère obtenir l’allègement des sanctions économiques exercées contre la Serbie. La guerre bosniaque a montré l’impuissance de la communauté internationale devant les fragmentations géographiques et son incapacité à gérer un conflit au cœur de l’Europe. Ce conflit meurtrier traduit également l’absence de solutions suffisamment dissuasives pour contrer toute tentative de création de nouveaux États par la force. Les différents plans de paix envisagés par les grandes puissances ont été refusés dans la plupart des cas par Miloševi が, ainsi que la reconnaissance des frontières de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie. L’armée serbe est intégrée à la stratégie du pouvoir: elle est souvent chargée, avec la complicité des «írréguliers» (milices), des actions les plus brutales qui accompagnent la sinistre politique de «nettoyage ethnique» (pratiquée également par Croates et Musulmans mais dans une moindre mesure). Avec cette réorganisation nationale (déplacement de populations, assimilation forcée ou encore assassinat), il s’agit de créer des territoires avec une majorité nationale, ce qui est extrêmement difficile dans cette partie des Balkans où les populations ont été déplacées au cours de l’histoire pour des raisons géostratégiques et politiques.

L’économie serbe souffre cruellement de la guerre: capitaux investis dans le matériel militaire, inflation plus que galopante, chômage, diminution drastique du pouvoir d’achat, etc. L’aide fournie par la Serbie aux Serbes de Bosnie est évaluée entre 20 et 40 p. 100 du produit intérieur brut. De plus, l’embargo total sur toutes les importations et exportations (pétrolier, aérien, militaire, commercial, culturel et sportif) décidé en mai 1992 par le Conseil de sécurité des Nations unies contre la Serbie et le Monténégro augmente le désarroi d’une population déjà fortement paupérisée. Les mesures internationales n’ont fait que conforter l’équipe nationaliste au pouvoir et favoriser le développement de trafics en tous genres et de groupes mafieux. Un programme de stabilisation du dinar a été mis en place en janvier 1994 par Dragoslav Avramovi が.

Malgré des conditions de vie difficiles, Miloševi が continue de recevoir un large soutien de la population. L’opposition politique (Parti démocrate, parti du Renouveau serbe...) reste assez divisée. Les mouvements non nationalistes (Mouvement civique de la résistance, le groupe de réflexion d’intellectuels de différentes origines nationales L’Autre Serbie, Les Femmes en noir...) demeurent largement minoritaires et n’ont pratiquement reçu aucun soutien de la communauté internationale. Pour les partis politiques les plus importants de l’opposition, il s’agit plus de stratégies liées à la prise du pouvoir que de luttes idéologiques véritables critiquant réellement le pouvoir en place et sa politique d’expansion territoriale. En Serbie, des attitudes xénophobes se manifestent à l’encontre des centaines de milliers de réfugiés de Croatie ou de Bosnie-Herzégovine. Quelques médias indépendants (radio B 92 et télévision N.T.V. Studio B) mènent des campagnes d’information critiques contre la politique nationaliste belliqueuse du pouvoir. La presse libre est muselée par ce dernier et dépend de son bon vouloir pour l’approvisionnement en papier; Borba (quotidien) et Vreme (hebdomadaire) étaient les organes indépendants les plus importants. Cependant, en décembre 1994, Miloševi が a mis Borba en liquidation financière et judiciaire. Dans tous les cas, les médias libres souffrent de moyens financiers insuffisants ainsi que des attaques parfois virulentes des nationalistes (destruction du matériel, agressions physiques, etc.).

La Serbie proprement dite ne dispose d’aucun débouché maritime, et cette situation n’est pas sans conséquence sur sa politique d’expansion territoriale. Certes, la république du Monténégro avec qui elle s’est associée (sans lui donner cependant beaucoup de poids politique) lui offre un inestimable débouché sur la mer. Et c’est pour cette raison que la Serbie ne voit pas d’un bon œil l’affirmation d’une identité monténégrine spécifique et le souhait du Monténégro de devenir une république indépendante. C’est entre autres le besoin d’ouverture géostratégique qui va pousser les Serbes de Serbie à soutenir la politique d’expansion territoriale des Serbes de Croatie et de BosnieHerzégovine.

Serbie
(en serbe Srbija) rép. fédérée de Yougoslavie (constituée en 1992 par la Serbie et le Monténégro); 88 361 km² (avec les territ. de Vojvodine et du Kosovo); 9 656 000 hab.; cap. Belgrade. Géogr. et écon. - La région s'étend sur les massifs des Balkans et du Rhodope, coupés de bassins et arrosés par la Morava (hormis dans le N., où se trouve la Vojvodine). L'agriculture est dominante: céréales (maïs, surtout), élevage. Import. ressources minières et énergétiques: lignite, cuivre, antimoine, hydroélectricité; industries de transformation (dans la vallée de la Morava et à Belgrade). Hist. - Rattachée à la prov. romaine de Mésie, envahie vers le VIIe s. par les Serbes, la région, christianisée au IXe s., fut disputée par les Byzantins et les Bulgares. Elle forma un royaume indép. en 1180 et eut une église autonome v. 1220. Elle s'agrandit notablement sous la dynastie des Nemanjic (XIIe-XIVe s.) mais, après le règne glorieux d'Étienne Douchan (1331-1355), elle fut conquise par les Turcs après la défaite de Kosovo (1389). Malgré l'aide des Habsbourg au XVIIIe s. et plus. soulèvements violents, l'occupation, très dure, s'exerça jusqu' en 1815. Dirigée par Karageorges, une insurrection échoua (1804-1813). Milos Obrenovic, qui reprit la lutte, obtint en 1830 que la Turquie reconnaisse la Serbie comme principauté auton. sous la suzeraineté turque. Le pouvoir fut disputé durant le XIXe s. entre deux familles: les Obrenovic et les Karadjordjevic. (V. Karageorges.) Placée sous la protection des puissances européennes par le traité de Paris (1856), la Serbie, totalement indép. en 1878, forma un royaume héréditaire en 1882 au profit des Obrenovic. Un mouvement nationaliste se développa, qui prétendait libérer et unir tous les Slaves du Sud en s'appuyant sur la Russie. Après les guerres balkaniques (1912-1913), il provoqua l'hostilité de l'Autriche, qui lui déclara la guerre le 28 juillet 1914 à la suite de l'attentat de Sarajevo (28 juin 1914). Durement éprouvée par l'occupation germano-bulgare (1915-1918), délivrée par les Alliés, la Serbie domina le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, créé en 1918 et dénommé Yougoslavie en 1931. En 1945, elle devint république fédérée au sein de la Yougoslavie. Alors que le communisme s'effondrait dans l'orbite sov. (1989), Slobodan Milosevic, président de la Ligue communiste de Serbie dep. 1986, fut élu prés. de la Rép. féd. de Serbie et adopta une politique nationaliste. En 1990, il nomma Parti socialiste la Ligue. Les Serbes, qui dominaient la Yougoslavie, réprimèrent les soulèvement des Albanais au Kosovo et des Hongrois en Vojvodine, prov. dont ils abolirent l'autonomie. En 1991, ils tentèrent de maintenir par la force une fédération de Yougoslavie où la Serbie dominerait les autres rép., qui désiraient leur indép. Dès mai 1991, les conflits éclatèrent dans ces rép. entre les minorités serbes et les majorités autochtones. En juin-juillet, la Croatie et la Slovénie proclamèrent leur indép. et l'armée fédérale, essentiellement serbe, intervint. La Macédoine fut indép. en sept. En janv. 1992, la C.é.E. reconnut (peu apr. l'Allemagne) l'indép. de la Croatie et celle de la Slovénie. Puis ce fut le tour de la Bosnie-Herzégovine (fin fév. - déb. mars), dont la C.é.E. reconnut l'indép. le 6 avril. Le 27 avril, la Serbie constitua une nouv. Rép. fédérale de Yougoslavie avec le Monténégro. De même qu'elle avait soutenu les Serbes en Croatie, elle soutint ceux de Bosnie (30 %, orthodoxes) contre les Slaves musulmans (près de 50%) et les Croates (20 %, cathol.), menant une guerre atroce. Le Parti socialiste de Milosevic (réélu prés.) domine dès lors la vie politique. Comme en Bosnie et en Croatie, la Serbie a pratiqué la "purification ethnique" (visant à chasser les non-Serbes) au Kosovo, au Sandjak et en Vojvodine. En 1994, pour mettre fin à son isolement international, Milosevic s'est désolidarisé des Serbes de Bosnie et en nov. 1995 il a signé les accords de Dayton. (V. Bosnie-Herzégovine.) En nov. 1996, l'opposition gagne les élections municipales dans quatorze villes de Serbie, dont Belgrade, mais doit manifester quotidiennement pendant trois mois pour que Slobodan Milosevic accepte officiellement cette victoire (fév. 1997). En 1997, ce dernier est élu président de la Fédération de Yougoslavie. Ne pouvant briguer un troisième mandat en Serbie, il fait élire Milan Milutinevic (déc. 97). En mars 1998, la Serbie réprime durement les manifestations des Albanais du Kosovo.

Encyclopédie Universelle. 2012.