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SYNDICALISME
SYNDICALISME

On ne peut parler de mouvement ouvrier avant la révolution industrielle. Cela ne veut cependant point dire qu’il n’y avait pas, auparavant, de travailleurs organisés au sein d’institutions spécifiques, mais les corporations relèvent d’une autre logique que celle du syndicalisme né du machinisme et de la séparation du travail et du capital.

Les syndicats ont pour objectif général la défense des intérêts des salariés face aux intérêts des employeurs. Leur fonction ainsi définie, on pourrait penser que les mouvements syndicaux, tels qu’ils se sont développés dans les divers pays à la faveur de l’extension progressive de la révolution industrielle, sont fondamentalement semblables.

Or, il n’en est rien. En effet, l’étude comparative des organisations syndicales actuelles montre qu’il en existe une variété considérable et, de plus, qu’elles présentent entre elles de véritables antagonismes. À l’origine de ces antagonismes, il y a la diversité des sociétés globales dont l’institution syndicale est une des expressions. C’est ainsi qu’une véritable coupure s’est progressivement instaurée entre, d’une part, le syndicalisme des pays «occidentaux» industrialisés et, d’autre part, celui des pays de l’Est européen ainsi que d’une partie des États du Tiers Monde. Au sein de chacune de ces grandes catégories on peut observer des particularités nationales parfois très accusées. Enfin, à l’intérieur d’un seul et même pays peuvent coexister des orientations syndicales fort différentes (pluralité des centrales).

L’idée d’une typologie du syndicalisme mondial s’impose donc naturellement. Son intérêt serait de dégager des caractéristiques fondamentales, de faire ressortir quelques grands types en faisant abstraction de la spécificité de chaque syndicat national. Paradoxalement, ce n’est qu’au prix de cette abstraction, par la mise en valeur prioritaire de ce qu’il peut y avoir de commun entre les syndicats d’un même type, que l’on pourra le mieux appréhender la nature propre de chaque syndicat, pris isolément. En même temps, une typologie du syndicalisme mondial permet de mieux comprendre la nature des sociétés globales concernées.

Il importe certes de garder à l’esprit qu’une typologie, quel que soit son objet, reste toujours une construction qui, sans être pour autant arbitraire, implique un choix de critères dont la validité peut toujours prêter à discussion. Du moins doit-on exiger de cette construction typologique qu’elle s’appuie sur des données sûres et contrôlables.

1. La naissance du mouvement syndical

Trois caractéristiques marquent l’histoire du mouvement syndical ouvrier dans les grandes nations occidentales, les premières à s’industrialiser: une série de révoltes ouvrières, la lutte pour imposer la reconnaissance légale, les efforts pour trouver des formes d’organisation originales.

Partout, les premières manifestations spécifiquement ouvrières sont violentes. Les nouvelles machines sont perçues comme créatrices de chômage. Aussi presque tous les pays s’éveillant à l’industrie connaissent-ils des troubles analogues au « luddisme », du nom des bris de machines et émeutes survenus en 1811 dans les Midlands et dont la responsabilité fut attribuée à un certain Ludd. Mais, bien plus encore, l’exploitation qui n’est contestée par personne et la misère ouvrière qui caractérisent la première phase du capitalisme et que révèlent en Grande-Bretagne les rapports des inspecteurs de fabrique ou en France les enquêtes ouvrières comme celle du docteur Villerme se traduisent par des révoltes réprimées avec violence; celle des canuts de la Croix-Rousse à Lyon (1831) est l’une des plus célèbres. La classe ouvrière cherche parfois aussi une issue à ses problèmes dans l’agitation politique, comme en Grande-Bretagne avec le mouvement chartiste.

Le libéralisme économique est la doctrine dominante des débuts de l’industrialisation capitaliste. Le «laissez-faire, laissez-passer» qui le résume est cependant à sens unique, puisque la liberté commerciale s’accompagne partout de l’interdiction des organisations de défense des salariés. La loi Le Chapelier (1791) en France, les Combination Acts (1799 et 1800) en Grande-Bretagne s’inscrivent dans cette perspective d’une suppression des corps intermédiaires entre l’État et l’individu. Sous l’impulsion de fortes individualités, par exemple le maître tailleur Francis Place en Grande-Bretagne, ou d’hommes politiques qui veulent légaliser l’organisation ouvrière pour la discipliner, comme Pierre Waldeck-Rousseau en France, aidés aussi par les confrontations internationales que représentent les expositions universelles (celle de Londres en 1862) et surtout les rencontres de l’Association internationale des travailleurs (Ire Internationale) constituée en 1864, les ouvriers vont progressivement imposer la levée de ces interdictions. En 1825-1826, plus d’un demi-siècle avant les travailleurs français qui ne l’obtiendront qu’en 1884, les ouvriers britanniques reçoivent ainsi le droit d’association.

Le droit est cependant le plus souvent en retard sur les faits. Sous la forme de sociétés de secours mutuels ou de sociétés de résistance, parfois de sociétés d’éducation ouvrière, les premières organisations de travailleurs font leur apparition. Reconnus ou simplement tolérés, les premiers syndicats véritables présenteront dans tous les pays des caractéristiques communes, semblables à celles du vieil unionisme anglais: des cotisations élevées destinées à couvrir les risques sociaux essentiels, une surveillance stricte de l’apprentissage qui, puisque le travail est une marchandise, s’efforce d’en limiter l’offre pour en élever le prix, et surtout une limitation aux ouvriers qualifiés des industries où subsistent de fortes traditions artisanales comme les typographes. Ces syndicats, d’abord dispersés, tentent de se fédérer en une junte en Grande-Bretagne, en chambres syndicales en France lorsque le second Empire se libéralise, au sein de l’Union ouvrière générale des disciples de F. Lassalle en Allemagne, dans le cadre de l’Organisation des chevaliers du travail, qui se transformera ensuite en American Federation of Labor, aux États-Unis.

2. L’essor mondial

La deuxième révolution industrielle

Vers la fin du XIXe siècle, l’industrialisation a débordé les foyers initiaux dans lesquels elle a vu le jour pour devenir un phénomène véritablement mondial. Il en est de même du syndicalisme, qu’on retrouve dès lors dans la plupart des pays. Mais, en même temps, le monde ouvrier se transforme progressivement sous l’influence combinée de la deuxième révolution industrielle, de la mutation du capitalisme concurrentiel en capitalisme oligopolistique, des nouveaux modes d’enrégimentement des masses ouvrières dans les usines (rationalisation, taylorisation). Il va en découler trois caractéristiques: le recrutement et l’organisation des nouvelles couches ouvrières, l’apparition d’autres idéologies, enfin des tentatives de regroupement.

Organisation des nouvelles couches ouvrières

L’entrée des non-qualifiés dans l’organisation syndicale entraîne partout des transformations analogues à celles qu’on observe en Grande-Bretagne avec le nouvel unionisme. Ne pouvant faire fonctionner de puissantes caisses de secours mutuels, ce syndicalisme puise sa force non dans d’importantes cotisations, mais dans des effectifs élevés, non dans la surveillance de l’apprentissage, mais dans la grève de masse souvent accompagnée de violences. Il se tourne vers l’État pour lui demander une intervention organisant progressivement l’assurance générale contre tous les risques sociaux («millerandisme» en France, législation et politique «bismarckiennes» en Allemagne). Découvrant les vertus de l’action politique, le syndicalisme se donne parfois directement une expression politique: le Labour Party est ainsi, à l’origine, l’expression du mouvement syndical devant l’opinion publique et au Parlement; ou bien il recherche des alliances privilégiées avec les partis sociaux-démocrate: dans l’Europe germanique s’instaure ainsi une division du travail donnant naissance à la théorie dite des «trois piliers», l’organisation de la puissance électorale dans le parti, de la puissance de travail dans le syndicat, du pouvoir d’achat avec les coopératives.

L’apparition d’idéologies

Les idéologies du mouvement ouvrier, dont nombre d’éléments subsistent encore de nos jours, se forgent durant cette période-là avec leurs deux traits les plus caractéristiques.

D’un côté et en simplifiant sans doute outrancièrement, il est possible d’opposer l’Europe du Nord, où l’industrialisation est plus concentrée et où l’idéologie social-démocrate marque profondément le mouvement syndical (l’influence allemande, plus doctrinaire, sensible surtout en Autriche, en Suède, au Danemark, étant parfois contrebalancée, comme en Norvège, par l’influence britannique, plus pragmatique), et l’Europe latine, où l’industrialisation est généralement dispersée et moins avancée et où l’inspiration anarchiste est souvent forte (Italie, Espagne); la France, où les deux courants se sont longtemps heurtés, trouve une solution intermédiaire dans l’affirmation de l’indépendance du syndicalisme (charte d’Amiens, 1906) et dans une visée pansyndicaliste. On rencontre aussi – Belgique, Pays-Bas, Allemagne, France – des noyaux d’organisation syndicale sur une base confessionnelle.

D’un autre côté, la montée des périls conduit le syndicalisme à se donner une idéologie pacifiste et internationaliste qui se propose de répondre à la guerre par la grève générale révolutionnaire. Mais lorsque la guerre éclatera, une vague puissante de nationalisme emportera partout résolutions et déclarations doctrinaires.

Tentatives de regroupement

Durant cette même période, les problèmes d’organisation revêtent pour le mouvement syndical une extrême importance. Trois traits doivent plus particulièrement être signalés.

Tout d’abord la question des structures syndicales oppose partout les tenants du syndicalisme de métier et du syndicalisme d’industrie: on aboutit tantôt à la coexistence des deux formules (Grande-Bretagne), tantôt à la victoire du syndicalisme d’industrie (France), parfois à la création de deux organisations rivales (American Federation of Labor d’un côté, Industrial Workers of the World, ancêtre du Congress of Industrial Organizations, de l’autre, aux États-Unis); le débat porte aussi sur l’organisation par branches d’activité, formule souvent adoptée, ou sur l’organisation par secteur géographique, très fréquente en Italie au début du siècle, la France avec sa double structure (fédérations industrielles, fédérations des bourses du travail) adoptant, à cet égard, une solution intermédiaire.

Ensuite, les regroupements syndicaux aboutissent à la constitution de confédérations syndicales aux pouvoirs de simple coordination ou au contraire plus centralisatrices: Trade Union Congress en Grande-Bretagne (1874), Confédération générale du travail (C.G.T.) en France (1895), Commission générale des syndicats (Allgemeiner Deutscher Gewerkschaftsbund ou ADGB) en Allemagne (1892), A.F.L. aux États-Unis (1886), Lands Organisationen en Suède (1903), etc.

Au tournant du XXe siècle, enfin, sont progressivement instaurées des liaisons internationales, fondées d’une part sur des regroupements professionnels avec les Secrétariats professionneles internationaux (S.P.I.) constitués à partir du métier ou de l’industrie, et d’autre part sous la forme d’une fédération avec l’Office central international des centrales syndicales nationales, qui devient, en 1913, la Fédération syndicale internationale.

L’épanouissement du syndicalisme ouvrier

La Première Guerre mondiale semble consacrer l’échec du syndicalisme: se ralliant partout, au nom de l’Union sacrée, à la défense nationale, il enterre ses visées internationalistes, collaborant à l’effort de guerre avec les pouvoirs publics, et abandonne l’idée de se constituer en contre-société. Il ne s’agit pourtant là que d’apparences. Le syndicalisme moderne va prendre naissance au lendemain de la guerre de 1914-1918, adoptant à ce moment-là les traits qui le caractérisent encore aujourd’hui: ses divisions idéologiques, son intégration dans la nation, son rôle nouveau sur la scène internationale.

Les divisions idéologiques

En pleine guerre, à Zimmerwald (1915) et à Kienthal (1916), des minorités révolutionnaires de différents pays jettent autour de Lénine les bases d’une nouvelle internationale politique (IIIe Internationale) et d’une nouvelle internationale syndicale (Internationale syndicale rouge), auxquelles la victoire des Soviets, en octobre 1917, va donner un retentissement considérable et une portée durable.

Il en résultera l’apparition d’un autre type de syndicalisme, d’abord en Union soviétique puis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans les démocraties populaires d’Europe et d’Asie: sans que l’adhésion au syndicat y soit obligatoire, les pays de l’Est se caractérisent par des effectifs de syndiqués considérables. «Courroie de transmission», suivant l’expression de Lénine, les syndicats des pays socialistes consacrent la prépondérance des intérêts de la production, l’importance des fonctions de gestion sociale (après qu’en 1933 les fonctions du Commissariat au travail eurent été transférées aux syndicats), sans que soient pour autant négligées les préoccupations de défense des intérêts professionnels. D’autre part, l’apparition du système socialiste a aussi de grandes répercussions à l’Ouest. Tandis qu’en Allemagne, à l’automne 1918, les syndicats jouent comme une force d’ordre à l’encontre des conseils ouvriers et de soldats créés à l’imitation des soviets russes, dans d’autres pays, et en rance en particulier, le syndicalisme se divise en fractions rivales: C.G.T. réformiste et C.G.T.U. (Confédération générale du travail unitaire) révolutionnaire de 1922 à 1936; puis à nouveau, avec le début de la guerre froide en 1947, C.G.T. et C.G.T.-F.O. (Confédération générale du travail-Force ouvrière), tandis que s’organise un syndicalisme chrétien (Confédération française des travailleurs chrétiens, C.F.T.C.) qui se déconfessionnalisera mais en se divisant, lui aussi, en 1964 (C.F.T.C. et C.F.D.T., Confédération française démocratique du travail).

L’intégration dans la nation

La Première Guerre mondiale avait déjà contribué à la création d’organismes paritaires bipartites ou tripartites permettant aux syndicats de prendre part à la vie politique du pays (comité Withley en Grande-Bretagne, commission de médiation aux États-Unis, commissions paritaires en Allemagne). Ces pratiques, après les grèves qui partout marquent l’immédiat après-guerre (1920 en France ou en Italie, 1926 en Grande-Bretagne), persistent durablement. Plusieurs facteurs y contribuent: la nécessité de lutter contre la crise, qui conduit le syndicalisme américain à appuyer l’expérience du New Deal de F. D. Roosevelt et à bénéficier en retour (clause 7 b du National Recovery Act de 1933, loi Wagner de 1935) d’avantages importants et d’un afflux considérable d’adhérents; les inquiétudes suscitées par le fascisme, qui, après l’interdiction des syndicats et leur remplacement par un régime corporatiste (1926-1927 en Italie, 1933 en Allemagne, 1936-1939 en Espagne), conduisent les organisations syndicales des démocraties occidentales à apporter leur appui aux partis de gauche dans des formules de Front populaire du type de celle de juin 1936 en France, collaboration dont ils retirent certains avantages (accords Matignon en France); les exigences de la reconstruction nationale après la Seconde Guerre mondiale, qui conduisent les syndicats à s’associer à l’œuvre de remise en ordre de l’économie avec les gouvernements tripartites en France (1944-1947) ou en Italie (1944-1948) ou avec le gouvernement travailliste soutenu par les Trade Unions en Grande-Bretagne (1945-1951). Les implications de la lutte nationale et, une fois l’indépendance obtenue, celles du développement économique jouent dans le même sens dans les pays du Tiers Monde.

Différentes institutions assurent ainsi une participation plus ou moins étendue des syndicats aux décisions à prendre dans l’entreprise (comités d’entreprise en France, institutions de cogestion en Allemagne, commissions ouvrières en Italie) ou au niveau gouvernemental (commission du plan ou commissions des organismes de politique des revenus).

Rôle international du syndicalisme

La Première Guerre mondiale qui avait entraîné l’éclatement d’un certain nombre de centrales syndicales nationales a aussi engendré un pluralisme syndical international. La première internationale syndicale née en 1913 disparaît dès le mois d’août 1914, mais une série de conférences préparent sa reconstitution qui se réalise en août 1919 à Amsterdam. L’année d’après se forme à La Haye une Confédération internationale des syndicats chrétiens. Enfin, en 1921, se constitue à Moscou l’Internationale syndicale rouge. L’entre-deux-guerres sera marqué par la rivalité de ces trois organisations. L’espoir en la possibilité d’une organisation unique renaît après la Seconde Guerre mondiale avec la création, en février 1945, de la Fédération syndicale mondiale (F.S.M.), mais l’A.F.L. s’oppose dès le début à la F.S.M., à laquelle n’ont jamais adhéré non plus les syndicats chrétiens. Sous l’impulsion de l’A.F.L. va se former en décembre 1949 une autre organisation internationale. Il existe donc actuellement trois organisations rivales: la Fédération syndicale mondiale, la Confédération internationale des syndicats libres (C.I.S.L.) et la Confédération internationale des syndicats chrétiens, devenue en octobre 1968 Confédération mondiale du travail (C.M.T.).

Les antagonismes s’estompent cependant quelque peu avec la fin de la guerre froide. Plusieurs facteurs y concourent: l’unité d’action pratiquée en France entre la C.F.D.T. et la C.G.T. depuis 1966; l’unification organique en cours en Italie entre les trois confédérations; les rencontres entre organisations internationales pour adapter leur stratégie aux différentes zones de libre échange ou marchés communs qui ont vu le jour depuis 1960; les contacts entre syndicats aux affiliations diverses des grandes entreprises multinationales; l’influence exercée par les nations du Tiers Monde, soucieuses, sur le plan syndical, de dépasser les antagonismes idéologiques du monde développé; les rencontres annuelles de la Conférence internationale du travail qui fournissent au monde ouvrier une tribune et parfois une possibilité de faire condamner certaines pratiques (apartheid ) ou au contraire de faire aboutir certaines revendications sous forme de normes internationales (conventions ou recommandations), donnant ainsi une orientation semblable aux différents mouvements syndicaux. Tout cela accroît le rôle international du syndicalisme malgré les particularismes nationaux, les divisions idéologiques ou l’appartenance à divers systèmes.

3. Typologie

Syndicalisme de revendication et d’opposition

L’origine du syndicalisme d’opposition remonte au XIXe siècle; elle est liée au développement des coalitions ouvrières. Cette opposition est alors celle d’un prolétariat industriel en croissance numérique rapide et qui s’organise difficilement face à un pouvoir patronal quasi illimité.

Un double objectif

Ce type de syndicalisme vise d’abord à assurer la défense collective des intérêts vitaux les plus immédiats: garantir un salaire de subsistance, une sécurité minimale, réduire le temps de travail. Mais, point capital, à cette action quotidienne, en quelque sorte défensive, indispensable à la survie, le syndicalisme d’opposition associera plus ou moins directement un projet de transformation à la fois radicale et immédiate de la société tout entière. C’est ainsi, par exemple, que l’article 2 des statuts de la Confédération générale du travail, créé à Limoges en 1895, déclare grouper «tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat».

Ce type de syndicalisme s’affirme, à cette époque, de façon inégale selon les pays. Sa prédominance est la plus marquée en France; sous la forme dite « anarcho-syndicaliste » (ou «syndicaliste révolutionnaire»), il s’y maintient jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. En Allemagne, le syndicalisme d’opposition avait précédemment subi des altérations assez importantes. Quant au trade-unionisme anglais, antérieur aux syndicats continentaux, il présente dès le départ une orientation sensiblement différente.

Au-delà du XIXe siècle, le syndicalisme d’opposition continuera à être présent dans bien des pays, aux États-Unis par exemple, sous la forme de courants minoritaires plus ou moins importants.

Pérennité et renouveau

Si le syndicalisme d’opposition apparaît comme étroitement lié aux conditions générales de la première révolution industrielle, il ne saurait pour autant être seulement envisagé comme un phénomène relevant du passé. Il serait plus exact de le considérer comme le terme d’une alternative permanente, une option parmi d’autres, susceptible d’une résurgence à la faveur de circonstances plus ou moins nouvelles. On retrouve ainsi depuis les années soixante, un peu partout dans les mouvements «contestataires» modernes, des traits caractéristiques de ce type de syndicalisme: projet d’une transformation radicale et à court terme de la société globale, refus de toute «intégration» aux régimes actuels, accent mis sur «l’auto-émancipation» et les actions menées «à la base», usage de la grève en tant qu’instrument «d’agitation» ou de «prise de conscience révolutionnaire» plus que comme moyen de négociation, méfiance à l’égard des «appareils» politiques et syndicaux existants, etc.

Cependant, l’interprétation exacte de cette nouvelle conception du syndicalisme d’opposition n’est pas aisée. Elle recouvre en effet au moins trois tendances: un « gauchisme » politique d’inspiration néo-léniniste qui tend en définitive à remplacer les «appareils» existants par d’autres jugés plus adéquats; un syndicalisme d’opposition renouant avec la tradition révolutionnaire de l’anarcho-syndicalisme classique; un courant contestataire qui, dans la pratique quotidienne, tendrait à la négation même de la notion de l’institution syndicale.

À noter que, dans les pays où il existe plusieurs centrales syndicales concurrentes importantes, on peut retrouver ces divers courants au sein de chacune d’elles.

Syndicalisme de revendication et de contrôle

Difficulté d’une définition

Le refus de l’état de choses existant, la volonté de changer la condition ouvrière constituent certes un trait d’union entre le syndicalisme d’opposition et le syndicalisme de «contrôle». Cependant, à l’exigence d’un changement radical obtenu par un «saut» décisif succède ici une volonté d’aboutir, par des conquêtes partielles, à des améliorations progressives et en quelque sorte continues de la condition ouvrière.

La notion de contrôle prête fréquemment, il est vrai, à équivoque, le «contrôle ouvrier risquant ainsi de se confondre, d’une part, avec la notion de surveillance et, d’autre part, avec celle de gestion» (Paul Barton, 1957); pourtant, la notion de contrôle ne devrait être assimilée ni à l’une ni à l’autre.

Le syndicalisme de contrôle se présente d’abord comme une volonté de limiter, en droit et en fait, le pouvoir discrétionnaire de l’employeur au bénéfice des représentants des salariés. Ceux-ci devraient ainsi étendre peu à peu leur propre contrôle sur les aspects les plus divers de la condition ouvrière et salariale en général, ainsi que sur le processus de production. Les objectifs concrets du syndicalisme de contrôle ne peuvent pas être conçus comme la réalisation d’un concept théorique précis et complet; ils ne se dégagent que progressivement, à partir d’une pratique sociale complexe. Dans ces conditions, une définition rigoureuse enfermant ce type de syndicalisme dans des contours rigides serait donc forcément inexacte.

Signification de la procédure contractuelle

Dans le contexte ainsi défini, l’idée d’accords directs avec l’employeur s’impose assez rapidement. Au sujet de la pratique des conventions collectives du syndicalisme allemand d’avant 1914, Georges Lefranc écrit: «Vers 1895, on les regarde encore comme susceptibles d’émousser la combativité ouvrière. Quinze ans plus tard, on les juge utiles, si elles sont conclues par de fortes organisations syndicales et si on les tient pour de simples conventions d’armistice » (Le Syndicalisme dans le monde , 1958).

D’une façon générale, la recherche d’une procédure contractuelle collective à divers niveaux (accords nationaux, accords d’entreprise) constitue bien une des formes essentielles du type de syndicalisme examiné.

Une convention collective est un accord signé entre un ou plusieurs syndicats de salariés au nom d’un groupe de salariés et un employeur ou une association d’employeurs. Au-delà de la diversité des expériences et des pratiques nationales, la convention collective apparaît généralement comme une conquête ouvrière essentielle, acquise au détriment de l’arbitraire patronal. Aux États-Unis et plus généralement dans les pays anglo-saxons, l’usage des conventions collectives est devenu l’élément fondamental des relations professionnelles: «C’est une vérité d’évidence pour les Américains que l’action ouvrière, quels que soient par ailleurs ses buts plus lointains, a toujours et avant tout comme objectif pratique cet ensemble de négociations et de marchandages qui se termine par la signature d’une convention collective», écrivait Michel Crozier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (Usines et syndicats d’Amérique , 1951). Des pratiques assez proches existent aussi en Scandinavie et dans la plupart des pays de l’Europe des Six. Au contraire, on pouvait encore constater en France il y a une dizaine d’années que la « négociation des conventions en commission paritaire est bien loin de tenir la même place que le collective bargaining en Angleterre et aux États-Unis» (J. D. Reynaud, Les Syndicats en France , 1963). Pourtant, une évolution sensible s’est produite depuis lors dans ce domaine.

Tout en condamnant les contrats dits de progrès comme «liant le sort des travailleurs aux aléas à venir de la politique capitaliste», un responsable régional de la C.F.D.T. comme Gilbert Declercq n’en défend pas moins résolument le principe même des conventions dans leur forme classique: «Or, si les mots ont encore un sens, la tâche prioritaire du syndicalisme est précisément de faire obstacle au « contrat individuel de louage de services», qui place le travailleur en position d’infinie faiblesse face à son patron, et de conclure des contrats collectifs fixant les taux réels de rémunération, ainsi que les conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs concernés. Mieux même, lorsque ce pouvoir contractuel n’existe plus ou est mutilé, le devoir essentiel du syndicalisme, devoir qui devance tous les autres, est de le reconquérir» (Le Monde du 4 mars 1970).

Possibilité d’une dynamique

Toute négociation sous-entend l’acceptation d’un compromis avec l’adversaire: le patronat ou l’État-patron. Le syndicalisme de contrôle apparaît donc assez naturellement comme plus ou moins réformiste. Une telle qualification – reproche pour les uns, louange pour les autres – appellerait cependant des réserves. S’il est exact que ce type de syndicalisme est normalement partisan de transformations sociales progressives, il serait arbitraire de vouloir l’enfermer dans des limites qu’il ne saurait ni bousculer ni franchir. «Or, même lorsque le syndicalisme accepte les cadres sociaux et économiques existants, il s’efforce, par une action locale aussi bien que nationale, de les modifier», écrivent A. Touraine et B. Mottez au sujet du syndicalisme dans les sociétés occidentales. En effet, pour le syndicalisme de contrôle, par définition tout est négociable, le contenu aussi bien que la forme des accords collectifs.

Selon ses partisans, l’expérience acquise montre que la pratique contractuelle possède une dynamique propre qui semble assez réfractaire à toute position par trop doctrinale cherchant à fixer a priori le cours et la finalité des rapports sociaux. Fait significatif, le progrès vers un syndicalisme de contrôle se réalise souvent de façon pragmatique, comme le soulignait en 1957 Paul Barton au sujet des syndicats américains: «En fait, à travers les conquêtes les plus diverses qu’ils ont faites depuis les années trente, les salariés américains arrivent pas à pas à soumettre à un contrôle démocratique certaines des attributions essentielles du chef d’entreprise», telles que «l’analyse des travaux (job-evaluation ), les cadences et l’établissement du règlement intérieur» (1957).

De même, François Sellier remarque qu’en Italie «l’accord de job-evaluation de l’Italsider a été dénoncé en 1970 et de nouvelles modalités de rémunération mises en place [...] La grande nouveauté vient de ce que, à côté des problèmes de rémunération et même souvent avant eux, l’accent est mis sur les aspects qualitatifs du travail» (1971).

En somme, le syndicalisme de contrôle semble progresser en refusant tout à la fois les solutions préconisées par les partisans du syndicalisme d’opposition et celles du syndicalisme de gestion proprement dit. Ce double refus implique l’idée que l’émancipation ouvrière et le progrès social en général se trouvent mieux d’une approche pragmatique, tenant compte des données complexes de la situation salariale actuelle, et que la foi dans l’empirisme et la spontanéité sociale vaut mieux qu’un projet théorique trop rigide.

Syndicalisme de gestion

Contrairement au syndicalisme de contrôle, le syndicalisme de gestion tend à abolir d’emblée la dichotomie employeurs-employés. À ce titre, il apparaît comme l’accomplissement d’une vieille idée propre au syndicalisme d’opposition. Un passage de la charte d’Amiens (1906) précise en effet: «... Le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale.»

Ce projet «révolutionnaire» n’a cependant connu jusqu’ici que peu de réalisations effectives à travers le monde. Parmi celles-ci, l’essai le plus marquant se rattache à l’époque de la guerre civile en Espagne (1936-1939), en Catalogne notamment, fief de «l’Espagne libertaire». «Les syndicats qui avaient entrepris la socialisation ne demandaient rien au gouvernement, écrivait Gaston Leval, un des acteurs des événements. Ils n’employaient que leurs propres ressources, répartissant les matières premières, l’argent, les machines, le combustible, les moyens de transport selon les besoins des entreprises, des usines, des fabriques [...] Quelques syndicats socialisèrent progressivement ou contrôlèrent l’industrie entière» (cité dans Frank Mintz, 1970).

Toutefois, la prise en charge des fonctions gestionnaires par le syndicat lui-même ne semble pas de nature à résoudre automatiquement tous les problèmes. On peut même se demander si la place de l’ouvrier dans l’entreprise s’en trouve ipso facto radicalement modifiée. En effet, comment concilier, dans une gestion se voulant efficace, et les intérêts de l’entreprise et les intérêts du personnel, sans sacrifier précisément ces derniers?

On peut noter que les projets récents d’autogestion (celui, entre autres, élaboré par la C.F.D.T.) tendent à maintenir, sous certaines formes, une dualité dans l’entreprise, en prévoyant, à côté des fonctions gestionnaires réservées au «conseil ouvrier», une fonction défensive et revendicative classique, confiée à un organisme syndical. Un tel projet autogestionnaire apparaîtrait ainsi comme une sorte de synthèse, un compromis entre la théorie classique de la gestion ouvrière et le syndicalisme de contrôle.

Syndicalisme rattaché au pouvoir

Le type soviétique

Depuis 1917 en U.R.S.S. et après la Seconde Guerre mondiale dans plusieurs autres pays de l’Est européen (Pologne, Allemagne de l’Est, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Albanie), s’est formé progressivement un type particulier de syndicalisme dont la caractéristique première réside dans sa subordination au parti unique. «Les syndicats soviétiques, stipule le préambule des statuts régissant l’activité des syndicats de l’U.R.S.S., effectuent tout leur travail sous la direction du Parti communiste de l’Union soviétique, force organisatrice et dirigeante de la société soviétique.» Les statuts du Parti communiste roumain stipulent également: «La direction et l’orientation par le Parti des organisations de masse [c’est-à-dire entre autres l’organisation syndicale unique] sont réalisées par les communistes qui déploient leur activité dans ces organisations.» De même en Hongrie, le secrétaire général du Conseil central des syndicats, examinant les conséquences de la «réforme économique» promulguée il y a quelques années, souligne que la direction des syndicats par le Parti «sera plus indispensable qu’auparavant» (Tarsadalmi Szemle [revue mensuelle du Parti en Hongrie], Budapest, no 9, 1966).

Les principales fonctions incombant à ce type de syndicalisme dans l’entreprise et dans l’État s’expliquent par cette subordination directe au pouvoir politique (et donc aussi en dernier ressort au pouvoir économique). «Parmi les questions très variées que soulève l’action des syndicats, les problèmes de production et les problèmes économiques occupent la première place», précise la revue syndicale polonaise (Przeglad Zwiazkowy [revue mensuelle des syndicats polonais], Varsovie, no 2, 1966).

La direction d’entreprise détenant le pouvoir gestionnaire, les responsables syndicaux sont donc tenus de la soutenir: «La tâche du syndicat consiste à apporter aux directeurs d’entreprise une assistance de tous les jours dans l’accomplissement du programme de production», précise un manuel officiel soviétique. De même en Tchécoslovaquie, la mission de l’organisation syndicale a été définie comme suit: «Créer sur le lieu de travail un climat politique susceptible d’aider le directeur d’usine et ses collaborateurs.»

Le syndicat est appelé à remplir également une série de tâches variées dans le domaine des conditions de travail et de vie du personnel. De façon générale, il s’agit d’assumer un rôle de contrôle-surveillance de l’application effective, par la direction d’entreprise, de la législation du travail (discipline de travail, sécurité et hygiène, licenciements, etc.), ainsi que de participer aux commissions d’arbitrage au niveau des entreprises. Toutefois – et cela conformément à son engagement en matière de production – le syndicat doit s’abstenir de toute revendication proprement dite; aussi le recours à la grève est-il interdit.

Il revient également aux syndicats de remplir diverses tâches dans l’administration des assurances sociales d’État, de même qu’un de leurs objectifs est de développer au maximum l’activité sportive sur le lieu de travail ainsi que des loisirs organisés (voyages et vacances, activités culturelles diverses).

Les crises syndicales

Le syndicalisme de type soviétique est un phénomène d’importance mondiale qui a connu une extension à des pays aux développements économiques très inégaux, aux traditions politiques, syndicales et culturelles les plus variées. Il pose toutefois un problème majeur à tout observateur tant soit peu attentif. À diverses reprises en effet, plusieurs pays de l’Est ont été secoués par des crises aiguës. On se souvient bien des crises politiques et syndicales en Allemagne de l’Est en 1953, en Pologne et en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968-1969 et enfin à nouveau en Pologne durant l’hiver 1970-1971. À chacune de ces crises les principes essentiels de ce type de syndicalisme sont remis invariablement en question. Lors des événements de 1956, la Fédération des syndicats libres de Hongrie se proposait «de ressusciter les vieilles traditions syndicales» et «de soutenir les intérêts des syndiqués indépendamment du gouvernement et de tout parti politique». Douze ans plus tard (en avril 1968), à la faveur d’une crise politique ouverte, le comité syndical d’atelier d’une grande entreprise métallurgique de Prague réclamait «que le mouvement syndical [tchécoslovaque] devienne une organisation démocratique et indépendante politiquement» et que soit «restituée aux syndicats leur mission initiale: défendre les intérêts des travailleurs et non ceux des entreprises». Malgré leur violence, ces crises ouvertes ont été jusqu’ici toujours plus ou moins résorbées.

À noter qu’en U.R.S.S. la presse officielle, en particulier le journal Troud , dénonce quotidiennement le «formalisme» dans l’activité des sections syndicales d’entreprise et l’attention insuffisante portée à «l’accroissement de la production» et à «l’élévation de la productivité».

En Chine, jusqu’au début des années soixante, le syndicalisme se réclamait officiellement du modèle soviétique; pour la dernière décennie font défaut les études suffisamment exhaustives à ce sujet.

Les autres pays à parti unique

On constate que, par-delà la diversité des États et des régimes sociaux et politiques, l’institutionnalisation d’un parti unique, quelle que soit par ailleurs sa nature, influe profondément sur la forme du syndicalisme instauré. C’est ainsi que les syndicats de certains États d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Amérique latine (Cuba, lui, relevant du type soviétique proprement dit) et même d’Europe, par exemple l’Espagne, présentent une série de caractéristiques communes: organisation syndicale unique, accent mis sur le maintien de la «paix sociale», soutien à la production, frein à la formulation des revendications jugées «injustifiées». Cependant, selon le développement économique des pays considérés, l’importance réelle et le rôle effectif de l’organisation syndicale varient considérablement. On signalera qu’en Espagne s’est développée, au cours des années soixante, une dichotomie marquée entre le syndicalisme officiel et les organismes syndicaux semi-clandestins.

Compte tenu de la signification des diverses crises syndicales mentionnées, une hypothèse semble pouvoir être formulée au terme de cette esquisse typologique: une fois son autonomie recouvrée par rapport au pouvoir politique, le syndicalisme mondial tendrait-il à retrouver spontanément une inspiration commune?

syndicalisme [ sɛ̃dikalism ] n. m.
• 1894; de syndical
1Le mouvement syndical, le fait social et politique que représentent l'existence et l'action des syndicats de travailleurs salariés; doctrine sociale, économique et politique de ces syndicats. Syndicalisme et corporatisme. Syndicalisme ouvrier. Syndicalisme anarchiste. anarchosyndicalisme. Syndicalisme révolutionnaire, réformiste, chrétien.
Syndicalisme patronal, agricole.
2Activité exercée dans un syndicat. Faire du syndicalisme.

syndicalisme nom masculin Mouvement ayant pour objectif de grouper des personnes exerçant une même profession en vue de la défense de leurs intérêts. Ensemble des syndicats. Action des syndicats, de leurs membres. Doctrine visant à faire jouer un rôle aux syndicats dans la vie de la nation.

syndicalisme
n. m.
d1./d Activité des syndicats de salariés.
Doctrine sociale, politique de ces syndicats.
d2./d Fait de militer dans un syndicat de salariés. Faire du syndicalisme.

⇒SYNDICALISME, subst. masc.
SOCIO-POLITIQUE
A. — Mouvement qui a pour objet d'organiser, de grouper certaines catégories professionnelles (ouvriers notamment), certaines classes sociales, en vue d'étudier et de défendre leurs intérêts (salaires, conditions de travail, etc.); doctrine sociale et politique issue de ce mouvement, visant à la transformation des institutions politiques, des structures sociales existantes. Syndicalisme ouvrier, enseignant. Pour parvenir à ce régime économique, une révolution politique est donc nécessaire. La tâche du syndicalisme est de la préparer, en rognant sur les pouvoirs adverses, en donnant aux masses conscience de l'exploitation qu'elles subissent, des forces dont elles disposent et des solutions souhaitables (REYNAUD, Syndic. en Fr., 1963, p. 277):
Où est donc à mes yeux la lutte de classes, sinon dans ce mouvement de pensée qui remonte du travail, et qui change continuellement les mœurs et les religions? Mais cela ne signifie pas qu'un ouvrier pense juste en toutes choses; cela signifie qu'il pense juste autant qu'il pense les conditions de son travail; et cette remarque peut servir à distinguer le syndicalisme, chose neuve et créatrice, de tous les genres de socialisme et de communisme, qui sont, je le crains, des pensées bourgeoises, ou, si l'on veut, logiques, c'est-à-dire des pensées nées de pensées.
ALAIN, Propos, 1932, p. 1079.
Syndicalisme d'industrie, de métier. Le syndicalisme de métier, qui apparut le premier, unit en un même syndicat tous ceux qui exercent une même spécialité professionnelle, dans quelque entreprise qu'ils travaillent. (...) Les non-qualifiés commencèrent en Angleterre, à partir de 1875, à se syndiquer, mais dans un syndicalisme d'industrie, c'est-à-dire groupant dans un même syndicat, et quelle que soit leur spécialité, les travailleurs d'une même entreprise, puis d'une même branche industrielle (ROMEUF t. 2 1958).
Syndicalisme de collaboration, de contrôle. ,,Forme du syndicalisme (...) où les syndicats ouvriers ne mettent nullement en cause les principes du régime économique en place, mais essayent d'obtenir tous les avantages possibles pour leurs membres`` (SUAVET 1963). Le syndicalisme de « collaboration » (du type américain ou scandinave) obéit à un principe-clé: c'est de ne jamais mettre en question le système de l'entreprise patronale fondé sur la propriété privée du capital (Traité sociol., 1967, p. 484).
Syndicalisme de contestation ou réformiste. Syndicalisme ,,cherchant à transformer et améliorer le système économique au bénéfice des travailleurs, sans toutefois aboutir à une remise en cause fondamentale du régime`` (MATHIEU 1970).
Syndicalisme révolutionnaire ou marxiste. Syndicalisme ,,plus ou moins étroitement lié à tel ou tel parti de caractère socialiste, visant par son action à l'instauration d'une société socialiste`` (MATHIEU 1970). Le syndicalisme révolutionnaire (...) a prodigieusement amélioré la condition ouvrière depuis la journée de seize heures jusqu'à la semaine de quarante heures (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 367).
P. ext. Regroupement de personnes ayant des intérêts communs dans le domaine industriel (patrons, cadres), agricole, ou dans l'exercice de certaines professions libérales (artisans, commerçants, médecins, etc.). Le jeune syndicalisme agricole n'a pas eu, comme le syndicalisme ouvrier, de maîtres à penser, ni de théoriciens (DEBATISSE, Révol. silenc., 1963, p. 264). Sous l'unité de l'organisation, le syndicalisme patronal abrite des tendances et des orientations diverses, dont la coexistence ne va pas toujours sans conflits (REYNAUD, Syndic. en Fr., 1963, p. 113).
B. — P. méton. Activité exercée au sein d'un syndicat; fait d'y militer. Faire du syndicalisme; syndicalisme de salon. Le principe de la participation des femmes au syndicalisme peut être admis sans que, pour autant, la présence des femmes dans les organisations syndicales soit effective (DEBATISSE, Révol. silenc., 1963, p. 153). Dans la plupart des pays du monde, les dirigeants syndicaux changent peu. En Angleterre comme en France, ils peuvent quitter le syndicalisme pour la politique (REYNAUD, Syndic. en Fr., 1963, p. 121).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1894 « mouvement qui groupe des personnes exerçant une même profession en vue de la défense de leurs intérêts communs » (SACHS-VILLATTE, Französisch-deutsches Supplement-Lexikon ds QUEM. DDL t. 5); 1923 « activité exercée dans un syndicat » (Lar. univ.). Dér. de syndical; suff. -isme. Fréq. abs. littér.:59. Bbg. BONNAFOUS (S.), TOURNIER (M.). La Désignation socio-pol. en France de 1879 à 1914. Saint-Cloud, 1983, pp. 208-209. — MOURIAUX (R.). La CGT. Paris, 1982, pp. 128-134. — TOURNIER (M.). L'Envers de 1900. MOTS. 1982, n° 5, p. 123.

syndicalisme [sɛ̃dikalism] n. m.
ÉTYM. 1894; de syndical.
1 Mouvement syndical, fait social et politique que représentent l'existence et l'action des syndicats (II., 2., b) de travailleurs salariés, notamment des syndicats ouvriers; doctrine sociale, économique et politique de ces syndicats ( Ouvrier, supra cit. 1). || Syndicalisme de métier, d'industrie. || Syndicalisme anarchiste ( Anarcho-syndicalisme), révolutionnaire, réformiste, chrétien. || Syndicalisme d'État.Par anal. || Syndicalisme patronal, agricole. Syndicat (II., 2., a).
0 Ce syndicalisme même (le syndicalisme révolutionnaire) n'est-il pas inefficace ? La réponse est simple : c'est lui qui, en un siècle, a prodigieusement amélioré la condition ouvrière depuis la journée de seize heures jusqu'à la semaine de quarante heures. L'Empire idéologique, lui, a fait revenir le socialisme en arrière et détruit la plupart des conquêtes du syndicalisme.
Camus, l'Homme révolté, p. 367.
2 (1923, in Larousse). Activité exercée dans un syndicat. || Faire du syndicalisme. || C'est le syndicalisme qui l'a formé à la politique.
DÉR. Syndicaliste.
COMP. Anarcho-syndicalisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.