ahuri, ie [ ayri ] adj.
• de ahurir
♦ Surpris et déconcerté au point de paraître stupide. ⇒ abasourdi, éberlué. Avoir l'air ahuri. ⇒ hébété. « Il y avait des gens ahuris [...] qui erraient dans la bagarre, éperdus » (Hugo). Subst. Quel ahuri !
● ahuri, ahurie nom Personne qui a perdu la tête ; idiot : Cet ahuri a failli causer un accident.
ahuri, ie
adj. Frappé de stupeur, hébété. Brutalement réveillé, il était tout ahuri.
⇒AHURI, IE, part. passé, adj. et subst.
I.— Part. passé de ahurir.
II.— Emploi adj.
1. Absolument
a) Qui manifeste de manière expressive un grand étonnement :
• 1. « Ah çà! est-ce que je vais rester là planté comme une idole, se dit à lui-même le bretteur impatienté de ses propres tergiversations; je dois avoir l'air d'un franc viédaze regardant voler des coquecigrues, avec ma mine ahurie et quidditative. Pardieu! si je n'allais ni au cabaret ni au tripot, et rendais visite à ma déesse, à mon Iris, à la nonpareille beauté qui me retient en ses lacs.
T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 310.
• 2. À la fin de la journée, M. Chèbe ahuri, abasourdi, fatigué du travail des autres, s'allongeait dans son fauteuil...
A. DAUDET, Fromont jeune et Risler aîné, 1874, p. 152.
• 3. Pourtant Tunis me surprit fort. Au toucher de nouvelles sensations s'émouvaient telles parties de moi, des facultés endormies qui, n'ayant pas encore servi, avaient gardé toute leur mystérieuse jeunesse. J'étais plus étonné, ahuri, qu'amusé, et ce qui me plaisait surtout, c'était la joie de Marceline.
A. GIDE, L'Immoraliste, 1902, p. 376.
• 4. Cependant la salle ne le troublait pas. Étonnée, ahurie, intimidée de cette force oratoire et de ce poète absurde, elle ne faisait aucune manifestation (sauf ses mamelucks).
M. BARRÈS, Mes cahiers, t. 5, 1906-1907, p. 25.
• 5. Il prit une serviette et commença à se frotter le torse. Il avait l'air ahuri. C'est marrant, pensa-t-elle : il vient de décider de toute sa vie. Elle s'assit sur le lit; il se frottait énergiquement, mais il restait sombre.
J.-P. SARTRE, La Mort dans l'âme, 1949, p. 182.
Rem. Synon. abasourdi, ébahi, ébaudi, éberlué, étonné, interdit, interloqué, stupéfié, surpris.
b) Qui traduit un état de trouble, de bouleversement intérieur :
• 6. Sur un toit bas et incliné, je vois, d'une même averse, tomber tout un déluge d'insectes ailés qui semblaient étourdis, ahuris, délirants. Dire leur agitation, leurs courses désordonnées, leurs culbutes et leurs chocs pour arriver plus tôt au but, serait chose impossible.
J. MICHELET, L'Insecte, 1857, p. 253.
• 7. Sa voix trahissait une vive surexcitation.
— Quand est-ce qu'ils vont les arrêter, ces diables de boches-là? fit-il comme ahuri et tout décontenancé.
— Attendez qu'on arrive, nous autres! s'écria Eugène.
G. ROY, Bonheur d'occasion, 1945, p. 295.
• 8. J'étais tombée dans un traquenard; la bourgeoisie m'avait persuadée que ses intérêts se confondaient avec ceux de l'humanité; je croyais pouvoir atteindre en accord avec elle des vérités valables pour tous : dès que je m'en approchais, elle se dressait contre moi. Je me sentais « ahurie, désorientée, douloureusement ». Qui m'avait mystifiée? Pourquoi? Comment?
S. DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, p. 190.
Rem. Synon. confus, déconcerté, décontenancé, démonté, dérouté, désemparé, désorienté, effaré, étourdi, hagard, médusé, pétrifié, sidéré, troublé. Anton. calme, impassible, imperturbable, serein, tranquille.
c) Péj. Qui exprime, sans raison apparente, une sorte de stupidité, d'hébétude durable (se manifestant surtout par l'expression du visage). Synon. abêti, abruti, hébété, stupide :
• 9. ... il descendit. Dans quelle tenue, Mon Dieu! dans son costume de tous les jours, les doigts barbouillés par le blanc du tableau, avec un gros foulard rouge autour du cou, et des chaussons de lisière aux pieds, et étonné, confus, ébahi, ne sachant s'il devait s'en aller ou rester, s'enfuir ou s'asseoir, les bras ballants, le nez au vent, ahuri, stupide.
G. FLAUBERT, La Première éducation sentimentale, 1845, p. 39.
• 10. ... une houle de corps en transpiration où ballotteront, à côté de la lourde commère à rubans tricolores, engraissée derrière son comptoir et geignant d'essoufflement, l'employé rachitique remorquant sa femme et son mioche, l'ouvrier portant le sien à califourchon sur la tête, le provincial ahuri, à la physionomie de crétin stupéfait, le palefrenier rasé légèrement, encore parfumé d'écurie.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880, p. 312.
• 11. Elle [Victoire] répétait ces horribles choses de son air ahuri de fille simple, que Paris n'avait pas encore rendue menteuse, disant jusqu'au bout ce qu'elle savait.
É. ZOLA, Fécondité, 1899, p. 256.
• 12. N'allons plus croire que quelque amateur de jardins, un homme qui perd son temps comme il perd ses bas; à demi ahuri, à demi inspiré; un peu niais, un peu narquois, un peu sentencieux...
P. VALÉRY, Variété 1, 1924, pp. 61-62.
• 13. Il leva sur Alain un visage rouge, abêti, ahuri. De loin leur parvenait la clameur de la noce et le rougeoiement du brasier. Alain entraîna son cousin vers une haie. François s'allongea à terre, la tête dans les mains, pour dormir.
M. VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 235.
2. Littér. Ahuri de + subst. abstr.
a) [Suivi d'un subst. au sing.] Affolé, effaré, étourdi par quelque chose :
• 14. « Ah! qui nous a enlevés à dîner au Moulin Rouge la veille de notre départ? Asseline le millionnaire. Étourdi, ahuri encore de sa fortune, la palpant, l'auscultant, la faisant sonner pour s'en convaincre, foudroyé presque, mal éveillé et mordant des billets de banque pour toucher et saisir le rêve d'une telle aventure.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, oct. 1856, p. 276.
• 15. Comme il s'appuyait contre le battant pour ne point tomber, il céda, s'ouvrit, et Jérémie, perdant son appui, entra chez lui en s'écroulant, alla rouler sur le nez au milieu de son logis, et il sentit que quelque chose de lourd lui passait sur le corps, puis s'enfuyait dans la nuit. Il ne bougeait plus, ahuri de peur, éperdu, dans une épouvante du diable, des revenants, de toutes les choses mystérieuses des ténèbres, et il attendit longtemps sans oser faire un mouvement.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, L'Ivrogne, 1884, p. 933.
• 16. L'adjudant leur donnait la chasse, traînait sa quille à trois pas derrière eux, les conduisait jusqu'à la chambre où ils faisaient une apparition d'un instant, le temps de se sangler le sabre sur les flancs, de décrocher leurs mousquetons et leurs shakos, idiotisés, affolés, ahuris de la sauvagerie de cette poursuite, de cette voix qui, du dehors, leur arrivait par la fenêtre ouverte...
G. COURTELINE, Le Train de 8 h 47, 1888, 3e part., 3, p. 238.
b) [Suivi d'un subst. au plur.; avec l'idée d'accablement excessif, de surmenage intellectuel] Abruti par :
• 17. Un Vathek part, à l'adresse de Marzials, que vous remercierez bien de son aimable pensée (je n'ai pas le temps de lui écrire, ahuri de besognes nombreuses)...
S. MALLARMÉ, Correspondance, 1876, p. 125.
• 18. Nous en étions là, ahuris de tant d'événements aussi terribles qu'inexplicables, quand, pour mettre le comble à la stupéfaction de tous, nous vîmes arriver au château Frédéric Larsan, qui en était parti aussitôt après avoir vu le juge d'instruction et qui en revenait, accompagné d'un employé du chemin de fer.
G. LEROUX, Le Mystère de la Chambre jaune, 1907, p. 121.
• 19. Ne jamais donner à un enfant l'impression qu'il est classé définitivement comme un mauvais élève, un paria... Ahuri de punitions par tous les professeurs, poussé par eux au désespoir — et moi aussi, quelquefois, j'ai dû le punir à l'excès, pour bien montrer à tous que je ne le favorisais pas, — ...
H. DE MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, III, 7, p. 930.
Rem. Dans tous ces ex., ahuri garde qqc. de sa valeur passive, et les compl. introd. par la prép. de pourraient en effet être interprétés comme des compl. du passif lorsque le subst. compl. est accompagné d'un art. déf. ou d'un adj. passif (ex. 14, 16) ou d'un déterminatif de qualification (ex. 18). Quand de est immédiatement suivi du subst. non déterminé, la valeur passive de ahuri s'estompe et de pourrait être « traduit » par « à force de ».
B.— P. ext. [En parlant d'une impression ou d'une valeur hum.] Qui s'accompagne d'ahurissement ou en provient :
• 20. Ils avaient sur la face tout l'éblouissement du grand soleil de l'après-midi, les pieds blancs, l'échine gonflée sous le poids du sac et du fusil. Et ils s'étaient tant ennuyés, au milieu des poussées de la foule, qu'ils en gardaient un air de bêtise ahurie.
— J'adore l'armée française, dit Clorinde ravie, se penchant pour mieux voir.
É. ZOLA, Son Excellence Eugène Rougon, 1876, p. 107.
• 21. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortège, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l'air. Des siècles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais.
É. ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 445.
• 22. Mais que devient la majesté du régiment dans ces (...) pénibles scènes où se déroulent (...) la niaiserie (...) du capitaine Simard, et l'enthousiasme ahuri du capitaine Ratelot...
A. FRANCE, La Vie littéraire, t. 1, 1888, p. 78.
• 23. Moi, je cuve mes inquiétudes et ambitions. Sommeils et estomac ou intérieurs, toujours difficiles. Fatigue que je n'arrive pas à liquider depuis tant de mois. Cerveau ahuri, à vapeur toujours puante, jamais bien éveillé, jamais bien endormi.
P. VALÉRY, A. GIDE, Correspondance, lettre de P. V. à A. G., juill. 1912, p. 427.
— Except. Synon. de ahurissant :
• 24. Ma mère a voulu à toute force rester à Paris, et la voilà, déraisonnablement, seule dans une pension de famille! puis le spectre éternel de l'artillerie me travaille. Enfin, des incertitudes ou perspectives de déménagements, emménagements, embêtements, toutes ces choses ahuries et arithmétiques qu'on appelle le sérieux de la vie...
P. VALÉRY, A. GIDE, Correspondance, juin 1900, p. 368.
Rem. Il y a en réalité dans cet emploi, de style parlé, un cas d'hypallage (,,ces choses ahuries`` : « ces choses où je suis ahuri »).
III.— Emploi subst. [Souvent en mauvaise part] Personne dont l'attitude exprime la stupeur, la stupéfaction ou l'affolement et s'accompagne souvent d'un air hébété, stupide :
• 25. — C'est comme ça que vous apprenez l'Histoire, vous?
— Pur chauvinisme, monsieur! l'Histoire de France seule m'intéresse.
Chance inespérée : il rit!
— J'aime mieux avoir affaire à des impertinentes qu'à des ahuries. Parlez-moi de Louis XV (1742).
COLETTE, Claudine à l'école, 1900, p. 221.
• 26. Alban entendit une voix qui parlait français : elle sortait d'un ahuri lorgnonard, à teint de cloporte, avec des pellicules sur son col de veston. « Qu'est-ce qu'il vient fiche ici, celui-là? » grogna-t-il, s'écartant pour ne plus entendre la voix. Un Français, en ce lieu-ci, ne pouvait dire que des bêtises.
H. DE MONTHERLANT, Les Bestiaires, 1926, p. 532.
• 27. J'ai quelque lassitude est-ce l'heure est-ce l'âge
À faire ce qu'il faut pour être bien compris
Car il ne suffit pas de soigner ses images
Et de serrer de près le sens dans le langage
Il faut compter avec les sourds les ahuris
Il faut compter avec ceux-là que tout installe
Dans l'idée a priori qu'ils se font de vous...
L. ARAGON, Le Roman inachevé, La Beauté du diable, 1956, p. 19.
• 28. J'étais donc amené à des promesses de plus en plus explicites, j'en venais à exiger de mon cœur un sentiment de plus en plus vaste. Je me pris ainsi d'une fausse passion pour une charmante ahurie qui avait si bien lu la presse du cœur qu'elle parlait de l'amour avec la sûreté et la conviction d'un intellectuel annonçant la société sans classes.
A. CAMUS, La Chute, 1956, p. 1524.
— Except. (sous forme de mot composé) :
• 29. Appuyé sur l'épaule de son copain Séruzier, dit l'ahuri-volatil à cause de son affolement permanent, Leclerc, maigre singe en combinaison (...) commença une chanson de geste.
A. MALRAUX, L'Espoir, 1937, p. 476.
— Arg. Ahuri de Chaillot. Abruti, écervelé, imbécile, homme un peu fou :
• 30. On acheva le cassis, Gervaise souhaita le bonsoir à la compagnie. Lorsqu'elle ne parlait plus, elle prenait tout de suite la tête d'un ahuri de Chaillot, les yeux grands ouverts. Sans doute elle voyait son homme en train de valser.
É. ZOLA, L'Assommoir, 1877, p. 785.
• 31. Une des nombreuses parodies de Taronnet (...) porte pour titre : Les Ahuris de Chaillot ou Gros-Jean Belesprit.
L. RIGAUD, Dict. du jargon parisien, L'Argot ancien et moderne, 1878, p. 76.
Rem. gén. Ahuri est noté comme fam. ds Ac. 1798, BOISTE 1834, LAND. 1834, Ac. t. 1 1932, QUILLET 1965.
Prononc. :[]. PASSY 1914 indique un [h] facultatif au début de la seconde syllabe.
Encyclopédie Universelle. 2012.