CALLIMAQUE
Callimaque laissa une œuvre immense, tant en prose qu’en vers, dont la tradition manuscrite nous a gardé intacts seulement six Hymnes et une soixantaine d’ Épigrammes ; mais les trouvailles papyrologiques nous ont permis de mieux nous représenter la totalité de cette œuvre. Aristocrate cyrénéen, il resta toujours fier de ses origines et très attaché à sa patrie, même s’il passa une grande partie de sa vie à Alexandrie. Selon une biographie laissée par les Anciens, il vécut d’abord modestement dans un des faubourgs de la ville avant d’être présenté à la Cour des souverains lagides. Il connut alors la gloire à la fois comme ami des rois Ptolémées et comme chef d’école dans le grand renouvellement littéraire de cette époque.
Le poète
De son aveu même, Callimaque affirma très jeune sa vocation poétique. Réagissant contre la décadence où sombrait la poésie, il s’efforça de renouveler la langue et la technique du vers. Son œuvre marque une étape dans l’évolution de l’hexamètre dactylique et de plusieurs genres, élégie et épigramme; son style, à la fois savant et élégant, s’inspire des poètes archaïques, Hésiode et Pindare. Mais, par-delà les genres, ce qui fait l’originalité de Callimaque et de certains de ses contemporains comme Théocrite et Hérondas est dans l’apparition et la définition du poème en soi , indépendamment de tout genre précis, et du même coup l’apparition du recueil de poèmes . La tradition antique rend bien compte de ces transformations: elle oppose à Homère et à ses successeurs les poètes nouveaux, les neoteroi ; Callimaque lui-même est l’auteur le plus souvent cité après Homère, ce qui est significatif.
Son influence fut donc déterminante, notamment sur la poésie latine (le mouvement des poetae novi précisément); de même celle de Théocrite pour une source d’inspiration plus particulière, la bucolique (Églogues de Virgile). Ce grand mouvement poétique eut principalement Alexandrie pour cadre. Aussi le désigne-t-on assez souvent du nom d’alexandrinisme . Le terme n’est pas adéquat pour deux raisons: d’autres poètes participèrent à ce mouvement, qui n’étaient pas Alexandrins (Aratos, par exemple); l’alexandrinisme désigne une forme de poésie raffinée, artificielle, savante. Certes, cet aspect-là n’était pas absent; mais il était loin d’être le seul. Aussi emploie-t-on plus volontiers aujourd’hui les mots de poésie hellénistique , en fonction du cadre chronologique où elle se situe.
Callimaque est resté aux yeux de la postérité le maître de l’épigramme. Cette poésie courte permet une grande variété: élégies personnelles en raccourci, jeux de lettré, critique littéraire, thèmes érotiques, thèmes satiriques. Mais l’épigramme est aussi une poésie de circonstance: poésie funéraire ou votive; bien des pièces de Callimaque sont comparables aux inscriptions métriques des stèles funéraires découvertes par l’archéologie. Les Hymnes appartiennent à un genre hérité de celui des Hymnes homériques : deux sont écrits en dorien, alors que la langue traditionnelle est l’ionien épique; l’un a pour mètre le distique élégiaque, alors que le mètre habituel est l’hexamètre dactylique, mètre de l’épopée. Plusieurs, par l’évocation précise des réalités cultuelles, rappellent le mime. Ce genre traditionnel est ainsi renouvelé et enrichi. La question de la destination de ces hymnes est encore débattue. Même si certains critiques leur refusent une destination immédiate dans le cadre des fêtes religieuses, on admet généralement leur grand intérêt pour la connaissance de la réalité cultuelle et de la religiosité de l’époque. Certains, notamment I, II et IV, apportent de plus un témoignage sur l’idéologie politico-religieuse des souverains hellénistiques. Le reste de l’œuvre de Callimaque, qui n’était pas le moins important de l’avis même de ses contemporains, nous est maintenant mieux connu par les découvertes papyrologiques. Il s’agit encore de poèmes séparés, dans le genre lyrique (Divinisation de la reine d’Égypte Arsinoé II), dans le genre épique (Hécalé , un epyllion , épopée de dimensions moyennes, qui est l’application des techniques narratives nouvelles opposées à la grande épopée), dans l’inspiration familière ou satirique (Iambes , dont les sujets se rapportent aux mœurs de la société et aux thèmes des discussions littéraires). Mais l’œuvre maîtresse est constituée par le recueil des Aitia , dont le titre peut se rendre par «causes» ou «origines»: elle traduit le goût pour l’étiologie des cultes, des légendes et des coutumes. Les découvertes papyrologiques permettent d’esquisser la structure du recueil qui paraît avoir été établie de façon harmonieuse et équilibrée. Le poète relie certaines de ses pièces par des transitions ou des similitudes de thèmes; il s’imagine transporté en songe sur l’Hélicon, où les Muses, comme jadis à Hésiode, lui transmettent la matière de son œuvre; une place particulière est réservée à la reine Bérénice II, honorée dans deux poèmes, l’un qui célèbre la victoire de son char dans les jeux néméens, l’autre qui glorifie la consécration d’une boucle de ses cheveux pour la victoire du roi (Catulle, poème 66, a traduit cette œuvre sous le titre Coma Berenices ). Comme pièce liminaire, le recueil comporte une Invective aux Telchines , apologie personnelle qui a valeur d’introduction à toute la poésie de Callimaque. Les Telchines, génies envieux et malfaisants, sont les ennemis du poète, qui lui reprochent d’être incapable d’écrire une grande épopée. Callimaque les prend au mot et condamne l’œuvre longue. Mais la polémique ne se limite pas à l’opposition théorique sur les dimensions idéales d’une œuvre (problème esthétique important chez les Anciens), elle intéresse aussi la matière poétique, le style. Callimaque, en condamnant la grandiloquence, et la plate imitation d’Homère, rappelle les nécessités de l’art.
L’érudit
Novateur, Callimaque le fut encore dans un domaine qui n’était alors pas séparé de l’activité littéraire: l’érudition. On ne peut qu’évaluer l’importance de son rôle, d’abord par le nombre de ses disciples (Ératosthène et Aristophane de Byzance entre autres), ensuite par le travail de classement qu’il accomplit à la Bibliothèque royale d’Alexandrie, d’après le témoignage des Anciens: les Pinakes («tables» des auteurs et de leurs œuvres) furent le premier catalogue digne de ce nom, instrument indispensable à toute activité érudite et philologique. Cependant, Callimaque n’exerça jamais, bien qu’on l’ait cru jadis, les fonctions de chef de la Bibliothèque.
L’effervescence intellectuelle d’Alexandrie se manifesta aussi, à partir de la poésie comme de l’érudition, par des discussions, dont certaines, selon la tradition, furent de véritables querelles. L’une, en particulier, aurait opposé Callimaque à son propre disciple, Apollonios de Rhodes, l’auteur des Argonautiques . L’importance de ces querelles est peut-être exagérée. De plus, elles se compliquent de l’incertitude de la chronologie. Les œuvres des poètes hellénistiques sont en général difficiles à dater. Nous ne disposons que de quelques repères sûrs, d’après des œuvres de circonstances. L’activité de Callimaque se situe entre le début du IIIe siècle (poèmes inspirés de près par Cyrène) et, date mieux assurée, dans les années tournant autour de 240; l’Épinicie en l’honneur de Sosibios se place en effet en 243.
De récentes découvertes papyrologiques (Papyrus des collections de Lille) ont révélé l’existence d’une édition commentée d’un poème de Callimaque qui ne saurait être postérieure aux années 220 avant J.-C. Le fait est remarquable et significatif: peu après sa mort, sinon même de son vivant, le poète a été l’objet d’études et de commentaires. Cela souligne l’importance décisive qu’il eut sur l’évolution de la littérature.
Callimaque
(v. 315 av. J.-C. - v. 240 av. J.-C.) poète et grammairien grec; il dirigea la bibliothèque d'Alexandrie.
Encyclopédie Universelle. 2012.