innocent, ente [ inɔsɑ̃, ɑ̃t ] adj. et n.
• 1080; lat. innocens, de nocere « nuire »
1 ♦ Qui n'est pas souillé par le mal. ⇒ pur; immaculé. Vie innocente, simple et vertueuse. — Spécialt Qui ignore le mal, est pur et sans malice. ⇒ candide. Innocent comme l'enfant, l'agneau qui vient de naître. Air innocent. ⇒ 1. angélique. « Elle, si innocente, qui ne sait rien de rien, dont nous surveillons jusqu'aux pensées » ( Zola). Une main innocente a procédé au tirage au sort. — N. Un innocent, une innocente (s'emploie surtout en parlant des jeunes enfants). Relig. Massacre des Innocents, des saints Innocents : massacre des petits enfants par Hérode.
2 ♦ (XVe) Qui a une ignorance, une naïveté trop grande. ⇒ crédule, naïf, niais, simple. Il est bien innocent de croire ces balivernes.
♢ Spécialt N. Simple d'esprit. L'innocent du village. ⇒ idiot. — PROV. Aux innocents les mains pleines : les simples sont heureux dans leurs entreprises.
3 ♦ Vx ou littér. Qui ne nuit pas, n'est pas dangereux. ⇒ inoffensif. Hommes innocents et paisibles. ⇒ 1. bon. « de petits remèdes innocents » (Racine). ⇒ anodin, bénin.
4 ♦ Qui n'est pas coupable. Il est innocent du crime dont on l'accuse. Tout homme accusé est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable. Être innocent d'un acte. ⇒ irresponsable. Innocente victime. — N. Condamner un innocent. Faire l'innocent, celui qui ne comprend pas.
5 ♦ Qui n'est pas blâmable. ⇒ irrépréhensible. Plaisirs innocents. Baiser innocent. ⇒ chaste. Espiègleries, plaisanteries, railleries innocentes, pas méchantes. — Jeux innocents : petits jeux de société. « ces délicieux petits jeux dits innocents, parce qu'ils couvrent les innocentes malices des amours bourgeois » (Balzac).
⊗ CONTR. Impur; averti, rusé; dangereux, malfaisant, nuisible. Coupable, responsable.
● innocent, innocente adjectif et nom (latin innocens, -entis, probe) Qui n'a pas commis l'acte délictueux ou condamnable dont on le soupçonne : Cet homme est innocent du meurtre dont on l'accuse. Qui n'est pour rien dans des événements néfastes dont il pâtit : Les combats ont tué d'innocentes victimes. Dont l'ignorance des réalités de la vie, la candeur, la naïveté sont grandes : Il est bien innocent de croire de telles fadaises. Qui est un peu simple d'esprit ; niais : L'innocent du village. Littéraire. Se dit d'un tout jeune enfant : Faire souffrir de pauvres innocents. ● innocent, innocente (citations) adjectif et nom (latin innocens, -entis, probe) François René, vicomte de Chateaubriand Saint-Malo 1768-Paris 1848 Ce n'est pas de tuer l'innocent comme innocent qui perd la société, c'est de le tuer comme coupable. Mémoires d'outre-tombe Savinien de Cyrano de Bergerac Paris 1619-Paris 1655 Peut-on être innocent, lorsqu'on aime un coupable ? La Mort d'Agrippine Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Il est assez puni par son sort rigoureux ; Et c'est être innocent que d'être malheureux. Élégie aux nymphes de Vaux Claude Roy Paris 1915-Paris 1997 On ne naît pas innocent. On peut le devenir. Descriptions critiques, Colette Gallimard François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. Zadig ou la Destinée sir William Blackstone Londres 1723-Londres 1780 Que dix coupables échappent à la justice, plutôt que souffre un seul innocent. It is better that ten guilty persons escape than that one innocent suffer. Commentaries on the Laws of England, IV ● innocent, innocente (expressions) adjectif et nom (latin innocens, -entis, probe) Faire l'innocent, feindre l'ignorance, la naïveté. ● innocent, innocente (synonymes) adjectif et nom (latin innocens, -entis, probe) Qui n'a pas commis l'acte délictueux ou condamnable dont on...
Synonymes :
Contraires :
- coupable
Dont l'ignorance des réalités de la vie, la candeur, la...
Synonymes :
- crédule
- simple
- simplet
Contraires :
- averti
- blasé
- futé
- matois
- roublard (familier)
- roué
- rusé
Qui est un peu simple d'esprit ; niais
Synonymes :
- crétin
- demeuré
- idiot
- simplet
● innocent, innocente
adjectif
Qui est fait sans intention maligne, en toute candeur : C'était une farce bien innocente.
Dépouillé de toute connotation sexuelle : Un baiser innocent sur la joue.
● innocent, innocente (synonymes)
adjectif
Dépouillé de toute connotation sexuelle
Synonymes :
- chaste
- irrépréhensible
- irréprochable
- pur
innocent, ente
adj. et n.
d1./d Pur, exempt de malice; qui ignore le mal. Enfant innocent.
|| Subst. Massacre des innocents: massacre de tous les enfants de moins de deux ans ordonné par Hérode.
d2./d Litt. Inoffensif. Agneau innocent.
d3./d Crédule, d'une grande naïveté. Tu es innocent de le croire!
|| Subst. (Prov.) Aux innocents les mains pleines: la fortune favorise les simples (cité le plus souvent par plaisant.).
d4./d (Québec) Niais, idiot.
|| Subst. Faire l'innocent.
— (Comme insulte.) Bande d'innocents!
d5./d Qui n'est pas répréhensible. Jeux, plaisirs innocents.
d6./d Qui n'est pas coupable. être innocent d'un crime.
— Faire l'innocent: faire semblant d'ignorer qqch.
⇒INNOCENT, -ENTE, adj.
A. — Vieilli, littér. [Le déterminé désigne un être ou une chose, considérés du point de vue de l'effet produit, sans idée d'intention ni de jugement moral] Qui, par nature, ne fait pas de mal à autrui, n'a pas d'effet nuisible. Synon. inoffensif; anton. dangereux, malfaisant, nocif, nuisible.
1. [En parlant d'une pers. ou d'un animal] Innocent agneau, innocentes bestioles. Je dois rendre les loups innocents et timides (CHÉNIER, Bucoliques, 1794, p. 190). Penser que M. Lavisse est un inoffensif homme de bureau, un innocent pédagogue (PÉGUY, Argent, 1913, p. 1201) :
• 1. ... enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnoissance, le second sans en sentir de remords, ne se rappelant ni leurs crimes, ni leurs vertus, (...) individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus détestables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger, tour à tour plus doux, plus innocents que la brebis qu'on égorge, et plus féroces que le tigre qui déchire les entrailles de sa victime : tels furent les Athéniens d'autre-fois, et tels sont les François d'aujourd'hui.
CHATEAUBR., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 112.
2. [En parlant d'une substance, d'un objet matériel, d'un élément naturel] Remède innocent, drogue innocente; innocent aliment. Tenant d'une main le Koran et s'appuyant de l'autre sur un innocent sabre de bois, commémoratif du glaive du prophète (DU CAMP, Nil, 1854, p. 34). Il suffisait, le plus souvent, de changer une lettre dans une formule pour passer d'un innocent tinctorial à un redoutable explosif (P. ROUSSEAU, Hist. techn. et invent., 1967, p. 323).
♦ [En parlant d'une maladie] Synon. usuel bénin. La maladie la plus innocente pour un homme sain sera mortelle pour lui [Mr Marneffe] (BALZAC, Cous. Bette, 1847, p. 173).
3. [En parlant d'un comportement ou d'une production de l'être hum. (parfois d'un animal)] Propos innocent (synon. anodin); innocent bavardage, persiflage, juron; innocente plaisanterie, raillerie, manie. Perdue dans la lecture céleste d'un innocent bouquin du vieux fonds (GONCOURT, Mme Gervaisais, 1869, p. 42). L'innocent enroulement d'une couleuvre sans venin (BARRÈS, Jard. Oronte, 1922, p. 82). V. incommoder ex.
Rem. Lorsque le déterminé désigne un comportement propre à l'être humain, il peut y avoir interférence entre cet emploi A 3 et l'emploi B 1 b.
B. — [Le déterminé désigne essentiellement un être hum. ou une de ses manifestations; avec une idée d'intention et de jugement moral]
1. [En rapport avec la conception chrétienne du péché]
a) [En parlant d'un être hum.]
) Qui n'est pas souillé par le mal, le péché; incapable de le commettre, par ignorance; qui ne pense pas à mal. Synon. pur, candide. Innocente créature; petit enfant innocent; innocent comme l'enfant, l'agneau qui vient de naître; Dieu créa l'homme innocent. On sentait, en le voyant, un de ces êtres bienveillants, innocents et purs, qui progressent en sens inverse de l'humanité vulgaire, que l'illusion fait sages et que l'expérience fait enthousiastes (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 233). À onze ans, Costals, qui lui non plus n'était pas né innocent (les innocents ne voient pas ces choses-là), avait découvert un trou fait par Brunet dans la porte du lavabo de Mlle du Peyron (MONTHERL., J. filles, 1936, p. 991) :
• 2. Par le péché l'homme a soustrait à Dieu son corps, le service de son corps (à qui toute la nature se rattache solidairement). Il cesse d'être adapté. Ce qu'il a dérobé innocent, il ne peut le rendre pécheur.
CLAUDEL, Corresp. [avec Gide], 1906, p. 65.
[En parlant d'une apparence, d'une manière d'être générale] Cœur, œil, regard, visage, air innocent; âme innocente; âge innocent (v. artésien ex. 5). Cristal immaculé, plus pur et plus splendide Que l'innocent esprit de la vierge candide (LECONTE DE LISLE, Poèmes ant., 1852, p. 331). Ce profil innocent incliné sur un livre, et si enfantin qu'on s'attend à ce qu'une boucle glisse de l'épaule et cache soudain la page (LARBAUD, Barnabooth, 1913, p. 290). Il eût pu demeurer près de maman, continuer une vie innocente (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952, p. 217).
♦ En partic. Qui ignore les choses sexuelles, qui n'en a pas l'expérience. Synon. chaste (v. bergerie ex. 5). Quand je touche sa chaste personne, son corps innocent, il me semble que j'y gagne quelque chose de sa vertu (MICHELET, Journal, 1851, p. 149). Rêvant d'elle sans cesse, j'entrai en agonie à l'image de ses amants. Je l'aurais voulue innocente (MAURRAS, Chemin Paradis, 1894, p. 73).
— Emploi subst. Ne pas la mettre dans les pensionnats, où les innocentes se corrompent (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 66). V. supra MONTHERL., J. filles, 1936, p. 991.
♦ Tout jeune enfant. Ces chers innocents que nous berçons et que nous réchauffons sur notre cœur ne sont ni fiers ni ingrats, eux! (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 225). Des chérubins roses, des fillettes aux yeux bleus hallucinants d'infinie candeur, des innocents de deux ans, savent déjà la règle du jeu (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p. 115).
En partic. Les (saints) Innocents. Enfants en bas âge massacrés sur l'ordre d'Hérode. Les étoiles, descendues avec toi [Jésus] du ciel étaient si près de la terre, que les saints Innocents pouvaient les saisir dans leurs mains (FRANCE, Thaïs, 1890, p. 153). [Surtout dans le syntagme massacre des Innocents]. Il [Brueghel] a placé le Massacre des Innocents dans un pauvre village, sous la neige, dix chaumières autour d'un clocher, l'étang et le ruisseau gelés, un escadron de fer, piques levées, qui ferme les issues (FAURE, Hist. art, 1914, p. 480). P. métaph. :
• 3. ... ce fut l'enrôlement de plusieurs milliers d'enfants de six à huit ans. J'eus beau me débattre, il me fallut céder à leur unanimité, en les prévenant toutefois que j'en chargeais leur conscience. Qu'en résulta-t-il? que le public murmura, déclama beaucoup et nous couvrit de ridicule, qualifiant l'opération de massacre des innocents.
LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 285.
Rem. Apparaît dans des noms de lieux : cimetière, charnier, fontaine, marché, square des Innocents.
♦ HIST. DU COST. Robe à l'innocente ou innocente. ,,Robe flottante sans ceinture, mise à la mode par Mme de Montespan qui pensait ainsi dissimuler ses grossesses`` (LELOIR 1961).
) Qui n'a pas conscience, qui ne se rend pas compte des choses; qui a une trop grande ignorance des réalités, surtout dans ce qu'elles peuvent avoir de mauvais. Synon. naïf, crédule. Me mépriserez-vous comme innocent et juvénile si je vous avoue que l'acte d'accusation de M. Rivière m'a fait pleurer? (FLAUB., Corresp., 1873, p. 75). Ce qui (...) ne lui coupe pas ses effets auprès d'un auditoire à la fois ébaubi, innocent, crédule et jovialement charrieur (ARNOUX, Solde, 1958, p. 68). Emploi subst. Pauvre innocente! tu ne sais rien des choses de ce monde (BALZAC, Fille yeux d'or, 1835, p. 398).
♦ Qui n'est pas au courant de quelque chose. Mais quand je t'ai interrogée, tu me connaissais; et tu m'as menti avec des airs si innocents! (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 474).
Faire l'innocent, jouer (à) l'innocent. Faire semblant de ne pas savoir quelque chose. Moi, jouant l'innocent, je pris à part Mme Elmire, et, après quelques propos, je lui demandai : « C'est le père de votre enfant? » (MAUPASS., Contes et nouv., t. 1, Père, 1887, p. 746). Mais oui, ne faites pas l'innocent... j'ai déjà interrogé Misard, l'homme qui a épousé la mère de votre maîtresse (ZOLA, Bête hum., 1890, p. 92).
♦ Simple d'esprit. Synon. crétin, idiot, demeuré. Une vieille fille, dont les bombardements ont un peu ébranlé la raison et qu'un essai de traitement a rendu presque innocente (THARAUD, Relève, 1919, p. 3).
Emploi subst. Cette admiration obstinée de l'innocent pour ma veste et pour mes souliers me fit venir une idée (LAMART., Tailleur pierre, 1851, p. 524). Jacques travesti en innocent de village (GRACQ, Beau tén., 1945, p. 75).
♦ Proverbe. Aux innocents les mains pleines. Les simples réussissent dans leurs entreprises (d'apr. PÉGUY, Porche Myst., 1911, p. 190).
♦ (Ce) grand innocent (de). (Cet) imbécile (de). Traiter qqn de grand innocent. Oh! céleste volaille! grand innocent, va! répliqua Asmodée [à l'ange] (HUGO, Rhin, 1842, p. 195). Il n'y a pas jusqu'à ce grand innocent de Pascal qui ne nous compromette, en faisant de la philanthropie à la suite des insurgés (ZOLA, Fortune Rougon, 1871, p. 265).
b) [En parlant d'une action hum. ou de son résultat] Qui n'est pas dicté par l'intention de mal faire, que l'on ne peut condamner. Anton. blâmable, condamnable, répréhensible. C'était un faible adoucissement à la contrainte aiguë qui venait de troubler un plaisir innocent (LAS CASES, Mémor. Ste Hélène, t. 1, 1823, p. 298). Il n'y a plus rien d'innocent dans vos démarches. Vous avez fait de telles folies que désormais c'est à moi d'être prudente (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 235). Quelque divertissement innocent, comme une fête de village sans arrière-pensée (GRACQ, Beau tén., 1945p. 22) :
• 4. En vérité, c'était pour servir et pour honorer jusqu'à la fin cette affection presque sans histoire, cette affection qui n'aura pas vécu beaucoup plus de trois mois et qui va maintenant s'endormir au fond de mon cœur, entre les souvenirs innocents que je peux évoquer sans rougir.
DUHAMEL, Maîtres, 1937, p. 195.
SYNT. Innocent(s) stratagème, entretiens; goûts innocents; innocente(s) amitié, gaîté, malice, occupation, caresses, pensées; joie, ruse, amours innocente(s).
♦ Jeux innocents. Jeux de société, dénués de tout caractère équivoque, où l'on impose une pénitence légère à celui qui se trompe. Comme on jouait au jeu innocent du gant, Veber jeta le sien sur la tête de Beaubourg et lui brisa son lorgnon sur les yeux (RENARD, Journal, 1896, p. 316). Je me contiens encore, je garde le calme crispé et correct du mari dont on embrasse la femme aux petits jeux innocents (COLETTE, Cl. ménage, 1902, p. 203).
P. ext. et souvent p. antiphrase. Il était des jeux moins innocents; la chronique arabe, fort scandalisée, rapporte que les mamelouks de Saladin ne résistaient pas aux séductions des ribaudes qui suivaient l'armée franque (GROUSSET, Croisades, 1939, p. 261). En haine des pieuses rivales qui l'ont mises elle-même en interdit, repoussée peu à peu, sournoisement, des rives heureuses où la société bien pensante se livre à ses jeux innocents (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1358).
— En partic. [Dans une phrase négative ou de sens négatif] Qui (n')est (pas) gratuit, qui (n')implique (pas) d'arrière-pensée (idéologique ou autre). J'avais mis le nez dans l'autobiographie de Trotsky avec des idées de derrière la tête qui, je l'avoue, n'étaient point toutes innocentes (MAURIAC, Mém. intér., 1959, p. 133). On a beaucoup étudié, ces dernières années, une notion qui a été longtemps synonyme de rêveries, de plans tirés sur la comète, et qui s'est révélée loin d'être innocente : l'utopie (J.-F. SIX, L'Humilité de la vérité ds Études, déc. 1980, p. 671).
2. [Avec une idée de responsabilité personnelle] Qui n'est pas, volontairement, à l'origine de quelque chose de mauvais.
a) [En parlant d'un être hum. exclusivement]
) Qui n'a pas commis un acte répréhensible ou délictueux. Anton. coupable.
— Homme, accusé innocent; personne innocente; innocente victime; innocent ou coupable; innocent et réhabilité; croire, déclarer, reconnaître qqn innocent; présumé innocent (v. culpabilité ex. 5). Ce premier sentiment qui saisit tout être innocent à l'audition d'un crime (BALZAC, Corresp., 1829, p. 425). Elle se l'imaginait innocent et sous les verrous, éclaboussé de cet affreux scandale, la vie dévastée, salie à jamais (ZOLA, Argent, 1891, p. 366) :
• 5. La semaine dernière, un de mes... enfin... vagues camarades, anarchistes ou se disant tel, est accusé d'avoir barbotté la caisse. Il était innocent. Il fait appel à mon témoignage. Naturellement, je le défends.
MALRAUX, Espoir, 1937, p. 612.
[P. méton. du déterminé] Sang innocent, mains innocentes. Il y a des crimes qui restent impunis, dit-il, parce qu'on ne connaît pas les criminels, et qu'on craint de frapper une tête innocente pour une tête coupable (DUMAS père, Comte Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 550). V. admettre ex. 32.
♦ Emploi subst., gén. au masc. Être, personne innocent(e). On exécutait des innocents pour prouver qu'on savait tuer (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Coup d'état, 1882, p. 176). Que le plus clair résultat de toutes leurs belles phrases serait de faire d'eux les geôliers d'un innocent (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 454). Des milliers et des milliers d'innocents vont être sacrifiés! (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 619).
SYNT. Innocent (injustement) attaqué, condamné, opprimé, puni; innocent réhabilité; acquittement, condamnation d'un innocent; charger, condamner, punir, tuer, épargner un innocent; envoyer, mettre, garder, maintenir un innocent au bagne, en prison; un innocent paie, périt, souffre.
Au fém., rare. Son âme ne doit trouver de repos que si les larmes d'une innocente persécutée baignent cette bague maudite (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 118).
— Innocent de qqc. Innocent d'un crime, d'un meurtre, d'un vol, d'une trahison. Le fils est innocent des fautes de son père (PONSARD, Honn. et argent, 1853, III, 1, p. 61). L'aimable créature, innocente de ce complot (BLOY, Femme pauvre, 1897, p. 148). Je me sentais innocent de toute tentative d'empoisonnement (FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 125) :
• 6. ... il est arrivé à André Gide et à moi-même d'être sollicités de porter à Hitler les pétitions de protestation contre la condamnation de Dimitrov, innocent de l'incendie du Reichstag. C'était un grand honneur pour nous (il n'y avait d'ailleurs pas foule). Lorsque maintenant Dimitrov au pouvoir fait pendre Petkov innocent qui est-ce qui a changé? Gide et moi, ou Dimitrov?
MALRAUX, Conquér., 1949, p. 174.
) P. ext.
— [Avec compl. subst. prép. de] Qui n'est pas, intentionnellement, la cause de quelque chose de funeste (ou considéré comme tel). Anton. responsable. Mes fonds ont été emportés par un notaire, et je suis innocent des désastres que je cause (BALZAC, C. Birotteau, 1837, p. 350). Je n'arrivais jamais à me sentir entièrement innocent des malheurs qui arrivaient (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 345). Celui-là pourra se dire innocent des espérances insensées qu'il suscite (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 189).
♦ Être la cause innocente, l'instrument innocent de qqc. Mon seul regret est d'avoir été la cause bien innocente du malheur arrivé à M. le duc votre fils (GAUTIER, Fracasse, 1863, p. 445). Il a été l'instrument innocent de votre perte (BERNANOS, M. Ouine, 1943, p. 1490).
— Ne pas être tout à fait innocent dans une affaire. Avoir une part de responsabilité dans une affaire.
b) P. anal. [En parlant d'un animal, d'un objet ou d'une entité abstr. plus ou moins personnifiée]
— [En emploi abs.] Tandis qu'Albert fouettait le devant de son cabriolet après avoir fouetté les innocents papiers noircis qui n'en pouvaient mais de sa déconvenue (DUMAS père, Comte Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 295). Sans rien dire, je saisis ces innocentes branches fragiles, les brise, les emporte, les jette, exaspéré, le sang aux yeux (GIDE, Immor., 1902, p. 461).
— [Avec compl. subst. prép. de] Mais le hasard est innocent des maux immenses qui résultaient de la série de nos troubles civiques (MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, p. 52).
REM. Innocentissime, adj., hapax. Absolument innocent. Est-ce à cause de ce privilège innocentissime que l'ancien régime et les vieilles idées lui tiennent tant au cœur (J. GOURDAULT, La France pittoresque, 1893, XXV, 305 ds QUEM. DDL t. 18).
Prononc. et Orth. : [], fém. [-]. Att. ds Ac. dep. 1718. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 empl. subst. plur., désigne les enfants mis à mort par Hérode (Roland, éd. J. Bédier, 1523); ca 1165 « tout jeune enfant » (G. d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 855); b) 1656 relig. « dans l'état d'innocence d'avant la chute » (BOSSUET, Oraison fun. de Y. de Monterby, éd. B. Vélar et Y. Champailler, p. 10); c) 1662 « ignorant des choses de l'amour » (MOLIÈRE, Ecole des Femmes, I, 1); 2. 1re moitié XIIe s. « qui ne commet pas le mal sciemment » (Ps. d'Oxford, éd. F. Michel, 17, 26); 3. ca 1300 ignocent « qui n'est pas coupable » (MACÉ, Bible, éd. H.-C.-M. Van der Krabben, 19546); 4. 1360-70 péj. « naïf, niais » (B. de Sebourc, XV, 145 ds T.-L.); 5. fin XIVe s. « qui ne nuit à personne » (ROQUES t. 2, p. 206, 6006 : innocens : non noisans). Empr. au lat. innocens « qui ne fait pas de mal, inoffensif (de choses); qui ne nuit pas, irréprochable, vertueux; qui n'est pas coupable, innocent »; cf. Innocentes désignant les Saints-Innocents en lat. chrét., et Innocentes martyres, terme de liturg. au Moy. Âge (BLAISE Latin. Med. Aev.; v. aussi Catholicisme). Fréq. abs. littér. : 3 723. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 6 298, b) 5 104; XXe s. : a) 6 156, b) 4 020.
innocent, ente [inɔsɑ̃, ɑ̃t] adj. et n.
ÉTYM. 1080; lat. innocens, de in- (→ 1. In-), et nocens, entis « nuisible, pernicieux », de nocere « nuire ».
❖
1 Relig. Qui n'est pas souillé par le mal. ⇒ Pur, immaculé. || L'homme a été créé (cit. 2) saint et innocent. || Vie innocente, simple et vertueuse (→ Assoupir, cit. 2; cultiver, cit. 1; entier, cit. 9). — Spécialt. Qui ignore le mal, qui est pur et sans malice. ⇒ Candide; → Pervers, cit. 3. || Innocent enfant (→ Épargner, cit. 11); enfant innocent. || « Âge (cit. 27) tendre et innocent » (Racine). ☑ Innocent comme l'enfant, comme l'agneau qui vient de naître. || Une innocente jeune fille. → Blanche comme neige; blanche colombe; innocente brebis (vx ou iron.). || Air innocent. ⇒ Angélique. — (1662). Spécialt. Ignorant des choses sexuelles. ⇒ Chaste, ingénu; → Faillir, cit. 16. || Vierge et innocente. || Innocente pudeur (→ Arme, cit. 34).
1 (…) chose étrange ! si la Fille aux yeux d'or était vierge, elle n'était certes pas innocente.
Balzac, la Fille aux yeux d'or, Pl., t. V, p. 305.
2 Et vous imaginez-vous Élodie montant à cette échelle, découvrant ça ! (un couple enlacé) Elle, si innocente, qui ne sait rien de rien, dont nous surveillons jusqu'aux pensées !… Ça fait trembler, parole d'honneur !…
Zola, la Terre, II, VII.
3 À cet âge innocent où l'on voudrait que toute l'âme ne soit que transparence, tendresse et pureté, je ne revois en moi qu'ombre, laideur, sournoiserie.
Gide, Si le grain ne meurt…, I, I, p. 10.
♦ Vie primitive, innocente, antérieure à la civilisation (→ Grotesque, cit. 15).
♦ N. || Un innocent, une innocente (s'emploie surtout en parlant des jeunes enfants). || De petits innocents. || Chers innocents. → fam. Chères têtes blondes (→ Babiller, cit. 6; horreur, cit. 13). — Relig. chrét. || Massacre des Innocents, des saints Innocents : selon saint Matthieu, massacre des petits enfants par Hérode.
4 La mort ayant ravi ce petit innocent (…)
Molière, le Dépit amoureux, V, 4.
2 (XVe). Qui a une ignorance, une naïveté trop grande. ⇒ Crédule, naïf, niais, simple. || Il est bien innocent de croire ces balivernes.
♦ N. (V. 1330). || Un innocent, une innocente : un, une simple d'esprit. ⇒ Crétin (cit. 2). || L'innocent du village. ⇒ Idiot. — Par ext. || Cet innocent, ce pauvre, ce grand innocent de X.
5 Quelquefois, quand le temps était mauvais, il avait sous le bras un parapluie, qu'il n'ouvrait point. Les bonnes femmes du quartier disaient : C'est un innocent.
Hugo, les Misérables, V, VIII, IV.
♦ ☑ Prov. Aux innocents les mains pleines : les simples sont heureux dans leurs entreprises (cf. le prov. lat. Fortuna favet stultis).
B (1580). Vx ou littér. Qui ne nuit pas, n'est pas dangereux. ⇒ Inoffensif. — (Êtres animés). || L'agneau, animal innocent. → Sans défense. || Hommes innocents et paisibles. ⇒ 1. Bon; → Bergeronnette, cit. 2. — (Choses). || Folie innocente (→ Atrabilaire, cit. 7), préjugé innocent (→ Funeste, cit. 11). — Vieilli ou littér. (Choses concrètes; → ci-dessous, cit. 7). || Drogues innocentes. ⇒ Anodin, bénin; → Gitan, cit. 1.
6 Ni loup ni renard n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
La Fontaine, Fables, VII, 1.
7 (…) de petits remèdes innocents (…)
Racine, Lettres, 73, 13 août 1687.
8 Si M. Lavisse et la génération de M. Lavisse avait réussi à faire de la France une basse et molle proie (…) eussions-nous dû continuer à penser que M. Lavisse est un inoffensif homme de bureau, un innocent pédagogue ?
Ch. Péguy, la République…, p. 302.
C (Déb. XIVe). || Innocent de… : qui n'est pas coupable de… || Il est innocent du crime dont on l'accuse. || Être innocent de qqch. || Être innocent d'un acte. ⇒ Irresponsable. — (Sans compl. en de). || Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable (cit. 1). — Par ext. || Des mains innocentes (→ Criminel, cit. 3).
9 Pilate (…) se fit apporter de l'eau, et lavant ses mains devant le peuple, il leur dit : je suis innocent du sang de ce juste; c'est votre affaire.
Bible (Sacy), Évangile selon saint Matthieu, XXVII, 24.
10 Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable (…)
Racine, Phèdre, III, 1.
11 Qu'on ne me demande pas comment ce dégât se fit : je l'ignore et ne puis le comprendre; ce que je sais très certainement, c'est que j'en étais innocent.
Rousseau, les Confessions, I.
12 Que si le lieu commun et le cliché sont, en littérature, inévitables, l'écrivain du moins peut en être innocent.
J. Paulhan, les Fleurs de Tarbes, p. 37.
♦ N. || Un innocent accusé (cit. 16), condamné (cit. 22). || Ils ont condamné une innocente. || Immoler les innocents et les coupables (→ Extermination, cit. 2). || Poursuivre l'innocent (→ Avide, cit. 6). ☑ Faire l'innocent : prendre la contenance de celui qui n'est pas coupable.
13 (…) il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent.
Voltaire, Zadig, VI (→ 1. Coupable, cit. 7).
14 (…) je n'avais de cesse que je n'eusse obligé l'abbé Ardouin à confesser qu'un chrétien ne peut souscrire à la condamnation d'un innocent, fût-ce pour le salut du pays.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, VII.
15 Il n'est pas de manière plus sûre de compromettre un innocent (et tout aussi bien un coupable) que de le louer sans mesure ou le défendre avant que personne songe à l'attaquer (…)
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 112.
D (V. 1380; choses). Qui n'est pas blâmable, ne fait pas le mal. ⇒ Irrépréhensible. || Habitudes, familiarités (cit. 11) innocentes (→ Bouleversement, cit. 3). || Les plaisirs innocents (→ Damner, cit. 4; évoquer, cit. 9). || Baiser (cit. 7) innocent; innocentes caresses (cit. 3). || Espiègleries (cit. 3), railleries innocentes (→ Enjouement, cit. 4), pas méchantes. || Mot innocent. || Cabotinage (cit. 3) innocent. — ☑ Jeux innocents : (vx) « petits jeux de société où l'on impose des pénitences à ceux qui se trompent » (Littré); (mod.) jeux apparemment chastes, qui sont prétexte à certaines privautés.
16 Le reste de la soirée fut donné aux cartes par les vieilles gens, et par les jeunes à ces délicieux petits jeux dits innocents, parce qu'ils couvrent les innocentes malices des amours bourgeois.
Balzac, César Birotteau, Pl., t. V, p. 512.
17 (…) les leçons de cuisine données par sœur Angélique, et qui étaient pour la plupart des élèves l'occasion de plaisanteries d'ordinaire innocentes.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, p. 30.
❖
CONTR. (De A., 1.) Averti, coquet, dépravé, impur, obscène. — (De A., 2.) Malin, roué, rusé. — (De B.) Dangereux, funeste, malfaisant, méchant, nocif, nuisible. — (De C.) Coupable, criminel. — (De D.) Blâmable.
DÉR. Innocemment, innocenter.
Encyclopédie Universelle. 2012.