CURIOSITÉ
CURIOSITÉ
Le dictionnaire de Trévoux (1771) donne en trois mots les composantes de la curiosité, «Curiosus, cupidus, studiosus »: l’attention, le désir, la passion du savoir. Il est étonnant que, dès les origines, le mot désigne à la fois l’état du sujet et la nature de l’objet, et qu’il soit toujours resté attaché à l’activité artistique ou scientifique de l’amateur. «Ce mot est reçu parmi les amateurs des arts, on dit familièrement: comment va la curiosité?» (Trévoux). De fait, l’histoire de la curiosité suit comme une ombre l’histoire des objets dans leurs rapports avec notre désir, du plus inavoué (jouissance du collectionneur plus ou moins fétichiste) au plus honorable (amateur, chercheur...). Il est impossible aussi de séparer l’histoire de la curiosité de celle des collections avec laquelle cependant elle ne se confondra jamais. Dès l’Antiquité, sous le signe de la rareté et de la beauté, de grandes collections sont composées. Là, la curiosité surgit du trésor des butins. César oubliait la Gaule pour un camée. Quant au monstrueux Verrès «atteint d’une espèce de boulimie de beauté, il s’intéressait aux terres cuites, aux médailles, aux tapisseries, aux pierres taillées [...]. Capable d’acheter tout ce qu’il désirait, il dérobait tout ce qu’il ne pouvait acheter.» Se condamnant lui-même par ce cri: «Aucune fortune, aucune raison du monde ne pourrait me décider à me séparer d’un de mes trésors aussi longtemps que je vivrai!» Durant le Moyen Âge, c’est l’Église qui se chargea d’accumuler un fabuleux patrimoine d’objets faits pour la beauté et l’étonnement. Mais la curiosité se fait déjà plus subtile que le seul goût du lucre, plus exigeante que la simple jouissance esthétique. Très tôt, et surtout en Allemagne, il se mêle à cette soif de posséder le plaisir de la singularité merveilleuse, stimulatrice du savoir. Dans les «cabinets» germaniques s’accumulent les premiers oiseaux empaillés, les défenses d’éléphants, les crocodiles naturalisés, les conques fantastiques. C’est la passion de l’inconnu; fasciné par la nature, le curieux préfère ses monstres et ses merveilles à toute la pompe et aux joyaux de la production culturelle. Dans ces derniers, il choisira toujours l’objet singulier générateur de surprise, complice de la folie. Ainsi souvent l’humour, et toujours le jeu sous ses formes les plus fines, est présent dans la curiosité.
Tout cela fait de la Renaissance, même tardive, l’âge d’or de la curiosité. L’enrichissement général, l’afflux d’objets et d’êtres exotiques, les découvertes physiques, optiques, mécaniques sont autant de causes favorables à telle passion. La soif du beau, la passion du neuf font aborder l’inconnu sans effroi; le jeu est pratiqué avec profondeur et la propriété est encore l’apanage du savoir. Vient l’époque des Wunderkammern , cabinets des merveilles où s’entasse la foule hétéroclite et monstrueuse des objets qui défient la raison et l’imagination. On baptise son musée personnel Rarothèque , Ciméliothèque , Thesaurus fossilium ... Sur l’étagère, la merveille côtoie la mystification: Albert V de Bavière pouvait montrer, sur la foi d’un ecclésiastique, «un œuf sorti d’un autre œuf», et, dans une tasse, «une pincée de poudre de manne divine». Auguste Ier de Saxe possédait des poils provenant de la barbe de Noé! Le fétichisme n’est pas loin. À côté de ces farces se constituent d’admirables collections; elles n’attendent que le signal de la spéculation marchande, que donneront antiquaires, courtiers et experts. Apparaît également le goût de l’insolite poussé jusqu’au morbide. Marguerite de Valois, cultivant le funèbre, passait pour porter sur elle le cœur embaumé de ses amants. Il est en tout cas authentique que François Ier collectionnait les boutons. Quant à la reine Christine de Suède, elle devait aussi être fort «curieuse», et cela jusqu’à la kleptomanie. «Gardez cette folle à l’écart de mes cabinets, s’écriait Mazarin, sinon il y manquera bientôt quelques-unes de mes miniatures!» Mais Mazarin, comme Richelieu, est déjà à ranger du côté des grands collectionneurs, chez qui l’esprit vivant et imprudent de la curiosité fait place au gestionnaire du patrimoine de «valeurs sûres». Bibliothèques, tapis persans, pinacothèques préparent l’espace du musée, du salon, de la salle des ventes. Cependant, l’esprit des Lumières va encore perpétuer la turbulente passion de l’étrange. L’ancien plaît pour son anachronisme. On se passe un mandibule d’Abélard, une perruque de Capétien, un fœtus dans l’alcool — jusqu’au cadavre d’un basilic, fruit d’une idylle entre une poule et un crapaud. Tout est bon à l’exclamation. Il faut citer l’inventaire du catalogue de collection de Charles Alexandre de Lorraine (1781): coquillages superbes, échantillons de terres, oiseaux, serpents, poissons naturalisés, cadavres d’animaux dans l’alcool, ciseaux d’artisans du monde entier, et bien d’autres choses. Le plus célèbre de ces cabinets fut sans doute celui de Joseph Bonnier de La Mosson: rue Saint-Dominique, à Paris, on pénétrait dans un laboratoire de chimie «doté d’admirables fontaines [...] puis venait une pharmacie riche de mille substances réelles ou imaginaires (lait de vierge, or rouge, dissolvant universel) [...] puis c’était un musée naturaliste [...] au mur des couloirs des milliers et des milliers de papillons [...] plus loin des instruments de précision». Pour finir, on pénétrait dans le saint des saints: un théâtre d’automates qui interprétaient la Création du monde, l’enlèvement de Médée...
Au XIXe siècle, l’esprit des merveilles se réfugie dans la littérature fantastique, et le secret des collections a souvent les rougeurs du péché. L’insolite, le monstrueux deviennent la passion de quelques esprits diaboliques qui traitent avec l’enfer dans les laboratoires de minuit. La curiosité étant «un vilain défaut», la bourgeoisie assouvit par le fétiche ou par l’image licencieuse les rêves d’une sexualité coupable. L’inconnu va avec le défendu.
Voilà pourquoi le surréalisme, pourtant héritier d’une vieille tradition, va faire souffler un vent de fraîcheur et de nouveauté sur le destin de la curiosité. Magicienne, révélatrice, la curiosité est le butin d’un esprit inventif et brigand. Les termes se renversent même: un rien sans usage, sans relief, sans éclat, d’un geste devient curiosité. C’est la source même du désir qui est en question. Dans une culture de l’assouvissement et du demi-sommeil, il faut faire jaillir la sève de la curiosité. Le désir d’objet est un appel au désir tout court. Le génie naît de la trouvaille et la trouvaille est l’objet du génie. Voilà pourquoi, peut-être, les artistes d’aujourd’hui, dédaignant l’art des valeurs sûres et possédées, créent des œuvres de dépossession, insolites, éphémères, déroutantes ou monstrueuses. Ces objets subversifs veulent à tout prix faire renaître le démon vivifiant de la curiosité.
curiosité [ kyrjozite ] n. f. I ♦
1 ♦ Vx Soin, souci qu'on a de qqch. ⇒ 1. cure.
2 ♦ Mod. Tendance qui porte à apprendre, à s'informer, à connaître des choses nouvelles. ⇒ appétit, soif (de connaître). Contenter, satisfaire, rassasier sa curiosité. Je vous demande cela par simple curiosité, pour savoir, sans mauvaise intention. Piquer, éveiller, exciter la curiosité. Curiosité intellectuelle.
♢ LA CURIOSITÉ DE (qqch.). « la curiosité douloureuse, inlassable que j'avais des lieux où Albertine avait vécu, de ce qu'elle avait pu faire » (Proust). (Et l'inf.) Il n'a même pas eu la curiosité de regarder la signature.
3 ♦ Désir de connaître les secrets, les affaires d'autrui. ⇒ indiscrétion. À l'abri de la curiosité. Loc. prov. La curiosité est un vilain défaut. Il a été puni de sa curiosité.
II ♦ (XVe) Chose curieuse (II); spécialt Objet recherché par les curieux, les amateurs. Ce bâtiment est une des curiosités de la ville. Curiosité touristique. ⇒ monument, site. Une curiosité de la nature. ⇒ bizarrerie, singularité. Magasin de curiosités.
⊗ CONTR. Incuriosité, indifférence. Discrétion, réserve.
● curiosité nom féminin (latin curiositas, -atis) Qualité de quelqu'un qui a le désir de connaître, de savoir : C'est la curiosité qui l'a poussé vers la recherche. Désir indiscret de savoir : Ta curiosité te perdra. Besoin de savoir quelque chose : Avoir des curiosités malsaines. Qualité de quelque chose d'étrange, d'original, de bizarre : Ce vase a retenu mon attention par la curiosité de sa forme. Ce qui retient l'attention, l'intérêt (surtout pluriel) : Visiter les curiosités de la ville. ● curiosité (citations) nom féminin (latin curiositas, -atis) Bernard Le Bovier de Fontenelle Rouen 1657-Paris 1757 Toute la philosophie n'est fondée que sur deux choses : sur ce qu'on a l'esprit curieux et les yeux mauvais. Entretiens sur la pluralité des mondes Anatole François Thibault, dit Anatole France Paris 1844-La Béchellerie, Saint-Cyr-sur-Loire, 1924 Académie française, 1896 […] Le diable s'est toujours mis du côté des savants. Le Jardin d'Épicure Calmann-Lévy Henri René Lenormand Paris 1882-Paris 1951 L'homme prend ses curiosités pour de l'amour. Terre de Satan Albin Michel Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 La faiblesse humaine est d'avoir Des curiosités d'apprendre Ce qu'on ne voudrait pas savoir. Amphitryon, II, 3, Sosie Jean-Jacques Rousseau Genève 1712-Ermenonville, 1778 On n'est curieux qu'à proportion qu'on est instruit. Émile ou De l'éducation ● curiosité (synonymes) nom féminin (latin curiositas, -atis) Désir indiscret de savoir
Synonymes :
- indiscrétion
Qualité de quelque chose d'étrange, d'original, de bizarre
Synonymes :
- étrangeté
- singularité
curiosité
n. f.
d1./d Désir de voir, de connaître, de s'instruire. Satisfaire sa curiosité. Piquer la curiosité de qqn.
d2./d Désir indiscret de connaître les affaires d'autrui. La curiosité est un vilain défaut.
d3./d Objet, chose remarquable par sa rareté, sa beauté, etc. Magasin de curiosités. Les curiosités d'une ville.
⇒CURIOSITÉ, subst. fém.
A.— [Pour désigner une disposition d'esprit d'une pers.] Envie d'apprendre, de connaître des choses nouvelles.
1. En bonne part. Vive curiosité; curiosité scientifique. Amusant, de le surprendre jouant avec sa fille, — ou plutôt, patiemment penché, avec la curiosité de l'entomologiste, vers ce bébé de dix mois qui se traîne et se trémousse sur le tapis (MARTIN DU G., Notes A. Gide, 1951, p. 1391) :
• 1. La curiosité! C'est la source du monde, elle le crée continuellement; par elle naissent la science et l'amour... J'ai vu avec chagrin un petit livre pour les enfants où la curiosité était blâmée...
BARRÈS, Le Jardin de Bérénice, 1891, p. 6.
— Curiosité de + compl.
a) [Le compl. précise ce sur quoi porte l'envie]
♦ Curiosité de + inf. La curiosité nous tourmente de connaître les causes des choses (A. FRANCE, Pierre bl., 1905, p. 55).
♦ Curiosité de + subst. Pauline avait gardé la curiosité passionnée de cette eau immense, si pure et si douce maintenant, au clair soleil de juillet (ZOLA, Joie de vivre, 1884, p. 841). Mme Daudet (...) parlait de l'amour et de la curiosité des médicaments chez son mari (GONCOURT, Journal, 1893, p. 430).
b) [Le compl. précise ce qui éprouve l'envie] Curiosité d'amateur. Un dîner très amusant, très cosmopolite, très parlant à la curiosité de l'estomac (GONCOURT, Journal, 1895, p. 758) :
• 2. Ces dons [de Baudelaire] n'eussent fait de lui qu'un excellent artiste du Parnasse, s'il n'eût, par la curiosité de son esprit, mérité la chance de découvrir dans les ouvrages de Poë un nouveau monde intellectuel.
VALÉRY, Variété II, 1929, p. 144.
— Curiosité d'esprit. Il s'agit de savoir si le peuple d'aujourd'hui a assez de souplesse et de curiosité d'esprit pour suivre une évolution qui se fait au-dessus de lui (GOURMONT, Esthét. lang. fr., 1899, p. 113).
SYNT. Intense curiosité; une curiosité anxieuse; curiosité artistique, créatrice, intellectuelle, philosophique, prospective; la curiosité sexuelle (des enfants); braquer sa curiosité sur un objet.
2. En mauvaise part. Désir, plus ou moins importun, d'en savoir davantage (sur une personne, sur des événements). Curiosité malsaine; surveiller avec curiosité. La curiosité méchante et l'indifférence maussade des vendeurs (ZOLA, Bonh. dames, 1883, p. 434). Des personnes gourmées le dévisageaient avec une curiosité blessante (ROLLAND, J.-Chr., Matin, 1904, p. 114).
SYNT. Curiosité fureteuse, indiscrète, insolente, maladive, mauvaise; désarmer la curiosité; se dérober à la curiosité de qqn; dévoré par la curiosité.
— Au plur. Manifestations de cette curiosité. Voir exposée [leur œuvre] aux salissantes curiosités des foules (HUYSMANS, Là-bas, t. 2, 1891, p. 109).
B.— [Pour désigner l'impression qu'une chose fait sur l'esprit]
1. Aspect étrange, caractère insolite. Synon. étrangeté. Voix d'une fascinante curiosité (BALZAC, Initié, 1848, p. 455). Il s'amuse alors aux bizarreries de la syntaxe, aux curiosités du néologisme (BOURGET, Nouv. Essais psychol., 1885, p. 189). Et rien, rien dans le livre de la curiosité, de l'originalité, de la particularité des milieux où la vie de la femme-auteur s'est passée (GONCOURT, Journal, 1887, p. 665).
— RHÉT., vieilli. La curiosité du style. ,,Une certaine recherche, un certain art dans le style, qui s'éloigne de la simplicité, mais qui ne déplaît pas`` (Ac. 1932).
2. P. méton.
a) Chose curieuse, étrange, remarquable. Curiosité archéologique, gastronomique. Ils étaient tous (...) partis voir (...) une filature de lin que l'on établissait (...). Rien pourtant n'était moins curieux que cette curiosité (FLAUB., Mme Bovary, t. 1, 1857, p. 116) :
• 3. C'était comme pour les œufs, certainement qu'on les commandait exprès aux poules, car on n'en aurait pas trouvé d'aussi petits sur tout le marché de Cloyes : oui, une vraie curiosité, et donnés de si mauvais cœur, qu'ils avaient le temps de se gâter en route.
ZOLA, La Terre, 1887, p. 212.
b) Souvent au plur. Objet précieux, rare, œuvre d'art, bibelot. Un marchand, une boutique de curiosités. Ces gens, par le crétinisme de leur antiquaillerie, me dégoûtent de la curiosité et me font aujourd'hui regarder mes goûts comme les goûts d'un maniaque, d'un imbécile (GONCOURT, Journal, 1881, p. 117). On aime les bibelots (...), on ne les comprend pas. On les estime pour leur valeur d'art ou leur intérêt de curiosité (MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 99) :
• 4. ... ils affectionnent ces rues Troussevache et Qui-qu'en-poist, qui sont le centre de la mercerie et le marché de tous ses luxes et curiosités.
FARAL, La Vie quotidienne au temps de St Louis, 1942, p. 64.
— Loc. Donner dans la curiosité (Ac. 1932).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1190 curioseté « souci, préoccupation exagérée » (M. DE FRANCE, Purgatoire, 1429 ds T.-L.) — fin XVIIe s., La Bruyère ds LITTRÉ, ex. répertorié par les dict. qui considèrent ce sens comme ,,vieilli`` dep. Lar. 19e; d'où 1559 « goût, passion pour des choses rares » (AMYOT, Lucul., 78 ds LITTRÉ); 2. XIIIe s. curiositeiz « désir de connaître » (Sermons St Bernard, éd. W. Foerster, p. 131, 3); ca 1268 péj. curiosité « désir d'apprendre des choses obscures sans nécessité » (BRUNET LATIN, Trésor, éd. F. J. Carmody, II, 69, 5); 3. XVe s. « ce qui retient l'attention » d'apr. FEW t. 2, p. 1564 a. Empr. au lat. class. curiositas « désir de connaître », attesté en lat. chrét. au sens de « ce qui entraîne la curiosité, qui est digne de curiosité ». Fréq. abs. littér. : 4 922. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 6 403, b) 6 811; XXe s. : a) 7 294, b) 7 432. Bbg. GOUG. Mots t. 2 1966, pp. 36-39. — LEW. 1960, p. 182.
curiosité [kyʀjozite] n. f.
ÉTYM. V. 1190, curioseté, au sens I, 1; lat. curiositas « soin », de curiosus. → Curieux.
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1 Vx. Soin, souci de qqch. || Avoir de la curiosité pour… || La curiosité de qqn.
1 (…) de rendre un cœur content, de combler une âme de joie, de prévenir d'extrêmes besoins ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jusque-là.
La Bruyère, les Caractères, IX, 4.
2 (XIIIe; curiositeiz). Mod. Tendance qui porte à apprendre, à connaître des choses nouvelles. ⇒ Appétit, avidité, soif (de connaître). || Avoir de la curiosité pour qqn, pour qqch. ⇒ Intérêt. || Inspirer de la curiosité. || Attirer, éveiller, exciter la curiosité de qqn (→ Maniéré, cit. 4). || Fournir un aliment à la curiosité. || Contenter, satisfaire, rassasier, assouvir sa curiosité. || Réprimer, contenir sa curiosité. || Observer avec une curiosité mêlée d'inquiétude, de jalousie. || Cela excite, pique, redouble sa curiosité. — (Avec un adj. précisant le caractère de la curiosité). || Une curiosité légitime, louable. || Une vive curiosité. || Vaine, futile curiosité. — (Précisant la nature de la curiosité). || Curiosité littéraire, scientifique. — Spécialt. || Curiosité amoureuse : désir d'avoir des expériences amoureuses (→ ci-dessous, cit. 12). — (Avec un compl. désignant la personne curieuse). || La curiosité du chercheur, du savant (→ ci-dessous, cit. 11). || La curiosité de l'enfant (→ cit. 10). || La curiosité de qqn pour, à l'égard de qqch., quant à qqch. — La curiosité de son esprit. — (Désignant l'objet de la curiosité). || La curiosité de qqch. (→ ci-dessous, cit. 13). || N'avez-vous pas la curiosité de savoir ce qui est arrivé ?
2 Il y a diverses sortes de curiosité : l'une d'intérêt qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui nous peut être utile; et l'autre d'orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent.
La Rochefoucauld, Maximes, 173.
3 (…) la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir (…)
Pascal, Pensées, I, 18.
4 Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler (…)
Pascal, Pensées, II, 152.
5 La faiblesse humaine est d'avoir
Des curiosités d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir.
Molière, Amphitryon, II, 3.
6 Nous le suivîmes (…) par la seule curiosité de voir une chose si extraordinaire.
Fénelon, Télémaque, V.
7 Elle médita sur les livres, elle compara les méthodes, elle augmenta démesurément la portée de son intelligence et l'étendue de son instruction, elle ouvrit ainsi la porte de son âme à la Curiosité.
Balzac, le Curé de village, Pl., t. VIII, p. 565.
8 L'amour, après tout, n'est qu'une curiosité supérieure, un appétit de l'inconnu qui vous pousse dans l'orage, poitrine ouverte et tête en avant.
Flaubert, Correspondance, t. I, p. 156.
9 (…) la curiosité excite le désir plus encore que le souvenir du plaisir.
France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, Œ., t. VIII, p. 239.
10 L'art d'enseigner n'est que l'art d'éveiller la curiosité des jeunes âmes pour la satisfaire ensuite, et la curiosité n'est vive et saine que dans les esprits heureux.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, p. 430.
11 L'insatiable curiosité du fureteur de sciences cherchait à crocheter les portes du mystère.
R. Rolland, le Voyage intérieur, p. 100.
12 La curiosité amoureuse est comme celle qu'excitent en nous les noms de pays; toujours déçue, elle renaît et reste toujours insatiable.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XI, p. 177.
13 (…) la curiosité douloureuse, inlassable, que j'avais des lieux où Albertine avait vécu, de ce qu'elle avait pu faire tel soir, des sourires, des regards qu'elle avait eus, des mots qu'elle avait dits, des baisers qu'elle avait reçus !
Proust, À la recherche du temps perdu, t. XII, p. 228.
14 (…) la curiosité avide avec laquelle je fouillais du regard le troupeau bourgeois et paysan qui se pressait à l'offrande.
F. Mauriac, la Pharisienne, XII, p. 178.
15 Toute l'éducation moderne nous enseigne au contraire l'excellence de la curiosité. La science (…) Après tout qu'est-elle, sinon une longue et systématique curiosité ?
A. Maurois, Terre promise, XXX, p. 216.
3 (V. 1268, Br. Latini). En mauvaise part. Désir de connaître les secrets, les affaires d'autrui. ⇒ Indiscrétion. — La curiosité de qqn, sa curiosité. || Sa curiosité le pousse à écouter aux portes. || Sa curiosité fut punie. || Le démon de la curiosité. ☑ Loc. prov. La curiosité est un vilain défaut.
16 J'ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, I, XXI.
♦ Au plur. || Des curiosités : besoins de savoir une chose particulière. || Avoir des curiosités malsaines.
17 (…) peu à peu les curiosités qu'excitait en lui sa jalousie furent neutralisées par la peur des tortures nouvelles qu'il s'infligerait en les satisfaisant.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. II, p. 202.
18 (…) des curiosités qui sont l'infâme volupté de la plupart des gens du monde.
Proust, les Plaisirs et les Jours, p. 119.
♦ La curiosité des passants, du public. || La curiosité de la foule (⇒ Curieux, I., 5.).
19 Aline se taisait, marchant un peu éloignée de lui, gênée par la curiosité des rares passants qui regardaient ce couple étrange traverser le jardin dans le crépuscule.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, III, V, p. 468.
19.1 La représentation commence par un jeu de déshabillage à la mode du Seu-Tchouan. L'actrice est une jeune Japonaise que les habitués ne connaissent pas encore; elle excite par conséquent la curiosité du public.
A. Robbe-Grillet, la Maison de rendez-vous, p. 99.
4 Vx. Goût, passion d'amateur pour certaines choses rares, pour des objets de collection. || Avoir la curiosité des tableaux, des vieux livres. — (Sans complément) :
20 La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais ce qui est rare, unique, pour ce qu'on a et ce que les autres n'ont point (…) Ce n'est pas un amusement, mais une passion (…)
La Bruyère, les Caractères, XIII, 2.
21 (…) la boutique était égayée par de menus objets de curiosité, poignards, buires, hanaps, figulines, gaudrons de cuivre et plats hispano-arabes à reflets métalliques.
France, le Crime de S. Bonnard, Œ., t. II, p. 326.
REM. Dans ce contexte, curiosité est plus archaïque que curieux.
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II (XVe).
1 (Une, des curiosités). Chose curieuse (II.); spécialt, objet recherché par les curieux, les amateurs. ⇒ Nouveauté, rareté; bibelot, curios (anglic.). || Magasin de curiosités. || Curiosités d'une collection, d'un musée. || Cet objet n'est pas beau, ce n'est qu'une curiosité. || Amateur de curiosités.
22 (…) j'ai pris le goût déplorable des tatouages; aussi ai-je désiré emporter comme curiosité, comme bibelot, un spécimen du travail des tatoueurs japonais (…)
Loti, Mme Chrysanthème, LII, p. 237.
♦ Collectif. || « La rue de la curiosité » (Goncourt, Madame Gervaisais, p. 35).
♦ Par ext. (surtout au plur.). || Visiter les curiosités d'une ville. || Curiosités naturelles : sites remarquables (exploitables par le tourisme).
23 Sartre refusa catégoriquement de faire halte à Lérida pour y contempler une montagne de sel. « Les beautés naturelles, soit, déclara-t-il, mais pour les curiosités naturelles, non ! »
S. de Beauvoir, la Force de l'âge, p. 89.
2 Littér. a Vx. Caractère de ce qui éveille l'intérêt. || Je voudrais le voir, l'entendre pour la curiosité du fait.
b Caractère curieux, insolite, étrange (de qqch.).
24 Et rien, rien dans le livre de la curiosité, de l'originalité, de la particularité des milieux où la vie de la femme-auteur s'est passée.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, p. 665 (1887), in T. L. F.
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CONTR. Incuriosité, indifférence, inertie, insouciance. — Discrétion, réserve. — Banalité.
Encyclopédie Universelle. 2012.