CÉSAR
Héritier spirituel et politique de Marius, ambitieux, mais à la mesure de ses capacités et de ses dons éblouissants, César apparut, vers l’année 65, comme un des principaux chefs du parti populaire. Son alliance avec Pompée et Crassus leur permit à tous trois, sous le couvert de la légalité, de se partager l’influence et le pouvoir. Après son consulat de 59, remarquable à tous égards, il se fait octroyer les provinces de l’Illyricum et des Gaules Cisalpine et Narbonnaise, à partir desquelles il mène à bien la difficile conquête de la Gaule encore indépendante, se forgeant par là même une armée entraînée et dévouée, et s’attirant gloire et richesse. Une fois en possession de ces instruments, il refuse de se plier aux conditions de ses rivaux, de se démettre de son commandement, et déclenche contre Pompée et le Sénat la guerre civile. Il en sort victorieux et, se faisant nommer dictateur, établit à Rome son pouvoir sans partage. Il entreprend une série de réformes profondes. Mais, soupçonné d’aspirer à la royauté, il est assassiné par quelques sénateurs, le 15 mars 44 avant J.-C., au moment où il préparait une grande guerre de revanche contre les Parthes. Il est, avant Auguste, son petit-neveu qui se réclame de son nom, le véritable fondateur de la monarchie impériale à Rome.
Mais César n’a pas été seulement un chef militaire et politique de premier rang, il a laissé une œuvre littéraire qui survit à travers tous les bouleversements historiques. Dans ses Commentaires (Commentarii rerum gestarum ), il a relaté sept de ses campagnes en Gaule (La Guerre des Gaules , Bellum Gallicum , liv. I-VII, années 58 à 52 av. J.-C.) et les deux premières années de la guerre civile qui le firent vainqueur de Pompée (La Guerre civile , Bellum ciuile , en trois (?) livres, années 49 et 48). Tandis que d’autres productions, sans doute médiocres, ont disparu, ces récits d’une sobriété attique et d’un art exceptionnel ont servi à la fois le renom militaire et la gloire littéraire de Jules César.
1. Le politique
Les débuts
Caius Julius Caesar (en français Jules César) est né à Rome, sans doute en juillet 101 avant J.-C., d’une famille patricienne qui prétendait descendre de Iulus, fils d’Énée, et par là même de Vénus. Cette famille pourtant n’appartenait pas au cercle des très grandes dynasties; elle n’apparaît en pleine lumière qu’à la fin du IIIe siècle: l’arrière-grand-père de César avait été consul en 157, son père fut seulement préteur vers 91, puis proconsul d’Asie. Son oncle, L. Julius Caesar, fut consul en 90. La grand-mère de César était une Marcia, d’une famille qui prétendait descendre du roi Ancus Marcius; sa mère était une Aurelia, nièce du grand juriste P. Rutilius Rufus, sœur de deux consuls, démocrates modérés. Sa tante paternelle, Julia, avait épousé Caius Marius, l’homme nouveau, six fois consul, sauveur de Rome et chef du parti populaire. César avait été d’abord marié à une riche héritière de l’ordre équestre, et ses deux sœurs épousèrent également des hommes de la toute petite noblesse ou de l’ordre équestre. Mais pendant la domination de Cinna, chef du parti populaire de 87 à 84, on lui fit épouser Cornelia, la fille de ce dernier.
En danger lors de la dictature syllanienne, César doit quitter Rome: il profite de ses trois ans d’exil pour aller finir ses études en Grèce. Mais il rentre vite en grâce auprès des aristocrates successeurs de Sylla, et grâce à eux est nommé pontife en 74 ou 73. Entre-temps, il s’est déjà fait connaître par quelques faits d’armes durant ses années de service militaire (au siège de Mytilène en 81, en Asie et en Cilicie vers 73-72). En 71, il se fait élire tribun militaire. En 69, sans doute, il est élu questeur, ce qui lui assure un siège au Sénat, et exerce cette fonction en Espagne. Dès son retour, il commence à faire parler de lui, en réclamant le droit de cité complet pour les colonies de Transpadane. Dès lors, il s’allie avec Pompée, soutenant les lois Cornelia, Manilia et Gabinia, qui autorisaient le peuple, et non plus le Sénat, à relever certains individus des règles du cursus (ce dont César profitera lui-même) et qui conféraient à Pompée des commandements extraordinaires, contre les pirates et contre Mithridate. En 66, César est édile curule et, par la splendeur des jeux qu’il offre en s’endettant, il s’attire une grande popularité. Ici prend place l’obscure affaire de la prétendue «première conjuration de Catilina»: les élections de 66 ayant été cassées par les sénateurs conservateurs, on parle d’un complot, destiné à assassiner les consuls, à désigner Crassus dictateur et César maître de la cavalerie, avec peut-être mission d’annexer l’Égypte (Suétone, Vie des douze Césars , 11). Dans la période qui suit la restauration démocratique de 70, œuvre de Pompée, de Crassus et des tribuns populaires – où se mêlent les ambitions et le désir de revanche du personnel alors éliminé, les rancunes des syllaniens, la crise économique due aux guerres d’Orient, l’agitation agraire entretenue par les anciens colons de Sylla généralement ruinés –, les sénateurs modérés, appuyés par la majorité des chevaliers, financiers ou propriétaires des municipes, soutiennent la candidature d’un homme nouveau, que ses talents appellent au premier rôle, Cicéron. César, aristocrate démagogue, qui a donné des gages à tous les partis, à toutes les puissances, va mener un jeu personnel extrêmement habile, proposant les mesures les plus populaires, ne cherchant en fait que l’occasion de pousser sa carrière et d’accéder au pouvoir, sans partage si possible. Crassus, recherchant l’alliance des marianistes, s’allia donc avec César. Ce dernier fut désigné en 64 président d’un tribunal criminel: il en profita pour citer les complices des proscriptions syllaniennes, mais renonça à cette fonction lorsque Catilina fut traduit devant lui.
En juillet 64, Cicéron est élu consul pour 63. Il va avoir à lutter sur tous les fronts, contre la conjuration hétéroclite et subversive de Catilina, contre l’extrême droite du Sénat qui ne lui pardonne pas d’être un homme nouveau, contre les amis de Pompée, enfin contre Crassus et César; ce dernier, élu préteur, se fait désigner par le parti pompéien comme président d’un jury de haute trahison pour juger un vieillard, C. Rabirius, accusé d’avoir tué les tribuns réformateurs en 100 avant J.-C.: avertissement à Cicéron. Soupçonné de complicité avec Catilina, César n’hésite pas à dénoncer le premier la conjuration à Cicéron, quitte à s’attribuer ensuite le beau rôle de refuser la mise à mort sans jugement des complices arrêtés. Son rôle ambigu lui permettait d’apparaître à la fois comme un profond politique, un démocrate ennemi de la «loi martiale» et un homme de gouvernement. En même temps, élu préteur pour 62, il soutient la proposition de Metellus Nepos de rappeler Pompée avec les pleins pouvoirs afin de remettre de l’ordre à Rome. Il va désormais participer aux efforts coalisés de Caton, de Pompée et des catiliniens rescapés pour saper le pouvoir immense et la popularité que son courage et son éloquence ont valus à Cicéron. Il avait été élu entre-temps grand pontife en 63, et il saura faire de ce sacerdoce le tremplin de ses ambitions.
Le premier triumvirat
Pompée était rentré d’Orient à la fin de 62 et il avait, comme il le devait, licencié ses troupes. Les immenses pouvoirs qu’il avait exercés en Orient, son prestige déjà ancien en faisaient incontestablement le premier personnage de Rome. Mais il désirait se faire reconnaître cette prééminence, à laquelle s’opposaient généralement les sénateurs. Ceux-ci refusaient de sanctionner ses décisions en Orient et de donner des terres à ses vétérans. Crassus, de son côté, n’attendait qu’une occasion pour accroître sa puissance et recevoir à son tour une province. Quant à César, il avait obtenu en Espagne le titre d’imperator , grâce à des victoires heureuses, et trouvé de l’argent pour payer en 59 ses énormes dettes. De retour en 60, il réclamait un triomphe, mais y renonça afin d’avoir le droit de briguer le consulat. Les ambitions des trois hommes se rencontraient. Ils décidèrent d’unir leur influence et leurs intrigues. Grâce à Pompée et Crassus, César serait élu consul pour 59; il s’engageait à faire voter les mesures réclamées par Pompée depuis deux ans, la ratification de ses acta, la loi agraire pour ses vétérans. Crassus et Pompée obtiendraient un second consulat. Ce syndicat de politiciens ambitieux est communément désigné sous le nom de «premier triumvirat».
Le consulat de César marque une date, comme celui de Cicéron: c’est, comme en 63, un consul – et non un tribun – qui prend véritablement la tête de l’État et anime la politique. César déploie une grande activité législative: il commence par présenter une loi agraire, qui reprend l’essentiel des propositions de Rullus en 63 et de Flavius en 60, et qui est surtout destinée à pourvoir de terres les vétérans de Pompée, en lotissant ce qui restait du domaine public en Campanie; elle prévoyait aussi des lotissements en faveur de la plèbe urbaine. Mais le collègue de César, Calpurnius Bibulus, homme des conservateurs, ainsi que les leaders de la droite au Sénat, Caton et Lucullus, tâchèrent, par des manœuvres de procédure, de faire obstruction. César passa outre, fit arrêter un moment Caton et fit voter sa loi par les comices tributes. Les soldats de Pompée avaient fortement influencé le vote. Cette épreuve de force, entamée dès le début du consulat, avait démasqué les triumvirs: Bibulus se retira chez lui, se contentant d’afficher des édits contre César et notant systématiquement tous les vices de forme qui pourraient justifier l’abrogation de ses actes. César cependant reprenait aussi le programme traditionnel des populaires: il présentait et faisait voter une loi sur les publicains d’Asie, qui accordait enfin aux sociétés de fermiers généraux la réduction du taux de leurs versements à l’État pour les contrats passés en 65. Ainsi César s’assurait de solides appuis parmi les financiers et les juges. En même temps, il proposait à son tour une loi judiciaire sur les «sommes extorquées», sévère pour les sénateurs, et qui renouvelait l’interdiction pour eux de se porter soumissionnaires de l’État. Elle aggravait aussi les charges contre les gouverneurs de province. Ces deux mesures étaient destinées à complaire à Crassus et à ses alliés, les chevaliers. La loi de rege Alexandrino , d’autre part, reconnaissant les droits de Ptolémée Aulète sur l’Égypte, lui donnant le titre d’allié et d’ami, ouvrait les portes à une intervention future et rapportait à son auteur d’énormes pots-de-vin. La publication des Actes du Sénat et des Actes du peuple romain , dont le consul prit l’initiative, lui assurait d’autre part une facile popularité. En même temps, il resserrait ses liens avec Pompée en lui donnant sa fille en mariage et épousait Calpurnia, la fille d’un préteur qui devait être consul en 58, s’assurant ainsi l’appui de ce noble influent. Mais surtout, César profita de sa magistrature pour préparer l’avenir. Il s’agissait pour lui d’obtenir une province militaire qui lui permette d’acquérir gloire et argent. Un tribun à la solde du triumvirat, P. Vatinius, proposa un plébiscite pour lui attribuer pour cinq ans (jusqu’en mars 54) la Cisalpine et l’Illyricum, avec trois légions, le droit de choisir ses légats et d’établir des colonies. Le Sénat, par surenchère, y ajouta la Narbonnaise, qui était en état d’insurrection larvée, et une légion. En même temps qu’il obtenait ainsi ce qu’il espérait depuis longtemps, César prenait ses précautions pour laisser derrière lui une situation politique troublée, qui nécessiterait tôt ou tard son arbitrage. Il s’agissait d’abattre Cicéron qui, contre les triumvirs et les ultras du Sénat, avait essayé de fonder une sorte de tiers parti, autour des chevaliers. César favorisa le passage à la plèbe du patricien P. Claudius, lequel briguait le tribunat pour 58; c’était un catilinien, ennemi de Cicéron, au service, pour l’instant, de César. Dès le 10 décembre, Clodius – il avait changé l’orthographe de son nom – fit éloigner Caton à Chypre et annonça son intention d’obtenir l’exil de Cicéron; César put assister à Rome, avant de gagner sa province, au début de cette manœuvre, que Pompée laissa mener.
La conquête des Gaules
Jusqu’au début de 58, César hésitait entre deux actions militaires: le roi dace Burebistas, depuis plus de vingt ans, avait organisé ses tribus et, bousculant Boïens et Illyriens, faisait peser une lourde menace sur les marches nord-est de l’Italie. Le libellé de la rogatio Vatinia montre que César avait songé à une guerre dans cette direction. Mais Burebistas, vers la fin de 59, s’était retiré vers l’est et assiégeait Olbia. Et surtout, depuis 60 avant J.-C., un nouveau danger planait sur la Gaule, et peut-être sur l’Italie elle-même, qui n’avait pas perdu le souvenir des menaces des Cimbres et des Teutons: le chef suève Arioviste avait réussi à s’immiscer dans les rivalités intérieures qui opposaient les Éduens, les Séquanes et les Arvernes pour la domination de la Gaule, et les avait successivement battus en Alsace. D’autre part, les Helvètes, dont un chef avait un moment essayé, en accord avec certains dirigeants éduens et séquanes, d’établir une sorte d’hégémonie sur la Gaule, pressés par les Germains, décident d’émigrer vers la Saintonge et demandent l’autorisation de traverser le nord de la province romaine. Ce double danger, germain et gaulois, donne à César l’occasion d’intervenir et d’entreprendre la conquête des Gaules. Ce dessein cependant n’apparaît pas tout de suite très clairement: le premier but de César est surtout de se forger une armée, de se procurer des clientèles et de l’argent. La première campagne (58) fut consacrée à battre et repousser les Helvètes et les Germains, avec d’ailleurs l’appui de peuples gaulois, surtout les Éduens, alliés et amis. En 57, César s’attaqua à la Belgique, encore à demi sauvage, et lança ses lieutenants vers les peuples riverains de la Manche: campagnes rapides, établissement d’une sorte de protectorat assez lâche. En 56, il s’attaqua aux Gaulois de l’Atlantique et vainquit sur mer les Vénètes, pendant que Crassus, le fils du triumvir, son légat, menait une guerre un peu à part contre les Aquitains. En 55, son projet est de passer en Bretagne, mais il doit d’abord combattre des peuplades germaniques qui pénètrent sur la rive gauche du Rhin, vers son embouchure: cela lui donne l’occasion de traverser le Rhin pour la première fois. Puis il passe en Bretagne avec deux légions, mais pour trois semaines seulement. Il recommença en 54, avec des forces plus importantes; cette fois, il pénètre dans l’intérieur du pays, bat et rend tributaires (du moins en principe) les Bretons de la vallée de la Tamise. Jusqu’alors la politique de César était, après avoir montré sa force et battu les divers peuples gaulois, d’installer partout des sortes de protectorats, en favorisant dans chaque cité un prétendant ou une faction; il n’était pas question d’annexion pure et simple, mais d’une sorte d’hégémonie exercée à titre personnel plus qu’au nom de Rome. Mais à la fin de 54, la révolte commence un peu partout, d’abord dirigée contre les partisans gaulois de César, puis contre les légions qui hivernent : chez les Carnutes, chez les Éburons de l’Ardenne, chez les Trévires. Malgré le calme apparent des autres peuples gaulois, qui protestent de leur fidélité, les troubles politiques à Rome et en Italie, l’échéance de la fin du proconsulat de César (renouvelé en 56) entretenaient en Gaule un climat d’insécurité. Le chef éburon révolté, Ambiorix, traqué, demeurait insaisissable. Profitant de l’absence de César, pendant l’hiver 53-52, des chefs carnutes lancent un vaste appel à la guerre de libération; les Carnutes massacrent dans Genabum (Orléans) les commerçants romains et le chef de l’intendance de César. Un jeune noble arverne, Vercingétorix, fils d’un homme qui avait en son temps aspiré à la royauté, lève une armée de partisans et de mercenaires, se fait reconnaître roi et, bientôt, commandant en chef de l’insurrection, qui groupe la plupart des peuples du centre de la Gaule. Pour la première fois, les insurgés menacent les frontières de l’ancienne province. César fait une diversion vers le pays arverne, par les Cévennes, puis rejoint le gros de ses troupes vers Sens. Vercingétorix avait fait adopter la tactique de la terre brûlée, mais les Gaulois ne peuvent se résoudre à l’appliquer à Avaricum (Bourges), et la ville est prise par César. Descendant vers le sud, celui-ci essuie un échec devant Gergovie. Peut-être se prépare-t-il à évacuer la Gaule, lorsqu’il bat, grâce à sa cavalerie germanique, l’armée gauloise près des sources de la Seine. Vercingétorix commet alors l’erreur de se réfugier dans Alésia et de laisser César l’enfermer dans une double ligne de fortifications. Malgré l’arrivée d’une armée de secours, trop nombreuse et mal employée, la garnison doit capituler. En 51, César poursuit la répression contre les Carnutes, les Bellovaques, les Armoricains. En 50, les derniers irréductibles sont pris et massacrés dans Uxellodunum. Mais César sait aussi employer la clémence et confisquer à son profit l’esprit féodal des Gaulois, dont un grand nombre étaient prêts à le servir: il donne aux chefs la citoyenneté romaine et enrôle leurs fidèles dans ses troupes auxiliaires. Par l’usage alterné de la sévérité et de la clémence, il achève, avant l’expiration de ses pouvoirs en 50, de briser les velléités d’indépendance gauloise.
Il peut de nouveau se consacrer à ses ambitions romaines, d’autant plus que sa conquête lui a permis de forger un instrument militaire de premier ordre. Son armée, qui se compose à la fin de la guerre de onze légions, dont une recrutée en Transalpine, est, après neuf ans de combats sous ses ordres, profondément différente des armées républicaines traditionnelles. Le soldat est mieux payé, mieux entraîné, mieux traité par César, à la fois généreux et exigeant; surtout, les cadres moyens – les centurions – ont acquis un esprit de corps et un dévouement extraordinaires; César a facilité aussi la promotion de nombreux Italiens des municipes, soldats, centurions, tribuns ou préfets; son armée est plus démocratique que celle de ses futurs rivaux. Sur le plan technique, il se crée peu à peu une cavalerie permanente; bref, l’instrument de guerre de conquête peut se transformer, du jour au lendemain, en instrument de guerre civile, sans que le chef ait à redouter les réactions de ses troupes.
La guerre civile et la conquête du pouvoir
En quittant Rome pour sa province en 58, César avait laissé son parti consolidé, ses adversaires, Cicéron et Caton, exilés, Pompée impuissant entre le désordre et le parti aristocratique. Mais l’opinion inquiète, celle de l’Italie surtout, impose le rappel de Cicéron qui tente de regrouper un «parti italien et modéré» contre Clodius et les populaires extrémistes, lesquels échappent d’ailleurs à César. Quant à Pompée, il hésite entre ses alliés du triumvirat et la réconciliation avec Cicéron. Le proconsulat de César devait expirer en 54: n’ayant pas terminé la conquête, ce dernier désire une prolongation; il l’obtiendra en resserrant les liens avec Crassus et Pompée. L’entrevue a lieu en mars 56 à Lucques: l’or gaulois permet d’acheter un grand nombre de consciences. César obtient le paiement de la solde de ses troupes, la prolongation de son commandement jusqu’en 50, la promesse du consulat pour 49 (dix ans après le premier). Pompée et Crassus seraient consuls ensemble en 55, puis Pompée recevrait les Espagnes, Crassus la Syrie, avec la perspective de faire une grande expédition parthique. César abandonnerait Clodius et laisserait Rome à Pompée; en revanche, il se réserve l’annexion éventuelle de l’Égypte.
Contre la coalition des triumvirs, toute résistance était impossible: Cicéron, qui avait une certaine sympathie pour César comme homme, se rallia, mais les allures de monarque que se donnait Pompée à Rome ne tardèrent pas à l’inquiéter. L’alliance entre Pompée et César avait été scellée par un mariage dynastique, Pompée épousant Julia, fille de César; mais cette dernière meurt en 54. À cette même date, Crassus est tué à Carrhae, et Pompée voit sans grand déplaisir son seul rival aux prises avec la révolte gauloise et songe à profiter des troubles grandissants en Italie pour se faire reconnaître, officiellement cette fois, une sorte de dictature à Rome; faute d’y réussir, il est du moins élu consul sans collègue, en 52, et du coup prépare ouvertement l’arsenal juridique qui lui permettra, le jour venu, d’éliminer César et ses amis. Il aspire à être un nouveau Sylla.
Désormais, la guerre civile est inévitable, car César sait qu’il ne pourra pas abandonner ses pouvoirs et son armée avant d’être sûr de son élection comme consul pour 49: telle est la fameuse «question de droit» de l’expiration des pouvoirs qui va empoisonner la vie politique romaine et mener à la guerre civile. César et Pompée se renvoient la balle, luttent par tribuns et consuls interposés, chacun refusant d’abandonner ses pouvoirs tant que l’autre les garde. Le Sénat est en fait favorable au départ des deux protagonistes. Cependant, fin 50 et début 49, les aristocrates confient à Pompée le soin de «défendre la République» et le commandement des légions en Italie. César rassemble ses troupes, envoie au Sénat un véritable ultimatum, et, lorsque les tribuns qui lui sont favorables doivent quitter Rome où la loi martiale est déclarée, il a le prétexte qu’il lui fallait pour franchir le Rubicon. Contre l’armée des Gaules, le Sénat et Pompée disposent des légions d’Espagne et des 130 000 hommes que Pompée est autorisé à lever en Italie.
La guerre civile, sans cesse renaissante, va durer pratiquement jusqu’en juillet 45. D’un bout à l’autre du bassin méditerranéen, elle opposera individus, familles, classes sociales, Romains des provinces, mais aussi indigènes et princes vassaux. La première phase (janv. 49-oct. 48) est déterminante: elle voit la foudroyante conquête de l’Italie par César, grâce au ralliement des plèbes et des bourgeoisies municipales d’une part, aux rivalités de ses adversaires d’autre part. Pompée fait alors prévaloir une stratégie originale qui consiste, en s’appuyant sur la maîtrise de la mer, à gagner, avec la plupart des magistrats et des sénateurs, la Grèce et l’Orient, où il compte tant de clientèles, à attirer César outre-mer et à le battre. Avant de combattre Pompée, César devait s’attaquer aux légions pompéiennes d’Espagne (siège et prise de Marseille au passage): il les bat en août 49. Mais il subit des échecs en Afrique et dans l’Adriatique. En janvier 48, César se retourne contre Pompée, installé en Épire, et fait passer le détroit de Brindes, non sans mal, à ses troupes. D’abord en difficulté pendant plusieurs mois, il finit par remporter à Pharsale, en août, la victoire décisive: d’août à octobre, tout l’Orient tombe entre ses mains, y compris l’Égypte, où Pompée avait été assassiné.
D’octobre 48 à mars 47, César est comme enfermé en Égypte, réglant la succession du trône à sa guise, mais en butte aux révoltes de la plèbe d’Alexandrie, à l’attaque de l’armée des prétendants. En juillet-août 47, campagne contre le fils de Mithridate, Pharnace, en Arménie. De décembre 47 à juin 46, guerre d’Afrique, contre les Pompéiens commandés par Scipion, Caton et Cn. Pompée, qui avaient réussi à rassembler dix légions. César finit par les battre, ainsi que leur allié le roi de Numidie Juba, à la bataille de Thapsus, et Caton se suicide à Utique. Labienus, Varus et les fils de Pompée réussissent à gagner l’Espagne, où d’anciennes légions pompéiennes se sont révoltées contre les césariens. Après une très dure campagne, César les défait complètement à Munda (5 avr. 45 av. J.-C.). Il reste le seul maître, mais au prix de quatre ans de guerres de toutes sortes, auxquelles se sont ajoutées les révoltes ou mutineries de ses propres troupes, l’agitation sociale et politique en Italie même, souvent encouragée par certains de ses partisans, ou encore par la provocation d’anciens adversaires, comme Milon.
Le césarisme
Trop occupé par la politique de l’immédiat, César n’a pas le temps d’organiser de façon systématique ses pouvoirs, d’autant que jusqu’à la fin subsiste, dans le camp adverse, une «légitimité» qui conteste la sienne. Cependant, malgré le rythme harcelant des campagnes, il avait déployé, dès janvier 49, une activité politique, législative et administrative prodigieuse, quoique souvent improvisée, et il songeait sûrement à établir son pouvoir quasi absolu sur des bases nouvelles et à accomplir des réformes politiques et sociales fondamentales. Lorsqu’il passe le Rubicon, en janvier 49, César n’est plus que grand pontife: son proconsulat a expiré et son pouvoir sur ses armées n’est qu’un pouvoir de fait. Il profite de ses pouvoirs religieux pour invalider les élections, y compris celles de son successeur, et retrouve ainsi son proconsulat. Mais pour parer à l’absence de la plupart des sénateurs et des magistrats, aux dérobades de ceux qui restaient, il se contente d’utiliser sans ménagement ses droits de vainqueur et prend seulement des mesures de circonstance. Ce n’est que pendant la première campagne d’Espagne qu’une loi lui confère une dictature extraordinaire semblable à celle de Sylla; il l’utilise pour régler des problèmes économiques ou administratifs, pour distribuer à ses partisans les provinces qu’il tenait, mais la dépose à la fin de 49 et se fait élire régulièrement consul pour 48 – année où il ne met pas les pieds à Rome, le gouvernement en Italie étant assuré par son collègue P. Servilius Isauricus. Après Pharsale, sur proposition de son collègue, il fut nommé dictateur une seconde fois, pour un an. En 46, c’est comme consul qu’il combat en Afrique et célèbre ses triomphes; il sera encore consul en 45, sans collègue, jusqu’en octobre. Mais entre-temps, sans doute en avril 46, il avait été nommé dictateur pour la troisième fois, pour dix ans, avec renouvellement chaque année (Bell. Hisp. , 2, 1); il renouvellera en effet cette dictature en avril 45, jusqu’en janvier ou février 44, où il sera nommé dictateur à vie. Cette même année, d’ailleurs, il revêtira à nouveau le consulat, pour la quatrième (ou la cinquième?) fois.
Sans doute la puissance de César, pendant toutes ces années, a été le plus souvent une puissance de fait, et il ne s’encombrait guère de légalisme. Pourtant il a pris soin de se faire octroyer, outre la dictature et le consulat, d’autres pouvoirs ou d’autres titres: la praefectura morum après Thapsus, l’inviolabilité tribunicienne, mais surtout, après Munda, le titre d’imperator permanent, ainsi que des honneurs civiques et religieux considérables. Ainsi apparaît nettement une marche vers le pouvoir monarchique, qui devait peut-être aboutir, au mois de mars 44, à la restauration de la royauté. Quels que soient les pouvoirs dont il disposait, César avait en tout cas réalisé, de 46 à 44 surtout, une mainmise à peu près totale sur le Sénat, les assemblées populaires, les magistratures. De 47 à 44, entre ses campagnes, il entreprend une série de réformes profondes, en partie inspirées par le «programme» que lui traçait peut-être Salluste dès 49, et portant sur la composition du Sénat, très élargi, ouvert à des Italiens non romains et même à des Gaulois, sur la réforme des tribunaux, sur la liste des citoyens (réduction du nombre des bénéficiaires de l’annone), sur la vie économique de l’Italie (mesures en faveur des travailleurs agricoles libres, réduction du nombre des esclaves, lois somptuaires, établissement de colonies); mesures concernant les gouvernements des provinces, accroissement, au moins provisoire, du nombre des questeurs et des préteurs, apparition des consulats suffects, etc. Mais il est évident que jusqu’à sa mort, en 44, César apparaissait comme le vainqueur d’une guerre civile, et que chacun aspirait à l’établissement d’une nouvelle constitution (Cicéron, Pro Marcello, passim). Par-dessus les textes, César gouverne grâce à son armée, à sa popularité parmi la plèbe urbaine, à ses clientèles dans la bourgeoisie italienne, grace à un état-major officieux de partisans souvent remarquables, grâce aussi au ralliement, sincère ou non, de beaucoup d’adversaires, qu’a permis sa fameuse «clémence». Tous ces traits, ce mélange d’absolutisme et de démagogie, caractérisent ce qu’on appelle le «césarisme».
Au début de 44, César songeait surtout à une grande entreprise qui devait le mener sur les traces d’Alexandre: l’expédition parthique, destinée à venger Crassus. De décembre 45 à mars 44, il tâte l’opinion, préparée par sa propagande, pour savoir si elle accepterait que lui soit attribué le titre de roi. Une partie des césariens le souhaite; le consul Marc Antoine, à la fête des Lupercales, tente de le couronner: la foule gronde. Mais en mars, le Sénat est saisi d’une proposition émanant d’un prêtre chargé d’interpréter les livres sibyllins, tendant à le faire roi à la séance du 15 mars. C’est alors que se noue une conjuration entre certains césariens, des pompéiens pardonnés, des républicains, des aigris; en fait, la vie de César était menacée depuis longtemps, d’autant plus qu’il avait – imprudemment – rédigé en 45 un testament, qui, nécessairement, faisait des mécontents. Attentat réussi, les ides de mars ne firent pourtant que retarder l’avènement de la monarchie militaire à Rome.
2. L’écrivain
Mémorialiste et propagandiste
César ne fut pas un homme de lettres; aristocrate désargenté, il ne vécut jamais de sa plume, mais il reçut à domicile une parfaite formation littéraire de son maître, le rhéteur et grammairien M. Antonius Gnipho, puis à Rhodes en 76-74 du célèbre Apollonios Molon. Pour les contemporains, son éloquence valait celle de Cicéron. Jeune, comme tout Romain de ce milieu cultivé, il avait taquiné la muse: sa louange d’Hercule et sa tragédie Œdipe , témoignages de l’influence grecque qui s’était exercée sur ses années de formation, n’ajoutaient rien à sa gloire; l’empereur Auguste prescrivit à son délégué aux bibliothèques de les faire disparaître ainsi que les Apophtegmata , recueil de bons mots, tels que «ueni, uidi, uici». Écrire étant alors le passe-temps des hommes cultivés, César, en 55 ou 54, durant une traversée des Alpes, écrit un traité sur la langue latine, le De analogia , répliquant à certaines théories du récent De oratore de Cicéron; allant en Espagne (fin 46) combattre S. Pompée, il compose un autre poème, Le Voyage (Iter ). En 45, il publie un pamphlet en deux livres, les Anticatones , pour combattre l’effet moral produit par le suicide héroïque de son adversaire, Caton d’Utique.
On a parlé, pour La Guerre des Gaules , de rédaction annuelle ou par tranches (Mommsen, S. Reinach, Halkin, Carcopino). L’unité et la cohérence de la pensée semblent garantir que les sept livres ont été rédigés à la fin de 52 dans les quartiers d’hiver de Bibracte (mont Beuvray, près d’Autun). Entre 48 et sa mort, probablement entre octobre 45 et mars 44, César préparait les livres sur La Guerre civile , qui semblent avoir été publiés, dans un état d’inachèvement relatif, après sa mort, par Antoine d’abord, qui détenait tous ses papiers, puis par Hirtius, un fidèle collaborateur, qui fit reprendre depuis le début toute l’édition de La Guerre des Gaules et en écrivit un huitième livre (années 51 et 50) pour assurer la continuité des commentaires césariens.
Ces récits étaient pour César un moyen de rester présent dans l’opinion, soit quand il était retenu en Gaule, soit quand il allait partir pour une longue expédition orientale. Grand fut le succès de La Guerre des Gaules dans le milieu politico-littéraire que constituaient sénateurs et chevaliers participant aux affaires. La forme leur était accessible comme l’est aux modernes celle d’un article de revue. Les Romains appelaient commentarius (même racine que reminiscor ou memini «je me souviens») tout écrit destiné à conserver une documentation. Les commentarii sont des mémoires, des carnets. S’ils constituent un genre, imité entre autres par Blaise de Montluc, c’est grâce à la réussite de César.
Une chronique dépouillée
Arguant d’un usage contemporain, César présenta La Guerre des Gaules comme un canevas qu’il invitait les historiens professionnels à rehausser. Ce faisant, il atteint un équilibre parfait entre narration dépouillée et embellissement oratoire, au moment même où le genre historique cherche à Rome sa forme. La méthode de travail est, elle aussi, intermédiaire. Alors qu’un historien élabore des matériaux provenant d’autrui, César mémorialiste fait entrer le contenu de ses dossiers dans des livres de forme annalistique, l’annalistique étant à Rome le cadre traditionnel des plus vieilles chroniques, où la matière est répartie, découpée année par année, saison par saison. Le cadre de La Guerre civile est un peu différent, puisque les deux premiers livres correspondent à la seule année 49, mais certains manuscrits les présentent comme un livre unique, indice d’une hésitation qui remonte peut-être à César lui-même, dont la manière aurait commencé à évoluer.
Le dossier comprenait entre autres un journal de marche, reconnaissable à travers le début de La Guerre civile , des lettres ou rapports reçus de divers officiers et le double des rapports officiels de César au Sénat. L’existence de tels rapports est garantie par d’autres sources (Cicéron, Tite-Live). Suétone précise que César donna à ses rapports une ampleur comparable à celle de mémoires, memorialis libellus . L’auteur disposait de scribes, d’officiers, d’amis comme Hirtius, habitués à ces travaux d’état-major et de secrétariat. Sans doute rassemblaient-ils les pièces de chaque livre et César, les parcourant des yeux et les adaptant, dictait le premier jet. En tout cas, après la mort de César, Hirtius put composer de la même manière le livre VIII et d’autres, les «continuations» du corpus césarien: Guerre d’Alexandrie , Guerre d’Afrique , Guerre d’Espagne . À l’analyse, le texte révèle une stratification, la superposition d’éléments d’âges différents: lettres reçues par César, transcriptions de ses rapports, formules de transition et morceaux ajoutés pour la rédaction. L’insertion d’un développement dans le document de base est souvent encadrée par une répétition, l’auteur ayant repris le texte de base au mot même où il l’avait quitté. Beaucoup d’obscurités de détail, et même de contradictions, s’expliquent par cette méthode qui portait à résumer inégalement les documents du dossier. En revanche, ces simplifications soulignent les grandes lignes de l’action et produisent une impression générale de netteté.
Structures, tendances, procédés
Ce travail de construction aboutit aux structures habituelles de l’historiographie antique, dont les Grecs avaient déjà donné les modèles. Tout en respectant l’ordre chronologique, chaque livre présente une succession particulière d’éléments obligés: marches, traversées de fleuves ou de mers, discours, descriptions, sièges, batailles. Selon les principes de la rhétorique, la combinaison de ces morceaux à effet maintient l’intérêt, éveille le sens dramatique ou suscite la réflexion. Non sans procédés; le premier livre de La Guerre des Gaules et le premier de La Guerre civile sont riches en discours qui expliquent les entrées en guerre; dans les livres V et VII du Bellum Gallicum ainsi que dans le livre III du Bellum ciuile , peut se reconnaître le même cycle: un succès, une défaite et une victoire.
Sous cette disposition esthétique s’ordonne de façon moins apparente une économie du récit favorable à César: insistance sur les faits qui justifient une offensive et que la logique des discours transforme en griefs; démonstration incluse dans la structure apparemment linéaire d’une narration. De même tout échec est-il précédé des circonstances qui l’expliquent au point de paraître naturel et nécessaire quand il est avoué. Cette structure préexplicative reparaît, identique, aux niveaux différents de l’épisode, du court récit et de la phrase.
La contrepartie de ce modelage logique est la disjonction des faits dont le regroupement pourrait démentir la démonstration, en montrant par exemple que la migration des Helvètes pouvait assurer la stabilité de la Gaule centrale. Le début de La Guerre civile va jusqu’à l’anachronisme, subtil, de quelques journées, mais qui suffit à changer le sens du débat.
Plus profondément, les circonstances sont, par un contrôle constant, élues ou rejetées selon des intentions directrices: faire valoir les qualités du chef de guerre, le dévouement de ses soldats, l’approbation plébiscitaire dont l’entourent les populations. Des symétries ou des dissymétries entre les discours et les attitudes créent un système de places et de relations entre les personnages. César étant d’emblée situé comme un parfait imperator , tout ce qui s’accorde à lui paraît bon, tout ce qui s’oppose, mauvais. À tel point qu’au lieu de démentir le mémorialiste fait exposer le fait qui le gêne par un personnage déconsidéré, son lieutenant incapable, Sabinus, ou son ennemi, Ambiorix. Des thèmes s’entrecroisent, se combinent et se font valoir par contraste, grandeur de César et justice de sa cause, emportement des Gaulois, sottise de Pompée et de ses partisans.
Classicisme du style
Apparemment uni et limpide, le style recouvre une complexité correspondant à celle du travail et des intentions; c’est l’utilisation personnelle de formules classiques, et l’on y peut distinguer techniques collectives et procédés personnels: d’abord, des procédés du style administratif, soit que César les ait retranscrits, soit qu’il les ait reproduits par la force de l’habitude; des rapports au Sénat paraît provenir la phrase historique ordonnant les considérants et l’action principale dans un ordre logique et chronologique, en particulier la construction connue: ablatif absolu + proposition avec cum + proposition principale. En outre, l’utilisation de documents provenant de diverses personnes a fait entrer dans les Commentaires des disparates que l’auteur en chef a conservées par goût d’une sorte de pittoresque verbal. La juxtaposition des documents a nécessité des ligatures, formules de transition appartenant à la vieille annalistique: eodem tempore ...; dum haec geruntur ... La pratique du résumé se reconnaît au resserrement et à l’accumulation de tournures semblables. Les procédés oratoires, preuve d’une volonté de démonstration, ne sont pas absents de La Guerre des Gaules et se font plus fréquents dans La Guerre civile .
Se voulant puriste et grammairien, et selon une esthétique particulière qu’il avait défendue dans son De analogia (Aulu-Gelle, Nuits attiques , XIX, 8), César plaçait le principe de l’éloquence dans le choix des mots; c’était l’elegantia Caesaris . Par recherche du classicisme, il a évité les termes trop précis, appelant un navire de guerre nauis longa sans préciser s’il est une birème ou une trière, appliquant cette interpretatio Romana aux dieux gaulois dont il fait Mercure, Jupiter, ou Minerve. Ses procédés de persuasion reposent souvent sur l’art de nommer et de taire. Par un trait de génie, il a évité d’étaler son ego en usant de la première personne. L’emploi de la troisième lui a permis de répéter son nom des centaines de fois. Inversement, quand il rapporte des difficultés ou des échecs, il emploie des tournures impersonnelles.
L’homme dans l’œuvre
Apport partiel à l’ensemble de la propagande de César, les Commentaires ont imposé ses idées au point de les faire réaliser: abaissement de Pompée, mise en valeur de Vercingétorix éclipsant le sentiment collectif qui anime la résistance gauloise, transformation du Rhin en frontière, assimilation des dieux gaulois au Panthéon romain. C’est un exemple insigne de renommée dirigée. Depuis l’Antiquité (Asinius Pollion), on a discuté la véracité des Commentaires : documents valables pour Carcopino, Collins ou Barwick; œuvre complexe pour O. Seel et H. Oppermann; système de déformation historique par les procédés littéraires pour M. Rambaud. Chez les historiens, la critique est en partie déterminée par l’existence ou l’absence d’autres informations; ils défendent donc la valeur de La Guerre des Gaules , source presque unique; ils admettent le libre examen de La Guerre civile que contredisent d’autres textes. L’Antiquité connut, en effet, une tradition historique opposée (Asinius Pollion, Tite-Live), les déformations historiques de César suscitant même par réaction des déformations compensatrices chez Lucain, puis chez Tacite. Par leur formation rhétorique autant que par leurs informations plus complètes, ces anciens avaient été sensibles aux procédés insinuants des Commentaires . La déformation historique consiste moins dans un mensonge que dans un art de dire qui colore les faits et dans une présentation qui suggère une manière de les interpréter.
D’où un grave problème de méthode: si l’on rejette totalement les récits déformés, la documentation disparaît; si l’on utilise un récit déformé, l’ensemble de la représentation historique en est affectée. Cependant, en ce qui concerne les faits, l’élimination de toutes les déformations laisse subsister des données techniques correspondant aux rapports, numéros de légions, tableaux de quartiers d’hiver; ce résidu documentaire est la seule base scientifique d’une reconstitution. La restriction est moindre sur le plan des idées et de la psychologie; par son refus des confidences personnelles, par son positivisme, sa conception du courage, du rôle du chef, de l’échange dans les relations humaines, le mémorialiste laisse voir son adhésion à un épicurisme tourné vers l’action. La déformation fait connaître César, son récit fournissant une multiple projection de sa personnalité; les procédés de l’écrivain révèlent ses traits profonds, tension permanente vers le but, économie des moyens, méfiance. Le mémorialiste, acteur puis auteur, se représente non seulement tel qu’il a été, objet de l’analyse historique commune, mais tel qu’il voulait être, tel qu’il devint. L’image d’un imperator parfait qu’il donne de lui-même figure un idéal qu’il commença à réaliser et même une idéologie dont plusieurs principes ont passé dans celle du principat et de l’Empire.
césar [ sezar ] n. m.
• cézar 1245; lat. Cæsar, surnom de la gens Julia → césarienne
1 ♦ Empereur romain. « Et Rome à ses Césars fidèle, obéissante » (Racine).
2 ♦ (XVIIIe) Souverain absolu. ⇒ empereur, dictateur. « Si l'anarchie engendre des Césars » (Bainville). — Adj. CÉSARIEN, IENNE .
3 ♦ (du sculpteur César) Récompense cinématographique française, analogue à l'oscar américain. La nuit des césars.
● César nom masculin (de césar) Récompense cinématographique décernée annuellement en France depuis 1976, couronnant, par un vote de l'ensemble de la profession, un film, des artistes et des techniciens.
César
n. m.
d1./d HIST Empereur romain.
d2./d Despote.
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César
n. m. CINÉ Récompense décernée chaque année en France.
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César
(1475 - 1507) fils du préc., cardinal, duc de Valentinois; il tenta de se constituer une principauté en Italie centrale. Il inspira le Prince à Machiavel.
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César
(Caius Julius Caesar, en fr. Jules) (101 - 44 av. J.-C.) général et homme politique romain. Issu d'une illustre famille patricienne, il gravit les échelons du cursus honorum et forma en 60 un triumvirat avec Pompée et Crassus. élu consul en 59, il se fit attribuer en 58 le gouv. de l'Illyrie, de la Gaule cisalpine et de la Narbonnaise, et conquit la Gaule "chevelue" (58-51). Fait consul unique par le Sénat (52), Pompée ordonne en 49 à César de rentrer à Rome sans son armée; César franchit alors le Rubicon et occupe l'Italie (janv.-fév. 49). Pompée est en fuite, la guerre civile a pour théâtre l'Empire (49-45), César écrase Pompée à Pharsale (48), le poursuit en égypte (48), dont il donne le trône à Cléopâtre, et écrase les partisans de Pompée à Thapsus (Afrique) en 46 et à Munda (Espagne) en 45. Maître de l'Empire, imperator, dictateur et censeur à vie (44), il devint un véritable souverain. Grand général et habile politique, il est l'auteur de célèbres "commentaires": Sur la guerre des Gaules, Sur la guerre civile. Victime d'une conspiration patricienne, il fut poignardé par Cassius et Brutus au sénat.
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César
(César Baldaccini, dit) (né en 1921) sculpteur français. Il a notam. utilisé des ferrailles de rebut.
⇒CÉSAR, subst. masc.
A.— HISTOIRE
1. Chacun des onze premiers empereurs romains, successeurs de Jules César. Le cirque (...), touchait de si près au palais des Césars, que Néron, des fenêtres de son palais, pouvait donner le signal des jeux (Mme DE STAËL, Corinne, t. 1, 1807, p. 206).
Rem. On rencontre ds la docum. un emploi adj. Tertullien doutera, il est vrai, qu'on puisse être à la fois césar et chrétien (RENAN, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 1881, p. 286).
2. [Sous Adrien et le Bas-Empire] Héritier présomptif de l'empire romain, par opposition à l'empereur appelé Auguste (cf. CHATEAUBRIAND, Ét. hist., 1831, p. 154).
3. Chacun des empereurs du Saint Empire romain germanique, s'estimant les successeurs des empereurs romains. Les césars allemands élus et couronnés depuis l'extinction de la race de Charlemagne (HUGO, Le Rhin, 1842, p. 256).
B.— P. ext.
1. Souverain absolu. César des Mongols et des Finnois (ADAM, L'Enfant d'Austerlitz, 1902, p. 440).
— En partic. [Pour désigner Napoléon 1er] :
• 1. Ce profil calme sous le petit chapeau de l'école de Brienne, cet uniforme vert, (...) la redingote grise (...), la culotte de peau, le cheval blanc (...), les bottes à l'écuyère (...), les éperons d'argent, l'épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, ...
HUGO, Les Misérables, t. 1, 1862, p. 378.
2. CARACTÉROL. Type César :
• 2. Le « type César » de Künkel naît d'un abandon trop manifeste ou d'exigences trop élevées des éducateurs. « Les autres, rumine-t-il, ne m'aident pas. Il faut que je réussisse contre eux, par moi seul. Si je me confie à eux, j'échoue. »
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 542.
3. P. iron. La défaveur répandue sur une partie de l'émigration polonaise par les César de boutique et les Alexandre de la patente (BALZAC, La Fausse maîtresse, 1841, p. 6). Délicieuses petites patries : (...) chaque village a son César (A. SUARÈS, Voyage du Condottière, t. 3, 1932, p. 54).
4. IMPR. ,,Le caractère de César, est une sorte de cursive romaine`` (A.-F. MOMORO, Traité élémentaire de l'impr., 1794, p. 90).
C.— Proverbes et loc.
1. [P. allus. à la phrase du Christ, Matth. 22, 15 : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu]. Il faut rendre à César ce qui est à César. Il faut donner à chacun son dû :
• 3. La belle action de ce pauvre diable se détournant de son chemin pour venir restituer à César ce qui appartenait à César (...) le remplit [un commissaire] d'attendrissement.
COURTELINE, Les Gaîtés de l'escadron, La Bourse, 1895, III, p. 282.
2. [P. allus. à la parole que Plutarque, dans sa Vie de César, XI, attribue à César pour expliquer la répudiation de sa femme Pompeia compromise par l'attitude de Clodius] La femme de César ne doit pas être soupçonnée. Aucun soupçon ne doit peser sur un homme d'État et ses proches, une attitude simplement équivoque étant déjà condamnable.
3. Rare. [P. allus. à la devise attribuée à César Borgia : Aut Caesar, aut nihil « Ou César, ou rien »] Il veut être César ou rien. Il ,,hasarde tout, pour être tout ou rien`` (LITTRÉ).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1835-1932. Bien qu'empl. comme n. commun, le terme peut se rencontrer avec majuscule (cf. A. SUARÈS, loc. cit.) et sans s au plur. : La défaveur répandue sur une partie de l'émigration polonaise par les César de boutique et les Alexandre de la patente (BALZAC, loc. cit.). Étymol. et Hist. Ca 1245 cézar [à propos de Clovis] (Ph. MOUSKET, Chron., éd. Reiffenberg, 477, t. 1, p. 20); 1488 titre donné à un empereur romain (La Mer des Histoires, II, 100 b, édit. 1491 ds Rom. Forsch., t. 32, p. 28); XVe s. p. allus. à Jules César, désigne un homme énergique (O. BASSELIN, Vaux de Vire, éd. P.-L. Jacob, p. 20); av. 1544 « empereur » (MAROT, Colloq. d'Erasme, 1 ds DG : les princes, roys, césars); 1680 rendez à César ce qui est à César (RICH.); av. 1850 « conquérant, despote » (Balzac ds Lar. 19e). De Caesar, surnom de la Gens Julia, en usage dep. le préteur Sextus Iulius Caesar en 208 av. J.-C., porté par Caius Iulius Caesar, général et homme d'État romain (101-44 av. J.-C.); nom pris par la suite par les empereurs romains en mémoire de Jules César et passé aux empereurs germ. (v. TLL onom. et Mittellat. W. s.v.). Fréq. abs. littér. :93. Bbg. GOTTSCH. Redens. 1930, p. 440.
césar [sezaʀ] n. m.
ÉTYM. 1245, cézar; lat. Cæsar, surnom de la gens Julia et notamment de Caius Julius Cæsar.
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1 Hist. Nom illustré par Jules César, que portèrent les empereurs romains qui lui succédèrent, et qui passa aux empereurs germaniques (⇒ aussi Kaiser, tsar).
1 (Rome) à ses Césars fidèle, obéissante (…)
Racine, Bérénice, II, 2.
2 Ce César l'entendait bien mieux (que Bonaparte briguant le titre d'empereur). Il ne prit point de titres usés, mais il fit de son nom même un titre supérieur à celui de roi.
P.-L. Courier, Lettres à M. N., mai 1804.
♦ ☑ Loc. (où César représente le nom propre). Le mois de César. ⇒ Juillet. ☑ La femme de César (allusion à la parole de César : La femme de César ne doit pas être soupçonnée). — ☑ Le tribut de César : les taxes et les impôts (allusion à la parole du Christ : ☑ Rendez à César ce qui est à César).
2 (1850). Souverain absolu, despote. ⇒ Empereur; dictateur. || « Le césar d'Allemagne et le sultan d'Asie » (→ Sultan, cit. 1, Hugo).
3 Si l'anarchie engendre des Césars parce que l'ordre est un besoin élémentaire des sociétés (…)
J. Bainville, les Dictateurs, Conclusion, p. 297.
3 Roi de carreau. || Tirer, abattre un César au jeu de cartes.
4 Récompense cinématographique française analogue à l'oscar américain. || La nuit des césars : la soirée où sont décernés les césars.
5 Cépage rouge de l'Yonne. — Syn. : romain.
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DÉR. (Du sens 2.) Césarien, césariser, césarisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.