pitié [ pitje ] n. f.
• 1080; lat. pietas, atis→ piété
1 ♦ Sympathie qui naît de la connaissance des souffrances d'autrui et fait souhaiter qu'elles soient soulagées. ⇒ attendrissement, commisération, compassion, miséricorde. « La pitié est un luxe bizarre, que seul le plus perfide et le plus féroce des êtres pouvait inventer » (Cioran ). « Le Chagrin et la Pitié », film de Marcel Ophuls. — Inspirer, exciter la pitié. — Faire pitié à qqn, lui inspirer, être propre à lui inspirer la pitié. Ces malheureux qui « n'ont presque plus figure humaine, [...] font peur plus que pitié » (Michelet). Il ne fait pas pitié : il n'est pas maigre. PROV. Il vaut mieux faire envie que pitié. — Avoir pitié de qqn, ressentir de la pitié envers lui. ⇒ compatir, plaindre. « Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d'eux-mêmes » (Giraudoux). Éprouver de la pitié. Prendre (qqn) en pitié, avoir pitié de lui. « Cet ennemi des siens, je veux que vous le preniez en pitié » (F. Mauriac). « On n'a pas d'amitié, on a de la pitié pour un pauvre » (A. Gide). — Par pitié : je vous en prie, de grâce. « Par pitié, laissez-moi tranquille » (A. Gide). Pitié ! grâce ! — Pas de pitié pour les traîtres. — Être sans pitié. ⇒ impitoyable. « Cet âge [l'enfance] est sans pitié » (La Fontaine). « Les hommes ont été de tout temps [...] violents, avares et sans pitié » (France).
♢ Vieilli C'est pitié : c'est une chose pitoyable, triste. « Si chétive et fluette que c'était pitié » (Sand). « C'était pitié de voir la vie s'en aller de notre maison » (A. Daudet).
2 ♦ Sentiment de commisération accompagné d'appréciation défavorable ou de mépris. « Quelle pitié notre provincial ne va-t-il pas inspirer aux jeunes lycéens de Paris ? » (Stendhal). Un sourire de pitié, condescendant. Ça fait pitié. ⇒ piteux, pitoyable (3o).
♢ Quelle pitié ! quelle chose pitoyable, dérisoire !
⊗ CONTR. Cruauté. Inhumanité.
● pitié nom féminin (latin pietas, -atis, de pius, pieux) Sentiment qui porte à compatir aux souffrances ou à la faiblesse d'autrui, à le considérer avec commisération, à le traiter avec une indulgence particulière : Je ne veux pas de votre pitié. Indulgence, pardon ou parfois simple tolérance pour autrui, pour ses actes : Les jeunes sont sans pitié. ● pitié (citations) nom féminin (latin pietas, -atis, de pius, pieux) Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 Le sentiment que l'homme supporte le plus difficilement est la pitié, surtout quand il la mérite. La haine est un tonique, elle fait vivre, elle inspire la vengeance ; mais la pitié tue, elle affaiblit encore notre faiblesse. La Peau de chagrin Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! Ô Créateur ! peut-il exister des monstres aux yeux de Celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits et comment ils auraient pu ne pas se faire ? Le Spleen de Paris, Mademoiselle Bistouri Albert Camus Mondovi, aujourd'hui Deraan, Algérie, 1913-Villeblevin, Yonne, 1960 Qui aurait besoin de pitié, sinon ceux qui n'ont compassion de personne ! L'État de siège Gallimard Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort près de Clermont-Ferrand 1740-Paris 1794 Académie française, 1781 La générosité n'est que la pitié des âmes nobles. Maximes et pensées Marceline Desbordes-Valmore Douai 1786-Paris 1859 Il ne faut pas compter sur la pitié des hommes quand ils peuvent se donner l'importante joie de punir. Correspondance, à Prosper Valmore, 17 novembre 1839 Victor Hugo Besançon 1802-Paris 1885 Moi, j'ai toujours pitié du pauvre marbre obscur. De l'homme moins souvent, parce qu'il est plus dur. Les Rayons et les Ombres, la Statue Étienne Jodelle Paris 1532-Paris 1573 La pitié ne peut mettre la pitié bas. Didon se sacrifiant Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) […]. Fables, les Deux Pigeons Henri René Lenormand Paris 1882-Paris 1951 Celle qui n'a jamais eu un peu pitié de celui qu'elle aime n'a probablement pas connu l'amour. Les Ratés Crès André Maurois Elbeuf 1885-Neuilly 1967 Académie française, 1938 Le mélange de l'admiration et de la pitié est une des plus sûres recettes de l'affection. Ariel ou la Vie de Shelley Grasset Publius Syrus (en Syrie Ier s.) Mieux vaut faire envie que pitié. Invidiosum esse praestat quam miserabilem. Sentences, 100 Euripide Salamine 480-Pella, Macédoine, 406 avant J.-C. La pitié ne naît point dans l'esprit sans culture, mais dans celui du sage. Électre, 294-295 (traduction Parmentier) Talmud Une justice inspirée par la pitié porte préjudice aux victimes. Talmud, Ketoubot, 84a sainte Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans Domrémy 1412-Rouen 1431 La pitié qui était au royaume de France. Procès de Jeanne d'Arc, 7e interrogatoire, 15 mars 1431 Commentaire Expression de Jeanne d'Arc au cours de son procès. Interrogée par ses juges sur ce que lui disait saint Michel, elle répondit qu'il lui ordonnait d'aller au secours du roi de France et, ajouta-t-elle, « me racontait l'ange la pitié qui était au royaume de France. » Ivan Sergueïevitch Tourgueniev Orel 1818-Bougival 1883 La pitié sans orgueil n'appartient qu'à la femme. Étranges Histoires, l'Abandonnée ● pitié (expressions) nom féminin (latin pietas, -atis, de pius, pieux) Avoir pitié de, pitié pour, éprouver de la compassion pour quelqu'un ; ne plus faire souffrir quelqu'un, ne pas trop exiger de quelque chose : Pitié pour mes oreilles, cessez ce bruit. Ayez pitié de cette vieille voiture. C'est une pitié, quelle pitié !, se dit de ce qui désole et consterne à la fois. Faire pitié, inspirer à quelqu'un un sentiment de compassion plus ou moins réelle, parfois méprisante ; être très maigre, avoir l'air fatigué ou très triste, etc. Par pitié, de grâce, je vous en prie. Prendre quelqu'un en pitié, lui témoigner de l'intérêt au nom de la pitié qu'il nous inspire. Vierge de pitié, synonyme de pietà. ● pitié (synonymes) nom féminin (latin pietas, -atis, de pius, pieux) Sentiment qui porte à compatir aux souffrances ou à la...
Synonymes :
- charité
- commisération
- humanité
- sensibilité
Contraires :
- cruauté
- dureté
- froideur
- indifférence
- inhumanité
- insensibilité
- sécheresse
Indulgence, pardon ou parfois simple tolérance pour autrui, pour ses...
Synonymes :
- mansuétude
- miséricorde
Contraires :
- implacabilité
- rigueur
- sévérité
Vierge de pitié
Synonymes :
- pietà
pitié
n. f.
d1./d Sentiment de sympathie qu'inspire le spectacle des souffrances d'autrui. Inspirer la pitié, faire pitié.
|| Par pitié!: de grâce! Je vous en prie!
d2./d Sentiment de dédain, de mépris.
— Par ext. Ce qui inspire un tel sentiment. Quelle pitié!: quelle chose, quel spectacle dérisoire!
⇒PITIÉ, subst. fém.
A. —1. Sentiment d'affliction que l'on éprouve pour les maux et les souffrances d'autrui, et qui porte à les (voir) soulager; disposition à éprouver ce sentiment. Synon. apitoiement, commisération, compassion, miséricorde; anton. indifférence, insensibilité. Accès, geste, mouvement, regard de pitié; avoir, prendre pitié de qqn; faire pitié (à voir); ayez pitié d'un pauvre aveugle! Quand la jeune duchesse (...) vit passer ces pauvres Français qu'on allait envoyer au Châtelet, elle fut émue de si grande pitié, qu'elle supplia son mari en leur faveur (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.4, 1821-24, p.405). À genoux à côté d'elle [une hase blessée], je caressais doucement l'épais pelage brûlant de fièvre et surtout là, sur l'épine du cou où la caresse est plus douce. Il n'y avait qu'à donner de la pitié, c'était la seule chose à faire: de la pitié, tout un plein coeur de pitié, pour adoucir (GIONO, Solit. pitié, 1932, p.187):
• ♦ Elle s'aperçut qu'elle avait à côté d'elle (...) une grande détresse, une souffrance semblable à celle qu'on rencontre dans les romans, les livres (...). Il semble que la vie quotidienne ôte à tout drame, à toute douleur, ce côté tragique qui force la pitié.
VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.213.
— Loc. et expr.
♦Prendre qqn en pitié. Être pris de compassion pour quelqu'un. Nous l'avons pris en pitié, vu sa misère (Ac. 1935). Puisque le roi consultait son peuple, c'était qu'il le prenait en pitié: que pouvait-il pour lui, sinon alléger ses charges, c'est-à-dire l'impôt, la dîme, les redevances? (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p.138).
♦Regarder qqn en pitié. Éprouver pour quelqu'un des sentiments de compassion. Son créancier l'a regardé en pitié, et lui a accordé du temps (Ac. 1878).
♦Se sentir pris de pitié pour qqn. Éprouver de la compassion pour quelqu'un. Trois mois après, un homme se sentit pris de pitié pour elle et entreprit sa guérison morale et physique (DUMAS fils, Dame Camélias, 1848, p.6).
♦C'est pitié! Quelle pitié! C'est une chose très digne d'apitoiement; c'est pitoyable. Si le morcellement continue: les landes, les bruyères périront. Quelle pitié! Quel dommage! (COURIER, Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, p.87). C'était vraiment pitié de la voir, pauvre boiteuse, le bord de sa bonne robe encroûtée de boue, enfoncer dans la vase jusqu'à la cheville et traîner sa jambe faible, comme une aile blessée, par les chemins glaiseux (GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p.258).
♦(N'avoir) pas de pitié, ni pitié ni merci. Le vin n'est pas toujours ce terrible lutteur sûr de sa victoire, et ayant juré de n'avoir ni pitié ni merci (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p.325). Ce fut une atroce tuerie sans pitié, sans merci (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p.267).
♦(Être) sans pitié. (Être) sans sensibilité humaine. Immoler, massacrer, poursuivre qqn sans pitié. C'est un homme dur et sans pitié. Un coeur sans pitié (Ac. 1798-1878). Eh! mon ami, songez donc en quel enfer je tomberais si je donnais à cet être sans pitié, comme le sont tous les gens faibles, le droit de me mépriser? (BALZAC, Lys, 1836, p.147).
♦[P. réf. à LA FONTAINE, Fables, Les Deux pigeons] Cet âge est sans pitié. L'enfance est cruelle inconsciemment. La Fontaine, qui n'aimait pas les enfants parce qu'ils accaparent en tous lieux les menus soins et chatteries qu'il avait accoutumé d'exiger pour lui-même, La Fontaine gronde: «Cet âge est sans pitié.» Il a des mots terribles, le poète (DUHAMEL, Plais. et jeux, Paris, Mercure de France, 1926 [1922], p.104).
P. anal. C'était un pays sans pitié et sans douceur (HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p.175). La lampe donnait une énorme lumière blanche sans pitié. Elle frappait sur toutes ces choses sensibles (GIONO, Eau vive, 1943, p.198).
♦Proverbes. Il vaut mieux faire envie que pitié (v. envie A 3). Guerre et pitié ne s'accordent pas ensemble. Ordinairement à la guerre, on n'est pas fort touché de pitié, et même il est quelquefois dangereux de l'être. (Ds Ac. 1798-1878).
— Au plur., vieilli. Regarder qqn avec de grandes pitiés. Lorsqu'elle songeait aux damnés de l'enfer, il lui venait au coeur des pitiés, qu'elle n'éprouvait jamais aussi fortes pour les âmes du purgatoire (ZOLA, Contes Ninon, 1864, p.168).
SYNT. Pitié affectueuse, attendrie, douce, infinie, profonde; être accessible à la pitié, digne de pitié; être ému, pris de pitié; inspirer pitié; fondre de pitié.
2. En partic.
a) [La pitié considérée en tant que qualité, vertu de l'âme] La tragédie doit exciter la terreur et la pitié (Ac.). Robespierre sans doute n'offrait par sa mort qu'une faible expiation de ses forfaits: mais quand un scélérat marche à l'échafaud, la pitié alors compte les souffrances et non les crimes du coupable (CHATEAUBR., Litt. angl., t.2, 1836, p.110).
b) RELIG. Synon. de miséricorde. Pitié divine; Dieu de pitié; Seigneur, prends pitié; [Que] Dieu ait pitié de mon, son âme. «Mon Dieu», murmura-t-il, «ayez pitié de moi car je ne suis qu'un pécheur.» (MARTIN DU G., Thib., Pénitenc., 1922, p.736). Pitié et merci. Pour lors Berri, roi-d'armes de France, cria à haute voix: «Dieu veuille avoir pitié et merci de l'âme de très-haut et très-excellent prince Charles, roi de France, sixième du nom, notre naturel et souverain seigneur.» (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.4, 1821-24, p.380).
♦Christ de pitié. Christ représenté iconographiquement avec les cinq plaies de la Passion dans une attitude d'acceptation.
♦Vierge, madone, Notre-Dame de pitié. Synon. de pietà. Un chef-d'oeuvre mystérieux et anonyme [du XVes.], une Vierge de pitié (...) transpose un de ces groupes pathétiques que les imagiers taillaient dans la pierre (HOURTICQ, Hist. art, Fr., 1914, p.121).
♦Sonner/sonnerie en pitié. Après la sonnerie en branle, en pitié, comme ils disent si bellement (LA VARENDE, Nez-de-cuir, 1936, p.46). Le jour de la Toussaint, le marquis de La Bare mourait (...). La cloche du château tintait en glas, l'autre, celle de l'église sonnait en pitié, coup sur coup (LA VARENDE, Dern. fête, 1953, p.381).
B. —P. méton. État qui suscite la pitié. La famine (...) avait déjà fait périr cinquante mille personnes. C'était une si grande pitié, que le roi d'Angleterre, pour célébrer la nativité de Notre-Seigneur, fit porter quelque nourriture aux pauvres gens qui vivaient encore dans les fossés (BARANTE, Hist. ducs Bourg., t.4, 1821-24 p.211). Et voilà qu'on se remet à se serrer le ventre. Une vraie pitié dans le pays, on renvoie le monde, les ateliers ferment les uns après les autres (ZOLA, Germinal, 1885, p.1136).
— ,,C'est grande pitié, c'est grand-pitié que de nous, c'est une étrange pitié que de nous, la condition humaine est sujette à beaucoup de misères`` (Ac.).
— LITTÉRATURE
♦[P. réf. au mot de Jeanne d'Arc à son procès] L'humble paysanne de Domrémy, qui (...) ne songeait qu'à la «grande pitié» qu'il y avait alors dans le royaume de France (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p.143).
♦[P. réf. à l'ouvrage de M. Barrès] Le culte a été supprimé, l'église démeublée; le prêtre est parti (...) Ô grande pitié des églises de France! (BARRÈS, Grande pitié des églises de France, 1914, p.353).
C. —Grâce totale ou partielle accordée à une personne coupable d'une faute ou qui a été vaincue. Crier pitié. Antony, se jetant à ses pieds: Ah! ah!... grâce, grâce, pitié, secours! (DUMAS père, Antony, 1831, II, 5, p.189). Puni d'oser exister en somme, rageusement battu, saignant, meurtri, implorant pitié sous la botte et le poing d'un de ces gaillards (CÉLINE, Voyage, 1932, p.147).
D. —Mépris apitoyé. Pitié dédaigneuse, hautaine; quelle pitié! Le sentiment que l'homme supporte le plus difficilement est la pitié, surtout quand il la mérite. La haine est tonique, elle fait vivre, elle inspire la vengeance; mais la pitié tue, elle affaiblit encore notre faiblesse. C'est le mal devenu patelin, c'est le mépris dans la tendresse (BALZAC, Peau chagr., 1831, p.287). Rien n'aurait pu me décider à dire que nous n'avions pas d'argent pour acheter des livres; la pitié des autres m'aurait fait mourir (KARR, Sous tilleuls, 1832, p.272). Les Grecs alors sont oubliés, et les sculpteurs venus d'Athènes doivent rire de pitié devant ces poèmes confus à la richesse de la terre (FAURE, Hist. art, 1909, p.138).
♦Faire pitié. Il raisonne à faire pitié. ,,Il raisonne de travers`` (Ac.). Il chante à faire pitié. ,,Il chante mal`` (Ac.). Vous me faites pitié de parler ainsi Vos menaces me font pitié (Ac.).
♦Regarder, parler, traiter avec une pitié offensante, insultante. ,,Avec une apparence de pitié mêlée à des marques de mépris`` (Ac.).
♦Regarder qqn en pitié, avec des yeux de pitié. ,,Ne faire aucun cas de lui, le mépriser`` (Ac.).
Prononc. et Orth.:[pitje]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. Ca 1050 pietét «sentiment de compassion» (Alexis, éd. Chr. Storey, 440); ca 1100 pitet (Roland, éd. J. Bédier, 825); 1306 (JOINVILLE, Vie de St Louis, éd. N. L. Corbett, p.145: grant pitié estoit d'oïr brere les gens); fin XIVes. (FROISSART, Chroniques, éd. G. Raynaud, t.X, p.219: che estoit une pités de veoir...); 2. 1666 regarder en pitié «considérer avec du mépris mêlé d'une vague compassion» (MOLIÈRE, Misanthrope, II, 4, éd. H. de Bouillane de Lacoste, t.4, p.41); 1729 quelle pitié! (D'OLIVET, Hist. Acad., t.2, p.203 ds LITTRÉ). Du lat. pietas proprement «piété (envers les dieux, les parents)», «sentiment du devoir» (dér. de pius «pieux [sens sacré et profane]»), qui a évolué pour signifier dès l'époque impériale «clémence, sentiment de bonté miséricordieuse (de l'empereur)», d'où «sentiment de compassion» dans la lang. des Chrétiens et «bonté, charité». Fréq. abs. littér.:6518. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 10749, b) 7628; XXes.: a) 10736, b) 8002. Bbg. GOUG. Mots t.1 1962, pp.118-121.
pitié [pitje] n. f.
ÉTYM. 1080, Chanson de Roland; pitet, 1050; lat. pietas, -atis « pitié ». → Piété.
❖
1 a (La pitié). Sentiment altruiste qui porte à éprouver une émotion pénible au spectacle des souffrances d'autrui et à souhaiter qu'elles soient soulagées. ⇒ Apitoiement, attendrissement, commisération, compassion (cit. 4, La Bruyère), compréhension, miséricorde, sympathie (au sens étym.). → Entrailles, cit. 15; indulgence, cit. 6. || Éprouver, avoir de la pitié pour qqn. || Sa pitié pour les opprimés. — Tendance à éprouver ce sentiment. ⇒ Bonté, charité, cœur, humanité, mansuétude, sensibilité. || Être plein de pitié. — La pitié considérée comme une vertu, un noble sentiment (→ Éminence, cit. 3; ironie, cit. 11), une faiblesse (cit. 39), un fléau humain (→ Assombrir, cit. 3). || La pitié rend honteux celui qui en est l'objet (Nietzsche). — Pitié et clémence (cit. 4), et générosité (cit. 5). || Pitié excessive, qui dégénère (cit. 10) en faiblesse. — La tragédie mène à la pitié par la terreur (→ Entendre, cit. 47). || « C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour » (→ Cœur, cit. 155, Musset).
1 (…) j'ai une merveilleuse lâcheté vers la miséricorde et la mansuétude. Tant y a qu'à mon avis je serais pour me rendre plus naturellement à la compassion, qu'à l'estimation (estime); si est la pitié, passion vicieuse aux Stoïques : ils veulent qu'on secoure les affligés, mais non pas qu'on fléchisse et compatisse avec eux.
Montaigne, Essais, I, I.
2 La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos semblables nous porte à la crainte d'un pareil pour nous; cette crainte, au désir de l'éviter (…)
Corneille, Disc. de la tragédie…
3 Je suis peu sensible à la pitié, et voudrais ne l'y être point du tout. Cependant, il n'est rien que je ne fisse pour le soulagement d'une personne affligée (…)
La Rochefoucauld, Portrait par lui-même.
4 La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d'autrui; c'est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber; nous donnons du secours aux autres, pour les engager à nous en donner en de semblables occasions, et ces services que nous leur rendons sont, à proprement parler, des biens que nous nous faisons à nous-mêmes par avance.
La Rochefoucauld, Maximes, 264.
5 La pitié est moins tendre que l'amour.
Vauvenargues, Réflexions et Maximes, 487.
6 (…) la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles et sujets à autant de maux que nous le sommes; vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'homme, qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion, et si naturelle, que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles.
Rousseau, De l'inégalité parmi les hommes, I.
7 La pitié n'est qu'un secret repli sur nous-mêmes, à la vue des maux d'autrui dont nous pouvons être également les victimes.
Chamfort, Maximes, « Sur l'art dramatique », XXXVI.
8 Le sentiment que l'homme supporte le plus difficilement est la pitié, surtout quand il la mérite.
Balzac, la Peau de chagrin, Pl., t. IX, p. 239.
9 La sainte pitié, qui fait la beauté des âmes, périrait en même temps que périrait la souffrance.
France, M. Bergeret à Paris, XVII, Œ., t. XII, p. 446.
10 (…) l'égoïsme est souvent la clef de la pitié. Qui souffre pour soi a chances de s'éveiller à la souffrance des autres.
R. Rolland, l'Âme enchantée, t. III, p. 105.
11 (…) c'est très mal décrire la pitié si l'on dit que celui qui l'éprouve pense à lui-même et se voit à la place de l'autre. Cette réflexion, quand elle vient, ne vient qu'après la pitié (…) l'homme se demande compte à lui-même de ce mouvement du cœur qui lui vient comme une maladie.
Alain, Propos, 20 févr. 1923, De l'imagination.
♦ Une pitié ardente et agissante (cit. 5), douce et paisible (→ Altérer, cit. 4), délicate (→ Immolation, cit. 2)… — Quêter la pitié ou l'indulgence des autres. || La pitié publique (→ Famélique, cit. 1). || Un mendiant (cit. 2) qui sollicite la pitié de la multitude. — Inspirer (cit. 10), exciter la pitié. || Digne (cit. 2) de pitié. ⇒ Lamentable, piteux, pitoyable. — Toucher qqn de pitié. ⇒ Apitoyer, attendrir, fendre (le cœur). → Faire monter, venir les larmes aux yeux, faire mal au cœur. || Des êtres… laids (cit. 8) à décourager la pitié.
12 (…) la pitié, inerte, passive chez les hommes, plus résignés aux maux d'autrui, est chez les femmes un sentiment très actif, très violent, qui devient parfois héroïque et les pousse impérieusement aux actes les plus hardis.
Michelet, Hist. de la Révolution franç., II, VIII.
13 Et la pitié si tendre, qu'il avait déjà éprouvée à voir les rides et les cheveux blancs de sa mère, déborda comme un flot de son cœur très jeune; il répondit à son appel par tout ce qu'on peut donner d'étreintes et d'embrassements désolés.
Loti, Ramuntcho, II, VII.
♦ ☑ Faire (cit. 92) pitié : inspirer, être propre à inspirer ce sentiment → Désespérer, cit. 15; lanière, cit. 1 (fig.). || Des malheureux qui font plus peur que pitié (→ Humain, cit. 2). — ☑ Prov. Il vaut mieux faire envie que pitié.
14 Madame, il fait pitié. Jamais cœur, que je pense,
Par un plus vif remords n'expia son offense (…)
Molière, Dom Garcie, IV, 1.
15 Les oiseaux en cage me font tout autant de pitié que les peuples en esclavage.
Flaubert, Correspondance, 114, 8 août 1846.
♦ Avoir, éprouver, ressentir de la pitié envers, pour qqn (⇒ Plaindre), envers ses souffrances. ⇒ Compatir (à), déplorer. || « Ayez de la pitié, si le ciel n'en a pas » (→ Enfer, cit. 9, Hugo). — ☑ Avoir pitié de… (→ Consoler, cit. 2; merci, cit. 1, Villon; optimisme, cit. 4). || Avoir grand (cit. 76) pitié. || « J'ai pitié de moi-même » (→ Envie, cit. 14). || « N'ont-ils point de pitié de leurs vieux domestiques ? » (→ Bourrique, cit. 1, La Fontaine). || Ayez pitié d'un pauvre aveugle ! Ellipt. || Pitié pour les malheureux (→ Heureux, cit. 51). Littér. || Pitié pour les femmes, roman de Montherlant.
16 Pauvres gens, je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.
La Fontaine, Fables, VII, 12.
17 On doit avoir pitié des uns et des autres; mais on doit avoir pour les uns une pitié qui naît de tendresse, et, pour les autres, une pitié qui naît de mépris.
Pascal, Pensées, II, 194 bis.
17.1 Mais puisque tu ne veux pas profiter des secours que je t'offre, arrange-toi comme il te plaira; tu me dois, demain de l'argent, ou la prison. — Madame ayez pitié… — Oui, oui, pitié; on meurt de faim avec la pitié.
Sade, Justine…, t. I, p. 24-25.
18 Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d'eux-mêmes.
Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu, II, 8.
♦ Témoigner de la pitié. || Regard de pitié. — ☑ (1835). Prendre qqn en pitié, éprouver et témoigner de la pitié à son égard (→ Bassesse, cit. 20; effroyable, cit. 4; offenser, cit. 10).
♦ Relig. || Ayez pitié de nous, formule de réponse dans certaines litanies (lat. Miserere nobis). || « Ô Satan, prends pitié de ma longue misère ! » (Baudelaire, Litanies de Satan).
♦ ☑ Par pitié. || Faire l'aumône à un pauvre par pitié; agir par pitié. Loc. || Par pitié, laissez-moi tranquille, je vous en prie (→ Paix, cit. 37).
19 Ce que tu fais pour moi, tu le fais par pitié.
On n'a pas d'amitié, on a de la pitié pour un pauvre.
Gide, le Roi Candaule, II, 1.
♦ N'éprouver aucune pitié (→ Désordre, cit. 26). || Insensible à la pitié (→ Dur, cit. 24). ☑ Sans pitié. ⇒ Cruel, impitoyable, implacable, inexorable (→ Durcir, cit. 2). || Les hommes sont sans pitié (→ Aujourd'hui, cit. 28). || Ils seront punis sans pitié, sans aucune pitié. ⇒ Impitoyablement, irrémissiblement. || Sans trêve ni pitié (→ Harceler, cit. 6). Allus. littér. || « Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)… » (→ 2. Fronde, cit. 1, La Fontaine; et aussi hou, cit.).
♦ Par ext. (En parlant du sentiment d'humanité qui porte à épargner un vaincu). || Implorer la pitié du vainqueur. — Ellipt. || Pitié ! ⇒ Grâce, merci.
b (Une, des pitiés). || Une pitié lui vint au cœur, un sentiment de pitié (→ Dérisoire, cit. 2). Au plur. (rare). || « Des pitiés me viennent » (Hugo, in Littré).
2 ☑ (Dans les loc. c'est une pitié, c'est pitié). Ce qui est pitoyable, inspire de la pitié. || C'est une pitié, ou, plus souvent, c'est pitié. || Si chétive (cit. 2), que c'était pitié. || C'était pitié de… (→ Aller, cit. 111; grelotter, cit. 5; 2. longe, cit. 2). || C'est une pitié que d'être… (→ Calmer, cit. 6). — Allus. hist. || La pitié qui était au royaume de France, mot de Jeanne d'Arc à son procès. — Littér. || La grande pitié des Églises de France, œuvre de M. Barrès.
20 C'était pitié de voir tomber les morts.
La Fontaine, Fables, VII, 6.
♦ De pitié. || Christ de Pitié, représenté avec les plaies de la Passion, dans une attitude de résignation. — Madone, Notre-Dame de Pitié. ⇒ Pietà (→ Passionner, cit. 12).
3 Sentiment, dédaigneux et méprisant, de commisération pour les insuffisances, les défauts… d'autrui. ⇒ Dédain, mépris. || Un sourire de pitié. || Il regarde en pitié tout ce que chacun dit (→ Haut, cit. 66, Molière). || Provincial qui inspire de la pitié aux lycéens (cit. 1). || Cela fait pitié… ⇒ Piteux, pitoyable (→ Mollesse, cit. 3). — Par ext. || Quelle pitié ! quelle chose pitoyable, dérisoire ! ⇒ Misère (→ Grandeur, cit. 21).
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CONTR. Cruauté. — Inhumanité.
DÉR. et COMP. Pitoyable. — Apitoyer. — V. aussi Pitance, piteux.
Encyclopédie Universelle. 2012.