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FIEF
FIEF

Dans ses premiers emplois connus, le mot fief désigne un bien meuble. Il devient, au plus tard au Xe siècle, l’équivalent, en langue vulgaire, du terme savant « bénéfice », qui signifie faveur, et que l’on utilisait dans les textes latins pour nommer la récompense accordée pour un service rendu ou attendu. Dans les structures économiques et sociales du Moyen Âge occidental, où la circulation monétaire demeura longtemps très restreinte et où la terre constituait la principale richesse, de tels «bienfaits» consistaient en l’octroi d’un bien foncier ou du droit de percevoir des taxes et des redevances sur un certain territoire.

La tenure féodale

Le bénéfice fut d’abord souvent un don en toute propriété. Mais comme il rétribuait un dévouement dont chacun pensait qu’il devait se prolonger après la remise de la récompense, le donateur se réserva le droit de reprendre le bien concédé si le service, dont sa libéralité constituait le salaire, cessait d’être accompli, par suite de la mort ou du défaut du bénéficiaire. Le fief devint donc la simple concession d’une jouissance, subordonnée au respect de certaines obligations. Le seigneur et le feudataire possèdent l’un et l’autre des droits sur ce bien. C’est une tenure qui diffère de celles des tenures attribuées à des exploitants paysans, en ce qu’elle est gratuite, non soumise à des charges matérielles. Le tenancier en perçoit tous les profits qui représentent le prix de sa fidélité et de sa diligence. Le fief est la rétribution d’une fonction.

La concession féodale fut d’un usage très répandu dans cette société rurale où l’argent était rare. Dans les grandes maisons seigneuriales, des fiefs furent ainsi accordés aux serviteurs spécialisés, qui n’étaient pas entièrement entretenus par le maître, à des prêtres, à des artisans, à des cuisiniers, aux régisseurs des domaines. Mais la tenure féodale servit principalement à solder le dévouement du vassal, lorsque celui-ci quittait la domesticité de son seigneur. Après l’an mille, l’investiture d’un fief suivit généralement la prestation de l’hommage. Fort de son droit éminent, le seigneur, par la menace de la confiscation, pouvait maintenir son feudataire dans le respect de l’engagement pris, tout en lui laissant le loisir de mener, dans sa maison, une existence autonome.

Il existait des tenures féodales de toutes tailles: le duché de Bourgogne était un fief de la couronne de France, mais d’autres consistaient en une église, une simple exploitation paysanne, une fraction de redevance. Beaucoup d’entre eux étaient de véritables cadeaux prélevés sur la fortune du seigneur. D’autres, les fiefs «de reprise», étaient au contraire d’anciennes propriétés personnelles du feudataire, dont celui-ci, entrant en vasselage, avait cédé à son patron la seigneurie éminente. Le statut féodal fut celui d’un grand nombre de terres – de la majorité, sinon de la totalité d’entre elles, dans certaines régions comme l’Angleterre ou la Normandie. Cependant, l’alleu, c’est-à-dire le bien de famille, libre de toute subordination, subsista toujours et demeura, dans mainte province, la forme de possession la plus répandue. Lorsque, à partir du XIIIe siècle, la circulation monétaire prit suffisamment d’ampleur, se répandit le «fief de bourse» ou «fief rente»: il consistait dans le versement annuel d’une somme d’argent. Seules les obligations vassaliques qui y étaient attachées conféraient encore à de telles pensions un caractère féodal.

Le droit du fief

L’investiture de la tenure féodale introduisait celle-ci dans le patrimoine du feudataire. Tant que ce dernier s’acquittait convenablement du service, le seigneur ne pouvait le priver de son droit, sauf en le lui rachetant. La force des liens de parenté lui interdit rapidement, et surtout lorsqu’il s’agissait d’un fief de reprise, de reprendre le bien pour lui-même à la mort de son détenteur et même d’en disposer librement. Dès le XIe siècle, en France, la coutume l’obligeait à laisser l’héritier naturel «relever» le fief. Il ne pouvait donc récupérer l’entière possession de la terre que si la lignée du feudataire s’éteignait. Toutefois, la transmission successorale était subordonnée à la prestation de l’hommage, et l’usage reconnut peu à peu au seigneur le droit de percevoir à cette occasion une taxe, le «relief». Enfin, si l’héritier n’était pas capable de servir le fief, le seigneur pouvait en assurer temporairement la garde, ou confier celle-ci à un «baillistre».

Les feudataires cependant n’obtinrent jamais l’entière disposition de leur tenure. Ils pouvaient la concéder eux-mêmes, totalement ou en partie, en arrière-fief, à des hommes qui leur prêtaient hommage; mais ils en demeuraient alors seuls responsables devant leur seigneur. En outre, puisque le fief n’avait pas cessé d’être le support d’un service, il importait que sa valeur ne s’amoindrît pas. Il était donc interdit de l’«abréger», d’en laisser les revenus se restreindre de quelque façon. Si l’on admit le principe de l’hérédité, il resta que le fief ne pouvait pas être divisé entre les héritiers : un seul, généralement l’aîné, était admis à le relever. Toutefois, comme il n’était pas décent qu’il laissât ses cadets dans le dénuement, dans certaines coutumes régionales s’introduisit la pratique du «parage»: le seigneur recevait l’hommage de l’aîné seul; les cadets tenaient de ce dernier la part du fief qui leur était attribuée. La pratique des donations pieuses, puis, avec l’avènement de l’économie d’échange, la nécessité de se procurer de l’argent conduisirent les feudataires à souhaiter pouvoir aliéner le fief. Le seigneur risquait alors un grave préjudice: admettre parmi ses vassaux un véritable étranger dont le dévouement ne pouvait pas s’alimenter, comme dans le cas des successions, à la tradition d’une amitié familiale, voir la tenure s’incorporer au patrimoine d’un établissement religieux, ou bien échoir à un non-noble incapable de servir par les armes. Le don et la vente demeurèrent donc subordonnés à l’autorisation préalable du seigneur, qui pouvait la refuser, la marchandait toujours et en prenait prétexte pour prélever un droit de mutation. Nombre de coutumes admirent le principe du «retrait féodal» qui autorisait le seigneur à se substituer à l’acquéreur et à racheter la tenure. Tous ces assouplissements permirent à la tenure féodale de se perpétuer durablement comme mode particulier de possession du sol.

fief [ fjɛf ] n. m.
• mil. XIIIe; feu, fiet 1080; frq. °fëhu « bétail »; bas lat. feudum, feodum féodal
1Au Moyen Âge, Domaine concédé à titre de tenure noble par le seigneur à son vassal ( feudataire), à charge de certains services ( féodal, féodalité). Domaine, bien donné en fief. Fief servant : fief du vassal, subordonné au fief dominant du seigneur.
2Fig. Domaine où qqn est maître, exerce une influence prépondérante. Fief électoral, où l'on est toujours réélu.

fief nom masculin (francique fehu, bétail) Bien, droit ou revenu qu'un vassal tenait de son seigneur. Domaine où quelqu'un est maître, que l'on considère comme sa possession : Un fief électoral.fief (expressions) nom masculin (francique fehu, bétail) Fief de bourse, synonyme de fief-rente. Fief corporel, fief consistant en biens immobiliers. Fief de corps, fief lige comportant service militaire obligatoirement personnel. Fief de dignité, fief concédé par le roi et auquel était attachée une dignité (prince, duc, marquis, comte, etc.). Fief dominant, fief dont un autre relevait immédiatement. Fief franc, synonyme de franc-fief. Fief de haubert ou de chevalerie, fief qui obligeait son détenteur à servir le roi à la guerre avec un équipement comprenant le haubert. Fief incorporel, fief consistant en un droit, un revenu ou une fonction. Fief lige, fief pour lequel le vassal, en prêtant foi et hommage à son seigneur, s'engageait à le servir envers et contre tous. Fief mouvant ou servant, fief relevant d'un autre fief. ● fief (synonymes) nom masculin (francique fehu, bétail) Fief de bourse
Synonymes :
- fief-rente
Fief franc
Synonymes :
- franc-fief

fief
n. m. FEOD Domaine d'un vassal.
|| Fig. Domaine exclusif de qqn. Fief électoral.

⇒FIEF, subst. masc.
A.— [Au Moy. Âge] Terre, plus rarement droit, fonction, revenu concédé par un seigneur à un vassal en échange d'obligations de fidélité mutuelle, de protection de la part du seigneur, de services de la part du vassal. Cf. bénéfice II A 1. Possesseur d'un fief, mouvance d'un fief. Toutes choses furent données en fief; non-seulement les terres, mais certains droits (GUIZOT, Hist. civilisation, 1828, p. 7). L'homme et le fief ne faisaient qu'un au point de porter le même nom (BERNANOS, Journal curé camp., 1936, p. 1086) :
1. ... au XIIIe siècle la femme a déjà conquis (...) des droits de plus en plus étendus. (...) épouse, elle passe avant les collatéraux; elle peut donc tenir des fiefs, les apporter en dot...
FARAL, Vie st-Louis, 1942, p. 143.
SYNT. Créer, donner, posséder un fief; fief relevant d'un territoire, d'une personne; fief qui fait retour à la couronne, qui tombe en roture.
Spécialement
Fief direct ou plein fief. Fief qui dépend sans intermédiaire d'un suzerain :
2. ... le châtelain de Jougne fut sommé de livrer les agens du délit qui s'étaient réfugiés en ce château, dont le sire de Châlons était seigneur. Ce châtelain s'y refusa, prétendant que Jougne était un fief direct de l'Empire.
BARANTE, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 419.
Fief dominant. Fief dont un autre, le fief servant, relève. V. baiser2 ex. 3.
Fief-ferme. En Normandie, héritage noble ou roturier concédé à perpétuité :
3. Nous revenons donc à Dieppe; de temps en temps, de petits vallons s'ouvrent pour nous laisser voir le solennel rideau bleuâtre de la mer. De longues avenues normandes. Sont-ce là les petits fiefs, les fiefs-fermes taillés par saint Louis...?
MICHELET, Journal, 1839, p. 323.
Fief militaire, de chevalier ou de haubert. Fief concédé à un chevalier qui devait en échange un service armé à son suzerain. À quatre pas de là, je trouve le seigneur du fief de Haubert (COURIER, Pamphlets pol., Lettres partic., 1820, p. 70).
Fief personnel. Fief concédé à une personne sans possibilité de le transmettre à ses héritiers. Dépouiller le chef de la noblesse française du Levant, de son fief personnel (GROUSSET, Croisades, 1939, p. 319).
Fief servant ou fief mouvant d'un autre fief. V. supra fief dominant.
Fief simple. Fief auquel aucun titre de dignité n'est attaché. Anton. fief de dignité. V. arrière-fief ex. 2.
Fief de dignité. Supra fief simple.
Grand fief. Fief relevant directement du souverain. V. arrière-fief ex. 2.
Arrière-fief. Franc-fief.
[En d'autres temps, en d'autres lieux] Établir une monarchie universelle dont il [Bonaparte] se serait déclaré le chef, en donnant en fief des royaumes, des duchés (STAËL, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 94). V. aussi concéder ex. 1.
B.— P. anal. Bien possédé par quelqu'un de manière exclusive; domaine où quelqu'un est maître. Fief électoral. Discuter, transiger, pactiser, alors que ce journal avait été son fief incontesté (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 246). V. aussi bien-fonds ex. 2.
REM. Féage, subst. masc. Vx. Contrat d'inféodation; fief, objet de ce contrat. Un féage noble est un héritage tenu en fief (Ac. 1798-1878).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1100 fiet, feu (Roland, éd. J. Bédier, 472; 2680); [XIIe s. fief attesté indirectement par le dér. fieffé]; mil. XIIIe s. fief [ms.] (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 61). Mot d'orig. discutée, v. FEW t. 15, 2, p. 119b et EWFS2; prob. de l'a. b. frq. fehu « bétail », cf. le m. néerl. vee « id. » (VERDAM), a. h. all. fihu « id. » (GRAFF t. 3, col. 428), a. b. all. fehu « id. », got. faihu « argent, possessions » (FEIST); l'évolution sém. aura été identique à celle du lat. pecus « bétail », pecunia « avoir (en bétail); argent ». Feus, feum est attesté en lat. médiév. dès le VIIIe s. (NIERM.; HOLLYMAN, pp. 41-42); au Xe s., formes en -d- (NIERM., p. 415b; HOLLYMAN, p. 48, note 59), prob. nées sous l'infl. de alodum, v. alleu; le -f-de fief vient des formes verbales fiever (v. fieffé), elles-mêmes dér. de l'a. fr. fieu (Z. rom. Philol. t. 2, 1878, pp. 461-463; FOUCHÉ, p. 602; BOURC.-BOURC. § 151, III). Fréq. abs. littér. :256. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 692, b) 285; XXe s. : a) 162, b) 246. Bbg. GRAY (L.H.). Six romance etymologies. Rom. R. 1942, t. 33, pp. 157-163. — HOLLYMAN (K.J.). Le Développement du vocab. féod. en France pendant le Haut Moyen Âge. Genève-Paris, 1957, 202 p. — KRAWINKEL (H.). Feudum. Jugend eines Wortes. Weimar, 1938, 156 p. — LERCH (E.). Feudum (fief), Vieh und Fiskus. Rom. Forsch. 1940, t. 54, pp. 437-444.

fief [fjɛf] n. m.
ÉTYM. Mil. XIIe, fieu (compl.); feu, fiet, 1080; du bas lat. feudum, feodum (→ Féodal), d'origine francique (fehu « bétail »; cf. all. Vieh, même sens); p.-ê. (Guiraud) croisé avec la famille du lat. fœdus, qui convient mieux pour le sens (« contrat; union », → Foi), mais qui pose des problèmes formels.
1 Au Moyen Âge, Domaine concédé à titre de tenure noble par le seigneur à son vassal à charge de certains services ( Féodal, féodalité, seigneurie). || Domaine, bien donné en fief. || Le bénéfice (cit. 6) carolingien, origine du fief. || Cérémonie d'investiture du fief. Foi (foi et hommage); → Aveu, cit. 1. || Services de fief dus par le vassal à son seigneur. || Hiérarchie des fiefs. Dépendance, mouvance, suzeraineté; arrière-fief.Fief direct, plein fief, qui dépend sans intermédiaire d'un suzerain. || Fief dominant. || Fief servant : fief du vassal subordonné au fief dominant du seigneur. || Fief vilain. Censive. || Droit de franc fief, payé par le roturier qui acquérait un fief avec la permission du roi.Fief militaire, de chevalier, de haubert. || Fief personnel. || Fief simple (opposé à fief de dignité, correspondant à un titre).
1 (…) un marchand qui se trouve possesseur d'un ancien fief, reçoit foi et hommage d'un autre bourgeois ou d'un pair du royaume qui aura acheté un arrière-fief dans sa mouvance.
Voltaire, Mœurs, XXXVIII.
2 Il vint un temps où le fief fut considéré plutôt comme la possession d'un domaine que comme la récompense d'un service (…)
Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation française, p. 96.
3 (Au IXe siècle) la confusion n'est pas encore opérée tout à fait entre le bien vassalique et la concession d'une terre. En ce sens, l'expression de « régime féodal » est impropre dans son application au haut moyen âge. Le « fief », en effet, la terre remise en « bénéfice » n'est que l'une des formes du droit réel, parmi d'autres. Le fief est une réalité économique, qui ne recouvre pas, en tant que telle, la réalité sociale (…) du vasselage.
Paul Zumthor, Charles le Chauve, p. 116.
2 (1872). Fig. Domaine où quelqu'un est maître, exerce une influence prépondérante. || C'est le fief de la famille X. || Le fief électoral de qqn, où il est toujours réélu. || L'égyptologie est le fief de ce savant (Académie).
CONTR. Alleu.
DÉR. Fieffer.

Encyclopédie Universelle. 2012.