GASTRONOMIE
Les récits de voyages ainsi que les textes littéraires offrent une grande variété de documents décrivant les techniques de consommation, le choix et la préparation des aliments, l’acquisition et la transmission des savoir-faire culinaires. Les traditions et novations, les cycles journaliers ou saisonniers des régimes alimentaires font l’objet soit de discours esthétiques et littéraires, soit d’observations attentives et de constructions théoriques qui relèvent des sciences de l’homme.
Nourritures-cuisines
C’est l’étonnement qui inspire les voyageurs. Tous les hommes mangent: la simplicité de cette loi transculturelle est immédiatement rapportée au constat de la pluralité des cultures. En effet, la différence des pratiques du goût et des interdits alimentaires apparaît rapidement dès que l’on compare diverses sociétés. Par curiosité pré-ethnographique, les voyageurs se plaisent à marquer les bizarreries culinaires, les postures corporelles de l’homme qui mange, les manières de table, essayant de circonscrire les curiosités gastronomiques, les saveurs étranges, les mélanges incongrus. Jean Coppin, qui a voyagé deux fois en Égypte, entre 1638 et 1646, note dans sa relation: «Il y a [les pains] des Francs qui sont des petits pains d’un sol comme ceux qu’on voit dans nos villes. Mais le pain des Turcs et du commun peuple est tout plat sans être relevé, il est mince et n’est pas assez cuit, ce qui fait qu’il se plie comme un morceau de drap, et, après le premier jour, il devient tout à fait désagréable au goût», ajoutant: «Je me souviens d’avoir vu des paysans qui mangeaient aussi de petites courges velues comme elles sortaient de dessous la plante et sans ôter l’écorce: et ces gens de campagne dévorent une quantité d’herbages et de «vilainies» aussitôt qu’ils les rencontrent, dont il n’y a que les seules brutes qui en voulussent goûter dans nos Provinces.» Cette description des pratiques alimentaires marque par deux fois la différence entre le pain des Francs et celui des Turcs. La préparation, la forme, le degré de cuisson, la saveur, la conservation, tout les oppose. Pour ces deux peuples, la consommation de la nourriture – ici le pain et les courges – prend des aspects variables connotés positivement ou négativement selon le goût des voyageurs.
La cuisine, les comportements sociaux accompagnant un repas auquel le voyageur est convié peuvent aussi être jugés comme civilisés bien qu’inhabituels. Encore faut-il que cette différence puisse être identifiée historiquement, associée à la plus grande antiquité, rattachée magiquement et littérairement à la culture grecque antique. Au Caire en 1777, Savary, après avoir décrit l’usage du tabac, écrit: «Vers midi, on dresse la table. Un grand plateau de cuivre étamé reçoit les plats. La variété n’y brille point, mais les mets sont abondants. Au milieu s’élève une montagne de riz cuit avec de la volaille, assaisonnée de safran et de beaucoup d’épices. On place à l’entour des viandes hachées, des pigeons, des concombres farcis, des melons délicieux et des fruits. Les convives s’asseyent sur un tapis autour de la table. Un esclave tenant un bassin et une aiguière donne à laver. C’est une cérémonie indispensable dans un pays où chacun porte la main au plat, et où l’usage des fourchettes est inconnu... Ces coutumes paraissent très anciennes dans l’Orient. Ménélas et la Belle Hélène, après avoir comblé de présents Télémaque et Pisistrate, leur donnèrent le festin d’hospitalité...»; il cite alors un passage du quinzième chant de l’Odyssée où il est question d’un esclave portant dans ses mains une aiguière d’or et se réfère au livre IX de l’Iliade pour noter «la manière dont le fils de Thétis reçoit les députés grecs [qui] ressemble beaucoup à celle dont les Égyptiens traitent leurs convives».
Ces deux exemples, parmi tant d’autres écrits de voyageurs, fonctionnent anthropocentriquement. Un des principes généraux de la gastronomie marque la frontière infranchissable entre les hommes qui mangent et ceux qui savent manger, entre les hommes qui boivent et ceux – en plus petit nombre encore – qui savent boire. Comme le vêtement du dandy, comme la manière de chasser le louvart à cheval, comme tout arbitraire culturel, la gastronomie est une pratique de distinction.
L’intérêt des voyageurs et des recueils de curiosa qu’ils ramènent de leurs pérégrinations sont d’importants témoignages pour le chercheur. Deux niveaux peuvent être distingués: leurs descriptions, plus ou moins véridiques, sont des éléments d’un corpus des manières de se nourrir, mais elles sont surtout, à un deuxième niveau, des corpus servant à l’interprétation des regards occidentaux sur les pratiques culturelles d’autres sociétés. Il faut cependant attendre la fin du XIXe siècle et surtout la première moitié du XXe siècle pour qu’une ethnologie culinaire se constitue. La littérature ethnologique classique ne s’est que peu intéressée aux pratiques culinaires. Si Boas en 1921 fut l’un des précurseurs de cette partie de l’anthropologie culturelle en décrivant des centaines de recettes de cuisine dans son étude sur les Kwakiutl, nous devons les premières descriptions systématiques d’ethnologie culinaire à des auteurs anglo-saxons tels que Bell, Cussler, Marett, qui, entre les deux guerres, ont étudié la cuisine et les pratiques alimentaires des sociétés «primitives» et rurales.
Le triangle culinaire et ses sauces
L’article de Lévi-Strauss qui traite du triangle culinaire est le contraire d’une description de recettes ou de pratiques de table. Ce texte, fondateur de toute une série de recherches, tant en ethnologie qu’en histoire des mentalités, construit, à partir de l’analyse des mythes américains, un modèle des mises en relations structurales exprimant des oppositions fondamentales. Citant, comme exemple éponyme, Jakobson, Lévi-Strauss construit l’univers de la cuisine sur le modèle du système complexe du «triangle vocalique». Trois états de la nourriture organisent l’univers culinaire: cru, cuit, pourri. Toute socialisation de la nourriture s’exprime dans ce cadre, toutes les variations sont possibles à l’intérieur de cette structure rendant compte médiatement, mais aussi systémiquement, des rapports de l’homme et de l’univers.
Pour Lévi-Strauss, la cuisine est une activité intermédiaire entre la nature et la culture, elle s’insère entre nature et culture, assurant «leur nécessaire articulation». Dans toute société, quelle qu’elle soit, le triangle culinaire existe, mais ce schéma n’indique que des positions idéales, grâce à une géométrie abstraite, dans laquelle les pratiques culinaires de chaque société rendent compte des modalités, elles-mêmes structurales, d’applications du système abstrait. Rien n’est jamais absolu, ni cru ni cuit ni pourri: «Pour aucune cuisine, rien n’est simplement cuit, mais doit être cuit de telle ou telle façon. Pas davantage, il n’existe de cru à l’état pur, certains aliments seulement peuvent être consommés, et à la condition d’avoir été triés, lavés, épluchés ou coupés, sinon même assaisonnés. La pourriture aussi n’est admise que selon certaines voies, spontanées ou dirigées.» La catégorie du cuit se divise elle-même puisque les diverses modalités de cuisson font apparaître, dans beaucoup de sociétés, un contraste entre le rôti et le bouilli. La viande rôtie, exposée au feu, réalise une «conjonction non médiatisée», alors que la nourriture bouillie est doublement médiatisée par l’eau et par le récipient. Ainsi apparaît le triangle culinaire (tabl. 1) qui sert de matrice à toute une série d’études sur la nourriture, sur la religion mais aussi sur les instruments de cuisine, sur les cérémonies ponctuées par des repas traditionnels, sur les recueils de recettes de cuisine et les descriptions théorico-littéraires des gastronomes – par exemple celles de Brillat-Savarin – cités par Lévi-Strauss, lorsque ce dernier indique rapidement la variabilité des jugements à propos du bouilli et du rôti. Au XVIIIe siècle, les groupes «démocratiques», l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, magnifient le bouilli alors que les représentants du groupe «aristocratique» le discréditent en insistant sur le fait «qu’un dîner véritablement soigné» doit comporter des filets rôtis.
Les techniques de conservation, de préparation, de consommation alimentaires et la gastronomie élaborent – surtout au XIXe siècle en France – les règles d’inclusion et d’exclusion d’un savoir-faire et d’un savoir-goûter qui ne peuvent être abordées que si l’on étudie leur mise en relation avec d’autres traits culturels. Encore faut-il établir la pertinence des relations existant entre les pratiques et les représentations sociales. En effet, le triangle culinaire, «en bon modèle structural, peut être mis à toutes les sauces». Ainsi, l’étude des mythes joraï, par Jacques Dournes, explique les rapports entre le grillé et le fumé, mais aussi – pour les boissons de banquet – l’opposition entre le fermenté et le bouilli. Yvonne Verdier, de son côté, oppose, dans la description des repas bas-normands, les rapports sexuels hommesemmes et le salé/sucré ainsi que les couples: ordinaireête, charcuterie/boucherie, bouilli/rôti, bouillon/sauce, fade/relevé (tabl. 2). La présence des femmes comme partenaire sexuel concorde avec l’abondance et même l’excès du sucré dans les repas de fête, alors que le salé, le sursalé même, domine dans les repas de la vie quotidienne.
Les études des types de rapports existant entre une réglementation culinaire et des traits culturels se sont développées surtout depuis une quinzaine d’années, aussi bien en ethnologie qu’en histoire et plus particulièrement en histoire ancienne. M. Detienne, J.-P. Vernant, à la suite de W. Deonna, étudient l’ensemble des relations existant entre les hommes et les animaux: le cuisinier – mageiros – chez les Grecs est aussi le boucher et le sacrificateur. Il n’est jamais confondu avec le chasseur. L’animal sauvage s’oppose à l’animal domestique, et cette opposition réglemente les pratiques culinaires mais aussi les pratiques rituelles et le sacrifice. Les manières de découper le corps de l’animal, de faire en un premier temps rôtir les viscères à la broche, de faire ensuite bouillir les quartiers de viande dans un chaudron sont mises en opposition et en relation avec des représentations religieuses de la cité, avec la prohibition de certains aliments. Le système ainsi construit à partir des pratiques alimentaires devient un langage à travers lequel un groupe social ou religieux déterminé «traduit ses orientations et révèle ses contradictions». C’est déjà – sans l’apparat structuraliste – ce que Paul Veyne, en 1961, avait tenté de démontrer, à partir d’un texte littéraire, lorsqu’il étudiait la situation sociale de Trimalcion et la signification du fameux banquet décrit dans Le Satiricon de Pétrone.
Gastronomie-gastrolâtrie
Toute pratique culinaire est mise en rapport avec un style de vie, «la nourriture tend sans cesse à se transformer en situation». Or, si l’ethnologie découvre des régularités structurales dans les mythes culinaires, si l’histoire quantitative de l’alimentation est «justiciable des mêmes présentations que les plus classiques et les plus prospectés» des habituels domaines de recherche, l’étude de la gastronomie au XIXe siècle en France montre surtout qu’il s’agit, dans un discours proche des catégories littéraires, de la construction de règles marquant des différences tout autant sociales que culinaires. Balzac utilisait rhétoriquement la formulation beaucoup/peu: le vulgaire (beaucoup d’hommes), les classes au goût sauvage, celles qui ne savent ni vivre ni se tenir, une partie de la bourgeoisie aussi, ne fait que manger; les gastronomes (peu d’hommes), happy few , sortes de dandy – Dumas les appelait la «classe respectable des gourmands» –, récitent et utilisent la confection, la composition des mets ainsi que leur voisinage avec les vins comme pratiques de distinction. Le discours gastronomique est donc un style d’écriture qui fait partie d’un style de vie aux lois complexes et byzantines; c’est un ensemble de recettes culinaires régulant l’ensemble de la sociabilité.
Classant les mets, décrivant les manières de les confectionner et de les déguster, la gastronomie se veut aussi science dans les écrits de Grimod de La Reynière et surtout chez Brillat-Savarin. Dans les méditations de ce dernier, la gastronomie tient à l’histoire naturelle, à la physique, à la chimie, à la cuisine, au commerce et même à l’économie politique. C’est une science utilisant les discours des autres sciences. Cette volonté de fonder solennellement la gastronomie comme science – avec une grande dose de naïveté – est un récitatif essayant de faire intérioriser la légitimité de l’arbitraire culinaire par des lecteurs provenant essentiellement de la bourgeoisie. Science mimétique, la gastronomie du XIXe siècle s’enracine enfin dans l’histoire, canonisant les grands mangeurs de l’Antiquité, empruntant ses lettres de noblesse à l’anecdote des banquets décrits par Pline, par Juvénal, par Martial ou bien par Archetrastes.
Ces diverses fondations des règles culinaires sont orchestrées grâce aux commentaires littéraires. Alexandre Dumas, par exemple, dans ses Quelques Mots au lecteur préfaçant son dictionnaire de cuisine, accumule les descriptions de soupers après théâtre. Mlle Georges faisait préparer des truffes, Mlle Mars offrait à ses invités de la soupe aux amandes. Ces truffes, cette soupe participent au rituel du repas, ainsi qu’à l’esthétisme exprimant la convivialité, qui, ajoutée à la bonne chère, produit un plaisir composé: la célébration laïque décrite par Dumas – Mlle Georges en déshabillé, l’éclat des verres sur la table dressée, le parfum de la maison, la posture et la position dans le monde des convives sont les ingrédients sociaux de l’écriture dithyrambique.
L’inflation des discours, la manie de la description mixte ont en définitive pour fonction de sacraliser littérairement les pratiques de table d’un groupe social et, à l’opposé, de dénier à l’homme qui mange le droit à la parole gastronomique. Le goût est ici la chose la moins bien partagée du monde et l’utilisation, variable dans son extension, du vocabulaire servant à affirmer sa compétence joue le rôle de rituel et d’examen de passage: technique, d’une part, il doit aussi être évocateur, métaphorique. Le discours sur les mets et les vins est allégorique. Le style littéraire est à la fois descriptif et allusif lorsqu’il règle, par l’écrit, l’ordonnancement socialement adéquat des divers plats composant un repas; ceux-ci, grâce à l’évocation rituelle, doivent essentiellement séparer les gastronomes du commun des mortels. Le vocabulaire de l’expressivité de l’admiration s’utilise sur les deux registres, dans le même mouvement discursif: un vin peut être charnu, capiteux, gras, ficelle, il peut aussi tomber en dentelle. Il peut être déterminé par des qualificatifs précis – comme le vocabulaire de la marine à voile –, mais il est, dans le même temps, évocateur de tout un contrepoint de sensations constituant autant de digressions et de souvenirs que la madeleine de Proust.
Cette gastronomie du XIXe siècle utilise donc l’évocation littéraire afin de s’imposer comme pratique et jugement marquant la différence, mais il serait manichéen, comme l’indique Antoine Grimod, de croire que le chercheur puisse diviser la société du XIXe siècle en ventres creux et en ventres pleins: – le gastronome est assez souvent décrit comme étant un gastrophore, et l’obésité est le blason du corps gastronomique. «Il n’y a pas de différence essentielle dans l’appétit des privilégiés des sociétés occidentales depuis les Romains jusqu’au milieu du XIXe siècle. Au contraire, quand le voisin a pu manger à sa faim sans trop de problèmes, l’ingestion massive ou le gaspillage d’une nourriture raffinée a perdu son prix; il a fallu se rabattre sur d’autres moyens de se distinguer et de montrer son luxe: alors peut apparaître le souci «de garder sa ligne»; la fin des ventres creux amène la naissance des ventres plats.» Il ne faut pas naturaliser les pratiques de distinctions puisque celles-ci sont arbitraires, la boulimie, la consommation ostentatoire – les repas comprenant de douze à quinze plats – le marquage du gaspillage par le corps du martyr-obèse, les recettes composées architecturalement autant que culinairement à la Trimalcion disparaissent peu à peu sous le second Empire puisqu’il n’y a plus de grandes famines.
D’autres distinctions s’affirment alors. Par exemple, les vins de Bordeaux sont classés en 1855. Déjà, A. Jullien, marchand de vin, avait classé ces vins en 1816; cette classification avait été reprise par W. Frank en 1824 et en 1845, mais c’est en 1855, avec tout l’apparat de la légalité, que les syndics et adjoints des courtiers de commerce près de la Bourse de Bordeaux établissent la liste et le classement des vins de Bordeaux. Ce classement, réalisé à l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient à Paris, a pour raison immédiate le fait de ne pas envoyer à la capitale, au petit bonheur, des vins de la Gironde présentés sans ordre; ce qui aurait l’inconvénient de soumettre à des jurys des vins dont les qualités n’auraient pas fait l’«objet d’un premier triage». Ce classement commercial et conjoncturel est devenu une institution reconnue, malgré quelques transformations de fait, inscrivant la hiérarchie des vins selon un ordre calqué sur les normes du concours scolaire: «Le monde des vins aujourd’hui est comme celui des tableaux anciens, un monde de l’étiquette et du cartel indispensable à tous, hors quelques spécialistes.» La phrase traditionnelle et populaire du «c’est vrai parce que c’est écrit» légitime en scolarisant les pratiques de sélection des mets et du choix des vins. Le gastronome, l’homme des sauces, des rôtis et des crèmes, le dégustateur d’un Léoville 1870 ou d’un Yquem 1874 s’est peu à peu transformé en gastrolâtre qui, dans l’univers des recettes et des classifications hiérarchisantes, essaye de conjuguer son besoin de l’écrit, ses goûts culinaires modelés par les pratiques culturelles de son groupe social d’appartenance et ses jugements mimétiques qui lui permettent d’exprimer symboliquement sa mobilité sociale. Tout ce qui est traditionnel possède alors un rendement symbolique maximal. Le culte culinaire du passé, la simplicité de bon aloi, les pèlerinages aux sources et les voyages des gourmands dans les provinces françaises deviennent les nouveaux insignes gastrolâtriques du désir d’enracinement dans un passé mythologiquement traditionnel.
Certaines ventes de vins sont des exemples paradigmatiques de ce culte. La gastrolâtrie et la muséomanie devenant des traits culturels d’un groupe social ne pouvant plus se différencier d’autres groupes sociaux par la croyance en ses pratiques culinaires quotidiennes. Il est alors nécessaire de surenchérir symboliquement et économiquement afin d’obtenir une qualification et une spécification particulières: l’achat du vin est alors détourné de sa finalité antérieure. Acheter du vin, le conserver en sa cave et le boire ne différenciant plus suffisamment, il est nécessaire de se procurer des vins millésimés et catalogués, très chers, afin de ne pas les boire, afin de pouvoir montrer le contenant, la bouteille et sa noblesse – l’étiquette faisant foi – sans pour autant toucher au contenu, c’est-à-dire au vin lui-même, qui risque une fois sur deux de tomber en dentelle sous le fardeau des décennies. La vente aux enchères de vins de haute antiquité en novembre 1972 – vin jaune d’Arbois de 1834, Mouton-Rothschild 1870, par exemple – fut beaucoup plus une sacralisation des nomenclatures qu’une fête du vin lui-même. Celui-ci – musée de l’éphémère pérennisé – cautionnait par sa valeur économique et symbolique la sauvegarde de Venise. La défense du droit à l’éternité d’une ville monumentale qui s’enfonçait dans les eaux de la lagune s’appariait au prix d’une bouteille d’Yquem 1869 qui, par là même, s’escamotait comme boisson dégustée, s’immobilisait et s’identifiait totalement – leurre du prix des objets sans prix – aux marques externes de sa nomination et de sa notoriété. La gastronomie, taxinomie fixant l’arbitraire des goûts en situation sociale, grâce à ses victoires éphémères pérennisées par le discours instruit accompagnant puis précédant mets et vins, s’instaure ainsi comme un des nouveaux musées de l’imaginaire.
gastronomie [ gastrɔnɔmi ] n. f.
• 1800; h. 1623; gr. gastronomia
♦ Art de la bonne chère (cuisine, vins, ordonnance des repas, etc.). ⇒ cuisine. Brillat-Savarin, théoricien de la gastronomie. « on ne saurait surestimer l'importance de la gastronomie dans l'existence d'une collectivité » (Cioran).
● gastronomie nom féminin (grec gastronomia) Connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l'ordonnancement des repas, à l'art de déguster et d'apprécier les mets. ● gastronomie (citations) nom féminin (grec gastronomia) Léon Daudet Paris 1867-Saint-Rémy-de-Provence 1942 Les seules ententes internationales possibles sont des ententes gastronomiques. Paris vécu Gallimard
gastronomie
n. f. Art de bien manger, de la bonne chère.
⇒GASTRONOMIE, subst. fém.
Art de la bonne chère. Traité de gastronomie (Ac. 1932). Les pâtés de foies gras, les terrines de Nérac, les rillettes de Tours, (...) tout l'assortiment de la gastronomie raffinée (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 329). V. esculence, citat. de BRILLAT-SAV. :
• Un des adages les plus raisonnables de la gastronomie c'est qu'il n'y a pas de cuisine sans vin; que sont des huîtres sans Chablis, une truite sans Moselle, arrosée d'eau glacée?
MORAND, New-York, 1930, p. 144.
Rem. ,,Fam.`` pour Ac. 1835, 1878.
Prononc. et Orth. : []. Ds Ac. dep. 1835. Cf. gastéro-. Étymol. et Hist. 1800 (BERCHOUX, La Gastronomie [titre] ds DG). Empr. au gr. « art de régler l'estomac » cf. ouvrage d'ARKHESTRATOS, Traité de la gourmandise ou le Livre des gourmands (Bailly) équivalent de d'apr. des alternances telles que / (cf. astronomie/astrologie). Fréq. abs. littér. : 51.
gastronomie [gastʀɔnɔmi] n. f.
ÉTYM. 1800; attestation isolée, 1623; grec gastronomia (→ Gastro-, et -nomie).
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♦ Art de la bonne chère. ⇒ Cuisine, culinaire (art). || Brillat-Savarin, théoricien de la gastronomie. || Rôle de la cuisine dans la gastronomie (→ Apprêter, cit. 11). || La Gastronomie, poème de Berchoux (1800) qui retrace l'histoire de la cuisine.
0 La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes, au moyen de la meilleure nourriture possible (…) Le sujet matériel de la gastronomie est tout ce qui peut être mangé; son but direct, la conservation des individus, et ses moyens d'exécution, la culture qui produit, le commerce qui échange, l'industrie qui prépare, et l'expérience qui invente les moyens de tout disposer pour le meilleur usage.
A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût, 18, t. I, p. 68-70.
♦ Bonne cuisine, art de préparer de bons repas. || La France, pays de la gastronomie.
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DÉR. Gastronome, gastronomique.
Encyclopédie Universelle. 2012.