1. cru [ kry ] n. m.
• 1307 creu; de crû, p. p. de croître
1 ♦ Vx Ce qui croît dans une région; la région elle-même.
♢ Mod. Vignoble. Les grands crus de France. Crus classés du Bordelais. Vin de cru, qui provient d'un seul vignoble.
♢ Vin produit par un terroir déterminé. Servir un grand cru. Bouilleur de cru.
2 ♦ (1573) Fig. De son (propre) cru : de son invention propre. Ce qu'il « raconterait de son cru » (Romains).
⊗ HOM. Crue.
cru 2. cru, crue [ kry ] adj.
1 ♦ Qui n'est pas cuit (aliment). Oignons, abricots crus. Légumes qui se mangent crus. ⇒ crudité (cf. À la croque au sel). Viande hachée crue. ⇒ tartare. Bifteck presque cru. ⇒ bleu, saignant. — Lait cru, non stérilisé. — Fig. Vouloir avaler, manger qqn tout cru, être furieux contre lui. — Subst. « Le Cru et le Cuit », ouvrage de Lévi-Strauss.
♢ Loc. adv. À cru : sans être cuit. Beurre allégé utilisable à cru.
2 ♦ (1260) Qui n'a pas subi de préparation, de modification (matière première). ⇒ brut. Chanvre, cuir, métal cru. Toile, soie crue. ⇒ écru.
3 ♦ Que rien n'atténue. ⇒ brutal. Lumière crue. Couleur crue, qui tranche violemment sur le reste. ⇒ criard, vif. « Le vert universel de la campagne n'est ni cru, ni monotone » (Taine).
4 ♦ (XVe) Exprimé sans ménagement. ⇒ 1. direct. Réponse crue. ⇒ brutal, désobligeant. Dire la chose toute crue. Faire une description crue. ⇒ choquant, réaliste. Vieilli ⇒ libre, osé. Histoires, plaisanteries un peu crues. « il parlait volontiers, en termes crus, de ses attributs virils » (Simenon). — Adv. ⇒ crûment. Parler cru. Je vous le dis tout cru (cf. Je ne mâche pas mes mots).
5 ♦ Loc. adv. À CRU : en portant sur la chose même. Construction à cru, qui repose sur le sol, sans fondation. Monter à cru, sans selle (cf. vx À poil). « trois cavaliers montant à cru des chevaux » (Aragon).
⊗ CONTR. Cuit. Atténué, déguisé, tamisé, 1. voilé.
● cru nom masculin (de crû, participe passé de croître) Terroir considéré au point de vue de ses productions (se dit particulièrement des vignobles). Le vin produit par ce terroir. ● cru (difficultés) nom masculin (de crû, participe passé de croître) Sens et orthographe Bien distinguer ces quatre mots auxquels correspondent trois graphies. 1. Cru, e adj. = qui n'est pas cuit. Un légume cru, des pruneaux crus, de la viande crue, des carottes crues. 2. Cru n.m. = terroir vinicole. Un cru fameux du Bordelais. Les crus de Champagne. 3. Cru, crue, crus, crues, participe passé du verbe croire : il a cru mon histoire ; elles se sont crues trahies. 4. CrÛ, participe passé du verbe croître prend l'accent circonflexe sur le u : le peuplier, vite crÛ, est rapidement rentable. → croître ● cru (expressions) nom masculin (de crû, participe passé de croître) De bon, de grand cru, de bonne, d'excellente qualité. De son cru, de sa propre invention. Du cru, de la région où on se trouve. ● cru (homonymes) nom masculin (de crû, participe passé de croître) cru participe passé crû participe passé crus forme conjuguée du verbe croire crûs forme conjuguée du verbe croître crut forme conjuguée du verbe croire crût forme conjuguée du verbe croître ● cru adverbe Crûment, sans ménagement : Je vous le dis tout cru. ● cru nom masculin Pâte ou poudre qui sert à la fabrication du ciment. ● cru (expressions) adverbe Familier. Avaler, manger tout cru quelqu'un, ne pas lui laisser le moindre espoir de se défendre. ● cru (homonymes) adverbe cru participe passé crû participe passé crus forme conjuguée du verbe croire crûs forme conjuguée du verbe croître crut forme conjuguée du verbe croire crût forme conjuguée du verbe croître ● cru (expressions) nom masculin À cru, sans selle sur une monture ; se dit d'une construction élevée directement sur le sol, sans fondations. ● cru (homonymes) nom masculin cru participe passé crû participe passé crus forme conjuguée du verbe croire crûs forme conjuguée du verbe croître crut forme conjuguée du verbe croire crût forme conjuguée du verbe croître ● cru, crue adjectif (latin crudus) Qui n'est pas cuit : Légumes crus. Se dit d'une lumière, d'une couleur que rien n'atténue ; violent, brutal : L'éclairage cru d'un projecteur. Se dit d'une manière de s'exprimer qui est directe, sans ménagement ; réaliste : Répondre de façon crue. Se dit d'un propos qui choque les bienséances ; choquant : Il l'a rabroué en termes très crus. En Belgique, en Suisse, au Canada, se dit d'un temps humide et froid. Se dit du lait entier, non pasteurisé et du beurre fabriqué avec ce lait. Se dit d'une pièce de céramique simplement séchée à l'air et non passée au four. Se dit d'un bois qui n'est ni peint, ni doré, ni verni. ● cru, crue (difficultés) adjectif (latin crudus) Sens et orthographe Bien distinguer ces quatre mots auxquels correspondent trois graphies. 1. Cru, e adj. = qui n'est pas cuit. Un légume cru, des pruneaux crus, de la viande crue, des carottes crues. 2. Cru n.m. = terroir vinicole. Un cru fameux du Bordelais. Les crus de Champagne. 3. Cru, crue, crus, crues, participe passé du verbe croire : il a cru mon histoire ; elles se sont crues trahies. 4. CrÛ, participe passé du verbe croître prend l'accent circonflexe sur le u : le peuplier, vite crÛ, est rapidement rentable. → croître ● cru, crue (expressions) adjectif (latin crudus) Soie crue, synonyme de soie écrue. ● cru, crue (homonymes) adjectif (latin crudus) cru participe passé crû participe passé crus forme conjuguée du verbe croire crûs forme conjuguée du verbe croître crut forme conjuguée du verbe croire crût forme conjuguée du verbe croître ● cru, crue (synonymes) adjectif (latin crudus) Qui n'est pas cuit
Contraires :
- cuit
Se dit d'une lumière, d'une couleur que rien n'atténue ; violent...
Synonymes :
- brutal
- éclatant
- intense
- vif
- violent
Contraires :
- adouci
- atténué
- doux
- nuancé
- tamisé
- tendre
- voilé
Se dit d'une manière de s'exprimer qui est directe, sans...
Synonymes :
- franc
- fruste
- net
- réaliste
- sec
Contraires :
- affecté
- alambiqué
- étudié
- précieux
- quintessencié
- sophistiqué
Se dit d'un propos qui choque les bienséances ; choquant
Synonymes :
- choquant
- hardi
- osé
- raide (familier)
- vert
Contraires :
- bienséant
- correct
- décent
- digne
Soie crue
Synonymes :
- soie écrue
cru, crue
adj. (et adv.)
d1./d Qui n'est pas cuit. Viande crue.
— adv. Manger cru.
d2./d Naturel, brut, non préparé. Chanvre cru.
d3./d Dit, fait sans ménagement. Une réponse bien crue.
— adv. Parler cru à qqn.
|| Licencieux, inconvenant. Plaisanteries, propos très crus.
d4./d Que rien n'atténue, violent (lumière, couleur).
d5./d Loc. adv. à cru: sur la peau nue.
|| Monter à cru, sans selle.
d6./d (Belgique, France rég., Québec, Suisse) Froid et humide, en parlant du temps. Il fait bien cru ce matin.
————————
cru, crue
adj. Que l'on croit. Une chose crue de tous.
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cru
n. m.
d1./d Terroir considéré relativement à sa production. Les spécialités du cru.
|| Spécial. Vin du cru, fait avec le raisin de l'endroit.
— Ellipt. Un grand cru.
d2./d Loc. fig. De son cru: de sa propre invention. Il fit encore quelques bons mots de son cru et prit congé.
I.
⇒CRU1, subst. masc.
A.— Vx. Accroissement, croissance. L'accroissement en une seule tige est (...) un caractère qui distingue les arbres de haut crû (BAUDRILLART, Nouv. Manuel forest., 1808, p. 99). Voilà un beau poulain qui aura bientôt fait tout son crû (J. HUMBERT, Nouv. gloss. genev., 1852, p. 131).
B.— Domaine de la production agric.
1. [Gén. à propos de vignobles] Ensemble de terres considéré du point de vue de ce qui y croît, d'une culture particulière. Goûtez ces cèpes de nos bois et ce vin de nos crus et dites si ce pays n'est pas la seconde terre promise (A. FRANCE, Balthasar, 1889, p. 82).
— P. ext., rare. [À propos d'une production particulière] Nos bons beurres français, normands, bretons (...) n'ont pas tous le même goût, le même arome, pas plus que nos bons vins; il semble qu'il y ait là aussi une question de cru (A.-F. POURIAU, La Laiterie, 1895, p. 382).
— P. métaph. :
• 1. ...ils [certains juges] ont relu Gil Blas exprès pour s'assurer si le goût de terroir que l'écrivain y fait sentir est vraiment celui de l'Espagne ou s'il n'indique pas plutôt le cru naturel de la France...
Mme V. HUGO, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, 1863, p. 173.
— Expr. syntagm. Subst. + de bon, excellent cru. Produit qui croît sur un terroir réputé; p. ext. de bonne qualité. Pommiers d'un excellent cru; vin vieux et de bon cru. Vin du cru de + nom propre. Vin du crû de la haute Bourgogne (cf. BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 347). Souvent avec une valeur péj. Subst. + du cru. De la région. Dîner composé (...) du vin du cru (LAMART., Corresp., 1831, p. 195). P. métaph. [À propos d'une particularité régionale] La langue du cru, ce patois admirable de couleur et de sonorité (A. DAUDET, Numa Roumestan, 1881, p. 62).
— Expr. fam. [En parlant de ce qui est propre à un individu] De mon, ton, son... cru. Il cite, reproduit le plus qu'il peut (...) écrivant de son cru le moins possible (LÉAUTAUD, Journal, t. 4, 1922-24, p. 56).
2. P. méton. Ce qui a crû, résultat d'une culture, d'une production particulière considérée du point de vue de sa spécificité géographique ou de sa qualité. Domaines réputés du pays (...) celui-là pour ses crus de fruits ou de vin (PESQUIDOUX, Livre raison, 1932, p. 195). Tabac étranger, notamment le Kentucky (...) et d'autres « crus » des Indes néerlandaises et du Cameroun (L'Œuvre, 22 juin 1941).
— En partic. [À propos de la production viticole] Vin produit par un terroir particulier et considéré du point de vue de sa qualité bonne ou mauvaise. Crus renommés et classés; grand, haut cru; bouilleur de cru. Les plus admirables crus des vins blancs devraient être distribués aux moines pour le service des messes (HUYSMANS, Oblat, t. 2, 1903, p. 110). Posséder un cep qui fournisse un cru de table (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. 34:
• 2. Les meilleurs vins restaient « brut », sans remplacement du sucre converti en alcool par la fermentation. Les crus parfaits seuls osaient cette nudité où le sirop n'intervenait pas pour masquer les vices.
HAMP, Vin de Champagne, 1909, p. 173.
— P. métaph. Un homme tout à fait de chez nous et un de nos premiers crus, d'un bouquet, d'une saveur inimitables (L. DAUDET, Temps Judas, 1920, p. 63).
Rem. Certaines associations syntagmatiques restent ambiguës et la distinction B 1 et B 2 ne peut être précisée qu'en fonction d'un contexte élargi. a) (cf. B 1) Les vignes basses, qui caractérisaient les grands crus du nord-est viticole français (LEVADOUX, Vigne, 1961, p. 107). b) (cf. B 2) La protection des vignobles de cru et l'amélioration qualitative de la production de tous les autres vignobles (LEVADOUX, Vigne, 1961, p. 87).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694 et 1718 sous l'anc. forme creu; ds Ac. 1740-1932 sous la forme mod. cru qui devrait normalement porter un accent circonflexe signifiant la disparition de l'anc. e. Cet accent est noté ds FÉR. 1768, FÉR. Crit. t. 1 1787, LAND. 1834 et BESCH. 1845. La docum. donne également des ex. de la graph. avec accent (supra). Cet accent serait d'autant plus convenable que comme le soulignent LITTRÉ et DUPRÉ 1972, p. 572 : ,,cru n'est pas autre chose que le participe passé du verbe croître qui s'écrit crû``. Homon. et/ou homogr. cru, crû, crue, crus, formes de croire et de croître. Étymol. et Hist. 1. 1307 creu « terroir (en parlant de la vigne, du vin) » (ds Le Moyen-Âge, 1897, p. 10, art. 3 ds Fr. mod., t. 25, p. 232); 2. 1573 fig. de leur creu (DUPUYS, Dict. fr.-lat., s.v. baron). Part. passé masc. subst. de croître. Fréq. abs. littér. :311. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 488, b) 396; XXe s. : a) 409, b) 450. Bbg. GOTTSCH. Redens. 1930, p. 196.
II.
⇒CRU2, CRUE, adj., subst. et adv.
I.— Adjectif
A.— Qui n'a pas subi de cuisson.
1. [En parlant d'aliments] Anton. cuit. Oignons crus. Un peu de viande crue hachée (ZOLA, Joie de vivre, 1884, p. 898); légumes (...) crus ou bien cuits (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 344) :
• 1. Nous emportions chacun une tartine de pain noir bien beurré et un grand couteau pour prendre des berniques. Un régal de son enfance qu'il voulait renouveler avec moi, des coquillages tout crus avec du pain et du beurre.
LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 109.
2. P. anal.
a) Eau crue. Eau chargée de sels, généralement calcaire, qui n'est pas adoucie ni tempérée par quelque mélange et est impropre à dissoudre le savon, à cuire les aliments et lourde à digérer. Eaux crues et dures (CABANIS, Rapp. phys. mor. de l'homme, t. 2, 1808, p. 448). Peut-être était-ce la vingtième fois qu'il se chargeait de l'eau crue et lourde (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec J. Rivière], 1909, p. 121).
b) Région. (Nord et Est de la France, Canada). [En parlant de l'air, de l'atmosphère] Qui est humide et froid. Le souffle glacial et cru de la nuit (MALÈGUE, Augustin, t. 2, 1933, p. 348).
3. Au fig.
— (Vouloir) avaler/manger qqn tout cru. Le traiter durement en paroles. [Le vicaire-général :] — (...) Si l'on nous savait nous mêlant d'élections, nous serions mangés tout crus par les puritains de la Gauche qui font pis (BALZAC, A. Savarus, 1842, p. 116).
— Avaler qqc. tout cru. Croire telle quelle une opinion, une nouvelle; l'admettre sans la discuter et sans esprit critique. Cela serait avalé tout cru, et considéré comme parole d'évangile (LARBAUD, Journal, 1932, p. 271).
B.— [En parlant d'un produit] Qui est à l'état brut; qui n'est pas travaillé; qui n'a pas subi de préparation (pour l'usage qu'on veut en faire), ni de transformation.
1. Domaines techn.
a) CHIM. Métal cru. Tel qu'il est extrait de la mine; non débarrassé des corps étrangers. Amidon cru; antimoine cru (KAPELER, CAVENTOU, Manuel pharm. et drog., t. 1, 1821, p. 95).
b) TANN. Cuir cru ou cuir vert. Tel qu'il a été retiré de l'animal sans avoir subi de préparation (cf. PROUDHON, Propriété, 1840, p. 270). Pieds nus dans les petits mocassins de daim cru (COLETTE, Ingénue libert., 1909, p. 294).
c) TEXT. Chanvre cru. Qui n'a pas encore été trempé dans l'eau. Soie crue ou écrue. Qui n'a pas subi de lavage ni de teinture.
— En emploi subst. Teindre sur le cru. Mettre la soie à la teinture avant qu'elle ne soit entièrement décreusée. Synon. teindre à demi-bain.
d) TECHNOL. Qui est simplement séché et n'est pas passé à l'action du feu ou du four. Briques crues. [Les] acides (...) ont une action très différente (...) sur l'argile crue et sur l'argile qui a été calcinée (A. BRONGNIART, Arts céram., 1844, p. 58). Un pot à tabac en argile crue (MIOMANDRE, Écrit sur eau, 1908, p. 183).
— CÉRAM. Faïences à décor sur émail cru (G. FONTAINE, Céram. fr., 1965, p. 142). Faïence au grand feu. — Le décor fut d'abord disposé sur l'émail cru, qui, lorsqu'il est sec, se présente sous une forme pulvérulente (G. FONTAINE, Céram. fr., 1965p. 5).
2. P. anal., MÉD., vx. Qui n'a pas subi la transformation habituelle nécessaire. Excréments crus, humeurs crues, urines crues. Qui n'ont pas suffisamment de coction.
C.— Au fig.
1. Qui n'est pas atténué; qui n'a pas de nuances. Parfums rouges et crus (QUEFFÉLEC, Recteur, 1944, p. 102) :
• 2. Une cataracte sonore déferlait dans l'abbatiale. Chants rugueux et jeunets d'une rusticité pleine d'enfance, leurs sons crus semblaient la matière première, solide et de bonne qualité, dans laquelle, plus tard, on ferait des voix. Une musique d'enfants de troupe courait partout, mordait partout, prenait son élan et sautait aux clefs de voûte en quatre coups de talon.
MALÈGUE, Augustin, t. 1, 1933, p. 66.
2. Spécialement
a) Domaines de la vue et de la peint. Dont les contours sont brutalement découpés; dont la couleur est dure, criarde ou discordante. Lumière, clarté crue; vert cru. Tons rouges crus (DU CAMP, Nil, 1854, p. 94). La lune (...) si claire encore qu'elle projette des ombres crues, par-dessus lesquelles on a envie de sauter (PESQUIDOUX, Chez nous, 1923, p. 127) :
• 3. À Paris, c'est un mauvais éclairage, uniforme et cru, qui empêche de lire. On voit tout sur le même plan.
CHARDONNE, Éva ou le Journal interrompu, 1930, p. 78.
• 4. ...nous restâmes un moment debout devant la ville embrumée. Nous voyions le dôme du Panthéon, la masse indistincte des pierres grises. Pour être désengourdi par ce paysage, il lui eût fallu que celui-ci prît les tons violents et crus qu'il [le peintre] jetait jadis sur ses toiles; ici, rien que des demi-teintes; un Paris voilé de demi-joies, de demi-tristesses; ...
ABELLIO, Heureux les pacifiques, 1946, p. 140.
b) Domaine du lang. Qui est dit, exprimé sans altération et sans détours; qui exprime les choses telles qu'elles sont, sans fard, ni affectation; qui est franc, naturel. Mots, termes crus. Le poëte s'y affirme comme un réaliste audacieux, qui ne mâche pas les mots crus, et qui appelle les choses laides par leur nom (ZOLA, Doc. littér., Les Poëtes contemporains, 1881, p. 147) :
• 5. ...lui qui a affadi avec emphase un style primesautier, cru, direct, ce style qu'ils employaient tous à la grande époque les voyageurs, les marins, les hommes d'armes, les découvreurs, tous aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l'orthographe d'une langue encore instable, mais qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu'ils étaient des grands vivants, ne faisaient de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter; ...
CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 15.
— P. ext. [En parlant de choses ou de sujets peu décents ou libres] Avec des mots qui choquent la bienséance. Les détails crus de l'adultère (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 361) :
• 6. Le ton d'Antoine, son rire, son attitude d'homme fait, certains détails trop crus qui contrastaient avec son habituelle réserve d'aîné, provoquaient chez Jacques un malaise tout nouveau.
MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, p. 915.
♦ En emploi subst. — Oh!!! (...) vous êtes d'un cru!... vous parlez de ça avec une désinvolture? (GYP, Ohé! La Grande vie!!! 1891, p. 221).
3. Domaine abstr. [En parlant du caractère de la pensée] Qui est à l'état brut, naturel, sans mélanges; qui n'a pas été raffiné, ni altéré; qui n'est pas déguisé. Nous devons à cette maladresse d'apprendre de lui, à l'état cru, quantité de choses que de plus habiles auraient dissimulées ou arrangées à notre usage (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 15, 1851-62, p. 241). Cette lettre (...) c'est l'éloquence du cœur, toute pure et toute crue, et qui n'y va pas par quatre chemins (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 1, 1863-69, p. 334) :
• 7. Il ignore jusqu'aux moindres usages : si nous sommes à une porte, et qu'il soit pressé, il passe le premier; à table, s'il a faim, il prend ce qu'il désire, sans attendre qu'on lui en offre. Il interroge librement sur tout ce qu'il veut savoir, et ses questions seroient même souvent indiscrètes, s'il n'étoit pas clair qu'il ne les fait que parce qu'il ignore qu'on ne doit pas tout dire. Pour moi, j'aime ce caractère neuf qui se montre sans voile et sans détour, cette franchise crue qui le fait manquer de politesse, et jamais de complaisance. ...
COTTIN, Claire d'Albe, 1799, p. 95.
II.— Emploi subst.
A.— Le cru. Ce qui est cru, p. oppos. à cuit :
• 8. ...des catégories empiriques, telles que celles de cru et de cuit, de frais et de pourri, de mouillé et de brûlé, etc., peuvent... servir d'outils conceptuels pour dégager des notions abstraites et les enchaîner en propositions.
LÉVI-STRAUSS, Le cru et le cuit, 1964, p. 9.
Rem. Attesté ds Lar. 19e-20e et QUILLET 1965.
B.— TECHNOL. Produit simplement séché et non cuit. Le vernis [de poteries communes suisses] est (...) du minium (...) mis par saupoudration sur le cru bien sec (A. BRONGNIART, Arts céram., 1844, p. 15). L'émail de ses peintures sur cru bouillonnait (FLAUB., Éduc. sentim., t. 1, 1869, p. 187).
III.— Adv. et loc. adv.
A.— Adv. De manière crue; sans ménagements. Parler cru. Synon. crûment.
— Fam. Tout cru. Tel quel; sans détours, ni arrangement. Voilà plus de six mois que j'aspire au moment De vous dire à tous deux tout cru mon sentiment (AUGIER, Ciguë, 1844, p. 10). Soulevé d'une haine subite, il eut un sourire grinçant et jeta, tout cru :— « Rassurez-vous, Madame : je n'aimais pas mon père » (MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p. 1314).
B.— Loc. adv. À cru. En contact direct avec...; directement sur... Portant à cru le baudrier d'un sabre sur sa poitrine sans chemise (FLAUB., Éduc. sentim., t. 2, 1869, p. 127). Assis à cru sur l'herbe (GIDE, Thésée, 1946, p. 1415).
— Spéc. Monter à cru. Monter à cheval sans selle. Ils [les barbares] (...) montoient à cru des étalons sauvages (CHATEAUBR., Martyrs, t. 1, 1810, p. 281). À onze ans, l'enfant [Gaston] en vint à monter à cru, sans même une sangle à panneau, pour être plus près de son poney (LA VARENDE, Centaure de Dieu, 1938, p. 68) :
• 9. ...derrière un pli de sable, (...) la file solennelle des cavaliers de Gauguin chevauchant à cru, à longs gestes nobles, ces chevaux frères de la mer, pommelés et brusques comme elle, ...
GRACQ, Un Beau ténébreux, 1945, p. 35.
Rem. On rencontre ds la docum. le néol. crudiste, subst. Adepte d'une doctrine diététique ne tolérant dans l'alimentation que les végétaux crus. Certains végétariens sont même partisans d'une alimentation à base de végétaux crus (doctrine crudiste) (LALAINNE, Alim. hum., 1942, p. 107).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1740 s.v. crud, au fém. crue. La forme avec d étymol. est donnée encore ds FÉR. 1768, et ds FÉR. Crit. t. 1 1787 à côté de cru. Ds Ac. 1762-1932 sous la forme mod. Noter cependant que Ac. 1798 réserve à crud une vedette de renvoi à cru. Homon. et homogr. crue; formes de croire et de croître. Étymol. et Hist. A. 1. 1165-70 poires crues (CHR. DE TROYES, Erec et Enide, éd. M. Roques, 4240); 2. 1268 « qui n'a pas subi de préparation (du cuir, de la soie) » cuirien cru (E. BOILEAU, Livre des métiers, 280 ds T.-L.); 3. 1765 (eau) crue « dure » (J.-J. ROUSSEAU, Confessions, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, VI, 227). B. 1. XIVe s. « (du temps) froid, humide » temps crus et plouvieus (FROISSART, Chroniques, éd. S. Luce, V, 202); 2. loc. adv. XIVe s. armé a cru (G. de Roussillon, éd. E.-B. Ham, 5094), à nouv. en 1660 monter à cru (OUDIN, Tresor des deux lang. espagnolle et françoise, Paris); 1835 archit. porter à cru (Ac.); 3. a) 1460 fig. a si crue response (G. CHASTELLAIN, Chroniques, III, 59, 13 ds HEILEMANN Chastellain); b) 1819 « libre, peu décent » sens trop cru (MAINE DE BIRAN, Journal, p. 260); 4. 1754 fig. (d'une sensation visuelle) (Encyclop. t. 4). Du lat. class. crudus « saignant; cru, non travaillé (du cuir) ». Fréq. abs. littér. : 798. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 946, b) 1 293; XXe s. : a) 1 187, b) 1 169. Bbg. GRUNDT (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Oslo, 1972, p. 209, 223.
1. cru [kʀy] n. m.
ÉTYM. 1307; de crû, p. p. de croître.
❖
1 Vx. Quantité dont un végétal a crû. || Le cru d'un arbre pendant une période donnée. ⇒ Croissance, poussée.
2 Vieilli ou régional. Ce qui croît dans une région (avec une connotation de qualité). — Par métonymie. La région elle-même.
1 (…) après ce qui lui vient de son cru, rien ne lui paraît de meilleur goût que le gibier et les truffes que cet ami lui envoie.
La Bruyère, les Caractères, III, 75.
♦ Cour. Vignoble. || Les grands crus de France, de Bourgogne, du Bordelais. || Les vins du cru, du terroir lui-même. || Les vins de grand cru.
2 Le commerce classe les vins bordelais en six ou sept grandes appellations avec plusieurs douzaines de sous-régions, des centaines de noms de communes, des millions de noms de châteaux, de crus, de domaines ou clos (…) La classification est peut-être un peu touffue, mais les vins sont si bons !
Demangeon, Géographie économique et humaine de la France, t. I, III, XV, p. 335.
♦ Bouilleur de cru. ⇒ Bouilleur.
3 ☑ (1573). Loc. De son cru, de son propre cru : de sa production, de son invention propre. ⇒ Personnel. || Raconter une histoire, faire une réflexion de son cru. || Le tout de mon cru.
3 (…) employer de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien.
Molière, l'Avare, I, 4.
4 Coras lui dit : La pièce est de mon cru.
Racine, Poésies diverses, 5.
5 Même si les nouvelles du journal ne sont pas passionnantes, elles valent bien ce que Maurice Ezzelin raconterait de son cru.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. II, I, p. 7.
♦ ☑ Du même cru : de la même qualité. || Nous souhaitons trouver d'autres livres du même cru.
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HOM. 2. Cru, crue. — Formes des v. croire et croître.
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2. cru, ue [kʀy] adj.
ÉTYM. V. 1165; du lat. crudus « saignant ». → Cruor.
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1 Qui n'est pas cuit (aliment). || Radis, oignons, légumes, fruits crus. || Aliments qui se mangent crus. ⇒ Croque au sel (à la); crudité. || Viande rouge crue. → Tartare. || Bifteck presque cru. ⇒ Bleu, saignant. || Poissons crus, mangés crus.
1 (…) il (le rat) avait
Mangé le lard et la chair toute crue (…)
Clément Marot, Épîtres, I, 6, « Le lion et le rat ».
2 (…) préparer les viandes qu'auparavant ils dévoraient crues.
♦ ☑ Loc. fig. Vouloir avaler, manger qqn tout cru, être furieux contre lui. — ☑ Avaler qqch. tout cru, croire naïvement ce qui est dit.
♦ N. m. || Préférez-vous du cru ou du cuit au dîner ? — Le Cru et le Cuit, ouvrage de Cl. Levi-Strauss (1965).
2 a (1260). Qui n'a pas subi la préparation nécessaire (matière première). ⇒ Brut. || Chanvre, cuir cru. || Métal cru, non purifié. || Toile, soie crue. ⇒ Écru. || Briques, faïences crues, séchées, mais non cuites. — N. m. || Travailler sur le cru, sur la matière brute.
b Méd. || Humeurs crues, qui n'ont pas atteint le degré de coction. — Spécialt. || Eau crue : eau trop chargée de sels pour dissoudre le savon et cuire les légumes.
3 L'eau que je buvais était un peu crue et difficile à passer, comme sont la plupart des eaux des montagnes.
Rousseau, les Confessions, VI.
c Qui n'est pas altéré (choses).
3.1 Ce serpent pour lécher le bol de tous les côtés répandait sur les herbes crues le paraphe de son corps qui battait le sol comme le galop d'un cheval.
Jacques Laurent, les Bêtises, p. 172.
d Régional (France : Est et Nord, etc.; Belgique, Suisse, Canada). Humide et froid (temps, atmosphère). || Un temps cru. || Il fait un peu cru, ce matin. — D'un lieu (Suisse). || Un appartement cru.
♦ N. m. || Le cru du matin.
3 Que rien n'atténue. ⇒ Brutal. || Parfums, sons crus. — Spécialt. || Lumière crue (→ Beau, cit. 31). || Éclairer de manière crue. ⇒ Crûment. || Couleur crue, qui tranche violemment sur le reste. ⇒ Criard, vif (→ aussi Blafard, cit. 3). || Ombre crue, qui se détache net, sans dégradé, sans nuances.
4 Imagine ce qu'il y a de plus impétueux dans le désordre, de plus insaisissable dans la vitesse, de plus rayonnant dans les couleurs crues frappées de soleil.
E. Fromentin, Une année dans le Sahel, p. 280.
5 Le vert universel de la campagne n'est ni cru, ni monotone; il est nuancé par les divers degrés de maturité des feuillages et des herbes, par les diverses épaisseurs et les changements perpétuels de la buée et des nuages.
Taine, Philosophie de l'art, t. I, III, I, III, p. 273.
6 Et maintenant, comme s'il avait plu,
Les ébéniers luisaient au soleil cru.
Francis Jammes, De l'angélus de l'aube…, « Le vieux village », p. 65.
4 (XVe). Vieilli. Exprimé sans ménagement. || Réponse, explication crue. ⇒ Brutal, désobligeant, franc. || Dire la chose toute crue, sans ménagement. || Voici la vérité crue, toute crue, pure, sans atténuation. || Répondre de manière un peu trop crue. ⇒ Crûment.
7 Je te vois accablé d'un chagrin si profond
Que j'excuse aisément ta réponse un peu crue.
Corneille, la Veuve, III, 3.
♦ Mod. || Employer le mot, le terme cru. || Faire une description crue, d'un réalisme très cru.
8 Accepter dans l'occasion le mot cru, rejeter le mot sale. Éviter ces deux écueils : le mot impropre, le mot malpropre.
Hugo, Post-Scriptum de ma vie, L'esprit, III.
♦ Qui choque les bienséances. ⇒ Choquant, graveleux, grivois, leste, libre, licencieux, salé. || Histoires, plaisanteries crues.
9 (…) j'ai exprimé en termes vifs des sentiments auxquels le monde pardonne à une femme de céder, mais dont il n'excuse jamais l'expression toute crue.
F. Mauriac, la Pharisienne, p. 45.
♦ N. m. || Il est d'un cru épouvantable.
♦ Adv. ⇒ Crûment. || Parler cru, sans détour. || Je vous le dis tout cru, je ne mâche pas mes mots.
5 ☑ Loc. adv. À cru : en portant sur la chose même. || Construction à cru ou qui porte à cru, qui repose sur le sol, sans fondation. || Monter à cru, sans selle. ⇒ Poil (à). || Lumière qui tombe à cru, sans être tamisée.
10 Monsieur le Prince a mandé (…) aux dames que leurs transparents seraient mille fois plus beaux si elles voulaient les mettre à cru sur leurs belles peaux (…)
Mme de Sévigné, 595, 5 nov. 1676.
10.1 (De) vieilles vestes posées à cru sur le torse.
Th. Gautier, Constantinople, p. 107.
11 Il avait froid aux os et froid au cœur. La lampe du wagon vacillait tristement dans son hublot et lui versait à cru sa morne clarté.
Léon Bloy, le Désespéré, III, p. 118.
12 Aubin, enragé de grimper aux arbres, de monter à cru le cheval de Jobeau (…)
Hervé Bazin, Cri de la chouette, p. 230 (1972).
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CONTR. Cuit. — Adouci, déguisé, doux, neutre, noble, tamisé, voilé.
DÉR. Crûment.
HOM. 1. Cru, crue. — Formes des v. croire et croître.
Encyclopédie Universelle. 2012.