ANATEXIE
L’anatexie (du mot grec 見益見精兀﨡晴﨟 qui signifie fusion) est le processus par lequel les roches métamorphiques fondent totalement ou partiellement. La notion de l’anatexie différentielle a été introduite par Eskola (1933): pour une température suffisante, la fusion des roches est sélective et dépend surtout de la composition chimique des matériaux métamorphiques. Depuis 1957, l’«anatexie expérimentale», inaugurée par Winkler, en république fédérale d’Allemagne, et par Wyart et Sabatier, en France, à la suite des travaux de l’école de Bowen, s’efforce de déterminer les conditions physico-chimiques de la fusion des roches. L’anatexie a été un phénomène véritablement régional qui a intéressé d’énormes étendues de terrains métamorphiques à la surface du globe, aussi bien dans les boucliers que dans les chaînes plissées. Certains auteurs n’hésitent pas à expliquer l’origine des magmas granitiques, et même celle des magmas basaltiques, par l’anatexie de roches à très grande profondeur.
1. L’anatexie en tant que phénomène géologique
L’anatexie provoque essentiellement des modifications de la texture et un changement de la composition minéralogique quantitative des roches. Dans les séries métamorphiques accessibles à l’observation, l’anatexie régionale donne le plus souvent naissance à des migmatites par fusion partielle, ou, plus rarement, à des corps de granitoïdes si la fusion a été totale. Dans tous les cas, la cristallisation du magma anatectique conduit à la formation d’une roche ayant la composition chimique et minéralogique du granite sensu lato . La quantité de ce magma est très variable, de même, la quantité de granite formé.
Dans des terrains soumis à un métamorphisme d’intensité croissante avec la profondeur, l’anatexie régionale affecte sélectivement certaines catégories de roches largement répandues, dont la composition chimique est favorable à la fusion. Ainsi, les micaschistes, les paragneiss dérivant des schistes, de grauwackes et d’arkoses, certains orthogneiss dérivant de roches magmatiques acides subissent d’ordinaire une fusion partielle qui les transforme en migmatites, ou les recristallise sans que la composition chimique globale d’un volume suffisant de roche soit essentiellement modifiée. D’autres roches, telles que roches basiques, quartzites, marbres, dont la composition chimique s’écarte trop de celle des roches précédentes, résistent à la fusion. Dans les roches favorables, l’anatexie régionale ne débute que pour une intensité suffisante du métamorphisme (l’anatexie est parfois appelée ultramétamorphisme): la fusion des roches métamorphiques se produit au voisinage de l’isograde sillimanitefeldspath potassique (correspondant à une température de l’ordre de 680 0C), c’est-à-dire au début de la catazone. Pour une catégorie définie de roches, l’isograde de fusion commençante peut être appelé isograde d’anatexie . Dans le cas très général où la série métamorphique comporte à l’origine un ancien socle gneissique surmonté d’une couverture sédimentaire, l’isograde d’anatexie peut être situé au voisinage du socle, dont il épouse le contour à la base de la couverture: c’est l’une des modalités du phénomène de l’«effet de socle».
2. Facteurs et mécanisme de l’anatexie
En système fermé, la fusion anatectique des terrains est contrôlée par quatre facteurs: la température, la pression de l’eau, la composition chimique des roches et la quantité d’eau disponible. On admet généralement que l’équilibre chimique local est réalisé, et que le magma anatectique est saturé en eau, cette dernière condition étant certainement réalisée au début de l’anatexie.
La première phase fondue (composition eutectique) obtenue par la fusion expérimentale des roches sédimentaires (schistes grauwackes, arkoses) et des roches métamorphiques équivalentes, possède la composition chimique d’un granite sensu lato . Il se trouve que les migmatites renferment généralement une partie de composition granitique, que l’on peut supposer formée par anatexie, dans certaines conditions. La connaissance des propriétés physico-chimiques des systèmes expérimentaux de composition granitique est donc essentielle pour comprendre le mécanisme de l’anatexie.
Bowen et Tuttle (1958) ont étudié un système granitique approché dont les constituants sont le quartz (q) Si2, l’albite (ab) NaALSi38, l’orthose (or) KAlSi38 [cf. FELDSPATHS] et l’eau H2O. On connaît ainsi les équilibres entre les phases solides, la phase fondue saturée en eau, et le fluide aqueux, à diverses pressions d’eau, et en fonction de la température, et pour toutes les compositions du système. La forme de la surface du liquidus du système q 漣ab 漣or 漣eau est donnée sur la figure 1. (Le liquidus est le lieu des points température-composition représentant la solubilité maximale à l’équilibre d’une phase solide, dans une phase liquide.) La position de la ligne cotectique et celle du «minimum ternaire» M dépendent de la pression de l’eau. Le point M se déplace vers le pôle ab quand la pression de l’eau augmente. Du point de vue pétrologique, la composition du point M est très importante: elle est celle vers laquelle tend la composition de la phase fondue pendant la cristallisation; inversement, la fusion à pression d’eau fixée dans le système q 漣ab 漣or 漣eau débute avec une phase fondue dont la composition est celle du point M. Dans le système considéré, l’état de la phase fondue au point de fusion minimal ne dépend que d’un seul paramètre (système univariant): pression d’eau, température ou teneur en eau du magma. Les relations entre ces divers paramètres sont données sur la figure 2. Même dans le cas de roches granitiques naturelles, qui comportent des constituants ou des phases supplémentaires (anorthite, biotite) mais dans lesquelles le quartz, l’albite et l’orthose forment plus de 80 p. 100 de la roche, la courbe de fusion commençante se situe au voisinage de la courbe de la figure 2.
Cela implique que des équilibres entre des cristaux et un magma ont joué un rôle fondamental dans la genèse des roches anatectiques et granitiques (migmatites et granitoïdes). Afin de se rapprocher des conditions naturelles, on a déterminé les relations d’équilibre, en ajoutant de l’anorthite (an) CaAl2Si28 au système précédent. Le système q 漣ab 漣an 漣or 漣eau a été étudié par von Platen (1965) pour différentes valeurs du rapport ab/an et de la pression de l’eau. Avec l’augmentation de la quantité d’anorthite, la composition eutectique s’enrichit en orthose et quartz, et la température de l’eutectique augmente d’environ 30 0C pour une quantité d’anorthite variant de 25 à 40 p. 100 dans le plagioclase. Au cours de l’anatexie régionale, ce sont les roches les plus riches en albite qui fondront les premières, ce que vérifient les observations.
Les relations d’équilibre des systèmes granitiques expérimentaux et les expériences de fusion des roches permettent d’aboutir aux conclusions suivantes:
– la température de début de fusion (eutectique) dépend de la composition de la roche, spécialement de la composition du plagioclase, de la pression de l’eau et de la teneur en constituants volatils (HCl). Sous une pression d’eau de 2 000 bars, certains gneiss commencent à fondre à 686 0C, et à 770 0C la proportion de roche fondue peut atteindre 70 p. 100;
– la quantité de magma anatectique formé croît avec la température mais elle dépend de la quantité d’eau disponible; la quantité d’eau nécessaire pour saturer le magma augmente avec la pression (fig. 2);
– l’augmentation de la pression de l’eau abaisse la température eutectique et modifie la composition eutectique dans le sens d’un enrichissement en albite.
Si la connaissance des systèmes expérimentaux q 漣ab 漣or et q 漣ab 漣or 漣an avec H2O en excès (PH2O = pression totale (Pt ) et XH2O = 1) permet de cerner les conditions de l’anatexie de la croûte, elle est encore insuffisante à reproduire les conditions naturelles. La saturation en eau peut ne pas être réalisée, soit qu’il existe des gradients de pression d’eau entre le magma anatectique et la roche encaissante, soit que le fluide n’est pas entièrement aqueux. Ainsi, beaucoup de métapélites renferment du graphite et des sulfures, ce qui enrichit le fluide en constituants volatils autres que l’eau, de sorte que XH2O 麗 1. Cela a pour effet d’abaisser la température d’équilibre des réactions de déshydratation, telle la réaction [muscovite + quartz 燎 silicate d’alumine + feldspath potassique + eau] au voisinage de laquelle se déclenche l’anatexie régionale des métapélites, mais aussi de déplacer la courbe de fusion minimale du granite vers des températures plus élevées comme le montrent les résultats expérimentaux dans des systèmes sous-saturés en eau.
Enfin, pour expliquer l’anatexie des métapélites, on est tenté d’introduire des constituants supplémentaires dans le système «granitique». Les magmas anatectiques naturels renferment un excès d’Al23 qui s’exprime par la présence de «corindon» lors du calcul de la norme à partir de l’analyse chimique globale et par la présence de muscovite, d’andalousite ou de sillimanite dans la partie granitique des migmatites (leucosome). De plus, on peut aussi admettre la faible solubilité dans les magmas anatectiques naturels des constituants MgO et FeO, responsables de l’apparition de la biotite, de la cordiérite et du grenat dans le leucosome des migmatites et dans les granites qui leur sont liés. Par ailleurs, alors que l’anatexie expérimentale, avec ou sans saturation en eau, considère des systèmes fermés et bien que les migmatites d’anatexie régionales soient souvent interprétées comme le résultat d’une fusion en système fermé – le leucosome se formant in situ laisse un résidu de fusion (restite), de telle sorte que la composition globale des deux parties restitue par mélange la composition initiale de la roche –, on a pu démontrer que l’anatexie régionale des métagrauwackes, formant très souvent les séries antépaléozoïques, pouvait s’opérer sans production de restite et avec apport du constituant KAlSi38 et donc dans des conditions de système ouvert.
● anatexie nom féminin (grec anatêksis, fonte) Fusion des roches de la croûte continentale à la base des séries métamorphiques, produisant des magmas de composition granitique. ● anatexie (expressions) nom féminin (grec anatêksis, fonte) Anatexie différentielle, fusion partielle des roches en fonction des conditions thermodynamiques et de la composition chimique, donnant naissance à un magma liquide et à un résidu solide.
anatexie [anatɛksi] n. f.
ÉTYM. V. 1960; du grec anatêxis « liquéfaction, fonte », de anatêkein « faire fondre; fondre », de ana-, et têkein « faire fondre; fondre ».
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♦ Géol., pétrographie. Phénomène de fusion, partielle ou totale, de terrains rocheux, avec formation de magma (on dit aussi ultramétamorphisme). || L'anatexie entraîne des modifications de texture et de composition minéralogique quantitative des roches. || Essais d'anatexie expérimentale réalisés depuis 1957. — Anatexie différentielle : fusion sélective des roches en fonction de leur composition chimique. || Isograde d'anatexie : isograde de fusion commençante, pour une catégorie donnée de roches. || Granites d'anatexie : granites hétérogènes contenant des restes transformés de matériaux non fondus, produits par cristallisation de magma anatectique. ⇒ aussi Migmatite.
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DÉR. Anatectique.
Encyclopédie Universelle. 2012.