GÉORGIE
Le peuple géorgien, qui a rarement compté plus de cinq millions d’âmes, vit sur les hauteurs et dans les vallées d’une des plus admirables régions du monde. La chaîne du Caucase a servi pendant bien des siècles de ligne de démarcation entre les nomades des steppes eurasiennes et les cultures plus évoluées du Moyen-Orient. De nombreuses peuplades envahirent les monts Elbrouz et Kazbek, entrés dans la légende comme le lieu du supplice de Prométhée. La population géorgienne est le résultat d’un brassage multiséculaire entre les peuples cultivés de l’Anatolie et de la Colchide, auxquels se sont mêlés les Indo-Européens et d’autres peuples migrateurs d’origine nordique. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les envahisseurs, Grecs et Romains, Perses et Arabes, Turcs et Mongols, s’efforcèrent avec quelque opiniâtreté d’assimiler les Géorgiens. Depuis 1801, la Géorgie est politiquement rattachée à la Russie. Mais, sous le régime tsariste comme sous le régime soviétique, les Géorgiens ont toujours constitué une unité ethnique distincte et autonome, ils ont conservé leur langue, leurs coutumes et leur art.
La littérature géorgienne, qui compte quinze siècles d’histoire, est l’une des plus anciennes et des plus riches de l’Orient chrétien, et son importance est grande du point de vue scientifique. Elle possède, en effet, d’innombrables œuvres présentant toutes les variétés de littérature, et apporte ainsi une contribution précieuse à l’étude de maints problèmes relatifs aux littératures de l’Antiquité chrétienne et du Moyen Âge, ainsi qu’à l’histoire des relations des peuples du Proche-Orient et de Byzance.
Nombre de textes de grande valeur, dont les originaux grecs et syriaques sont considérés comme perdus, se sont conservés dans leur version géorgienne, et leur restitution n’est possible que grâce à ces rédactions.
Les premiers témoignages de l’artisanat et de l’art géorgien remontent à l’âge néolithique où, dès 5000 avant J.-C., le tissage et la poterie étaient florissants, ainsi que la métallurgie d’art qui apparaît au IIIe millénaire. Dans l’Antiquité, l’activité créatrice de la Géorgie s’exercera avec bonheur dans de nombreux domaines. Mais c’est au Moyen Âge qu’il faut situer l’âge d’or de l’art géorgien: architecture religieuse et civile, orfèvrerie, peinture murale et peinture de manuscrits. Il suffira d’évoquer l’attachante figure du peintre Pirosmani qui figure dignement dans le courant des «primitifs du XXe siècle» pour se convaincre de la vigueur de l’art géorgien.
1. L’histoire
Du Paléolithique à l’ère chrétienne
On peut faire remonter les débuts d’une société humaine sur l’actuel territoire de la République de Géorgie au Paléolithique inférieur et au Néolithique. De nombreux sites de cette dernière époque ont été mis au jour dans les terres basses de Colchide, dans la vallée du Khrami en Géorgie centrale, et en Ossétie du Sud. Ils étaient occupés par des tribus sédentaires qui élevaient du bétail et connaissaient l’agriculture. La culture des céréales au Néolithique est attestée par la découverte de meules à balanciers et de faucilles de silex; des houes de pierre servaient à défoncer la terre.
Dans l’Antiquité, on considérait que le Caucase était le lieu d’origine du travail des métaux; l’âge du bronze, en Géorgie, commence au début du IIe millénaire avant notre ère. Les objets remarquables découverts à Trialeti par B. A. Kuftin montrent que, durant le IIe millénaire, la Géorgie centrale était habitée par des tribus de pasteurs dont les chefs étaient riches et puissants. Leurs tombes en forme de tertre ont livré de la vaisselle d’or et d’argent finement travaillée; quelques pièces sont ornées de scènes rituelles gravées qui évoquent la présence d’influences asianiques dans le culte.
Au début du Ier millénaire avant J.-C., les ancêtres des Géorgiens apparaissent dans les annales assyriennes, plus tard dans celles d’Urartu (Arménie). Il y est question des Diauhi ou Diaeni, ancêtres des Taokhoi qui habitèrent plus tard la province de Tao dans le sud-ouest de la Géorgie et des Kulkha, prédécesseurs des Colchidiens, qui occupaient de vastes territoires à l’extrémité orientale de la mer Noire. La fortune mythique de la Colchide fut tôt connue des Grecs: la légende de Médée et de la Toison d’or en est l’expression symbolique.
Les Assyriens connaissaient d’autres populations qui firent partie de l’histoire ancienne de la Géorgie, ainsi les tribus des Tabaréens et des Moushkis, qui sont les Tubal et les Meshech d’Ézéchiel et les Tibareni et Moskhoi des écrivains classiques.
Au VIIe siècle avant J.-C., l’invasion des Cimmériens chassa d’Anatolie des tribus qui se mêlèrent aux populations autochtones de la vallée de la Koura; puis un important royaume d’Ibérie se développa au cours des derniers siècles avant l’ère chrétienne dans la région du Kartli et de la Kakhétie actuelle. Des colons grecs de Milet colonisèrent la Colchide qui tomba ensuite sous la domination de Mithridate le Grand, roi du Pont. Les campagnes de Pompée, en 65 avant J.-C., rendirent Rome maîtresse du royaume d’Ibérie et lui donnèrent le contrôle direct sur la Colchide et le reste du littoral géorgien de la mer Noire.
Le Moyen Âge et les invasions
Vers les années 330, la Géorgie devint chrétienne, conversion attribuée à une esclave, sainte Nino. Pendant les trois siècles suivants, la Géorgie subit les conséquences du conflit qui opposait les empires de Perse et de Byzance ; le pays de Lazique, sur la mer Noire, qui comprenait aussi la Colchide antique, fut très étroitement rattaché à Byzance, tandis que l’Ibérie passait sous contrôle iranien; au Ve siècle, cependant, le roi Vakhtang Gorgaslani, héros à la vaillance légendaire, restitua pour un temps à la Géorgie sa souveraineté nationale. La monarchie ibérienne fut abattue par le monarque sassanide Chosroês Ier (531-579). Par la suite (VIIe-Xe s.), ce sont des princes de chaque province qui exercèrent l’autorité locale sous la suzeraineté successive de l’Iran, de Byzance, puis, après 654, des califes arabes qui installèrent un émirat à Tbilissi (Tiflis).
Une renaissance nationale permit alors l’unification de tous les pays habités par des Géorgiens ou des hommes de race ibérocaucasienne. Le mouvement fut mené par les Bagratides, une dynastie princière qui pendant longtemps avait joué un rôle important en Arménie. Vers la fin du VIIe siècle, Ashot Ier le Grand, de la famille des Bagratides, s’installa à Artanuji au pays Tao (sud-ouest de la Géorgie), ayant reçu le titre de couropalates (gardien du palais) de l’empereur de Byzance. Ashot profita évidemment de la faiblesse des empereurs byzantins et des califes arabes et se décréta prince héréditaire d’Ibérie. Plus tard, le roi Bagrat III (975-1014) réunit toutes les principautés orientales et occidentales de Géorgie en un seul État. Tbilissi resta cependant entre les mains des musulmans jusqu’en 1122 et tomba, à cette date, sous la coupe du roi David le Constructeur (1089-1125).
L’apogée de la puissance de la Géorgie se situe sous la reine Thamar (1184-1213), dont le royaume s’étendait de l’Azerbaïdjan aux confins de la Tcherkessie, d’Erzeroum (Erzurum) à Gandja (Kirovabad), avec pour vassales et alliées Shirvan et Trébizonde.
Les invasions mongoles en Transcaucasie, à partir de 1220 environ, sonnèrent la fin de l’âge d’or de la Géorgie, dont la partie orientale fut occupée par les Mongols Ilkh ns, descendants de H l g , tandis que l’Imérétie (du nom de la Géorgie occidentale au-delà de la chaîne de Suram) conserva son indépendance sous l’autorité de chefs bagratides. Le règne de Georges V de Géorgie, surnommé le Brillant (1314-1346), marqua un renouveau; mais les attaques de Tim r entre 1386 et 1405 portèrent à la vie culturelle et économique de la Géorgie des coups dont ce royaume ne se remit jamais. Le dernier roi de la Géorgie unifiée fut Alexandre Ier (qui régna de 1412 à 1443), ensuite le royaume fut divisé par ses fils en principautés agitées et querelleuses.
La prise de Constantinople par les Ottomans, en 1453, isola la Géorgie de la chrétienté occidentale. Les Turcs envahirent en 1510 l’Imérétie dont ils mirent à sac la capitale, Koutaïssi (Koutaïs). Peu après, le ch h Ism ’il Ier de Perse s’appropria le Kartli. Ivan le Terrible et d’autres tsars moscovites s’intéressèrent aux petits royaumes chrétiens de Géorgie, mais ils étaient trop faibles pour empêcher que les puissances musulmanes ne se partageassent la région et n’opprimassent les populations. En 1578, les Turcs ravagèrent la Transcaucasie et s’emparèrent de Tbilissi, d’où il furent repoussés ensuite par le ch h ‘Abb s Ier (1587-1629) qui déporta plusieurs milliers de chrétiens dans de lointaines régions d’Iran. L’époque des vice-rois de la maison de Mukhran, qui gouvernèrent à Tbilissi, fut plus calme; ils représentèrent les ch hs de 1658 à 1723. Un des plus remarquables est Vakhtang VI, régent de Kartalinie de 1703 à 1711, puis roi par intermittence jusqu’en 1723. Vakhtang fut un excellent législateur. Il introduisit l’imprimerie dans le pays et fit éditer les annales de Géorgie par une commission d’érudits. Cependant, la disparition de la dynastie séfévide, en 1722, permit une nouvelle invasion ottomane; les Turcs furent chassés par le conquérant persan N dir ch h qui donna le Kartli à un Bagratide, Tlimuraz II (1744-1762). Quant il mourut, son fils Irakli II réunit les royaumes de Kartli et de Kakhétie, et essaya courageusement de créer un État multinational dans le Caucase, dont les assises se seraient trouvées en Géorgie. Sous le roi Salomon Ier (1752-1784), l’Imérétie parvint à secouer le joug turc.
L’annexion par la Russie et la renaissance nationale
À la suite de raids de montagnards lesghiens qui venaient du Daghestan, Irakli se vit contraint de prendre une attitude prorusse, surtout pour des raisons d’ordre économique. Le 24 juillet 1783, il conclut avec Catherine II la Grande le traité de Georgievsk, par lequel la Russie garantissait l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Géorgie, Irakli reconnaissant la suzeraineté de la Russie. Mais la Russie abandonna bientôt son nouvel allié à son sort. Irakli et les Géorgiens eurent à lutter, seuls, contre les troupes de l’eunuque persan Agha Muhammad ch h Q dj r. Tbilissi fut saccagée en 1795 et Irakli mourut désespéré trois ans plus tard. Son fils Georges XII, invalide, songea à transmettre sans conditions son royaume à Paul Ier, l’empereur fou; l’un et l’autre moururent avant que rien de définitif ait été réalisé. En 1801, Alexandre Ier réaffirma la décision de son prédécesseur d’incorporer à l’empire russe le Kartli et la Kakhétie; malgré le traité de 1783, la dynastie bagratide fut évincée et remplacée par des gouverneurs militaires russes qui firent déporter les derniers membres de la famille royale et se comportèrent de telle manière qu’il y eut plusieurs insurrections nationales. Le royaume d’Imérétie, en Géorgie occidentale, fut annexé en 1810, alors que la Gourie, la Mingrélie, la Svanétie et l’Abkhazie ne disparurent respectivement qu’en 1829, 1857, 1858 et 1864. Les ports de la mer Noire, Poti et Batoumi (Batoum), longtemps demeurés sous la dépendance ottomane, de même que les régions du sud-ouest de la Géorgie furent peu à peu arrachés à la Turquie au cours de guerres dont la plus importante eut lieu en 1877-1878.
Les Russes, en poursuivant les tribus lesghiennes du Daghestan et en menant des campagnes contre l’Iran et la Turquie, rendirent possible une renaissance de la nation géorgienne. Sous le gouvernement du prince M. S. Vorontsov, alors vice-roi (1845-1854), le commerce et les affaires se développèrent rapidement; un théâtre et d’autres institutions culturelles furent ouverts à Tbilissi. En Russie, les serfs avaient été libérés dès 1861; trois ans plus tard, les paysans géorgiens reçurent leur liberté, mais dans des termes qui semblaient l’entraver. Le développement de l’instruction et les influences européennes croissantes précipitèrent la décadence des mœurs patriarcales. Une ligne de chemin de fer relia Tbilissi à Poti en 1872, et des chefs d’entreprise russes, arméniens et d’Europe occidentale agrandirent les mines, fondèrent des usines et des plantations. Le mécontentement des paysans, la montée d’une classe ouvrière urbaine et la politique systématique de russification et d’assimilation forcée des minorités pratiquée par Alexandre III (1881-1894) favorisaient une agitation radicale parmi les travailleurs et alimentait le nationalisme dans l’intelligentsia de la classe moyenne.
Le principal responsable de cette renaissance nationale fut le prince Ilia Tchavtchavadzé (1837-1907) qui dirigea un mouvement littéraire et social nommé le Pirvali Dasi (ou «premier groupe»). Le Méoré Dasi (ou «second groupe»), que menait Ghiorghi Tséréthéli (1842-1900), était beaucoup plus radical dans ses convictions, mais il ne put faire face au Mésamé Dasi («troisième groupe»), parti social-démocrate illégal, fondé en 1893 et conduit par Noé Jordania (1868-1953) et Karlo Chkheidzé. Le «troisième groupe» professait le marxisme; Joseph Djougatchvili (Staline) en fit partie dès 1898, mais quand les mencheviks, avec Jordania, prirent le contrôle du groupe, Staline quitta le Caucase pour rejoindre Lénine dans son combat.
La révolution russe de 1905 causa en Géorgie de nombreux troubles et des combats de guérilla qui furent réprimés avec brutalité par les Cosaques. Après la révolution de 1917, les trois nationalités transcaucasiennes, Géorgiens, Arméniens, et Azerbaïdjanais, furent soumises à un comité, l’Ozakom, contrôlé par Pétrograd. À la suite du coup d’État bolchevique de la même année, les principaux politiciens mencheviks de Transcaucasie durent quitter la Russie. Une nouvelle institution fut créée, le commissariat Transcaucasie. Les tendances des divers nationalismes, assorties d’une poussée turque à l’ouest, amenèrent la chute de la fédération. Le 26 mai 1918, les Géorgiens proclamèrent l’indépendance de leur État et durent se placer sous la protection des Allemands. La chute des puissances centrales à la fin de 1918 entraîna l’occupation anglaise. Pour les Géorgiens, les Russes blancs d’Anton Denikine, que protégeaient les Anglais, étaient plus dangereux que les bolcheviks eux-mêmes. Devant leur refus de coopération, les forces britanniques évacuèrent Batoumi en juillet 1920.
Bien que l’indépendance de la Géorgie ait été reconnue de facto par les Alliés en janvier 1920, le traité russo-géorgien du 7 mai 1920 prévoit une mission soviétique sous la conduite de S. M. Kirov qui s’intalle à Tbilissi, avec ordre de saper le régime géorgien et de préparer la voie à un coup d’État bolchevik.
L’incorporation à l’U.R.S.S.
En janvier 1921, la république de Géorgie est reconnue de jure par les Alliés. Cela n’empêche pas l’Armée rouge d’installer un régime soviétique à Tbilissi un mois plus tard. Le 12 mars 1922, la Géorgie est donc officiellement annexée à l’U.R.S.S. au sein de la république fédérative socialiste soviétique de Transcaucasie. Staline et Ordjonikidzé, tous deux géorgiens, vont soviétiser le pays sans ménagement. L’Église est persécutée et les militants nationalistes exécutés par milliers. Les mencheviks, qui avaient dirigé le pays pendant l’indépendance et nationalisé les grandes entreprises, sont également victimes des purges. En mars 1923 vient le tour du P.C. géorgien lui-même; la tendance Mdivani-Makharadzé, jugée trop «nationaliste», est écartée. Mais les campagnes résistent à la bolchevisation et une révolte paysanne, dirigée par Kaikhosro Cholokashvili, éclate en août 1924. La répression fait des milliers de morts. En 1931, Staline rattache l’Abkhazie à la Géorgie. Enfin, nouveau changement de frontières: la république de Transcaucasie est dissoute le 5 décembre 1936; Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan deviennent des républiques à part entière au sein de l’U.R.S.S.
Durant les purges de 1936-1938, les principaux dirigeants communistes géorgiens sont exécutés: Mdivani, Okoudja, Donadzé, Doumbadzé, Enoukidzé, Lominadzé. Même Ordjonikidzé est acculé au suicide en février 1937. Lavrenti Beria, lui aussi géorgien, devient chef du N.K.V.D. La Géorgie vit donc les différentes périodes de la dictature stalinienne comme le reste de l’U.R.S.S., bénéficiant parfois d’une certaine mansuétude des autorités, car elle est la patrie de Staline. Une mafia locale s’y développe même, permettant un meilleur approvisionnement grâce au marché noir. En mars 1956, Tbilissi se soulève contre Khrouchtchev, croyant que la déstalinisation est une atteinte au nationalisme géorgien. La répression de l’Armée rouge fait quelques dizaines de morts. En 1972, le chef du K.G.B. local, Edouard Chevardnadzé, prend la direction du P.C. géorgien. Lorsqu’il devient ministre des Affaires étrangères de Gorbatchev (1985-1990), il est remplacé par Djoumbar Patiachvili. En 1977, le premier mouvement de dissidence voit le jour. Il s’agit du Comité géorgien de surveillance des accords d’Helsinki, dirigé par le musicologue Mérab Kostava et le poète Zviad Gamsakhourdia. Le premier écope de dix ans de camp, alors que le second n’est condamné qu’à deux ans après une autocritique télévisée très controversée.
De la dissidence à l’indépendance
Les turbulences de la perestroïka n’épargnent pas la Géorgie. En octobre 1987, des intellectuels nationalistes fondent l’association Ilya-Chavtchavadzé et organisent, pour la première fois depuis la soviétisation du pays, une manifestation célébrant le soixante-dixième anniversaire de l’indépendance. D’autres nationalistes fondent le Parti national démocratique. Ainsi, dès l’origine, l’opposition est divisée et pratique la surenchère nationaliste. Les minorités sont les premières visées et, en juin 1988, les Meskhètes sont attaqués par des nationalistes. Cette minorité de 400 000 personnes est composée de Géorgiens islamisés et turquisés, déportés en Asie centrale en 1944. Depuis quelques années, ils rentrent clandestinement dans le sud de la Géorgie, ce qui a provoqué ces incidents. En octobre, c’est au tour des Azéris de l’est du pays. Mais le principal problème vient de l’Abkhazie. Depuis 1978, les 100 000 Abkhazes demandent leur rattachement à la fédération de Russie, comme c’était le cas avant 1931. Les Géorgiens pensent alors, non sans raison, que les Russes utilisent les minorités locales contre les majorités caucasiennes pour garder le contrôle de la région. À la fin de 1988, 200 000 Géorgiens manifestent dans Tbilissi contre la russification, le communisme, mais aussi contre les minorités et pour l’indépendance. Des dirigeants nationalistes sont alors arrêtés et, la tension montant, les autorités abkhazes en profitent pour faire officiellement sécession de la Géorgie. Tbilissi manifeste pacifiquement. Mais, le 9 avril 1989, des soldats soviétiques ivres massacrent dix-neuf personnes, dont seize femmes, à coups de pelle, à Tbilissi. Le couvre-feu est instauré et l’opposition répond par une grève générale. Moscou limoge le premier secrétaire du P.C. et le remplace par le gorbatchévien Givi Goumbaridzé. Rien n’y fait. Le 26 mai, 250 000 manifestants commémorent l’indépendance de 1918. L’opposition fonde alors le Front national géorgien, qui est même salué par le P.C. local. Durant l’été, les troubles interethniques reprennent, puis, en novembre, vient le tour de 100 000 Ossètes du Sud, victimes des nationalistes. Contrairement aux Abkhazes, Adjars et Meskhètes, qui sont des Géorgiens islamisés, les Ossètes sont des Indo-Européens en majorité chrétiens. Ils veulent être rattachés à l’Ossétie du Nord, qui fait partie de la fédération de Russie. Durant l’été de 1990, le soviet suprême géorgien entérine le droit de séparation de l’U.R.S.S.
Désormais, la Géorgie va concentrer tous les maux d’une Union soviétique en dislocation: guerre civile, affrontements interethniques, isolement politique et économique, montée des mafias... Les premières élections législatives libres ont lieu en octobre dans un climat de division et de violence. La Table ronde libre de Zviad Gamsakhourdia obtient 60 p. 100 des voix, contre 30 p. 100 au P.C., et Zviad Gamsakhourdia est donc élu président du parlement. L’opposition, désormais au pouvoir, s’avère encore plus intransigeante envers les minorités: Tbilissi supprime l’autonomie des Ossètes en décembre 1990 et proclame l’état d’urgence dans cette ex-région autonome. La dérive autoritaire et chauvine de Zviad Gamsakhourdia devient évidente; c’est ainsi qu’il fait arrêter Djaba Iosseliani, un chef de milice nationaliste qui lui portait ombrage.
Lors du référendum soviétique sur le maintien de l’Union, en mars 1991, les Géorgiens s’abstiennent en masse. En revanche, lors de leur propre référendum sur l’indépendance, 99 p. 100 des 90 p. 100 de participants se prononcent pour le oui. Le parlement proclame l’indépendance et Zviad Gamsakhourdia s’y fait élire à main levée président de la nouvelle république. En mai, il organise l’élection présidentielle au suffrage universel et obtient 87 p. 100 des voix. Enfermé dans sa tour d’ivoire, le président se transforme alors en dictateur. Il limoge son Premier ministre, Tenguiz Sigoua, et plusieurs autres officiels. En septembre, il fait tirer sur une manifestation de l’opposition démocratique et interdit la plupart des journaux. La guerre civile commence entre démocrates. En décembre, la bataille fait rage dans Tbilissi, si bien que le président se retranche dans le parlement. En janvier 1992, il est obligé de fuir avec ses partisans dans sa région natale de Mingrélie, proche de l’Abkhazie. Après une vaine tentative de retour en force, il s’exile en Tchétchénie. Deux mois plus tard, l’ancien communiste Edouard Chevardnadzé devient le président du nouveau Conseil d’État, sorte de gouvernement provisoire dirigé par les démocrates vainqueurs de la guerre civile de l’hiver. Mais les combats continuent en Ossétie et en Abkhazie. Les Abkhazes reçoivent l’aide directe de la confédération des peuples du Caucase (volontaires tcherkesses, tchétchènes, balkars...) et parfois des 30 000 soldats de l’ex-Armée rouge stationnés en Géorgie.
Lors de la deuxième élection présidentielle libre d’octobre 1992, Edouard Chevardnadzé obtient 90 p. 100 des suffrages. Pourtant, il ne parvient pas à maîtriser une situation anarchique.
Bref, en Géorgie, la transition démocratique est particulièrement douloureuse: conflits interethniques généralisés, guerre civile, baisse de la production de 60 p. 100, inflation à quatre chiffres. À l’instar des pays Baltes, la Géorgie a refusé d’adhérer à la C.E.I., qui est pourtant son marché naturel, alors que ses voisins arméniens et azéris se livrent une terrible guerre. Il est vrai que la culture démocratique ne s’est jamais réellement développée en Géorgie et que l’ultranationalisme y est une donnée historique.
2. Le pays et les hommes
Milieu naturel et peuplement
La Géorgie est divisée en trois grandes régions géographiques: la chaîne du Grand Caucase marquant la limite entre l’Europe et l’Asie au nord, une dépression au centre et les monts de Transcaucasie au sud.
À l’ouest, vers l’étroite bande côtière de la mer Noire, l’altitude baisse sensiblement. Au sud de la principale chaîne s’étire une série de montagnes parallèles moins hautes; ces dernières sont séparées de profondes vallées isolées. Vers l’est, les monts Surami, Kartli et Kakhétie sont perpendiculaires au Grand Caucase. Le pays est parcouru par de nombreuses rivières, souvent issues des glaciers. Bzyb, Kodori, Ingouri et Rioni se jettent dans la mer Noire. En revanche, l’Alazani, l’Aragvi et l’Iori font partie du bassin fluvial de la Koura qui finit dans la mer Caspienne. Située sur la faille caucasienne, la Géorgie est sujette aux tremblements de terre.
Cette géographie donne des climats variés. À l’ouest, les précipitations sont très importantes: entre 101 et 254 centimètres par an. La température correspond au climat subtropical, atténué par l’altitude ou le voisinage de la mer Noire. En revanche, dans la vallée de la Koura, le climat est semi-désertique, avec seulement 50 centimètres d’eau par an. Les basses terres de la Colchide sont marécageuses ou couvertes de palmiers et d’eucalyptus. Dès les premiers contreforts montagneux, le hêtre et le chêne sont dominants. À mesure que l’on s’élève, on trouve le sapin du Caucase, puis le maquis et, enfin, des pâturages de type alpin. À l’est, moins arrosé, la végétation est celle des steppes.
Agriculture
Grâce à son climat favorable, la Géorgie a longtemps été le verger et le potager de l’ancienne U.R.S.S.: 98 p. 100 de la production d’agrumes et 95 p. 100 de la production de thé. Des vignes importantes fournissent des vins et des cognacs réputés. Il existe aussi toutes sortes d’arbres fruitiers et des productions de type méditerranéen: olives, figues, grenades... Le tabac vient largement en tête des cultures industrielles, suivi de la betterave sucrière, de l’abrasin et du mûrier pour l’élevage du ver à soie. Enfin, en Abkhazie, des plantes destinées à la fabrication de parfums sont cultivées. Blés d’hiver et de printemps ainsi que cheptels ovin et bovin occupent les terres d’altitude. Mais ce verger longtemps prospère est lui aussi touché par la crise des années quatre-vingt. Au début des années quatre-vingt-dix, les grandes villes avaient du mal à s’approvisionner en fruits et légumes frais. La privatisation des kolkhoz et des sovkhoz n’a commencé que très timidement en 1991.
Industrie
L’industrie minière est la principale ressource du pays. À Tchiatoura se trouve un des plus grands gisements de manganèse du monde. Cette production, exportée par le port de Poti, vers l’U.R.S.S. jusqu’en 1991, l’est maintenant vers la Russie. Elle permet de payer les achats de carburant et de produits manufacturés. À Koutaïssi, on trouve du baryum, de l’andésite et du kaolin. Batoum, relié au pipeline de Bakou, est devenu un important centre de raffinage. Dès 1950, l’U.R.S.S. introduit l’industrie lourde avec l’énorme combinat fer-acier de Roustavi, aux environs de la capitale. La construction mécanique est installée à Tbilissi, Koutaïssi, Batoum et Poti. Dans les années soixante-dix, la très polluante industrie chimique a fait son apparition à Batoum, Tbilissi et Roustavi. Enfin, il existe des industries du bois et du textile. Mais, depuis la crise économique de l’U.R.S.S. et les troubles internes, la production est en chute libre et les privatisations n’étaient toujours pas commencées en 1991. À la fin de 1992, la Géorgie est un pays exsangue malgré ses ressources variées.
Démographie
L’ensemble de la Géorgie avec ses républiques autonomes (Abkhazie et Adjarie) et sa région autonome (Ossétie du Sud) comptait 4,5 millions d’habitants en 1966 et 5,4 millions en 1991, dont 69 p. 100 de Géorgiens, 10 p. 100 d’Arméniens, 7 p. 100 de Russes, 5 p. 100 d’Azéris, 3 p. 100 d’Ossètes, 1,7 p. 100 d’Abkhazes, 4,3 p. 100 d’origines diverses (Ukrainiens, Adjars, Grecs, Circassiens, Meskhètes, Juifs). En 1990, l’Abkhazie comptait 536 000 habitants, dont 44 p. 100 de Géorgiens, 17 p. 100 d’Abkhazes, 16 p. 100 de Russes, 15 p. 100 d’Arméniens, 8 p. 100 d’origines diverses (Grecs et Circassiens). La même année, l’Adjarie comptait 386 000 personnes et l’Ossétie du Sud 100 000 personnes, dont 66 p. 100 d’Ossètes, 29 p. 100 de Géorgiens et 5 p. 100 d’origines diverses. En 1991-1992, 30 000 Ossètes au moins ont fui vers l’Ossétie du Nord. Selon les estimations de 1992, Tbilissi compterait 1,3 million d’habitants, Koutaïssi 250 000, Batoum 130 000, Soukhoumi 120 000 et Tskinvali 35 000.
3. La littérature géorgienne
La première période (Ve-Xe siècle)
La langue géorgienne appartient à la famille des langues ibéro-caucasiques et serait, selon certains savants, apparentée au basque. L’alphabet géorgien, qui représente probablement une ramification indépendante de l’alphabet phénicien, comporte deux formes d’écriture: l’ecclésiastique (majuscule et minuscule) et, à partir du XIe siècle, l’alphabet militaire ou profane , qui est en usage aujourd’hui.
Les origines religieuses
Le premier témoignage incontestable de l’existence d’un littérature géorgienne est Le Martyre de Chouchanik , écrit dans les années 476-483 par le confesseur de la sainte, Jacob Tsourtaveli, qui donne dans son ouvrage un tableau expressif des mœurs politiques, sociales et religieuses de la Géorgie de l’époque. Il est évident que la littérature géorgienne a dû connaître une assez longue évolution jusqu’à la composition d’une œuvre aussi parfaite que Le Martyre , où la langue atteint une puissance d’expression d’une singulière grandeur.
La Géorgie est un pays dont la personnalité culturelle est fortement marquée. Située au pied du Caucase, elle est au confluent de deux courants de pensée: celui du christianisme mystique et émotionnel de l’Orient ancien, venant de Syrie et de Palestine, et le courant rationaliste et philosophique, venant de l’Occident sous la forme de la théologie gréco-byzantine. De ces deux courants, la Géorgie a fait une synthèse absolument originale que l’on a coutume d’appeler la chrétienté géorgienne, dont la tradition s’est conservée jusqu’à nous grâce aux œuvres littéraires.
Parmi toutes les Églises de l’Orient ancien, l’Église géorgienne est la première – et la seule, après le schisme des autres Églises nationales – à être demeurée fidèle au monde gréco-byzantin. Rappelons qu’elle échappa à la crise iconoclaste (726-843). La littérature de cette période est exclusivement religieuse. Outre de multiples traductions de l’Ancien et du Nouveau Testament, les genres narratif et lyrique figurent au tableau littéraire de l’époque.
La littérature narrative se compose d’apocryphes et d’hagiographies. Cette dernière l’emporte pour la richesse de ses productions. À la fin du Xe siècle, les écrits essentiels de l’hagiographie gréco-orientale avaient été traduits. En outre, les Géorgiens ont réalisé d’intéressantes «vies de saints», notamment la Vie de sainte Nino , évangélisatrice de la Géorgie (337), et des Vies de héros du monachisme national: Serapion de Zarzma , Les Treize Pères syriens , etc. La Vie de Grégoire de Kandzta apparaît comme la plus importante des œuvres proprement géorgiennes. Elle fut rédigée par Georges Mertchoulé, l’un des ascètes du monastère que Grégoire avait fondé. L’ampleur de la perspective historique, la manière dramatique de traiter le sujet, la description précise des scènes, les tableaux de la nature brossés avec des couleurs captivantes, la façon pittoresque d’admirer la nature, de la diviniser – phénomène rare dans la littérature religieuse – font la valeur de l’ouvrage. L’élément romantique de la vie féodale géorgienne l’a pénétré avant de s’épanouir dans d’autres formes plus tardives.
Les centres littéraires géorgiens à l’étranger
Ce sont les monastères géorgiens à l’étranger qui ont avant tout favorisé le développement de la littérature géorgienne ancienne. Parmi les centres les plus importants, citons la laure Mar-Saba près de Jérusalem, fondée en 483; c’est là que furent traduits ou composés la majeure partie des manuscrits géorgiens du Sinaï, où se réfugièrent les moines géorgiens, chassés de Mar-Saba par les Arabes.
Le fonds géorgien du Sinaï contient quatre-vingt-cinq manuscrits dont l’ancienneté confère à la collection une importance exceptionnelle pour les études de critique textuelle biblique, de patrologie grecque et de philologie byzantine. Le Calendrier palestino-géorgien de Jean Zossimé, conservé au Sinaï, traduit en latin et édité à Louvain par Gérard Garitte, comporte plus de onze cents annonces hagiographiques ou liturgiques et constitue un document unique par son ancienneté, son ampleur et la nature de son contenu.
Le monastère d’Iviron, au mont Athos, fondé en 980, fut un haut lieu de la vie spirituelle géorgienne de l’époque. La littérature géorgienne s’enrichit alors d’innombrables versions de textes grecs, dues aux talentueux écrivains de l’école athonite et à leurs disciples: Euthyme l’Hagiorite († 1028), Georges l’Hagiorite († 1065), Arsen d’Iqualto († 1130) de la Montagne noire (Arsen retourna en Géorgie pour y fonder l’académie d’Iqualto en 1114), le philosophe Jean Pétritsi, de l’école littéraire du monastère géorgien Pétritsoni, fondé en Bulgarie en 1003. Répondant à l’appel du roi David le Constructeur, il vint en Géorgie pour diriger l’académie de Ghélati, fondée par le roi. C’est à l’école athonite d’Iviron, et notamment à Euthyme, qu’on doit la traduction en grec de l’une des versions géorgiennes du roman Barlaam et Joasaph qui est à l’origine de toutes les rédactions postérieures de ce livre répandues à travers l’Europe.
La tradition géorgienne a conservé des œuvres d’auteurs orientaux que la littérature grecque n’a pas connues ou qu’elle n’a point gardées : œuvres de Syriens comme Aphraate et Martyrius-Sahdona, œuvres d’Égyptiens telles que les Lettres de saint Antoine , d’Arsène , de Macaire , des histoires édifiantes jointes au Pré spirituel , des textes traduits du syriaque, comme la Vie de saint Ephrem , de Pierre l’Ibère, que certains savants identifient avec Denys l’Aréopagite, la Vie de Syméon stylite l’Ancien , ainsi que le Commentaire sur le Cantique des Cantiques , le Commentaire de l’Ecclésiaste , La Séparation des Églises , le Grand Lectionnaire de Jérusalem , dont la découverte et la publication comblent une lacune de dix siècles d’histoire liturgique, la Vie de Siméon Métaphraste , la Vie de Jean Xiphilin , etc.
Le genre lyrique est représenté dans la littérature religieuse de la première période par la poésie hymnographique. Son origine se situe au VIIe siècle; dans les milieux littéraires de Tao-Klardjétie apparaît toute une phalange d’hymnographes remarquables, tels Zossimé, Jean Mintchki et surtout Mikhaël Modrékili avec son célèbre «recueil d’hymnes». La poésie liturgique géorgienne acquiert une véritable indépendance nationale, se sépare complètement des normes grecques; elle inclut même dans les recueils hymnographiques grecs les œuvres géorgiennes originales.
De la littérature religieuse aux lettres profanes
La pensée et l’histoire
Aux XIe-XIIe siècles, la Géorgie est un puissant royaume qui englobe tout le Caucase. C’est l’époque de la reine Tamar, l’âge d’or de l’histoire de la Géorgie. En même temps que s’épanouissent diverses branches de la littérature purement théologique, sont posées les bases de la littérature philosophique, principalement religieuse, tandis que la littérature historique représente une étape intermédiaire entre la littérature historique religieuse et la littérature profane. Dans le domaine de l’historiographie nationale, l’attention se fixe en premier lieu sur les artisans de la puissance politique et de la renaissance nationale du pays, sur les représentants de la dynastie régnante des Bagratides. L’un de ces derniers, Sumbat Davitisdzé, relate l’histoire de sa dynastie jusqu’au VIe siècle, liant au nom des Bagratides toute l’histoire ultérieure du pays. Un autre historien, Léonti Mrovéli, écrit Histoire des premiers pères et des premiers rois . Vient ensuite Djouancher qui prolonge l’œuvre de Mrovéli jusqu’aux premières années de Georges II (1072-1089). Puis le moine Arsène, l’auteur de l’Histoire de David le Constructeur , terminée aux environs de 1126. L’Histoire de la reine Tamar (1184-1212), beaucoup plus intéressante du point de vue littéraire, est parvenue en deux rédactions. La plus ancienne, écrite vers 1225, dont la paternité est attribuée par certains au poète Chota Roustavéli, est une véritable ode en l’honneur de la «grande» reine «égale à Dieu», «dont le règne fut préparé par tout le cours de l’histoire mondiale antérieure».
La première œuvre de littérature profane que l’on connaisse est le poème épique Vis-Ramiani , version géorgienne du poème persan Vis et Raminn . Le roman héroïque Amiran-Darejaniani , qui conte les exploits chevaleresques d’Amirani, le Prométhée géorgien, est un autre échantillon de la prose géorgienne du XIIe siècle.
L’épopée de Chota Roustavéli
Vepkis-Tkaossani (L’Homme à la peau de léopard ), de Chota Roustavéli est l’œuvre la plus représentative de la poésie épique de l’époque «classique». Dédié à la reine Tamar, ce poème qui, plusieurs siècles avant la Renaissance de l’Europe occidentale, reflétait des idées humanitaires appartient au nombre de ces œuvres du passé qui ont conservé jusqu’à nos jours une valeur de norme et de modèle indépassable. C’est la longue histoire des souffrances ardentes, des tourments, des pérégrinations indéfinies et des exploits héroïques de deux couples royaux, amoureux jusqu’à l’abnégation. Tous les épisodes de ce vaste poème se déploient sur le fond de l’opposition entre ces deux manifestations fondamentales de l’âme humaine que sont l’amour passionné et le sens du devoir qui se manifestent par le dévouement fraternel et l’amitié à toute épreuve.
L’intérêt de l’ouvrage ne réside pas seulement dans le charme du récit, qui se lit d’un bout à l’autre avec un intérêt qui ne se relâche pas, mais aussi dans le fait qu’il est pailleté d’expressions imagées, d’aphorismes profonds, de sentences édifiantes et de maximes divertissantes à caractère philosophique, moral et didactique. Il constitue ainsi une source intarissable de sagesse et d’expérience de la vie, où chacun puisait selon ses besoins. Bien que l’action se passe dans les pays d’Orient, ce poème reflète avec une étonnante précision tous les détails de la vie de la société féodale géorgienne de l’époque de la reine Tamar, de cette société chrétienne qui, par sa structure sociale et sa conception du monde, était étroitement apparentée à la société d’Europe occidentale.
De l’invasion mongole à l’âge d’argent
Le milieu du XIIIe siècle marque la fin de la littérature géorgienne ancienne, fin provoquée par un terrible fléau qui s’abattit sur le pays: l’invasion mongole qui entraîna la destruction impitoyable des monuments de la culture matérielle et spirituelle. Au XVe siècle, les Turcs succédèrent aux Mongols et s’emparèrent du berceau de la culture géorgienne, le Tao-Klardjéti-Samzké, dont ils contraignirent les habitants à embrasser l’islam. Il est évident qu’il ne pouvait dès lors plus être question d’activité culturelle, ni en Géorgie ni en dehors de ses frontières.
Avec le XVIe siècle commence la «période de la renaissance» ou encore l’«âge d’argent», qui s’étend jusqu’à la troisième décennie du XIXe siècle. Elle est marquée par un renouveau de la littérature géorgienne, qui se manifeste dans tous les domaines. De nombreux écrivains apparaissent qui pénètrent profondément dans l’esprit de la vie contemporaine et la reflètent avec précision. La littérature épique est représentée par des œuvres de caractère romantique, historique et didactique, comme Roussoudaniani , Ch h-Navaziani et Did-Moouraviani .
Les figures les plus éminentes de l’âge d’argent de la littérature géorgienne sont Saba-Soulkan Orbéliani (1658-1725), le roi Vakhtang VI (1711-1737), fondateur de l’imprimerie géorgienne, et David Gouramichvili (1705-1792). Saba-Soulkan Orbéliani fut le plus brillant styliste de son temps. Parmi ses œuvres il faut mentionner le Lexique géorgien , Concordance , répertoire alphabétique des lieux saints, et surtout La Sagesse du mensonge , où il plaide en faveur d’une éducation démocratique de l’héritier du trône. Le recueil comprend environ cent soixante-deux fables, sentences, aphorismes et anecdotes. En 1713, Saba fut chargé par le roi Vakhtang VI d’une mission diplomatique auprès de Louis XIV et du pape Clément XI; à la suite de cette mission, il écrivit Le Voyage en Europe , qui constitue le meilleur échantillon de la littérature mémorialiste géorgienne.
La période russe: romantisme et littérature contemporaine
En 1801, après une histoire plus de deux fois millénaire, la Géorgie fut annexée à la Russie et devint une province périphérique d’une monarchie bureaucratique. Les œuvres littéraires reflètent alors toutes les péripéties de cette sombre époque.
Le romantisme nationaliste
L’idéalisation du passé, l’évocation des beautés d’une patrie ardemment aimée alimentent la tendance romantique de la littérature géorgienne des premières décennies du XIXe siècle, dominée par les écrivains A. Tchavtchavadzé, G. Orbéliani et N. Barathachvili. Nikolos Barathachvili (1817-1845) est un maître incomparable de la poésie romantique géorgienne à laquelle il donne une résonance universelle comme chantre des aspirations communes à tous les hommes. Grâce à la puissance de son verbe poétique qui se distingue par la profondeur philosophique de la pensée, le poète disperse les ténèbres de son époque; il s’efforce d’éclairer par des idées avancées la vie confinée d’alors et de dévoiler les vastes horizons où «le cœur ne connaît pas les tourments et où l’esprit ignore l’angoisse». Barathachvili lance un défi au sort, il veut dominer une époque de tristesse et de malheurs pour sa patrie. Son poème Merani (Le Pégase ), chef-d’œuvre de la poésie romantique, est une apologie passionnée de la recherche de voies nouvelles pour un avenir meilleur de l’humanité. Le héros de Barathachvili veut briser les fers de la destinée, il va de l’avant sans se soucier des menaces, traverse les abîmes pour tracer par son exploit le chemin du bonheur pour les générations futures.
Deux noms surtout illustrent les dernières décennies du XIXe siècle et le début du XXe: Ilia Tchavtchavadzé (1837-1907) et Akaki Tséréthéli (1840-1915) qui ont profondément marqué la vie culturelle et politique de la nation. Ils apparaissent sur la scène littéraire au moment de l’intense politique de russification menée par les tsars. Porte-parole de toutes les espérances nationales et animateurs du mouvement de libération, ils ne restent indifférents à aucun problème relatif à la vie de leur pays. Critiquant sévèrement la politique russe, ils ressuscitent dans la mémoire de leurs concitoyens les plus belles pages de l’histoire de la patrie et célèbrent ce qui peut exalter le peuple dans sa lutte pour la libération. Les poèmes Vision , Le Lac de Basaleti de Tchavtchavadzé, Le Poignard , Tornike Eristavi et Natéla de Tséréthéli sont écrits dans cet esprit. Ils sont devenus des chants patriotiques dont la popularité franchit même les frontières de leur pays. Leurs auteurs sont les créateurs de la nouvelle littérature géorgienne, ainsi que de la langue moderne. La nation les désigne par leur prénom: Ilia, Akaki, en signe de grande affection.
Vaja-Pchavéla (1861-1915), leur contemporain, non moins important, relève d’un genre tout différent d’inspiration poétique. Aucun poète de survivance païenne n’a réussi comme lui à se faire l’écho des mythes traditionnels de son pays et à les revêtir d’une forme vivante. Il semble créer comme un génie impersonnel et l’on croirait parfois que la fantaisie collective des siècles successifs a collaboré à son œuvre. Il lègue des poèmes, de la prose, des esquisses historiques, ethnographiques, où se reflète avec éclat son extraordinaire talent. Tout ce qu’il a écrit est animé d’un patriotisme sublime. Vaja-Pchavéla est un peintre incomparable du Caucase. Il est le confident de ses secrets. Les paysages qu’il a créés sont aussi immortels que la nature elle-même. Ses grands poèmes sont Le Mangeur de serpents , Gogotour et Apchina , Baktrioni .
Romanciers et poètes
Les prosateurs géorgiens du début du XXe siècle maintinrent et enrichirent les traditions de la littérature géorgienne classique. Une des premières places parmi ces écrivains revient à Niko Lordkipanidzé (1880-1944), maître du réalisme critique géorgien, dont l’œuvre ouvrit de vastes perspectives à la prose des temps nouveaux.
Mikheïl Djavakichvili (1880-1937) est l’un des fondateurs du roman géorgien d’après la révolution d’Octobre. Il peignit principalement des personnages frappés par le malheur, mis au ban de la société et condamnés. On chercherait en vain dans ses œuvres des artisans de la vie nouvelle, des héros contemporains. Dans la plupart des cas, ils ne sont que sous-entendus. Les plus importants de ses ouvrages sont Le Kizani de Djako et Arsène de Marabda . L’accumulation des événements historiques, le grand nombre de personnages et la complexité du sujet n’ont pas empêché l’écrivain d’ordonner le tout en une harmonieuse composition. Il est mort tragiquement en 1937.
Constantiné Gamsakhourdia (1891-1977) est célèbre, non seulement en Géorgie, mais également au-delà de ses frontières. Il soutint la conception de l’art pour l’art, faisant siens les principes esthétiques de l’impressionnisme allemand. Son premier écrit important consacré à la réalité soviétique est un roman en trois volumes, L’Enlèvement de la Lune , qui décrit la lutte des classes dans un village au moment de la collectivisation de l’agriculture. La critique soviétique reprocha à l’écrivain d’avoir, dans ce roman, représenté le monde révolu avec une certaine sympathie et quelque nostalgie. Gamsakhourdia se consacra ensuite aux romans historiques. Sa Dextre du Grand Maître (traduit en français, en anglais et en allemand) et la tétralogie David le Constructeur sont des œuvres capitales du roman historique géorgien soviétique.
Trois noms dominent la poésie géorgienne contemporaine. Le premier est celui de Galaktion Tabidzé (1892-1959), poète des grands bouleversements sociaux qui se produisirent dans le pays au tournant du XXe siècle, alors que tout le peuple se lançait hardiment dans la lutte pour la liberté nationale et sociale. Le poète dit lui-même qu’il a été engendré par la sublime aurore du soulèvement révolutionnaire. Dans ses poèmes se reflète la vie nouvelle de la Géorgie: sa poésie est tout entière un hymne enflammé à la patrie qui l’a conçu et mis au monde. La musique de ses vers, leur lyrisme envoûtant confèrent aux œuvres de Tabidzé une force saisissante.
Ghiorghi Léonidzé (1899-1966) appartenait à l’école des symbolistes géorgiens Olifants bleus , groupant de nombreux poètes de talent. Leur chef spirituel était le philosophe et écrivain Grigol Robakidzé, mort en exil. Ce cercle a joué un rôle important dans le développement de la poésie géorgienne. Mais son activité, de plus en plus restreinte après la soviétisation du pays, devait prendre fin. La poésie de Léonidzé est une véritable encyclopédie des pensées, des aspirations et des joies de son peuple. Toutes les forces de la vie alimentent son œuvre. Il n’y a pour lui ni bon ni mauvais thème. Tout chante sous sa plume.
Irakli Abachidzé (né en 1909) se désigne lui-même dans l’une de ses œuvres comme «poète de la vie nouvelle et des fleurs». Il défend le droit du poète à la diversité et à la richesse des sentiments, des intérêts, des émotions. Poète d’inspiration libre et de ton absolument naturel, il est le plus fidèle continuateur de la tradition poétique classique géorgienne. Au nombre de ses poèmes les plus remarquables figurent Sur les traces de Rustavéli et Palestine , Palestine , écrits après son voyage à Jérusalem en 1962, lors d’une mission scientifique au monastère géorgien de la Croix qui permit de découvrir le portrait de Roustavéli et une série de documents relatifs aux dernières années du poète. Bouleversé d’émotion, saisi d’inspiration poétique, Abachidzé écrivit Palestine , Palestine , avec la passion, l’audace et la précision d’un maître profondément pénétré d’un thème privilégié. Il a su recréer l’image du célèbre humaniste solitaire et a réussi de façon merveilleuse à transposer cette confession poétique du XIIe siècle dans notre époque moderne.
La littérature géorgienne compte toute une pléiade de romanciers et de poètes de talent tels Nodar Dumbadze (1928-1984) ou Otar Tsiladze (né en 1933), qui, s’appuyant sur les solides traditions nationales, s’efforcent de préserver dans leurs œuvres la présence de l’esprit de la littérature géorgienne de tous les temps.
4. Les arts de la Géorgie
Préhistoire
La Géorgie est l’un des berceaux de l’humanité: en effet, des outils de silex correspondant aux principales étapes de l’évolution de l’homme primitif (abbevillien, acheuléen, moustérien, etc.) ont été retrouvés en de multiples sites, notamment aux abords de la mer Noire. Beaucoup de ces instruments, qui se perfectionnèrent régulièrement jusqu’au Paléolithique supérieur, témoignent d’un niveau artistique élevé. À partir de 5 000 avant J.-C. environ, il existait en Géorgie une culture néolithique de qualité, attestée par des haches de pierre, des couteaux, des outils d’une belle facture, ainsi que par un artisanat du tissage et une poterie décorée de lignes ondulées ou de zigzags.
C’est en Géorgie qu’apparut l’un des premiers foyers métallurgiques. La culture kouro-araxe (IIIe millénaire av. J.-C.) se caractérise par un bronze constitué d’un mélange habilement dosé de cuivre et d’alliages divers. Cette culture florissante, tant en Géorgie qu’en Arménie, créa une poterie originale, peinte en noir ou en rouge, au poli d’un beau lustre métallique. L’un des décors préférés est une série de spirales en relief.
Parmi plusieurs cultures très évoluées de l’âge du bronze, on distingue en particulier celle de Trialeti, en Géorgie méridionale, bien connue depuis les fouilles de Boris Kuftin. Les peuples de Trialeti étaient de prospères tribus pastorales; ils inhumaient leurs chefs sur de grands chariots à quatre roues que l’on a retrouvés. Des objets précieux en poterie peinte, des récipients d’or et d’argent, des fers de lance et des bijoux personnels étaient enterrés en même temps que les cadavres.
L’architecture
Les origines de l’architecture géorgienne remontent à la plus lointaine antiquité. La Géorgie abonde en anciennes structures mégalithiques. Outre les dolmens à signification funéraire, on a recensé de grands monolithes dressés, ainsi que des murailles «cyclopéennes» faites d’énormes blocs de pierre grossièrement assemblés sans mortier. Au cours de l’âge du bronze, d’imposants remparts de mégalithes furent édifiés; ils abritaient les gens et leurs troupeaux pendant les périodes de troubles.
Des formes architecturales plus raffinées firent leur apparition en Géorgie à partir du VIIIe siècle avant J.-C. avec le début de l’âge du fer. Apollonios de Rhodes décrit dans ses Argonautiques le palais et les jardins du roi Aiétès, père de Médée, situés à proximité de la moderne Kutaïssi en Géorgie occidentale, «entourés de murs et de vastes grilles et de colonnes alignées soutenant les murs; et l’édifice était couronné d’une voûte de pierre reposant sur des triglyphes de bronze [...] Et aux alentours s’étendaient des vignobles en plein épanouissement, aux pampres élevés couverts de jeunes et vertes feuilles.» Dans ses Dix Livres d’architecture (De Architectura , 27 av. J.-C.), Vitruve donne une description intéressante des maisons de bois caractéristiques de l’ancienne Colchide construites selon la technique dite de la «voûte en lanterne». En Géorgie, on les appelle darbazi . L’élément central est constitué par un dôme pyramidal en encorbellement; ces maisons sont en partie souterraines, ce qui les protège de la neige en hiver. Les Romains qui vinrent en Géorgie après l’invasion de Pompée (66-65 av. J.-C.) introduisirent un grand nombre de formes caractéristiques de l’architecture romaine. Les ruines de l’ancienne capitale royale d’Ibérie (Géorgie orientale), à Mtskhéta-Armazi, près de Tbilissi, sont à cet égard très intéressantes. Les vestiges d’importants thermes romains, des mausolées et une acropole témoignent de l’influence de Rome, au moins sur la Cour et l’aristocratie.
L’architecture géorgienne est célèbre par ses églises. Les Géorgiens furent convertis au christianisme par sainte Nino vers 330, une génération après que saint Grégoire l’Illuminateur eut converti l’Arménie. Malgré de nombreux caractères distinctifs, les architectures géorgienne et arménienne évoluèrent de façon similaire. Les premières églises étaient de simples édifices en bois; c’est au Ve siècle qu’elles furent généralement remplacées par des basiliques de pierre, sans doute sous l’influence syrienne.
Cette architecture atteignit un premier épanouissement avec des chefs-d’œuvre tels que la basilique triple de Bolnisi (478-493). Puis les Géorgiens et les Arméniens, en reliant coupole et base cruciforme grâce à une ingénieuse utilisation de la trompe et du pendentif, créèrent des œuvres originales, telles l’église du monastère de Djvari, située sur une colline dominant Mtskhéta, et celle de Rhipsimé, à Echmiadzine, l’une et l’autre datant de 600 environ. On construisit aussi des églises rondes dont le plus beau spécimen est celle de Bana, dans la province de Tao, dans le sud-ouest du pays.
L’architecture religieuse géorgienne parvint à sa pleine maturité au Xe siècle, après trois siècles de domination et d’oppression arabe, les musulmans interdisant que des églises fussent bâties en grand nombre. Les plus belles cathédrales de cette époque sont édifiées dans les provinces du Sud-Ouest, Tao, Klardjétie, Chavchétie et Oshki, sur le Tortum (qui fait maintenant partie de la Turquie). Edifiée entre 958 et 966 par le Duc des ducs Bagrat et le magistros David, la cathédrale d’Oshki, qui allie harmonieusement le plan basilical et le plan central, possède un chœur, une nef, des transepts et, au centre de la croix, une coupole à tambour surmontée d’un toit conique. Longue de trente-huit mètres, large de trente-six et haute de quarante, la cathédrale d’Oshki, avec ses pierres richement sculptées et ses immenses colonnes, est à considérer comme un antécédent des cathédrales romanes et gothiques de l’Europe occidentale.
Parmi les merveilles de l’architecture religieuse de la Géorgie, on citera encore la cathédrale de Bagrat, à Kutaïssi (1003), détruite par les Turcs en 1691; la cathédrale du Pilier de Vie de Mtskhéta, construite par le Maître Constantin Arsoukidzé entre 1010 et 1029, la cathédrale d’Allaverdi, à Kakhéti, et l’ensemble monastique de Ghélati, proche de Kutaïssi, achevé sous le règne du célèbre héros géorgien, le roi David le Constructeur (1089-1125). Toutes ces cathédrales étaient somptueusement décorées de sculptures en pierre et en bois, en particulier des vignes entrelacées et des animaux fantastiques.
Les Géorgiens excellaient aussi dans l’art de construire châteaux et forteresses rendus nécessaires par l’état d’anarchie propre aux temps féodaux. Il existe plusieurs villes creusées à même le rocher, par exemple Uplis-tsikhé, près de Gori, qui remonte à l’époque gréco-romaine. La plus célèbre est la fameuse cité de roc de Vardzia qui totalise quelque cinq cents salles et logements, y compris des chapelles, des salles de banquet, des celliers, des étables, tous communiquant entre eux grâce à un labyrinthe d’escaliers et de couloirs. Vardzia est associée à l’âge d’or de la reine Tamar (1184-1213), dont le poète Chota Roustavéli a chanté le règne.
Les arts du métal
À l’Âge du bronze moyen (env. 1500 av. J.-C.), de nombreuse techniques avaient été mises au point dans le domaine de la métallurgie en Géorgie: coulage, forgeage, repoussage, découpage, estampage, polissage et brunissage. On connaissait aussi les bijoux niellés. Certains objets d’or et certains filigranes trouvés dans les sépultures trialeti rappellent les modèles sumériens, encore que leur facture ait déjà des caractères locaux et individualisés. Les ceintures de bronze de la même période sont finement gravées de scènes de chasse ou de scènes rituelles.
La culture kobano-colchidienne (900-600 av. J.-C.) a produit un unique type de hache, au décor délicatement ciselé où le svastika apparaît souvent. Cette culture a exercé une grande influence sur le style animalier scythe, particulièrement dans les boucles rectangulaires des ceintures de bronze décorées au centre d’un animal stylisé, peut-être un loup totem.
Le trésor d’Akhalgori, datant du Ve siècle avant notre ère, recèle d’admirables spécimens d’orfèvrerie et des bijoux d’or où se confondent l’influence achéménide et l’inspiration géorgienne locale. Cette tradition se poursuit à l’âge classique, notamment en ce qui concerne les colliers d’or, les intailles et autres objets de luxe, commandés par la cour royale de Mtskhéta-Armazi et la noblesse. La période sassanide est représentée par des plats d’argent décorés d’un même motif: un cheval devant un autel du feu mazdéen.
Le christianisme stimule l’art du métal sous toutes ses formes. Les joyaux géorgiens, icônes, évangéliaires, plaques, croix processionnelles et pectorales en or ou en argent, ciselés ou repoussés, sont d’une qualité technique et artistique qui n’a jamais été surpassée. Les deux maîtres artisans les plus célèbres sont Beka et Beshken Opizari, qui furent actifs à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle. L’un des chefs-d’œuvre de Beka est l’icône d’Anchi, conservée avec d’autres icônes géorgiennes au musée d’Art d’État de Tbilissi. Le fleuron de cette collection est un triptyque d’or, connu sous le nom d’icône de Khakhuli, décoré de précieux filigranes et grènetis. Les montures étaient serties de cabochons et d’émaux cloisonnés, technique dans laquelle les Géorgiens étaient particulièrement adroits. Au centre de l’icône de Khakhuli est enchâssée une Vierge d’émail du Xe siècle qui, bien que fort endommagée et mutilée, est comparable par sa beauté et son expressivité à la Vierge de Vladimir. Il est intéressant de noter que le style et les techniques des peintres d’icônes médiévales revivent aujourd’hui en Géorgie sous l’impulsion de maîtres comme Irakli Ochiauri.
Miniature et fresque
Au Moyen Âge, la peinture géorgienne s’exerce à deux genres, la miniature et la fresque.
Les manuscrits révèlent un art de la calligraphie très élaboré. À partir de la période des Évangiles d’Adish (897), ils sont régulièrement rehaussés de miniatures polychromes, par exemple les tables canoniques enluminées et les portraits des apôtres des manuscrits évangéliques.
Contrairement aux autres peuples chrétiens d’Orient, les Géorgiens avaient également coutume d’illustrer les récits et les poèmes profanes. Les cycles extraits des versions géorgiennes du Livre des Rois de Firdousi comptent parmi les plus populaires de ces œuvres. Plus tard, à partir du XVIIe siècle, les manuscrits de L’Homme à la peau de léopard , le chef-d’œuvre de Chota Roustavéli, s’agrémentèrent de miniatures en couleurs, souvent dans le goût persan des Safavis.
On trouve des fresques ou des peintures murales dans la plupart des églises géorgiennes. Elles s’inspirent parfois de modèles byzantins, mais sont moins stylisées et moins sévères. Nombre de saints nationaux figurent sur les murs des lieux de culte en compagnie de portraits des donateurs et de leurs familles. Beaucoup de ces fresques ont été recouvertes de badigeon pendant l’occupation de la Géorgie par les Russes, d’autres sont en mauvais état en raison du vandalisme de la population et des touristes.
En ce qui concerne la période moderne, on retiendra l’œuvre du peintre naïf autodidacte Niko Pirosmani (1862-1918). Génie comparable au Douanier Rousseau, Pirosmani gagnait sa vie en peignant des fresques et des enseignes pour les auberges et les tavernes. Ses œuvres, qui ont été exposées en France, offrent une image inégalable de la vie de la Géorgie traditionnelle; elles se caractérisent par leurs coloris éclatants et le traitement naturaliste des scènes rustiques, des fêtes populaires et des représentations d’animaux. Pirosmani mourut dans la misère à l’heure où arrivait la gloire.
Géorgie ou Georgie
(en angl. Georgia) état du S.-E. des È.-U., sur l'Atlantique; 152 488 km²; 6 478 000 hab.; cap. Atlanta.
— Une vaste plaine, au climat chaud et humide, dominée au N. par les Appalaches, fut le fief de la cult. du coton et de l'industr. text.
— L'état, colonie brit. en 1732, ratifia la Constitution fédérale en 1788, devenant le quatrième état de l'Union. Il fit sécession en 1861.
Encyclopédie Universelle. 2012.