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AQUACULTURE
AQUACULTURE

Le terme aquaculture recouvre toutes les activités qui ont pour objet la production, la transformation, le conditionnement et la commercialisation d’espèces aquatiques, qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux d’eaux douce, saumâtre ou salée. De façon à peine restrictive, le but fondamental des activités aquacoles est, au sens commun, la production de matière vivante à partir de l’élément aquatique: l’aquaculture consiste effectivement en la manipulation des milieux aquatiques naturels ou artificiels en vue de produire des espèces utiles à l’homme.

1. Aquaculture animale

L’idée de cultiver les eaux continentales et les mers n’est pas nouvelle. Les Chinois, les Grecs, les Romains ont pratiqué dans l’Antiquité des formes primitives de stockage et d’élevage. C’est de façon empirique, à partir de l’observation des animaux aquatiques et de techniques de pêche archaïques, que les premières formes effectives d’élevage se sont vraisemblablement établies. Ainsi, les juvéniles de nombreuses espèces marines (poissons, crustacés) pénètrent dans les lagunes qui communiquent avec la mer ; leur capture, après grossissement, lors de leur retour en mer est facile à l’aide de grilles ou de claies barrant les passes. Cette technique, à mi-chemin entre la pêche et l’élevage, a peu à peu évolué vers un véritable engraissement; elle est largement pratiquée en Asie (étangs côtiers aménagés, dits tambaks ), mais aussi en Europe (valli de la plaine du Pô, réservoirs à poissons de la région d’Arcachon, etc.). La culture des mollusques a la même origine: l’observation de la fixation et de la croissance des moules sur des pieux fichés dans le sol a donné naissance au grossissement sur bouchot.

La maîtrise complète de tout le cycle d’élevage a pourtant été acquise très tôt pour deux poissons d’eau douce, depuis le Moyen Âge pour la carpe, depuis un siècle pour la truite, et les transformations subies par ces deux espèces sont telles que l’on peut parler de domestication.

Évolution actuelle

Cette pisciculture et cette conchyliculture traditionnelles, limitées à des sites restreints et saturés, sont des aspects bien connus de l’aquaculture; mais, depuis la fin des années soixante, un peu partout dans le monde, un immense effort est venu soutenir un immense espoir: celui de cultiver la mer. Ce n’est pas un hasard: les limites de la pêche océanique, cette cueillette presque sauvage, se sont alors imposées à l’homme; les biologistes déclaraient que le plafond d’une exploitation raisonnable des océans était atteint; mais, s’il est vrai que la production mondiale des pêches oscille depuis 1970 autour de 70 millions de tonnes par an, l’augmentation du prix de revient des captures liée à la crise énergétique fut un autre facteur limitant. Ainsi, l’océan mondial couvre 71 p. 100 de la surface de notre planète mais ne fournit qu’un peu plus de 10 p. 100 des protéines de l’alimentation humaine, et cette valeur n’est guère affectée par les apports de l’aquaculture, estimés à 6 millions de tonnes par an.

D’autre part, des connaissances plus précises ont mis en évidence les avantages que l’on peut attendre des animaux aquatiques par rapport aux productions animales terrestres:

– sur le plan mécanique, ces animaux vivent dans un milieu de densité voisine de la leur, ce qui autorise la réduction des structures de soutien et parfois la disparition de l’appareil locomoteur (mollusques fixés);

– l’absence de régulation thermique (animaux poïkilothermes) réduit considérablement les dépenses métaboliques et accroît en contrepartie l’efficacité de la conversion des aliments ingérés en gain pondéral (le gain pondéral de poissons nourris d’aliments secs est 2,5 fois celui des bovins et ovins et 1,5 fois celui des animaux de basse-cour);

– la majorité des animaux marins a un potentiel reproducteur extrêmement élevé; une moule ou une huître pondent plusieurs millions d’œufs par an, une crevette ou un poisson plusieurs centaines de milliers;

– l’élevage étant réalisé dans un volume (l’agriculture et l’élevage terrestre utilisent une surface), les productions annuelles peuvent atteindre des chiffres colossaux; dans la ria de Vigo, elles dépassent 250 tonnes de poids frais de moules par hectare, alors qu’un hectare de luzerne (2 t) ne «produit» qu’un veau de 250 kilogrammes par an.

La conséquence économique de l’ensemble de ces considérations a été étudiée à Taïwan par C. Shang (1973), qui a établi les rendements (en kilogrammes d’animaux produits par travailleur et par an) de divers types d’élevage: 12 000 pour l’élevage porcin, plus de 10 000 pour la pisciculture d’eau douce, 5 000 pour la pisciculture d’eau saumâtre et plus de 45 000 pour les zones côtières marines.

Les étapes d’un élevage aquacole

Les modalités d’un élevage aquacole demeurent identiques dans leur principe quels que soient le site ou l’espèce.

Le problème des juvéniles

Le premier problème est évidemment l’obtention des juvéniles destinés à être élevés, qu’il s’agisse de naissain de mollusques, d’alevins de poissons ou de postlarves de crustacés.

Chez les animaux marins, les œufs de très petite taille (de l’ordre de 1 mm pour les poissons, 1/10 de mm pour les mollusques) donnent naissance à des animalcules fragiles et très différents de l’adulte: les larves. Cette petite taille, l’absence de réserves importantes, les exigences alimentaires expliquent que la maîtrise de leur élevage soit récente et incomplète. Aussi peut-on opposer la pisciculture des poissons d’eau douce, dans laquelle la production des alevins est acquise, à bon nombre d’autres formes d’élevage opérationnelles qui utilisent les juvéniles issus du milieu naturel.

Cette collecte de juvéniles ne va pas sans problèmes. D’une part, leur disponibilité peut être insuffisante, ou en tout cas incertaine, ce qui compromet la pérennité de l’élevage et en limite l’extension. Lorsque les espèces font l’objet d’une pêche à l’état adulte, cette collecte du «blé en herbe» va à l’encontre de telles activités. D’autre part, les lieux et l’époque de la disponibilité de ces sujets s’harmonisent rarement avec la mise en route d’une production programmée. Cette aquaculture de grossissement est pourtant largement développée, mais les difficultés que connaissent plusieurs élevages pour s’approvisionner en jeunes mettent en évidence la nécessité fondamentale d’en maîtriser l’obtention. Les écloseries et les nourriceries sont donc considérées comme les structures de base de toute aquaculture. Elles doivent assurer la maintenance des reproducteurs, leur maturation et leur ponte, mais aussi la fourniture de la nourriture qui, après éclosion des œufs fécondés, sera nécessaire aux larves pour atteindre le stade juvénile.

Compte tenu de sa petite taille, une descendance nombreuse peut être mise en élevage dans des volumes d’eau réduits mais contrôlés. Les conditions optimales de milieu, l’absence de prédateurs et la fourniture d’une nourriture adéquate conduisent à des taux de survie compris entre 20 et 60 p. 100, alors que les estimations effectuées en milieu naturel montrent, par exemple, une survie inférieure à 5 p. 100 pour les œufs et les larves de poissons marins (R. C. A. Bannister et al., 1974; J. D. Rilley, 1974). La nourriture au stade larvaire pose de nombreux problèmes, car les animalcules exigent la fourniture de proies vivantes en grand nombre (de quelques centaines à quelques millions par jour et par individu). La taille de ces proies doit évidemment évoluer avec celle de la bouche du prédateur: l’élevage et la collecte sont deux approches sans doute complémentaires pour assurer cette fourniture.

La concentration en animaux, l’apport de nourriture exogène, le contrôle du milieu sont les éléments caractéristiques d’un élevage intensif, bien adapté à la production en grand nombre d’individus de petite taille: malgré les problèmes qualitatifs posés par la nutrition, elle n’exige jamais des quantités importantes d’aliments.

Au sortir de la nourricerie, les juvéniles sont placés en grossissement; les problèmes alimentaires changent de dimensions. Le grossissement, ou engraissement, doit permettre d’obtenir des animaux commercialisables dont le poids varie de quelques dizaines de grammes (crevettes, coquillages) à plusieurs centaines (poissons). D’importantes quantités de nourriture deviennent alors nécessaires pour obtenir cette croissance, et l’on conçoit que l’interdépendance des paramètres biologiques, économiques et commerciaux puisse privilégier des types d’engraissement très différents.

Le grossissement fondé sur la production des milieux aquatiques

Les juvéniles issus de la nourricerie peuvent être relâchés dans un milieu naturel. Après engraissement, leur recapture sera assurée par les pêcheurs. Cette technique est utilisée dans les rivières pour la pêche de loisir, mais le cas le plus spectaculaire est celui du repeuplement en saumon pratiqué par les Japonais, les Canadiens et les Américains. Les individus (1,5 milliard au total par an) lâchés en eau douce migrent en mer, où ils s’engraissent, puis retournent vers le fleuve d’origine pour s’y reproduire. Avec un taux de recapture qui varie entre 1 et 5 p. 100, l’opération est largement rentable; d’après R. Billard (1979), le gain est égal à cinquante fois la dépense au Japon. D’autres espèces plus sédentaires font également l’objet de repeuplement, tels l’esturgeon ou le corégone en Europe, la dorade, l’ormeau, la crevette au Japon, et, à un degré moindre, le homard et le loup en France.

On a donné le nom d’aquaculture de production à ce type d’élevage qui consiste à transformer la productivité des eaux en produit consommable par l’homme; on peut également parler d’aquaculture extensive puisque la nourriture des animaux repose entièrement sur les ressources présentes dans le milieu aquatique. Les Japonais envisagent ainsi de repeupler l’océan mondial en thon, de façon à transformer en produit consommable la production planctonique et pélagique, non directement exploitable par l’homme (M. Inoué, 1973).

Un autre type d’aquaculture de production, mettant en œuvre un système d’exploitation extensif, est constitué par la pisciculture des carpes en étang telle qu’elle est pratiquée en Europe de l’Est et en Chine. La production végétale issue de la photosynthèse se présente sous deux formes: des algues unicellulaires planctoniques de quelques micromètres, et des algues benthiques consommables par les herbivores. Le phytoplancton sera brouté par un zooplancton herbivore que consomment les poissons. On conçoit les difficultés que présente l’optimisation de la production au travers de ces divers niveaux trophiques, d’autant plus que la croissance des poissons accroît la biomasse des prédateurs. Les Chinois placent conjointement une carpe planctonophage et une carpe herbivore pour exploiter au mieux la production végétale du milieu, mais ce type de polyculture exige de disposer d’espèces adaptées aux conditions climatiques locales.

La production de poissons en zone lagunaire intéresse des espèces qui supportent bien des variations de température et de salinité importantes. En Asie, c’est le milkfish (Chanos chanos ), espèce phytophage se reproduisant en mer, qui est le plus largement élevé dans les tambaks communiquant avec la mer, profonds de 0,8 à 1,5 mètre et d’une superficie allant jusqu’à quelques dizaines d’hectares. 160 000 hectares sont consacrés à cet élevage aux Philippines, 120 000 en Indonésie, 30 000 à Taïwan. Ce type de production fondé sur les ressources naturelles du milieu pose les mêmes problèmes d’optimisation que ceux qui ont été évoqués précédemment. Il y a souvent apport de fertilisants minéraux et organiques, et d’aliments (résidus divers). La production atteint 50 000 tonnes en Indonésie, 90 000 aux Philippines, 30 000 à Taïwan. L’élevage est court (de 3 à 9 mois en général) mais, compte tenu des températures qui atteignent 30 0C, la croissance est rapide (de 0,9 à 1 kg en 1 an). Toutefois, la disponibilité en alevins issus du milieu naturel est limitante et la maîtrise de la reproduction n’est pas encore acquise. Le problème est le même pour les mulets (genre Mugil ) dans l’Indo-Pacifique, mais aussi sur le pourtour méditerranéen; les alevins de mulet, de dorade, de loup sont traqués le long des plages méditerranéennes par des pêcheurs spécialisés qui n’arrivent à fournir qu’une petite partie des 40 millions d’alevins pouvant être mis en grossissement chaque année dans ces étangs privés pourvus de pêcheries que sont les 15 000 hectares de valli italiens.

Le grossissement des crevettes pénéides de la région indo-pacifique ne porte que sur quelque dix mille tonnes, mais il ressemble beaucoup à celui du milkfish ; le comportement des larves nées en mer est identique et elles pénètrent dans les mêmes plans d’eau. Tout comme pour les alevins de poissons, des professionnels spécialisés capturent les postlarves qui seront mises à grossir en tambak. Le rendement varie entre 300 et 1 500 kilogrammes par hectare. Au Japon, la ponte de géniteurs matures pris dans le milieu naturel a été obtenue dans les années soixante; actuellement, la mer intérieure de Seto est repeuplée par des déversements annuels de 100 millions de larves de crevettes. Malheureusement, l’antagonisme entre ces repeuplements et une pollution croissante ne permet pas d’estimer avec rigueur la validité de ces lâchers en masse.

L’une des meilleures valorisations de la production primaire de l’océan est assurée par les mollusques. Ainsi, une moule peut filtrer une centaine de litres d’eau par jour pour en extraire le plancton végétal et les matières en suspension. À chaque maillon de la chaîne alimentaire, les neuf dixièmes de l’énergie sont perdus; la chaîne phytoplancton-mollusques est courte et donc d’un bon rendement, mais de 50 à 75 p. 100 du poids de l’animal sont représentés par la coquille.

Jusqu’à présent, cette conchyliculture est presque exclusivement fondée sur la mise en grossissement de juvéniles (le naissain) collectés dans le milieu naturel. Cette collecte est rendue possible par le comportement des larves de mollusques: après quelques semaines de vie libre planctonique, elles se fixent sur des supports libres; ceux-ci sont rares dans la nature mais, en contrepartie, les larves sont abondantes, d’où le succès des collecteurs placés au bon moment dans les endroits propices. Ces substrats peuvent être variés (tuiles, coquilles, fagots, morceaux de filets, etc.). Le plastique, à la fois résistant et souple, prend la relève des matériaux traditionnels. Dans les eaux abritées, la fixation peut se faire sur des fonds meubles sableux ou graveleux, et la collecte du naissain est alors possible à la drague: il sert à ensemencer d’autres fonds sur lesquels la collecte après 2 à 3 ans de croissance sera réalisée de façon identique: c’est le cas sur les côtes néerlandaises pour la culture de la moule, aux États-Unis pour l’huître, au Japon pour les palourdes.

La récolte du naissain fixé sur les collecteurs se fait après une période de pousse de quelques mois; il est alors généralement décollé («détroqué») pour être placé en grossissement. Pour l’huître, par exemple, la culture peut se faire à plat sur le fond, en terrain découvrant, dans la zone de balancement des marées (côtes françaises de l’Atlantique, Japon) et est l’objet d’un entretien suivi pour éliminer les prédateurs, l’envasement, la croissance des herbiers. En eaux plus profondes, le travail ne peut être conduit que plus grossièrement, à l’aide de dragues, mais des zones très vastes deviennent cultivables. Il existe bien d’autres techniques, telle la culture sur des tables surélevées de 20 à 50 centimètres en zone découvrante, ou la culture suspendue à partir de pilotis, de pontons, ou de bouées en eau plus profonde. Ce procédé, qui exploite un volume et non plus une surface, donne des rendements deux à trois fois supérieurs à la culture sur le fond. Dans le cas de la moule, ce type de culture développé récemment en Espagne a permis à ce pays de devenir le premier producteur mondial.

L’engraissement intensif avec apport de nourriture

Par opposition à ces divers types d’aquaculture qui visent à orienter la production des milieux aquatiques vers la fourniture de produits consommables, c’est-à-dire à augmenter la quantité de nourriture disponible dans la biosphère, il en est une autre qui sert à transformer des produits (et des sous-produits) de basse valeur marchande en denrée plus appréciée; elle porte de ce fait le nom d’aquaculture de transformation; on conçoit qu’il s’agisse d’élevages très inféodés à des contextes économiques particuliers, puisque le qualitatif l’emporte ici sur le quantitatif: cette aquaculture est le fait de pays industrialisés.

Les poissons constituent l’essentiel de ces élevages intensifs dans lequel toute l’alimentation est d’origine exogène (elle représente plus de 60 p. 100 des frais d’élevage).

En eau douce, ce type de pisciculture concerne essentiellement les Salmonidés. Il se pratique en bassins traversés par un fort courant d’eau du fait de la densité en animaux (de 10 à 100 kg/m3). Le développement assez récent d’une nourriture en granulés de composition adéquate a permis une large extension de tels élevages dans les pays tempérés en ce qui concerne la truite arc-en-ciel (production comprise entre 20 000 et 30 000 tonnes par an, en France). Les quantités et la qualité de l’eau disponible constituent avec la température (qui doit rester inférieure à 18 0C) les principaux facteurs limitants.

L’élevage intensif de l’anguille, moins répandu, diffère sensiblement de celui des Salmonidés puisque la reproduction n’est pas maîtrisée: les juvéniles nés en mer sont capturés lorsqu’ils pénètrent à l’embouchure des fleuves. Les Japonais en importent du monde entier pour produire annuellement environ 25 000 tonnes d’anguilles commercialisables.

La possibilité relativement récente d’élever la truite en eau de mer après augmentation progressive de la salinité autorise l’élevage en cage, en zone côtière abritée; cette technique est en pleine expansion. La situation est identique pour le saumon des côtes du Pacifique (Canada, États-Unis, Japon) qui a été introduit en Europe où, malheureusement, il ne se reproduit pas. La Grande-Bretagne et la Norvège produisent quelques milliers de tonnes par an de saumon atlantique d’élevage plus délicat.

Peu d’espèces marines font l’objet d’un élevage intensif car la disponibilité en juvéniles n’est pas complètement maîtrisée; le seul poisson engraissé à grande échelle est celui dont les jeunes, du fait d’un comportement particulier, peuvent être capturés facilement et en grande quantité: il s’agit de la sériole japonaise; les alevins se rassemblent sous les algues flottantes où les pêcheurs les encerclent et les capturent (le prélèvement autorisé est de l’ordre de 30 millions par an) pour les placer en grossissement, en cage, dans les zones abritées. Six mois plus tard, leur poids moyen sera de l’ordre du kilogramme, mais chacune aura consommé entre-temps 8 kilogrammes de poisson de faible valeur commerciale. Malgré cet inconvénient, la production annuelle atteint 100 000 tonnes et représente en poids plus des neuf dixièmes des poissons marins élevés au Japon.

Les travaux accomplis dans le domaine de la reproduction de la dorade au Japon, du loup et de la crevette en France, des poissons plats en Grande-Bretagne, permettent de contrôler à l’échelle pilote et parfois industrielle la production en masse de juvéniles. Si la production de dorade japonaise a atteint le stade industriel, plusieurs centaines de tonnes de loup (ou bar) ont aussi été produites en élevage intensif.

Ce type d’élevage se conçoit pour les espèces chères, dans les pays riches, mais il a ses limites: les exigences des poissons en protéines sont importantes (de 30 à 50 p. 100 de la ration) et elles sont essentiellement apportées par des poissons pêchés de faible valeur marchande, soit directement (cas de la sériole), soit après transformation en farine incorporée à l’aliment en granulés (il faut 4 kg de poisson ainsi transformé pour obtenir 1 kg de poisson élevé). Comme les élevages de poulets, la pisciculture intensive est donc une industrie annexe de la pêche. Si cette dépendance n’est pas levée, par exemple par l’emploi de protéines végétales, on peut craindre que l’aquaculture de transformation, déjà peu satisfaisante sur le plan conceptuel, ne se révèle aberrante économiquement.

Promesses et difficultés

Même avec des rendements faibles, l’aquaculture de production, qui vise à infléchir le fonctionnement des milieux aquatiques vers l’obtention d’espèces utiles à l’homme, a une autre dimension: on admet généralement que le rendement de la pêche maritime sur les zones exploitées est de l’ordre de 2 kilogrammes par hectare et par an tandis que l’aquaculture extensive produit au moins une centaine de kilos sur la même surface.

Sans parler d’élevage off shore , les étendues lagunaires et la zone côtière présentent donc un potentiel de production fabuleux. La faisabilité de l’élevage d’animaux marins est de démonstration trop récente pour être passée au stade de l’application généralisée; elle est pourtant le point de départ d’une évolution irréversible: que ce soit au Japon, en Espagne, en Norvège, la plupart des sites marins abrités sont actuellement exploités ou en voie de l’être. Parallèlement à la maîtrise biologique (obtention de juvéniles, grossissement...), cette exploitation a nécessité le développement de technologies spécifiques (cages, radeaux, capteurs...) qui demeurent cependant confinées aux zones protégées.

Il reste maintenant une étape décisive à franchir: coloniser la mer franche, au-delà de l’abri des baies ou des caps. Pour devenir une réalité, cette aquaculture en mer ouverte exige à la fois des techniques entièrement nouvelles mais aussi une maîtrise des différents niveaux de la production de matière vivante qui n’est pas encore acquise. Malgré cet inconvénient, les menaces dues à la pollution et une rentabilité actuellement problématique, on estime que la production de l’aquaculture pourrait atteindre celle de la pêche de l’an 2000.

2. Aquaculture des algues

Plus de deux cents genres d’algues marines benthiques, correspondant sans doute à plusieurs milliers d’espèces, ont été exploités ou étudiés en vue d’une exploitation. Les différentes utilisations [cf. ALGUES] de ces végétaux peuvent être regroupées autour de sept thèmes principaux:

– l’alimentation humaine, pour laquelle l’aquaculture des Porphyra au Japon constitue un exemple particulièrement démonstratif; l’exploitation des Spirulina au Tchad et au Mexique mérite aussi d’être citée;

– l’alimentation du bétail sous forme de farine d’algues complétant la ration alimentaire normale;

– l’horticulture et l’agriculture; cette utilisation est très ancienne puisque les riverains ont, de tout temps, récolté des algues pour s’en servir comme engrais; on s’oriente actuellement vers la commercialisation d’extraits d’algues qui peuvent être utilisés loin du lieu de récolte, contrairement à la matière première brute, et durant toute l’année, alors que le ramassage des algues est saisonnier;

– les phycocolloïdes (substances gélifiantes fournies par les algues), qui peuvent être réparties en deux groupes correspondant aux alginates, extraits des Algues brunes, et aux substances de type agar-agar, carragheenanes, etc., extraites des Algues rouges; quantitativement, cette exploitation représente la principale utilisation des algues;

– les applications médicales, paramédicales et pharmaceutiques; certaines algues figurent depuis longtemps dans la pharmacopée, mais l’intérêt s’est encore accru à la suite de la découverte de substances antibiotiques comme l’acide acrylique chez Phaeocystis pouchetti ;

– l’utilisation dans le lagunage où la dépollution des eaux usées est liée à l’activité des algues qui consomment les sels nutritifs surabondants tout en réoxygénant le milieu;

– l’utilisation de la biomasse des algues pour produire de l’énergie, par exemple par méthanisation.

Compte tenu de ces nombreuses utilisations et de l’orientation actuelle des études océanologiques vers une meilleure mise en valeur du milieu marin, il n’est pas étonnant que la phycologie connaisse un renouveau d’intérêt.

La culture des «Porphyra» au Japon: un exemple de réussite aquaculturale

L’aquaculture des algues du genre Porphyra au Japon est certainement l’exemple le plus souvent cité pour démontrer la parfaite maîtrise des pratiques culturales chez les végétaux marins.

Les Porphyra (Rhodophycées) sont des Algues rouges foliacées (fig. 1) formées généralement d’une seule assise de cellules et qui se développent dans l’étage médiolittoral ou dans la partie supérieure de l’étage infralittoral. Leur cycle de développement est caractérisé par une alternance remarquable entre une génération macroscopique dont les thalles, bien visibles dans la nature, correspondent au genre Porphyra , et une génération microscopique, filamenteuse, endolithe dans les coquilles, longtemps considérée comme complètement indépendante des Porphyra et rapportée pour cela au genre Conchocelis . C’est seulement en 1949 que K. M. Drew, algologue anglaise, a montré la nécessaire succession de ces deux types d’algues dans le même cycle biologique.

La figure 2 illustre ce cycle qui permet de mieux comprendre comment les progrès des connaissances biologiques ont entraîné une amélioration des pratiques culturales. En effet:

– Les techniques anciennes, signalées dès la période de 1624 à 1651 au Japon, consistaient à enfoncer des branchages dans le sol des baies peu profondes. On sait maintenant que ces hibi captent les spores (fig. 2 m et 2 p) flottant dans l’eau et constituent autant de supports artificiels sur lesquels les conchospores et monospores se fixent et se développent.

– Les surfaces de captage ont été considérablement augmentées par l’utilisation de filets horizontaux (cf. photo) fixés à des pieux de bambou fichés dans le sol. Cette technique permet de régler la hauteur des filets en fonction des périodes et des conditions de culture. On peut ainsi éliminer plus facilement les autres espèces d’algues qui peuvent coloniser les supports, mais qui n’ont pas les mêmes exigences vis-à-vis du temps d’immersion. Elle facilite aussi la lutte contre les champignons marins parasites des Porphyra , ces champignons redoutant l’exondation.

– Après la découverte de la génération complémentaire Conchocelis (fig. 2 h à l), il a été possible d’en réaliser des cultures sous conditions contrôlées, en laboratoire, pour obtenir les conchospores (fig. 2 m). Ainsi, au début du printemps, des coquilles sont disposées dans des bacs contenant de nombreux thalles fertiles de Porphyra . Ces thalles produisent des carpospores (fig. 2 h) qui peuvent alors se développer dans leur substrat naturel en engendrant la génération Conchocelis productrice de conchospores. L’ensemencement des filets de culture peut se faire soit directement en mer, en plaçant les coquilles portant les Conchocelis fertiles dans des sachets de plastique sous les filets de culture, soit en écloseries sous conditions contrôlées. Pour cela, les coquilles sont placées dans des bacs et divers appareils sont utilisés pour augmenter le plus possible le temps de contact entre les filets et l’eau contenant la suspension de conchospores. Si la culture artificielle des Conchocelis supprime les aléas du captage sauvage, elle apporte encore deux améliorations notables en allongeant la période possible de culture de Porphyra en mer et en assurant une meilleure gestion du parc des filets. En effet, l’utilisation de conchospores obtenues artificiellement permet d’ensemencer des filets à une période où la température de la mer, tout en permettant la croissance des Porphyra , interdit absolument d’obtenir des émissions de conchospores dans les conditions naturelles. Par ailleurs, les filets placés en mer fournissent deux, trois ou quatre récoltes successives, mais, quand leur rentabilité s’abaisse, on peut les remplacer par des filets nouvellement ensemencés, ce qui n’était pas toujours possible avec les techniques naturelles de captage des spores.

– La découverte chez Porphyra de l’existence d’une multiplication végétative par monospores (fig. 2 p) a aussi largement conditionné les pratiques culturales puisqu’elle permet un réensemencement autonome des filets. C’est ainsi qu’on superpose souvent, en mer, plusieurs filets vierges au-dessus de filets ensemencés, au moment où les jeunes thalles émettent leurs monospores. Après leur colonisation par les monospores, les filets nouvellement ensemencés sont séparés les uns des autres et installés à leur emplacement définitif de culture.

– La découverte d’une possibilité de conserver les jeunes germinations de Porphyra par surcongélation a fait réaliser un nouveau bond en avant à cette exploitation. Le procédé consiste à congeler entre 漣 20 0C et 漣 24 0C, après dessiccation, les jeunes pousses d’un centimètre environ, fixées sur les filets récemment ensemencés. On obtient ainsi une meilleure planification de l’utilisation des surfaces de culture puisque à tout moment les stades jeunes, déjà formés, peuvent être placés dans des conditions optimales de développement. De plus, il y a une standardisation de la taille des thalles qui ont le même âge. Enfin, le temps de vie dans l’eau de chaque individu est réduit au strict minimum nécessaire pour son développement optimal, ce qui diminue d’autant les risques de contamination par des parasites.

– L’augmentation des surfaces cultivables a été rendue possible grâce à la nouvelle technique des filets flottants. Les filets horizontaux fixés à des pieux de bambou ont été installés sur toutes les surfaces actuellement disponibles dans les eaux côtières, peu profondes. Les filets flottants sont placés en pleine mer et sont amarrés à des bouées ancrées par des fonds allant jusqu’à 20 mètres. Les installations supportent facilement des courants de 3 nœuds et des vagues de 4 mètres.

Cet exemple montre bien comment une maîtrise remarquable des différentes pratiques culturales peut être obtenue, d’une part, grâce à la connaissance des différentes étapes du cycle et à celle de l’écophysiologie de chacune d’elles en fonction du milieu environnant et, d’autre part, au moyen d’améliorations technologiques.

Autres réalisations

D’autres algues donnent lieu à des pratiques culturales qui ont aussi atteint le stade de l’exploitation à grande échelle en vue d’utilisations alimentaires ou industrielles.

Rhodophycées à phycocolloïdes

Parmi les Algues rouges productrices de phycocolloïdes (agar-agar, carragheenanes, etc.), la culture des Eucheuma (fig. 3) mérite une mention particulière en raison de son éclatant succès aux Philippines depuis 1974. Une industrie florissante s’est développée à la suite de remarquables études portant sur l’influence de la lumière, de la dessiccation, des variations de salinité et de température aux différentes saisons. Les filets utilisés mesurent 2,5 m sur 5 m avec des mailles de 25 cm de côté, ce qui représente 127 points de fixation; le schéma d’exploitation (fig. 4) montre le mode de sélection des fragments dont le développement est le plus rapide. Les productions observées varient entre dix et trente tonnes de matière sèche, par hectare, aux Philippines. Comme dans toute exploitation intensive, l’aspect phytosanitaire a dû être envisagé, et plus particulièrement à la suite de la maladie ice-ice survenue en période de mousson.

«Laminaria japonica»

Comme toutes les Laminariales, l’algue Laminaria japonica (fig. 5) présente un cycle de vie digénétique avec succession d’une génération sporophytique très développée pouvant atteindre plusieurs mètres et une génération gamétophytique microscopique produisant des gamètes [cf. PHÉOPHYCÉES]. Cette espèce, native du Japon, est actuellement abondamment cultivée en Chine où son aquaculture représente sûrement une réussite remarquable. Là aussi, des études biologiques et écologiques très minutieuses ont bouleversé les anciennes pratiques et amélioré grandement la productivité des cultures en apportant une meilleure connaissance des réactions de Laminaria japonica par rapport à son environnement. On utilise intensivement les filets et cordages amarrés à des pieux de fixation et, de plus, les études quantitatives sur l’utilisation des sels nutritifs ont permis de généraliser l’emploi des fertilisants (fig. 6). Le développement des gamétophytes a été optimalisé à la suite des recherches sur leurs besoins en lumière, tant en ce qui concerne l’intensité que la photopériode. Des travaux semblables effectués sur les sporophytes ont conduit à une meilleure détermination des profondeurs d’immersion en fonction de la turbidité de chaque lieu. Grâce à un travail de sélection génétique, des souches particulièrement résistantes à la température ont pu être isolées qui ont permis les cultures de Laminaria japonica jusque dans les eaux subtropicales.

Bien d’autres exemples mériteraient d’être cités, comme Undaria pinnatifida au Japon ou Macrocystis pyrifera aux États-Unis. Cette dernière espèce, géante des mers puisqu’elle peut atteindre 30 mètres de long, est exploitée pour les alginates et fait l’objet d’expérimentations à grande échelle en vue d’une production d’énergie par méthanisation. Rappelons à ce propos l’expérimentation réalisée par l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes à Roscoff en 1970, pour souligner les dangers écologiques que présenterait l’introduction sur les côtes françaises de cette espèce, non indigène, qui ne manquerait pas de proliférer et de s’acclimater dans une vaste région incluant l’Atlantique et la Manche.

La France tient une place non négligeable dans les activités liées aux algues, puisque notre pays est le deuxième producteur mondial pour les carragheenanes et le cinquième pour les alginates. En outre, les industriels français ont obtenu un excellent rendement avec Eucheuma , à Djibouti, et ils expérimentent aussi une aquaculture en bassins sur les côtes de Bretagne, avec Chondrus . L’Institut français du pétrole est aussi à l’origine d’études approfondies en laboratoire et d’essais pilotes sur les Spirulines, qui sont des algues d’eau douce, très riches en protéines (jusqu’à 65 p. 100 de leur poids sec), et représentent une nourriture déjà utilisée par les Aztèques et encore consommée au Tchad.

Il est enfin important de noter que le Comes (Commissariat à l’énergie solaire) a jugé nécessaire d’établir un groupe de travail «Algues» au sein de son comité «Biomasse et Énergie». Cette attitude devrait entraîner un développement de l’aquaculture des algues et végétaux marins, grâce à un programme national concerté.

aquaculture [ akwakyltyr ] n. f.
• 1864; de aqua- et -culture
1Didact. Élevage d'espèces aquatiques en vue de leur étude ou de leur commercialisation. conchyliculture, mytiliculture, ostréiculture, pisciculture .
2(XXe) Procédé de culture des plantes aquatiques dans lequel on substitue un milieu liquide au sol habituel. On dit aussi AQUICULTURE [ akɥikyltyr ].

aquaculture ou aquiculture nom féminin Production d'organismes aquatiques en eau douce, saumâtre ou marine et dans des conditions contrôlées ou semi-contrôlées par l'homme, qu'il s'agisse d'animaux (→ poissons, crustacés, mollusques, etc.) ou de végétaux (algues). [Par extension, transformation et commercialisation de ces productions.]

aquaculture ou aquiculture
n. f. Ensemble des techniques d'élevage des êtres vivants aquatiques (animaux et végétaux).

aquaculture [akwakyltyʀ] n. f.
ÉTYM. Mil. XXe; du lat. aqua « eau », et -culture.
Aquiculture.REM. La forme aquaculture tend à l'emporter, au moins chez les spécialistes.
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aquiculture [akɥikyltyʀ] ou aquaculture [akwa kyltyʀ] n. f.
ÉTYM. 1864; du lat. aqui-, de aqua « eau », et -culture. Mot proposé par Quatrefages de Bréau, Larousse du XIXe siècle, et Littré, Suppl.
1 Didact. Élevage d'espèces animales marines en vue de leur commercialisation (→ Mytiliculture, cit.). || L'aquiculture, l'aquaculture maritime, en viviers, en étangs… Pisciculture, et le suff. -culture (conchyliculture, mytiliculture, ostréiculture…).
0 On entend spécialement par pisciculture l'élevage artificiel de l'alevin, et par aquiculture l'empoissonnement des eaux.
Littré, Dict., Suppl., art. Aquiculture.
Spécialt. Culture des plantes aquatiques.
2 (XXe). Procédé de culture des plantes dans lequel on substitue au sol habituel une solution saline. Syn. : culture sans sol, culture hydroponique.
DÉR. Aquiculteur.

Encyclopédie Universelle. 2012.