LOUIS XIII
LOUIS XIII (1601-1643) roi de France (1610-1643)
Fils de Henri IV et de Marie de Médicis, Louis XIII est l’une des figures les plus énigmatiques de la royauté française. Son personnage, cette singulière et si efficace alliance politique qu’il a constituée avec Richelieu ont donné lieu aux interprétations les plus diverses. Du tableau, à la fois critique et ambigu, de Tallemant des Réaux à l’admiration inconditionnelle de Saint-Simon, de la quasi-victime romantique d’Alexandre Dumas aux portraits contrastés de l’historiographie contemporaine, autant de points de vue divers, mais qui tendent, tous, à privilégier Richelieu. Le roi timide, secret, pudique ne manque ni de dons naturels, artistiques en particulier, ni de bon sens. Quasi abandonné par sa mère, veule et peu intelligente, il a, peut-être, souffert du mystère qui planait sur la mort de son père. Il a probablement détesté sa mère et peu aimé sa femme. Roi dès l’âge de neuf ans, mais roi à l’éducation négligée, il laisse éclater sa rancœur et son orgueil bafoué en faisant assassiner Concini, favori de sa mère, en 1617. Cet événement démontre que la raison d’État et le peu de scrupules quant au choix des moyens ne sont pas des créations exclusives du cardinal de Richelieu. Non que la politique de Luynes de 1617 à 1621 eût été très différente de celle de Concini: «catholique», pro-espagnole, elle ne s’en différencie que par l’éloignement de la régente Marie de Médicis. Il faut attendre 1624 et l’entrée de Richelieu au gouvernement pour que, très progressivement, après maintes expériences, se dégage une nouvelle politique dont le mérite revient à ce dernier. L’important est de voir ce que signifie le «ministériat». Sa courte durée de 1624 à 1661, avec Richelieu puis avec Mazarin, l’importance de l’hostilité qu’a suscitée cette forme de gouvernement, la grandeur des deux personnages qui s’y sont succédé posent des problèmes. On a l’habitude de mettre la série de complots contre les cardinaux Premiers ministres sur le compte de la politique extérieure. C’est oublier qu’ils visent d’abord le système inauguré en 1624, autant et plus que les hommes qui l’incarnent. Richelieu, comme Mazarin, ont fait la fortune de leur famille et de leur clientèle. Et il existe, de ce fait, une certaine rivalité entre clientèle royale et clientèle ministérielle, comme l’a bien entrevu Alexandre Dumas. Au vrai, la question ne se serait pas posée avec une telle acuité si les nécessités de la guerre de Trente Ans n’avaient, dans la décennie 1630-1640, formidablement augmenté, par l’accroissement de l’armée et de la pression fiscale, la puissance réelle du pouvoir monarchique. L’installation des intendants dans les provinces, la centralisation administrative qui joue au bénéfice de la ville de Paris et se traduit, entre autres, par l’essor, définitif, de l’atelier de frappe monétaire parisien au détriment des ateliers provinciaux, tout prouve combien le poids de l’État s’appesantit sur l’ensemble de la société française. Ces «novelletés», justement attribuées au ministériat, font de lui le point de mire non seulement des tenants d’une politique extérieure plus pacifique, mais aussi des partisans d’une structure d’État moins pesante. Or Louis XIII ne s’est guère éloigné de la ligne tracée par Richelieu et a souvent renchéri sur les rigueurs du cardinal. En vérité, le seul vrai ministériat a été celui de Mazarin, maître exclusif, et par moments désinvolte, d’Anne d’Autriche. Richelieu doit d’abord convaincre le roi, et l’on connaît sa célèbre phrase sur la difficulté à conquérir et à garder les quelques pieds carrés du cabinet royal. Louis XIII a tenu à rester le maître de ses décisions et il a eu à maintes reprises, comme lors de la journée des Dupes, à trancher entre son ministre et les clans adverses. Henri IV devait encore équilibrer les diverses tendances politiques dans son entourage. Louis XIII a pu se permettre de donner son appui à un homme dont la politique ne représentait probablement pas la tendance majeure de «l’opinion» de la cour et de la ville. Ce qui paraît démontrer le rôle prééminent du cardinal souligne, paradoxalement, la profondeur du renforcement de l’absolutisme royal, et explique aussi la violence des tentatives de réaction ultérieures. N’exagérons cependant pas l’opposition entre le «rationalisme» déjà «classique» du couple politique roi-Premier ministre et la réaction féodale de cette première moitié du XVIIIe siècle français étonnamment «baroque». Chez le roi comme chez le cardinal, on rencontre aussi quelques-uns des désirs politiques fondamentaux de l’époque: souhait de voir réaliser l’unité religieuse, à tout le moins de briser l’État dans l’État qu’avait formé, sous la régence, l’appareil politique protestant groupé autour des Rohan; volonté de rénovation religieuse et d’épuration des mœurs. Mécène à sa manière, doué pour la musique, quelque peu sculpteur, Louis XIII se révèle peut-être le mieux dans ses goûts. Il a fait, entre autres, de Georges de La Tour un «peintre royal» et, ce qui est plus significatif, il a collectionné les œuvres de celui-ci: éclairage oblique, mais combien typique, de l’homme. Ambigu, secret, jaloux de son autorité et pénétré de ses devoirs, Louis XIII a eu, à défaut de génie propre, celui de voir et d’utiliser celui du cardinal. Y a-t-il tant d’hommes, surtout dans le monde politique, qui ont possédé ce genre de clairvoyance et, plus encore, qui sont capables de supporter sans ombrage un esprit qui les dépasse?
Encyclopédie Universelle. 2012.