BAROQUE
L’origine du mot «baroque», appelé à une si grande fortune, doit être raisonnablement reconnue dans le mot portugais barroco , qui désigne la perle irrégulière, voisin du castillan berrucco , qui était lui-même entré dans la langue technique de la joaillerie au XVIe siècle. Les dictionnaires français (Furetière, 1690; Académie française, 1718) l’ont accueilli avec ce sens, mais, assez rapidement, celui, figuré, d’étrange et presque de choquant fut admis.
L’Encyclopédie a cru que le terme venait du baroco des logiciens, alors que la figure du syllogisme ne traduit aucune irrégularité dans le mode de pensée. Il est assez curieux d’observer, à présent, que dans le supplément de l’Encyclopédie , de 1776, Jean-Jacques Rousseau (sous la signature S) définit la musique baroque comme celle «dont l’harmonie est confuse, chargée de modulations et de dissonances», alors que, par musique baroque, nous entendons l’école musicale du XVIIe siècle, dans une acception surtout chronologique.
Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, les théoriciens partisans de l’antique et rénovateurs d’un art architectural classique ont employé l’adjectif «baroque» pour désigner ce qu’ils trouvaient de capricieux, d’extravagant, de contraire à la règle et au goût chez les maîtres italiens du Seicento. Le grand critique d’art, Jacob Burckhardt, professeur à Bâle, qui dans le Cicerone (1860) avait contribué à présenter le style baroque d’Italie comme une altération de la Renaissance, est revenu sur cette première opinion et a éprouvé une sympathie croissante envers lui. Mais, en France surtout, le XIXe siècle positif, réaliste, admirateur d’un classicisme où il croyait voir la plus parfaite expression du goût, de la raison et du génie national, a condamné l’architecture italienne et les formes qui s’étaient développées à partir d’elle. Il en est résulté que le mot baroque a été pris constamment dans une acception péjorative, jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Alors, les esthéticiens ont prêté au baroque le caractère d’une phase de la sensibilité générale, en littérature et en art, où les valeurs de fantaisie, d’imagination se trouvaient libérées, jusqu’au désordre parfois, mais sans leur refuser l’attrait, le charme et la séduction. On ne peut reprendre ici toute l’histoire du terme baroque et de ses diverses acceptions, mais il est sans doute utile de s’arrêter sur trois observations:
1. Chronologiquement, le baroque est un style artistique général, postérieur à la Renaissance, dont les manifestations les plus affirmées se sont présentées en Italie au XVIIe siècle, et qui est passé, y recevant un accueil plus ou moins favorable, en Espagne, en France, en Allemagne, en Europe centrale, en Russie. Art d’imagination, d’invention, de somptuosité, de contrastes, il est différent de la recherche d’équilibre et d’harmonie qui forme l’idéal classique.
2. Mais jamais les artistes qui ont adopté ce style ne l’ont appelé baroque; ils ont même ignoré, pour la plupart, le mot et le sens que nous lui prêtons. Ils ont admis d’eux-mêmes qu’ils étaient modernes. En France, on a parlé d’un genre «à la romaine».
3. Intemporellement, c’est-à-dire pouvant être reconnu à toutes les époques et dans tous les genres de création, le baroque est l’audacieux, le surprenant, le contrasté ou l’incohérent. Il est, en principe du moins, le reflet dans les sensibilités et les expressions de périodes de transition, de difficultés internes, de remise en cause de valeurs traditionnelles, d’un affleurement de tendances profondes, douloureuses parfois, inquiètes toujours.
L’idée qu’il a existé au XVIIe siècle, et qu’il peut exister toujours des catégories baroques a certainement joué un rôle fécond pour l’analyse et la connaissance des civilisations postérieures à la Renaissance. Mais on risque de faire un usage intempérant de la catégorie si l’on donne au baroque, même chronologique, un caractère trop absolu. Après avoir réhabilité, de manière opportune, des œuvres ignorées ou méconnues à la mesure de certains critères acceptés comme des dogmes, d’une interprétation platonicienne de la beauté, on a trop rigidement opposé baroque et classicisme quand on a négligé soit les zones marginales, soit les affinités baroques d’œuvres étrangères à la catégorie, soit le problème des inclassables (juste observation de M. M. Reymond, en 1960, sur la ligne de démarcation du baroque stricto sensu, lorsqu’elle passe «à l’intérieur de groupes d’écrivains ou de formes de style qu’on serait trop tenté de considérer en bloc, soit pour les rattacher au baroque, ou pour les en distinguer», ou encore les fines suggestions de Pierre Charpentrat dans Le Mirage baroque , 1967: «L’art baroque existe-t-il?»).
De même, en ce qui concerne le baroque chronologique, la difficulté est grande d’en fixer les limites d’apparition et de disparition. Les critiques allemands du XIXe siècle ont parlé de Frühbarock (traduisons prébaroque ou baroque primitif), mais il n’est pas aisé de le distinguer de la Renaissance tardive. Quant au terme d’arrivée, la barrière arrêtant le baroque est assurément fournie par le néo-classicisme et le retour à l’antique: mais que dire du rococo du XVIIIe siècle, à la fois proche du baroque et différent de lui? On glisserait vers une sorte de triptyque: Renaissance tardive ou, comme le terme a tendance à s’imposer, maniérisme, baroque, rococo, ce qui correspondrait en somme au XVIe, au XVIIe et au XVIIIe siècle. Répartition exacte qui permet d’observer une évolution historique, là encore hypothèse de travail qui aide à mieux reconnaître les étapes, mais qui ne doit pas faire oublier la fluidité ou la complexité des passages, c’est-à-dire que ces périodes, procédant l’une de l’autre, ne sont jamais hermétiquement closes et, enfin, que le classicisme français ne peut être absorbé dans la catégorie baroque, pas plus que le baroque ne doit être raisonnablement tenu pour l’altération ou la corruption d’un classicisme antérieur ou contemporain. On ne doit jamais perdre de vue que le baroque, comme tout autre style, correspond aux tendances profondes des sociétés où il se manifeste, qu’il rejoint des courants idéologiques: philosophiques ou religieux, mais qu’il se rattache également à des circonstances historiques particulières. Dans une Europe déjà aussi variée et nuancée que celle des XVIe et XVIIe siècles, il ne peut être nulle part imposé du dehors. Il se concilie avec des exigences locales et il a dû prendre, en conséquence, des aspects différents selon les pays.
1. Le baroque italien
Les premières œuvres baroques à Rome
Il est hors de doute que l’Italie, par la qualité des œuvres et des maîtres qui s’y révèlent alors, a fourni les modèles et donné l’impulsion. Le baroque est le style de la Contre-Réforme, a-t-on dit. À n’en pas douter, parce que le concile de Trente avait maintenu la vénération des images et qu’il avait prêté désormais à l’Église catholique le caractère d’une religion sensible, où les rites et les manifestations extérieures du culte occuperaient une grande place (ce qui n’excluait en aucune manière, cependant, le souci d’une vie religieuse intérieure et le développement du christocentrisme), la Contre-Réforme catholique favorisait les arts: construction et décoration d’églises. En outre, par la centralisation relative de l’Église, la place accordée au magistère pontifical et à Rome, elle désignait l’Italie pour être le lieu où ces expériences nouvelles seraient accomplies et deviendraient des sources d’inspiration, sinon des modèles pour toute la catholicité. Rien de tout cela ne prêtait de nécessité à l’adoption d’un style, de préférence à un autre. On a cherché dans les dernières manifestations du génie de Michel-Ange les prodromes du baroque: la fresque monumentale et tragique du Jugement dernier , à la Sixtine, la magnificence cosmique du dôme de Saint-Pierre. Déjà on peut y reconnaître les traits qui reparaîtront dans le baroque: le pathétique et le grandiose. Ils ne sont nullement exclusifs. La multiplication des ordres religieux et leur renouveau suscitent des constructions et des décorations d’églises. On pense aussitôt aux Jésuites. Leur intention première n’a point été d’introduire un style nouveau dans l’art religieux, et encore moins que ce style fût pompeux et triomphal. À peine l’un des généraux de la seconde moitié du XVIe siècle a-t-il pensé à un mode particulier (il modo nostro ) pour les églises de la Compagnie, mais ses prescriptions auraient été fonctionnelles: clarté de la nef, visibilité et audibilité de toutes les parties du sanctuaire, petites tribunes. Avant tout réalistes, obligés de tenir compte des milieux où ils allaient exercer leur apostolat, les Jésuites se sont gardés d’innovations et ont montré beaucoup de souplesse dans le choix des plans, laissés aux initiatives locales, et seulement contrôlés et approuvés par Rome.
Dans le cas du Gesù de Rome, ainsi que l’a démontré le père Pirri, une intention de sévérité, de sobriété, qui a les préférences des pères, doit se concilier avec le goût plus fastueux du donateur et protecteur, le cardinal Alexandre Farnèse, prélat de la Renaissance. Le plan de Vignole, la façade régulière, massive et grave de Giacomo Della Porta maintiennent leur filiation avec les œuvres de l’époque antérieure. L’esprit des premières années de la Contre-Réforme n’est pas particulièrement favorable à l’éclat. Cependant, la prédilection de la Renaissance pour les décorations somptueuses continue à s’affirmer alors à Saint-Jean-de-Latran, dont les plafonds ornés de motifs vigoureux sont chargés d’or, et les murs du transept recouverts de fresques fleuries, d’un raffinement maniériste. Surtout, des circonstances nouvelles pressent les changements: après l’austérité de saint Pie V, le pape moine, ses successeurs rejoignent la lignée des papes mécènes et constructeurs. Italiens et fils de la Renaissance, la beauté de Rome leur paraît un hommage à l’Église et à Dieu. Sixte Quint imagine de remodeler la ville, d’y faciliter la circulation par de grandes percées et d’orner les places en y relevant les obélisques du monde païen. Souci pratique, à cause du jubilé de 1600 dont la date approche et qui doit amener dans la cité une affluence de pèlerins, mais auquel se mêle une nouvelle idéologie. Des événements heureux se succèdent en série: la victoire sur les Turcs à Lépante (1571) qui a délivré la Chrétienté de la menace de l’Islam, les progrès de la conversion en Allemagne, l’abjuration de Henri IV qui garantit la fidélité du royaume de France, autant de signes que Dieu confirme la vocation salvatrice de l’Église. Il convient de l’affirmer par des actions de grâce et, dans l’esprit général du temps comme dans la tradition propre à l’Italie qui croit à l’effet des œuvres monumentales pour frapper l’opinion en exaltant la grandeur, de fixer dans le site urbain les témoignages de ces triomphes.
Les cardinaux sont invités, de leur côté, à embellir leurs églises et à rendre leurs demeures plus imposantes. D’où la reprise des travaux à Saint-Pierre. Sur la place précédant le sanctuaire, Dominique Fontana avait, non sans peine, dressé l’obélisque. Maderna acheva la transformation de la nef, de croix grecque en croix latine, et, pour façade, il édifia un palais à colonnes, superbe et adventice, dont la loge pour la bénédiction pontificale forme le centre. Des artistes venus du Nord et de Naples se retrouvent sur les chantiers de Rome, dans les denses équipes de la fabrique de Saint-Pierre où se forment alors ceux qui vont devenir les maîtres du baroque romain: le Bernin et Borromini.
Si les églises nouvelles surgissent les unes après les autres, on ne peut manquer d’observer entre elles de grandes différences. Sans doute les façades présentent-elles la même articulation en deux ordres, avec ou sans le raccord des volutes, le même couronnement de fronton triangulaire, dans les traditions de Vignole. Mais, des unes, les façades demeurent simples et plates, comme Saints-Dominique-et-Sixte, de Vicenzo Della Greca, et surtout les églises de Soria: Sainte-Marie-de-la-Victoire, Sainte-Catherine; aux autres, l’emploi des colonnes, dont Maderna a fourni le premier exemple à Sainte-Suzanne (1603), prête un relief puissant à Santa Maria in Campitelli, de Rainaldi, à Saints-Vincent-et-Anastase, de Longhi le Jeune, à Santa Maria in Via Lata, de Pierre de Cortone. Mais le même Pierre de Cortone inaugure un procédé nouveau en incurvant les façades, d’abord légèrement, à Saint-Luc-et-Sainte-Martine, sur le Forum (1635), puis plus résolument à Sainte-Marie-de-la-Paix (1655). Si l’on admet le même thème architectural, les variations sont donc nombreuses. Mais l’intensité décorative s’affirme, les coupoles viennent prêter à l’ensemble un effet d’ampleur et de majesté, les intérieurs adoptent une ornementation de plus en plus riche; au Gesù, les fresques de Baciccia, les encadrements de stuc et les statues autour des fenêtres apportent un décor somptueux. L’attrait et le goût de la somptuosité furent renouvelés par l’entreprise du jeune cardinal Édouard Farnèse qui fit venir de Parme les frères Carrache et leur confia la décoration de sa galerie, sur des thèmes mythologiques.
Moins que l’exemple de la galerie Farnèse elle-même, l’arrivée à Rome d’autres peintres bolonais: Albani, Guido Reni, le Dominiquin fut décisive pour la peinture. Ils œuvrèrent aussi bien pour les commandes profanes (L’Aurore du Guide, au Casino Rospigliosi) que pour la clientèle religieuse: fresques et peintures de chevalet (grands tableaux placés dans les retables ou au-dessus de l’autel). Une manière traditionnelle, mais renouvelée, côtoie donc un style plus dramatique et mouvementé, dans les compositions où l’on voit, se répondant l’une à l’autre, la scène du martyre sur la terre et la gloire des saints dans le ciel. Avec une tout autre inspiration, réaliste et populaire, le Caravage déconcerte les gens de goût, mais il révèle une telle puissance dans ses contrastes de lumière et d’ombre qu’il influence jusqu’aux disciples des Carrache.
Par la variété des talents qui s’y exercent, par l’abondance de la commande, Rome, entre 1600 et 1680, est le lieu d’une intense production dans tous les arts: architecture, peinture, sculpture; mais il ne faut pas oublier qu’elle continue d’offrir la perpétuelle leçon des trésors qu’elle détient depuis l’Antiquité. La sculpture hellénistique (le Laocoon retrouvé en 1505) continue d’exercer son prestige. L’Académie de Saint-Luc donne une formation et fournit un contrôle régulateur, mais nullement despotique. Si bien que la Rome baroque élabore un style très complexe dont l’originalité est évidente. On doit craindre qu’une définition trop étroite empêche d’en reconnaître le véritable caractère. Il n’y a pas refus des valeurs de la Renaissance et de l’antique, il n’y a point davantage leur altération et leur dégénérescence. Mais l’esprit est nouveau: celui d’une société aristocratique – même dans la structure de l’Église – d’une religion ardente jusqu’au mysticisme, rituelle et complaisante au triomphe. L’art qui lui répond, savant et subtil, recherche une expression de majesté et de puissance, interprète l’espace en animant les masses, en suggérant le mouvement, par quoi la lourdeur est évitée, l’ingéniosité cultivée et l’effet obtenu, jusqu’à provoquer la surprise. La part de l’imagination est ainsi très large et, pour les générations qui se sont préoccupées d’harmonie, d’équilibre intelligible, d’apparente raison en toutes choses, sous la durable influence des doctrines académiques et du néo-classicisme remis en honneur au XVIIIe siècle et dont le XIXe a accepté les principes, le baroque romain a paru comme le monde de la surcharge et de la grandiloquence. On a méconnu ses trois valeurs fondamentales de sincérité, de goût et d’émotion, celle-ci étant souvent pathétique. Le pathos, dans son sens originel de douleur, d’inquiétude, et non pas dans le sens dérivé de fausse rhétorique, est un des moteurs du baroque. Théâtral? là encore le terme peut avoir double sens, mais c’est celui de spectaculaire qu’on doit retenir. Dans un pays où la lumière et le climat favorisent la vie en plein air, le baroque répond à la prédilection pour le spectacle. Les artistes emploient aussi, dans un art déterminé, les ressources d’un art voisin: beaucoup sont à la fois peintres, sculpteurs et architectes, les diverses formes d’expression s’interpénétrant de la sorte; et les œuvres, si elles deviennent ainsi plus difficiles à analyser, en recueillent encore plus d’originalité et de charme.
Le Bernin et Borromini
Architecte, peintre et sculpteur, tel est le Bernin (1598-1680), qu’en son temps on célèbre comme le nouveau Michel-Ange, et dont la réputation, diffusée par le dessin et la gravure, s’étend à toute l’Europe, rejetant un peu injustement au second plan son rival et contemporain Borromini (1599-1667), plus subtil encore, dont le Français Blondel dénoncera ce qu’il appelle les «bizarreries», tout en reconnaissant «la beauté de ses édifices qui sont pour la plupart d’une invention et d’une disposition admirables». Mais ces prétendues bizarreries, autant de trouvailles exquises!
Fils d’un sculpteur florentin, passé par Naples, Gian Lorenzo Bernini, dont Grégoire XV fait le cavalier Bernin, révèle son génie dans le baldaquin de Saint-Pierre (1624-1633) dont pendant deux siècles les artistes se souviendront dans toute l’Europe catholique.
Tout au long de sa vie, le Bernin a travaillé à Saint-Pierre de Rome, donnant désormais, par la décoration intérieure, la marque de son style à la vie même du sanctuaire.
Dans la sculpture, le Bernin fut un admirable portraitiste, unissant la fidélité aux traits du modèle et l’interprétation poétique de son caractère (Paul V , Urbain VIII , Louis XIV ). De la perfection formelle de ses premières œuvres (La Métamorphose de Daphné ) il est passé à une émotion de plus en plus intense dans ses allégories: La Vérité découverte par le Temps ou le Tombeau d’Alexandre VII , drame sur les thèmes contrastés de la grandeur et de la mort. Mais son chef-d’œuvre demeure la Transverbération de sainte Thérèse que l’on peut voir dans l’église Santa Maria della Vittoria, à Rome. Il a orné les places de Rome d’admirables fontaines, telle celle de la place Navone. Architecte civil, sa réputation était telle que Louis XIV voulut lui confier la reconstruction du Louvre en 1665. Il vint à Paris. Ses plans, remaniés sur place, furent déclarés superbes et acceptés. Diverses circonstances en empêchèrent l’exécution, surtout l’impossibilité d’en faire la dépense à l’heure où l’on entreprenait la guerre de Dévolution. Mais ce ne fut pas, comme on l’a dit, parce que son génie baroque avait paru incompatible avec le goût du classicisme français.
Borromini a été le virtuose de la ligne et du volume en mouvement. Sauf à Saint-Jean-de-Latran, il n’est pas l’architecte, ni le sculpteur des proportions colossales, mais son extraordinaire ingéniosité a introduit dans le baroque romain une veine originale de grâce et de subtilité, un avantage donné à la souplesse et à la combinaison sur la masse et la stabilité. Moins réputé de son temps que le Bernin, il n’a peut-être pas exercé moins d’influence ensuite.
Le baroque italien hors de Rome
C’est vers Rome que regardent les artistes de tous les pays, mais d’autres villes d’Italie ont leurs ateliers et sollicitent l’attention. Les progrès des sciences mathématiques ne sont pas étrangers aux réussites du père Guarini, à Turin, lui aussi constructeur ingénieux de l’espace, et qui retrouve la légèreté du gothique dans ses enchevêtrements de lignes et les prouesses d’équilibre de ses masses. Il aime aussi le jeu alterné des masses convexes et concaves, les effets de coulisses qui, comme à San Lorenzo de Turin, font d’une nef d’église une série d’espaces disposés entre des arcades qui semblent avancer ou se dérober.
À Venise, Longhena élève au bord du Grand Canal l’un des plus beaux sanctuaires du baroque: la Salute, construite sur un plan octogonal, et qui présente en dehors une succession de portiques décorés, tandis que les volutes qui accotent le tambour de la haute et puissante coupole semblent de gigantesques roues. Mais l’autel est rejeté dans une abside adventice, sous une autre coupole. Longhena est constructeur de palais, comme le Rezzonico, où se renouvelle la tradition de Sansovino. Or, pour comprendre l’influence et le succès général du baroque italien, il faut tenir compte encore de deux facteurs: l’un est la réputation de l’Italie qui invite les artistes de tous les pays à y faire séjour et suscite les invitations que les cours étrangères adressent aux ultramontains. Ceux qui ne sont pas informés par leurs voyages peuvent l’être par l’énorme diffusion de gravures et d’estampes. Les étrangers ne se bornent généralement pas à la fréquentation d’une seule ville et d’un atelier: leur voyage s’accomplit par étapes plus ou moins longues au cours desquelles ils enrichissent leur culture par la contemplation des œuvres et des monuments les plus réputés.
2. L’accueil européen
Dès lors, un autre problème se pose sur le plan international: celui de l’accueil.
On a beaucoup parlé du resserrement économique du XVIIe siècle qui put avoir pour conséquence une moins grande disponibilité de la clientèle, des misères populaires causées par les épidémies, des guerres qui, exigeant plus de dépenses pour les armées, diminuaient les ressources pour les autres secteurs – investissements productifs ou commandes d’œuvres d’art – de la dévastation matérielle de certaines régions. On a dit aussi que les mentalités s’en trouvaient modifiées, que l’inquiétude se substituait à l’optimisme et à la joie de vivre; on pourrait découvrir là des raisons pour certains aspects douloureux du style baroque. Tous ces facteurs économiques et sociaux ont certainement eu leur importance sur la vie des arts. Mais, au XVIIe siècle, d’autres valeurs sont déterminantes: les gouvernements monarchiques croyaient que la magnificence de leurs demeures était nécessaire au prestige et à la renommée des princes: ceux-ci ont donc entrepris, en même temps que les guerres, des dépenses de luxe sans se soucier toujours de l’économie générale. On doit observer toutefois l’inachèvement ou l’interruption de beaucoup de projets, et la distance entre ce que l’on avait pensé faire et ce qui fut accompli. Dans ces sociétés hiérarchisées, l’aristocratie recherchait la richesse pour le décor de sa vie quotidienne et constituait une clientèle pour les artistes. Sans doute cette aristocratie se renouvelait-elle par l’affaiblissement des anciens groupes et la promotion de nouvelles familles. De même, de milieux modestes, surgissaient les réussites de négociants ou de banquiers, éclatantes, toutefois en petit nombre. Ainsi, de toute manière, il existait une élite sociale pour laquelle les artistes n’ont cessé de produire. Il ne s’agissait pas seulement d’architecture, de peinture et de sculpture: la musique jouissait d’une constante faveur: les princes et les seigneurs entretenaient des chapelles de musiciens qui devaient jouer des œuvres composées à leur intention, aussi bien pour les fêtes ordinaires et familiales tout au long de l’année que lors des circonstances exceptionnelles.
Mais ces conditions, qui sont celles de l’époque et de la société, se modifiaient selon les régions et leurs expériences particulières. Ce n’est qu’au-delà de 1650 que l’Europe centrale, délivrée de la guerre et de la dévastation permanente de son territoire, retrouve des circonstances favorables à un nouvel épanouissement des arts et à un succès du baroque. L’Angleterre a traversé, à la mi-siècle, une révolution politique et une crise d’austérité puritaine qui ont suspendu son intérêt pour les arts et le luxe. Les dispositions religieuses ont exercé une influence déterminante: les pays catholiques (et même luthériens) favorisant les arts plastiques pour la décoration des églises et prenant leur modèle en Italie, tandis que les pays calvinistes, sans refuser toute expression artistique, lui imposaient un caractère plus sobre. Enfin, le problème se pose, essentiel et toujours ouvert, des rapports du baroque avec le classicisme français.
La réussite de la France au XVIIe siècle, la place de premier plan qu’elle acquiert en Europe par la ténacité de ses gouvernants et la vigueur de la société, expliquent le succès de sa civilisation. Héritière et, par la force des choses, en beaucoup de points tributaire du génie ou du goût de l’Italie et des artistes italiens, la France pourtant s’émancipe. Ses ateliers, puis ses académies affirment plus d’autonomie, et bientôt une doctrine s’élabore qui adopte pour principaux critères la fidélité aux règles, la recherche de l’équilibre, de la vraisemblance, de la raison en toutes choses, autant de caractères opposés à la fantaisie et à l’invention baroques. L’antinomie paraît consacrée entre classicisme français et baroque italien. Mais on ne saurait trop répéter que cette opposition n’est exacte qu’aux extrêmes, qu’importantes comme hypothèses de travail ou instruments d’analyse, les catégories, si elles sont acceptées trop exclusivement, déforment la vérité de l’histoire. En dépit des querelles de chapelles et d’une réelle xénophobie en France, les grands Italiens contemporains n’y furent ni méconnus ni méprisés. À l’observance des règles s’ajoutait d’ailleurs le je-ne-sais-quoi qui autorisait l’originalité et l’invention et satisfaisait le goût, ce qui préservait le classicisme français d’un desséchant académisme et lui ménageait des affinités avec le baroque, conforme au caractère général de la civilisation européenne d’alors. L’art français du XVIIe siècle ne peut donc être présenté comme incompatible avec le baroque, et pas davantage comme le secteur classicisant d’un baroque européen.
3. Esquisse géographique du baroque
On a cherché à fixer dans l’espace géographique le domaine du baroque. Le centre d’impulsion étant l’Italie, surtout Rome et Turin, les courants se dessineraient en direction des Flandres espagnoles, de l’Espagne et du Portugal, de la France (antérieurement à la période classique de 1660), de l’Angleterre après 1660 et, dans une autre direction, de l’Europe danubienne, de la Pologne, voire de la Russie. De l’Espagne, un autre courant franchirait l’Atlantique, en direction de l’Amérique coloniale (carte de l’Atlas allemand Westermann, 1953). On a parlé encore (P. Charpentrat, Baroque , Fribourg, 1964) d’un empire baroque relativement homogène, s’étendant en forme de croissant de la Sicile à la Lituanie, de Palerme à Wilno, ce qui est, en somme, exact, mais exclut trop résolument l’Espagne, sous prétexte qu’elle évolue selon ses propres rythmes et ne renoue le dialogue que par intermittences. Pour la clarté de l’exposé, on suivra, dans les pays où elles se sont produites, les expériences baroques de l’Europe, en n’oubliant pas qu’elles n’ont pas toutes la même date.
Espagne
La Péninsule
Le cas de l’Espagne est particulier: la Péninsule, placée tout entière – après 1580 avec le Portugal – sous la puissante et impérieuse autorité des grands Habsbourg: Charles Quint, plus flamand qu’allemand, et Philippe II qui semble incarner l’hégémonie espagnole sur le monde, demeure une juxtaposition de provinces, riche chacune de son propre passé. La Renaissance y rencontre donc de fortes traditions gothiques au Nord, et au Sud, la longue imprégnation de l’islam et de son art délicat. Aux portails des cathédrales, la sculpture plateresque déployant ses raffinements et ses ciselures, tout contre la sévérité massive des murs nus; dans l’imagerie populaire, les figures polychromes de la Vierge, du Christ et des saints, où la souffrance physique et la douleur de l’âme sont traduites par un réalisme hallucinant, composaient un répertoire d’art en apparence fermé à l’idéalisme et à la sérénité de la Renaissance. Ainsi, Alonso Berruguete (1488-1561) avait pu passer par l’Italie et travailler à la cour d’Urbino, quand il revint à Valladolid, il s’y montra baroque avant la lettre par son lyrisme douloureux. Plus réaliste et massif, Juan de Juní, Bourguignon hispanisé, prêtait à la statuaire religieuse une allure plus mouvementée et la passion qu’on retrouvera chez les baroques. Le génie particulier de l’Espagne a montré, dès le XVIe siècle, un caractère tourmenté, une tension farouche qui prédisposaient les arts plastiques à suivre une seule ligne, du flamboyant au baroque. Par ses universités, ses cercles de savants et de lettrés, l’Espagne parut s’ouvrir à l’influence d’Érasme, à l’esprit d’une réforme humaniste. Mais c’est au contraire chez elle que le catholicisme prit, à la fois sous la férule de l’Inquisition et en dehors d’elle, l’intransigeance doctrinale que les jésuites espagnols portèrent au concile de Trente. Dans les monastères, la piété suscita des âmes ardentes, nourries des écrits des mystiques rhénans, et quelques-unes parvinrent elles-mêmes aux sommets de la mystique. La dévotion espagnole, sensible et grave, fut diffusée par les ordres religieux et, à des degrés différents, elle imprima sa marque à toute l’Europe catholique du XVIIe siècle. Cette forte individualité religieuse de l’Espagne comme, dans le eomaine des lettres, la réussite de son théâtre et d’œuvres universellement admirées (Don Quichotte... ), expliquent à la fois son rayonnement au-dehors et la singularité de ses grands artistes. Ni le Greco à Tolède (1614), ni à Séville Zurbarán (1598-1664) ne peuvent être soumis à une catégorie définie: ils sont issus d’expériences espagnoles, et inconcevables en dehors d’elles, même si leur style retient pour le premier l’influence des Vénitiens et pour le second les effets du Caravage. Si la prolifération des couvents et du clergé monastique conduisait le monde espagnol à une sorte d’impasse biologique et sociale, si le préjugé nobiliaire diminuait la vitalité de la nation, juste au moment où le déclin économique eût exigé un surcroît d’effort, les constructions de sanctuaires, inspirés des modèles italiens de la Contre-Réforme italienne et du baroque (Las Angustias à Valladolid), la prolifération des retables et de leur statuaire, les images de procession maintinrent, tout au long du XVIe siècle, les ateliers espagnols en pleine activité pour des œuvres de valeur. Les retables, ces compléments nécessaires de l’autel, se changèrent en arcs de triomphe prestigieux (le baroque ici est un baroque de surcharge) avec des colonnes torses, des chapiteaux, des corniches, des palmes, le tout éblouissant d’or, comme le retable de J. Churriguera (1633) à San Esteban de Salamanque. La décoration churrigueresque devint, au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle, un secteur original du baroque espagnol.
Il faut penser enfin à une constante influence de la cour. L’architecture de la Renaissance italienne avait été introduite d’autorité par Charles Quint, à Grenade, où le palais en rotonde demeura inachevé, et par Philippe II, lorsque celui-ci fit dresser l’Escurial dans les solitudes de la Sierra, à la fois palais, forteresse, monastère, nécropole royale. L’œuvre classique de Herrera, d’un auguste et sévère accent, demeura désormais pour les artistes espagnols un modèle dont les générations pouvaient s’inspirer. Les rois Philippe III, Philippe IV furent aussi des constructeurs de résidences royales et des collectionneurs, et la commande royale appela de Séville à Madrid Velázquez (1599-1660) dont un voyage à Rome avait élargi l’expérience (son portrait du pape Innocent X). Coloriste, paysagiste et peintre épique, il peignit les personnages de la famille royale, les grands seigneurs faisant caracoler leur monture, les enfants malingres qui ne devaient pas régner, les infantes guindées entre leurs duègnes et leurs naines. Son admirable composition des Lances est une scène à la fois grandiose et minutieuse, où l’idéal d’honneur et de courtoisie efface un instant les brutalités de la guerre. Velázquez fut aussi l’interprète véridique, ni cruel ni attendri, d’une humanité souffrante, des enfants infirmes et des nains, rançons des tares biologiques. Dans cette société, partagée presque sans intermédiaire entre l’opulence seigneuriale et la misère populaire, l’image des petites gens a tenté les peintres. Elle eut sa place aussi dans l’œuvre du peintre de Séville, Murillo (1617-1682), mais qui demeure célèbre par sa Puríssima (L’Immaculée Conception ) expression d’une doctrine pour laquelle les théologiens espagnols avaient combattu et qui suscitait de tendres dévotions dans le peuple espagnol. Mais les Vierges et les saintes de Murillo étaient des Espagnoles, avec le type particulier à l’Andalousie. Il demeure que l’Espagne connut une expérience baroque, mais qu’il ne s’en dégagea point un style homogène, comme celui de Rome; il y eut en Espagne des œuvres baroques diverses, irréductibles à un seul type.
Les domaines de l’«hispanidad»
Cette diversité du baroque espagnol se retrouve dans plusieurs domaines de l’hispanidad . Le Levant de la Péninsule (Valence et Murcie) s’ouvrit à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe à d’autres influences baroques, encore mal étudiées. Du moins la parenté est-elle frappante avec le baroque d’Europe centrale, peut-être pour avoir puisé à des sources communes.
L’Espagne, c’est encore la Flandre espagnole. L’œuvre de valeur universelle est ici celle de Rubens, qui s’est inspiré de l’Italie à Mantoue, à Rome, plus encore à Madrid devant les collections italiennes de Philippe IV. Mais son vigoureux génie trouve une manière personnelle, l’une des plus grandes: l’intensité et la chaleur blonde de la lumière, la puissance sculpturale des corps, la magnificence des mouvements. Quant à l’architecture baroque des Flandres, elle se saisit des éléments du répertoire maniériste, les ordonne en les accumulant et compose, pour les façades d’églises et les retables, des ensembles généreux et majestueux.
À l’Espagne se rattachaient Naples et le Napolitain, pays de la couronne, administré en son nom, mais laissé à ses us et coutumes. Naples fut centre d’art au XVIIe siècle: le peintre valençais Ribera s’y fixa et acquit une réputation générale pour ses tableaux d’autel, sévères et graves; Luca Giordano, décorateur habile, aimant les effets somptueux de la lumière, Solimena, son cadet de vingt ans, furent tenus pour de grands maîtres dont les étrangers appréciaient et réclamaient les œuvres.
En contraste avec de tels succès, une autre expérience se déroulait à l’écart, celle de Lecce, capitale des Pouilles. Pour la clientèle d’ordres religieux et de familles de l’aristocratie locale, ce fut une floraison de palais et d’églises, d’architecture assez simple, mais que revêtit jusqu’à la surcharge une sculpture fantaisiste, voire fantastique, de grotesques, de figures de rêves, de fleurs et de branches: la pierre du pays, tendre et se dorant à l’air, s’était prêtée à ces prouesses, et le baroque ornemental avait trouvé, dans cette province lointaine, un secteur privilégié.
Portugal
Même si l’on tient, avec Eugenio d’Ors, l’exubérance du style manuélin (XVe-XVIe siècle) pour l’une des réussites d’un baroque à travers les âges, on doit reconnaître qu’en revanche le Portugal n’a pas fourni d’œuvres magistrales au baroque stricto sensu du XVIIe siècle. La gravité du style de Herrera s’est retrouvée dans les édifices de l’Italien Terzi (1597), mais il y avait une tradition locale d’églises inscrites dans un plan rectangulaire, les sacristies enveloppant la nef elle-même. Les façades étaient ornées de tours à coupoles généralement basses et présentaient, dans leur partie centrale, l’ordre des fenêtres disposées en V et des moulures régulières autour de la porte. Les modèles de Vignole et de Serlio furent suivis, sans beaucoup d’innovation. Mais, après le retour à l’indépendance (1640), l’art se ranima, comme en témoignent les églises rondes, les façades maintenant ornées de pyramides ou de puissants motifs en forme de conques (séminaire de Santarem, 1676). Surtout, la décoration intérieure fut transformée: les piliers carrés et les murs revêtus désormais de boiseries sculptées (la talha ), enroulements de feuillages et de spirales sous une dorure rutilante. De même, sur les autels, se dressèrent les retables ornés de voussures qui s’inspiraient des porches romans, ou des pyramides en gradins (le trono ) chargés de vases de fleurs, de palmes et de chandeliers massifs en argent, car l’orfèvrerie était une des réussites de l’artisanat portugais. Comme en Espagne, mais d’un caractère moins tragique, abondait la statuaire polychrome. Au temps de João V, coïncidant avec la découverte des mines du Brésil, l’alliance avec l’Angleterre et une reprise économique, interrompue par le terremoto de 1755, l’art de cour reprit vigueur. De Souabe, où le baroque danubien connaissait son plein essor, le roi fit venir des architectes allemands, les Ludwig (Ludovici) et leur confia le soin d’édifier un Escurial portugais à Mafra. Les conditions où s’exerça, dès lors sur tout le Portugal, et passant de là au Brésil, l’influence de l’Europe centrale posent un problème encore mal étudié mais l’un des plus curieux de l’art et de la sociologie du baroque.
Malgré la distance, des affinités profondes s’étaient révélées entre deux mondes, l’un et l’autre un peu à l’écart des grands courants internationaux, mais que leur humeur rurale et artisanale rendaient moins sensibles à l’aspect imposant de l’art qu’à sa grâce familière. Ce fut le temps où palais et églises, et même de plus modestes demeures, se couvraient de carreaux en faïences blanches et bleues, d’un délicat dessin: les azulejos.
Amérique espagnole et Brésil
L’Amérique espagnole tout entière et le Brésil possèdent d’innombrables œuvres baroques. Lorsqu’on pense au baroque de surcharge, c’est-à-dire à celui d’une surabondance décorative, on en trouverait ici le domaine privilégié. Au XVIIe siècle, les façades et les retables d’églises mexicaines dissimulent leur architecture sous la prolifération des sculptures: tout est à la fois fouillé à l’extrême et éblouissant (retable de San Francisco, à Acatepec). Au XVIIIe siècle, la frénésie décorative augmente (Tepotzotlan). On la retrouve au Brésil, lorsque la talha y transforme en grottes de merveilles l’intérieur, jusque-là austère, des églises de Bahia ou de São-Bento à Rio de Janeiro. D’où la tentation d’attribuer cette surenchère du baroque européen à une sorte de revanche de la tradition indigène. On sait que l’or avait été employé à profusion dans les temples aztèques (Mexique) et incas (Pérou), et que les monuments avaient atteint des proportions colossales. Mais, d’une part, l’art de l’Amérique coloniale et catholique est loin d’être uniquement un art de magnificence: ni la sobriété classique ni les espaces nus n’ont manqué à son architecture et à sa décoration. En outre, il ne faut pas oublier que la rupture fut complète avec l’art indigène (qui n’était d’ailleurs parvenu à une qualité supérieure que dans les grands empires); les conquérants avaient tout détruit, et l’art colonial débuta sur table rase. La conquête fut immédiatement suivie de l’évangélisation: on demanda des missionnaires à la métropole et, pour les églises, des plans et des artisans. Les ordres religieux apportèrent aussi leurs propres traditions architecturales: augustins, dominicains, franciscains et Compagnie de Jésus. Comme l’a montré Marcel Toussaint (Arte colonial en México ), après l’empirisme des premières années, les constructions du XVIe et du premier tiers du XVIIe siècle présentèrent la dernière expression de l’art médiéval dans le monde, et ensuite on s’accorda au style de la Renaissance. L’art plateresque fleurit dans les couvents d’Augustins de la Nouvelle-Espagne: la sévérité herrerienne, au contraire, caractérisa des monastères bénédictins, comme celui de Rio de Janeiro.
Le style baroque s’épanouit lorsque, dans les nouvelles vice-royautés, la société fut stabilisée. C’était une société essentiellement aristocratique dominée par les créoles (Espagnols nés en Amérique), déjà conscients de leur différence avec le monde de la métropole, séparés par de faibles couches intermédiaires d’une plèbe, urbaine ou rurale, d’Indiens et de métis, désormais catholiques, mais enclins à aimer, de leur religion, surtout le mystère et les rites, toujours proches eux-mêmes de la superstition et de la magie. Les créoles avaient la richesse ostentatoire, ils multipliaient les fondations, encourageaient les constructions d’églises et de chapelles, d’autant plus que les ordres religieux perdaient, non pas leur influence, mais leur omnipotence et que la hiérarchie séculière s’établissait avec les évêchés et les paroisses. Le baroque se déploya pendant plus d’un siècle (1650 - au moins 1770). Et, dès lors, au mouvement, on pourrait dire ascensionnel, qui conduisit ses œuvres innombrables à toujours plus d’exubérance (cathédrale de Mexico, Puebla, Arequipa avec l’église de la Compañía, 1698) la tradition décorative indigène apporta désormais son concours. Les procédés et les thèmes que le peuple employait dans les arts mineurs (poteries et tissus) se retrouvèrent dans la décoration des églises: dessins géométriques, opposition de couleurs, stylisation du monde végétal et animal, emploi de la céramique.
On a parfois opposé, comme deux domaines distincts, l’art colonial de l’Amérique ibérique et celui du Brésil lusitanien. En effet, le Brésil demeurait en liaison avec sa métropole dont le style, dans l’ensemble, avait plus de sobriété qu’en Espagne. Mais on a vu que le Brésil se complut lui aussi à l’exubérance du baroque. Toutefois, il présente, au XVIIIe siècle, une expérience particulière. Après la découverte tardive et l’éphémère exploitation des gisements, les villes édifiées dans le Minas Gerais (Ouro Preto, São João d’El-Rei, Mariana, Sabará) adoptèrent un style dont il y avait quelques exemples au Portugal.
Les églises paroissiales et celles des tiers ordres (les monastères n’étaient pas autorisés) ont des proportions relativement réduites, leurs plans forment d’ingénieuses combinaisons d’ellipses et de circonférences ou s’étirent entre le porche et l’autel. Les façades blanches, renflées ou non, s’élèvent entre deux tours à coupoles ou à clochetons; elles ne sont ornées que par des bandeaux de pierre plus sombre ou par un grand motif sculpté en pedra-sabão (une sorte d’albâtre). À l’intérieur, des retables parés et fleuris. Leur élégance et leur grâce souriante sont si différentes du somptueux baroque qu’on a pu poser à leur sujet le problème du rococo. À ce style se rattache l’œuvre d’un maître local: le sculpteur mulâtre Antonio Francisco Lisboa, dit «le petit infirme», l’Aleijadinho (1738?-1814), qui fut peut-être aussi architecte et a pu travailler à la construction d’églises (São Francisco de Assis, à Ouro Preto). Ses statues de prophètes, sur la terrasse d’une église de pèlerinage, Congonhas do Campo, avec leur facture nerveuse et suggestive, les costumes exotiques des personnages et surtout leur étonnante expression d’ardeur et de sérénité apparaissent comme une dernière réussite, à la fois savante et populaire, du génie baroque.
Les pays danubiens
L’Europe centrale, des Alpes jusqu’à la vallée du Danube et au Main, en Souabe, en Bavière, en Saxe, en Autriche, en Bohême, en Hongrie constitue un vaste et original secteur du baroque. Les œuvres d’architecture (cathédrales, abbatiales, monastères, palais, châteaux), de sculpture et de peinture, soit fresques, soit peintures de chevalet, y sont innombrables et diverses.
La crise religieuse du XVIe siècle avait entraîné la rupture entre une Allemagne adhérente de la Réforme (en gros celle du Nord et de l’Est) et l’Allemagne catholique, le long du Rhin et des Alpes à la vallée du Main. Si la Renaissance allemande continuait à se développer à partir des villes, fières alors de leurs maisons patriciennes à pignons et de leurs beaux puits de ferronnerie, l’influence de l’Italie se marquait davantage dans la partie catholique (dôme de Salzbourg, 1614-1628, par Solari). En outre, en Europe centrale (Bohême et Hongrie), bien que la petite noblesse des chevaliers et la bourgeoisie des villes fussent encore robustes, la haute aristocratie (barones ) développait sa puissance foncière par l’étendue des domaines et l’asservissement progressif des paysans, et elle devenait cliente d’artistes italiens. L’empereur Rodolphe était collectionneur et curieux de science: à Prague, sa résidence, vivaient des savants allemands et des marchands italiens. Ainsi un double courant d’influences: l’un de la Renaissance et du maniérisme germaniques, l’autre de l’Italie du Nord (Lombardie, Venise) et déjà de Rome.
Bohême
La guerre de Trente Ans (1618-1648) accumula les ruines en Allemagne, mais aboutit à la consolidation des Habsbourg dans leurs États héréditaires et à une transformation de la société. L’aristocratie (ecclésiastique et laïque) devint plus puissante que jamais sur le territoire de vastes seigneuries et domina la paysannerie, tandis que s’amenuisaient les classes intermédiaires (chevaliers et bourgeois des villes royales). L’épisode de Wallenstein, au cours même de la guerre, préfigurait cette évolution: un officier noble ambitieux accumula, par l’intrigue et la spéculation, une immense fortune et l’employa en partie à des constructions (son palais de Prague vers 1630, le premier dans la série des résidences fastueuses que les nobles devaient construire en ville, et qui se distingua par l’ampleur des proportions et son style italien: la sala terrena ). Prague et Vienne devinrent alors deux centres d’art baroque. Prague, délaissée de la cour, est la capitale de la noblesse qui y trouve l’espace nécessaire à la construction de vastes édifices (le palais Czernin, d’ordre colossal, par l’Italien Caratti; les églises et les palais de J. B. Mathey, architecte amené de Rome vers 1670 par l’archevêque J. F. de Wallenstein) tandis que Vienne, enserrée dans ses murailles, est résidence impériale. Des souverains, amateurs et compositeurs de musique, adoptent le style de Venise et des cours italiennes: ils entretiennent des chapelles de musiciens, leur commandent des opéras, des ballets de cour, des oratorios aussi, et se préoccupent bientôt de rajeunir leur demeure, de transformer la Hofburg médiévale en un palais moderne (aile Léopold). Surtout, en Autriche et en Bohême, le catholicisme l’a emporté définitivement, et si, en Hongrie, les protestants conservent leurs privilèges, même dans ce royaume, la Contre-Réforme accomplit de grands progrès.
L’église, le collège des jésuites, les bâtiments des monastères et leurs chapelles modifient désormais un paysage urbain ou donnent son accent à un paysage rural. Le culte de la Trinité, la dévotion envers la Vierge (au XVIIIe siècle en Bohême, à Saint-Jean-Népomucène) se traduisent par des colonnes votives après les épidémies de peste, fléau endémique dans ces régions. Celle que Léopold Ier fit élever sur une place de Vienne est, par son symbolisme, l’une des meilleures expressions de la piété baroque.
Or, de cette vie artistique désormais intense et qui ne correspond pourtant pas à un essor économique justifiant de grandes dépenses, les interprètes sont des Italiens ou des autochtones qui ont fait leur éducation en Italie (le Tchèque Skréta, l’un des meilleurs peintres religieux du XVIIe siècle). Les façades de deux ou trois ordres, couronnées d’un fronton, parfois accompagnées de tours, comme à l’église de l’université de Vienne (1627), agrémentées de terrasses (San Salvator de Prague, 1650, par Lurago; Am Hof à Vienne, par Carlo Antonio Carlone 1662), adoptent le goût ultramontain. J. B. Mathey édifie à Prague une église authentiquement romaine: plan centré, appareil en bossage, coupole ovoïde sur tambour (Saint-François-Séraphin) et des palais romains (archevêché, palais Buquoy, palais Thun). Vingt ans après, l’Italien Martinelli construit à Vienne, pour le prince de Lichtenstein, une résidence superbe, dans la tradition du Bernin. Dans les mêmes années, à Rome, le frère Pozzo, de la Compagnie de Jésus, avait décoré la voûte de Saint-Ignace d’une des plus belles fresques de la peinture baroque. Il avait composé un Traité de perspective qui fut très répandu en Europe et exerça une influence très grande sur les architectes de l’Europe centrale. Léopold l’appela à Vienne où il transforma l’ordonnance intérieure de l’église de l’université et travailla pour le prince de Lichtenstein à Rosau.
Autriche et pays de la haute vallée du Danube
Ainsi préparée par la réalisation de tout un demi-siècle, une grande période d’art se déroula dans les pays danubiens, entre 1690 et 1720. Elle était contemporaine de la montée de l’Autriche au rang de grande puissance. À côté des Italiens (il y en avait toujours et d’excellents: les architectes Aliprandi, Allio...) les maîtres étaient désormais des sujets de l’Empereur. Trois grands noms, ceux de J. B. Fischer von Erlach (1656-1723), de Hildebrandt (1668-1745) et de Prandtauer (1660-1726), celui-ci d’un génie peut-être plus sobre, plus provincial que les deux autres, mais non moins authentique.
Fischer von Erlach et Hildebrandt unissent à une originalité d’invention puissante une très grande culture artistique et la connaissance directe des grandes œuvres. À une heure où le baroque romain perdait de sa vigueur créatrice, ils furent les héritiers des baroques italiens, non pour imiter, mais pour renouveler un style dans la même tradition. Il y a chez eux des réminiscences du Bernin, de Borromini, de Guarini, voire de Longhena. Mais ils sont eux-mêmes, et non des épigones. Fischer von Erlach s’était d’abord affirmé à Salzbourg où il avait édifié les églises de la Trinité et du collège des jésuites: subtiles interprétations de l’espace, grâce des courbes dans un porche renflé ou la concavité d’une façade, élégance recherchée, mais d’un goût exquis. À Vienne, il donna pour le château de Schönbrunn des plans trop magnifiques pour être exécutés (comme jadis le Bernin au Louvre), mais il édifia l’église Saint-Charles-Borromée, où l’agencement subtil d’un portique, de pavillons, de deux colonnes antiques, et leur harmonie avec le dôme et la coupole percée d’oculi opèrent une synthèse, toute nouvelle alors, de puissance et de grâce. L’architecte avait capté les grands souvenirs de la tradition impériale et de la Rome baroque pour cette église qui était un ex-voto de la maison d’Autriche après une nouvelle épidémie de peste et la paix avec la France.
Les dômes montent désormais dans le ciel des pays danubiens, mais avec de curieux effets d’associations: Hildebrandt coiffe d’un énorme dôme l’église de Saint-Pierre, à Vienne, mais place tout contre deux tours à coupole, effet de masse et de puissance; à l’abbaye de Melk, Prandtauer fait d’un dôme l’élément régulateur à la jonction des bâtiments conventuels, très sobres, et de l’église aux volumes mouvementés. Plus tard, à Prague, l’architecte K. I. Dientzenhoffer élève, auprès du dôme majestueux de Saint-Nicolas, de Mala Strana, un gracieux campanile, comme un contrepoint de la pesanteur et de l’élan. La ligne courbe et le contraste entre les volumes sont souvent les caractéristiques de cette architecture baroque, moins stable que celle de Rome, plus découpée aussi à cause des grandes fenêtres et des oculi (Hildebrandt surtout). De même, un pavillon en demi-cercle interrompt parfois la façade (palais Lobkowiz à Prague, palais d’été Schwarzenberg à Vienne). Les églises reviennent souvent au plan central, mais en ellipse (Saint-Charles-Borromée, Vienne). Là où se maintient la nef de plusieurs travées, les corniches ondulent (abbatiale de Melk), ou encore les piliers se font vis-à-vis sur des diagonales, si bien que tout paraît en mouvement. Le souci décoratif s’accorde d’ailleurs à la place considérable que la musique a prise dans la vie de ces nations: les églises, les palais, tout doit être le cadre d’un spectacle religieux ou profane. Jusque dans les églises des campagnes, les autels, avec les retables dorés et peints, la surabondance des statues, des chandeliers, des fleurs, semblent parés pour une fête. Le baroque danubien répond à une perpétuelle représentation. Parmi les figures les plus caractéristiques de cette période, à côté de l’empereur Charles qui voulait transformer l’abbaye de Klosterneuburg en un Escurial autrichien, le prince Eugène a été collectionneur, mécène et bâtisseur. Fischer von Erlach et Hildebrandt construisirent pour lui le palais de ville, dont la façade régulière à pilastres se gonfle de gigantesques armoiries, le château de Rackeve en Hongrie et les deux palais du Belvédère, unis par des jardins et des terrasses, aux portes de Vienne. Or, le haut Belvédère était uniquement réservé à la vie de représentation. Dans les abbayes, une salle était destinée à la visite possible de l’Empereur. D’où l’importance que l’architecte doit accorder à l’escalier par où monte et descend le cortège des invités ou des hôtes. Au palais d’hiver du prince Eugène, l’escalier est soutenu par de grandes statues d’atlantes. Au couvent de Saint-Florian, en Autriche, Prandtauer lui consacre un pavillon entier, baigné de lumière par de grandes arcades. À Göttweig, œuvre inachevée de Hildebrandt, le plafond de l’escalier est décoré par une fresque de P. Troger, où l’empereur Charles VI figure Apollon.
Fresques, tableaux d’autel, statues ont été multipliés pendant toute la période dans les pays de la maison d’Autriche. Mais les artistes ayant peine à satisfaire la clientèle locale, leur réputation, de leur temps même, n’a pas franchi les frontières. Ainsi sont injustement méconnus les noms des peintres autrichiens: P. Troger, Altomonte, Gran qui décora la bibliothèque impériale à Vienne, Rottmayr; en Bohême, de Brandl et de Reiner; des sculpteurs: Paul Strudel, fondateur de l’académie des Beaux-Arts; Mathias Braun et les Brokoff, les maîtres de la statuaire du pont Charles à Prague. Au XVIIIe siècle, les fresquistes Maulbertsch et Lucas Kracker, l’auteur des plafonds du collège d’Eger en Hongrie et de la fresque de Saint-Nicolas de Prague (1760).
La tradition de J. B. Fischer von Erlach fut entretenue, mais apaisée par son fils Joseph Emmanuel qui acheva à la Hofburg l’aile de la chancellerie d’Empire (1730), la bibliothèque, la salle du manège d’hiver (autour de 1735) dont les façades n’ont plus de décoration sculpturale. Le goût de la simplicité harmonieuse s’affirme avec Nicolas Paccassi, que Marie-Thérèse charge de construire Schönbrunn et le château de Prague. C’est enfin le style français qu’introduit Jadot dans les nouveaux bâtiments de l’université. Le changement est sensible aussi dans la décoration qui adopte les asymétries et les arabesques de la rocaille, dans la sculpture qui s’éloigne des modèles romains, prend une manière moins pathétique mais aussi recherchée. Enfin, l’offensive de la philosophie des Lumières, rationnelle et moins imaginative, s’attaque aux valeurs religieuses et sensibles qui avaient inspiré le baroque danubien.
Un autre domaine du baroque, original lui aussi, s’étend des Alpes au Danube et passe jusqu’au Main. Dans cette région, les abbayes et les monastères, auxquels les revenus fonciers assurent une assez longue période de prospérité matérielle, furent reconstruits alors sur l’initiative de supérieurs originaires du pays même, la plupart hommes très cultivés. Autour du lac de Constance, petite Méditerranée alpine, le mode de construction du Vorarlberg (église à contreforts intérieurs ou Wandpfeiler ), la technique des stucateurs de Wessobrunn (actuelle Bavière) sont adoptés par les architectes des grandes abbatiales de Suisse (Einsiedeln) ou d’Empire (Ottobeuren, 1748-1766, par J. M. Fischer). Moins par les techniques, et plutôt par le caractère, l’esprit général et la décoration fleurie, ce baroque d’entre Alpe et Danube se distingue de celui de Rome et des pays danubiens: même dans la monumentalité, quelque chose de plus familier, de moins triomphal ou pathétique, un climat d’allégresse et de douceur. Dans la décoration, une joliesse et un perpétuel sourire qui le rapprochent du goût délicat du rococo.
Les charmantes églises du pèlerinage, à Steinhausen et à la Wies, par D. Zimmermann, à Birnau par Pierre Thumb, harmonieuses, fleuries, ornées de guirlandes blanches qu’on croirait en porcelaine, prouvent que le rococo, toujours réputé mondain et frivole, peut convenir à un art religieux et répondre à la dévotion confiante d’un monde surtout rural.
À Munich, toutes les étapes du style avaient été représentées depuis le maniérisme (le noble baroque des théatins de Munich, par J. Barello et Zuccali, à partir de 1663). La cour adopta, au XVIIIe siècle, les influences françaises contemporaines (pavillon d’Amalienburg, par Cuvilliés), tandis que les frères Asam demeuraient des baroques et faisaient de leurs églises de petits théâtres où les statues paraissaient jouer un drame religieux (l’Assomption de Rohr ou le Saint Georges de Weltenburg). Rarement, le caractère d’illusionnisme qu’on prête au baroque a connu de plus aimables réussites.
France
Quand on pense à cet aspect de théâtre populaire et religieux qu’a pris en effet le baroque dans diverses sociétés régionales, on se trouve conduit en France au problème qu’y pose la décoration des églises par des retables aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il fait mieux comprendre l’impossibilité de tout ramener au seul classicisme, car si celui-ci satisfait les doctes et l’élite sociale, le baroque se prête davantage à une imagerie familière pour toucher des milieux simples et leur transmettre, par une figuration à la fois accessible et merveilleuse, l’enseignement de l’Église et la rassurante présence des saints protecteurs. Les constructeurs de retables ne furent pas imperméables à tous les aspects du classicisme. Mais des écoles régionales ont existé, et la manière dont, sur les autels, elles ont placé de petits édifices à la décoration fouillée et généreuse, avec des statues peintes ou des tableaux représentant des scènes de l’Évangile et la vie des saints, les rattache tout naturellement au courant baroque.
Aux extrémités du royaume, les tendances artistiques, indifférentes aux frontières, répondant davantage à une large mentalité régionale, révèlent des influences venues de pays étrangers: l’espagnole dans le Sud-Ouest, l’italienne en Provence, la flamande en Franche-Comté. Ou bien encore on peut reconnaître la persistance de l’art régional de la fin du Moyen Âge, ou la longévité de formules ailleurs abandonnées (un certain maniérisme s’est prolongé dans les retables encore au temps de Louis XIV).
Par la province et la campagne, la France a participé, plus qu’on ne l’a cru, au mouvement baroque. À l’opposé, le prestige immense que Louis XIV, aimé ou haï, a exercé sur toute l’Europe, la réputation et l’exemple du classicisme français, la renommée de Versailles et des ateliers parisiens n’ont pas été étrangers à la formation d’un style de cour international, où se fondent caractères classiques et caractères baroques.
Alors que le baroque domine assurément l’architecture religieuse, répondant mieux que tout autre aux dispositions du catholicisme post-tridentin rituel et spectaculaire, l’imposante ordonnance et la majesté du classicisme français conviennent davantage à l’architecture civile, mais sans que les exemples du Bernin et de Guarini puissent être jamais méconnus ni oubliés: tels, au XVIIIe siècle, les palais de Stockholm (Tessin le Jeune) de Copenhague ou de Postdam. À Dresde, l’architecte Daniel Pöppelmann crée une œuvre unique en Europe: des galeries à arcades et les pavillons du Zwinger autour d’une cour, destinée aux fêtes et spectacles (1711-1728). Or, si l’invention atteste la puissante personnalité de l’artiste, elle ne s’est déployée qu’après une longue familiarité avec ce qui existait à Paris et à Vienne. À Turin, l’architecte Juvara entreprit, non loin des églises de Guarini, la reconstruction du palais Madame: un seul pavillon fut achevé, qu’on pourrait croire détaché de la façade de Versailles. Il fut appelé à Madrid par Philippe V pour la reconstruction du palais royal incendié, et présenta les plans de l’actuel Palacio de Oriente, réalisé après lui par son élève Sachetti.
Allemagne
En Allemagne, les évêques de Würzburg demandent à l’ingénieur Balthazar Neumann (1687-1753) la Résidence, vaste et magnifique palais où les influences de Versailles rejoignent celles du style autrichien: les projets ont successivement reçu les conseils de Robert de Cotte et de Boffrand (1723) et ceux de Hildebrandt (1736). Enfin, pour peindre le plafond de l’escalier et décorer la salle impériale, Tiepolo lui-même vint de Venise en 1753. Le résultat de cette synthèse fait approcher du rococo le style des églises de B. Neumann à Vierzehnheiligen et à Neresheim. Il peut être caractérisé, non pas par le seul décor: cartouches asymétriques, dessin chantourné des chapiteaux, alliance des surfaces nues et des colonnes et pilastres en stuc teintés de couleurs tendres, mais par une nouvelle et ingénieuse fragmentation de l’espace. Avec les arcs légers qui relient les piliers aux murs droits de l’édifice et à la voûte, l’ensemble apparaît comme un jeu de galeries et de passages.
Pologne et Russie
Au-delà de l’Europe centrale, la Pologne catholique et la Russie orthodoxe (y compris l’Ukraine) présentent un autre domaine du baroque. On a parlé d’un monde slave du baroque: mais comme il n’a pas d’unité, il vaudrait mieux parler d’un baroque des expériences slaves. Ces pays d’aristocratie seigneuriale, d’Église et de paysannerie réunissaient les conditions sociologiques les plus favorables à un essor du baroque. Mais on doit établir des distinctions selon les périodes: l’Italie et les pays danubiens associent leurs influences à Cracovie pour les églises à frontons et colonnes, fidèles au goût de la Contre-Réforme, tandis que l’ensemble de pavillons et d’arcades qui forme l’original château de Vilanow (Locci, 1681; Spazzio et Fontano, 1723-1735) est une œuvre plus résolument italienne. En Russie, à la fin du XVIIe siècle, on a appelé baroque Naryschkine une catégorie d’églises dont les tours mouvementées, jaillissant d’un quadrilobe, sont décorées de loges et de colonnes torses jusqu’à la coupole en bulbe qui les termine. La plus célèbre est celle de Fili (1693). Leur style éblouissant et mouvementé n’a rien à faire avec la tradition des anciennes églises russes à bulbes multiples ou à toiture en forme de tentes, ni non plus avec les influences italiennes qu’on croit voir dans la rotonde de l’église de la Nouvelle-Jérusalem, près de Moscou. Mais le baroque Naryschkine, qu’a pu préparer l’infiltration de beaucoup d’éléments décoratifs (colonnes torses, frontons brisés, vases) venus à travers la Pologne, porte la marque indiscutable du génie russe et révèle assez curieusement des affinités profondes de sensibilité entre la religion orthodoxe et la religion latine qui s’anathématisaient alors. On ne peut pas dire la même chose du baroque de Rastrelli, l’architecte italien qui a édifié à Saint-Pétersbourg, au milieu du XVIIIe siècle, le palais d’Hiver et le monastère Smolny, belles œuvres qu’il faut rattacher au baroque international. Il est donc important d’observer que la Russie a occidentalisé son décor à travers plusieurs étapes d’art baroque.
Angleterre
Est-il juste, après ce survol du baroque à travers l’Europe, d’admettre qu’il y eut cependant des zones de résistance au baroque? De l’Angleterre, on a pu dire, et sans déformer la vérité, qu’à la fois elle avait accueilli des œuvres baroques, mais que son génie particulier, protestant et puritain, répugnait aux outrances baroques. En effet, on n’y trouve point de baroque exubérant, comme dans les pays slaves et, à travers tout le XVIIIe siècle, le souvenir d’Inigo Jones, disciple convaincu de Palladio, s’est maintenu dans la tradition architecturale. Mais l’Angleterre a possédé, en la personne de C. Wren (1632-1723), l’un des plus grands architectes du temps, excellent mathématicien, doué d’un génie inventif, et connaisseur des œuvres du continent. Il visita Paris en 1665 et y eut même une entrevue avec le Bernin. En outre, l’incendie de Londres, en 1666, fut suivi de nombreuses constructions d’églises, et l’achèvement de la cathédrale Saint Paul fut associé aux réussites de l’Angleterre, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Saint Paul appartient au baroque par son allure générale, la majestueuse association du dôme et des tours surmontant le portique à colonnes, comme par l’agencement intérieur de l’espace, ou par les façades du transept qui rappellent celles des églises romaines, ou encore par les procédés d’illusion qui, à plusieurs reprises, assurent les raccords. Les clochers d’églises construites par Wren sont, à cause de leur variété et de leur élégance ingénieuse, apparentés aux flèches de Borromini, et l’intérieur de Saint Stephen Walbrook semble une variation très personnelle sur des thèmes de Guarini et de Palladio.
Les grandes compositions de Wren et de ses disciples (l’hôpital militaire de Greenwich, Blenheim de Vanbrugh) s’imposent à l’admiration par le sens de l’espace, l’art de fournir aux masses architecturales un environnement d’air, d’arbres et d’eau qui les associe à la nature, de les joindre entre elles par un dynamisme intérieur. Chez ces grands maîtres, ou chez leurs contemporains Hawksmoor ou Gibbs, l’attrait pour la monumentalité, la volonté d’ostentation jusqu’à quelque chose de théâtral, l’indépendance résolue à l’égard des règles, la hardiesse d’invention révèlent des tendances baroques. Mais il est vrai que les conditions de l’Angleterre ne la prédisposaient pas à une expérience plus prolongée et, en publiant de 1715 à 1725 les trois albums du Vitruvius britannicus où figurent d’ailleurs beaucoup de projets baroques, Colin Campbell condamnait les grands Romains et prêchait le retour à Inigo Jones et à l’art de Palladio.
4. Le baroque littéraire
Le baroque littéraire, un concept sous dépendance
La notion de «baroque littéraire», ou de «littérature baroque», s’est constituée tardivement, sous une double dépendance.
L’impératif de la forme
L’idée provient d’un déplacement vers la littérature des hypothèses théoriques élaborées, à la fin du XIXe siècle, sur la notion de baroque appliquée aux arts d’organisation de l’espace (compositions architecturales et picturales), de figuration (peinture, sculpture) et d’ornementation (architecture d’intérieur, mobilier, ferronnerie, orfèvrerie).
La transposition des modes de construction et d’organisation de l’espace, destinés à produire des impressions ou des effets, à un secteur – la littérature – où la notion d’espace ne peut être qu’une métaphore et cède le pas à un objectif de signification, pose une première série de problèmes.
La littérature a pour matériau le langage, qui n’est pas une matière concrète, mais un système de signes ayant pour but essentiel de produire, non une forme ou une figure, mais un sens. L’objectif premier est de signifier, et secondairement, pour atteindre ce but, d’utiliser des moyens d’ordre rhétorique qui mettent les effets et les impressions au service de la signification. Tel est l’ordre traditionnel, qui a été perçu comme «naturel» et défini comme «classique». Le baroque ayant été considéré comme l’inverse du classique, parler de baroque en littérature a consisté à inverser les termes, en donnant priorité à la forme sur le contenu, et à placer la signification en position seconde par rapport à un objectif premier qui consiste à produire des effets et à impressionner. C’est donc d’abord dans ce sens qu’on a conçu la notion de baroque littéraire, comme utilisation de moyens destinés à produire des effets et à agir sur l’imaginaire et l’affectivité, avec une oscillation entre les deux pôles de la venustà , la grâce (utilisant des moyens de séduction, comme le mot d’esprit, le concetto, le cliquetis précieux) et de la terribilità , ou désir d’impressionner (par la grandeur, la pompe, l’emphase, la volonté d’en imposer, de far stupir , selon l’expression du Cavalier Marin). L’objectif ultime de cette démarche apparaît comme la recherche d’un «sublime», qui a pour effet de mettre sous le charme (venustà ) ou de créer la stupéfaction (terribilità ). Les adversaires de cette esthétique auront vite fait de transformer ce sublime en grotesque, et de taxer de mauvais goût cette recherche de l’extrême.
Un autre problème, plus général, concerne la nature du code ou de l’instrumentation littéraire. Les arts de figuration procèdent selon une voie «mimétique», en agissant directement sur le matériau qui leur est propre. Le matériau de signes sur lequel travaille la littérature suppose, dans l’acte de lecture, une transformation du mot en image mentale, qui n’est pas matérielle, mais imaginaire ou conceptuelle. Le classicisme choisit, pour s’exprimer, la voie conceptuelle dite «sémiotique». Toujours en fonction de l’opposition établie entre les deux esthétiques, le baroque se verra attribuer une préférence pour la voie «mimétique», dans un code qui la rend pour le moins problématique. Le baroque est vu comme un «matiérisme» qui s’efforcerait, comme dans un art figuratif, de faire participer son lecteur à un univers d’images. Des figures de style comme l’hypotypose (procédé d’expressivité réaliste), la réalisation de la métaphore, un penchant pour les deux directions qui se détournent de la voie intellectuelle (soit la recherche de l’état brut, de la sensualité, de la matérialité, soit une propension aux états extatiques ou oniriques, aux visions et aux songes) reproduiraient, à leur manière, le parti pris des extrêmes en constituant une opposition déclarée aux choix de la raison comme fondement de l’esthétique classique. Cette conception du baroque littéraire met celui-ci sous la dépendance des arts de représentation, dont il reproduit, dans un domaine de nature différente, les principes de fonctionnement, en se constituant par opposition systématique à la notion de classicisme.
Un art transculturel?
La seconde dépendance vient de l’interférence entre les notions d’esthétique générale, qui ont un caractère d’internationalité, et de culture nationale, de plus en plus affirmée à partir du XVIe siècle. Le baroque a été perçu comme «l’art de la Contre-Réforme», d’origine catholique et méridionale, que l’on oppose à des cultures du Nord de l’Europe, qui lui seraient résistantes ou franchement hostiles. Cette opposition revient à prolonger, dans le domaine de l’esthétique, la fracture religieuse du XVIe siècle. La vérité est que le baroque s’établit dans le sillage de toutes les Réformes, mais qu’il choisit des points d’application différents selon les cultures. À la fin du XIXe siècle, les théoriciens allemands ont tendance à placer derrière le mot «classique» la France de Versailles et des Lumières, et derrière le mot «baroque» une esthétique qui ressemble, par beaucoup de côtés, au romantisme allemand. Les Français, qui ont été très résistants à l’idée de baroque, y ont vu longtemps une importation étrangère (italienne, ibérique, germanique) qui viendrait perturber une «clarté» classique inhérente à la culture française. Mais pour un Espagnol, un Italien, un Autrichien, le baroque constitue un «âge d’or» de sa culture, constitutif de son identité, qu’il n’est pas question de méjuger. Les affrontements permanents entre les nations engendrent des jugements et des choix subvertis par des questions idéologiques, dans lesquelles chaque nationalisme a sa part de responsabilité. Un regard européen, panoramique et libre d’attaches géographiques, pourrait modifier complètement les perspectives dans lesquelles se sont constituées les théories du baroque. Est-on en mesure aujourd’hui de dépasser les querelles nationales? Cette seconde dépendance de la notion de baroque, à partir du point d’origine national qui détermine un point de vue, doit en tout cas être soulevée.
Une mosaïque littéraire
La définition d’un baroque littéraire doit tenir compte de ces dépendances de fait, qui font partie de son histoire et de son statut, mais doit également respecter la spécificité du code dans lequel s’insère la littérature. Il importe de maintenir le rapport avec les arts de représentation, la musique, l’idéologie, l’ensemble de la culture, l’ordre politique et social, en faisant du baroque littéraire un mode de manifestation particulier d’un état de civilisation. L’analyse des moyens, elle, ne saurait procéder à des analogies simplistes: parler de l’architecture d’un texte, du recourbement de la phrase, des modes d’expression ouverts ou fermés sont des métaphores spatiales transposées qui requièrent une explication. En ce sens, la sémiologie, qui a pris le relais des études d’histoire des arts dans la construction du concept de baroque, a été d’un précieux secours pour maintenir la particularité du fait littéraire. Mais la différenciation ne saurait être une indépendance: isoler le fait littéraire de son contexte est une aberration.
En ce qui concerne le second point, on ne peut se contenter aujourd’hui de perspectives strictement nationales: on a défini un «âge baroque» spécifiquement français, qui recouvrirait la première moitié du XVIIe siècle. Mais en Autriche, en Bavière, au Portugal, le baroque est à son apogée au XVIIIe siècle. Pour certains musicologues, la musique baroque commence avec Bach et s’achève avec Mozart. Le roman picaresque naît dans l’Espagne du XVIe siècle, passe en France et en Allemagne au XVIIe siècle, en France encore, puis en Angleterre dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Shakespeare, un auteur purement anglais et inexportable, devient un génie européen à la fin du XVIIIe siècle, et inspire le théâtre de toutes les nations. La périodisation de la littérature baroque doit tenir compte de ces disparités et s’ouvrir au plus large éventail possible. Il convient également de prendre en considération le réseau des influences, le temps qu’elles mettent pour se manifester d’un pays à un autre, s’implanter ou créer des réactions. L’âge de la littérature baroque européenne, au sens le plus large, comprenant ce que les Français préfèrent appeler les siècles «classiques», de 1580 à 1790 environ, ne constitue pas une ère monolithique: il conviendra d’y distinguer des différences selon les temps et les régions. La littérature baroque européenne est, comme l’Europe, une mosaïque: une vision restrictive fait perdre les lignes générales d’orientation et de composition; une vision globale fait perdre de vue les particularités de la facture, faite d’un amoncellement de pièces détachables.
L’élaboration du concept: approche formelle et approche historique
Le mot «baroque» a eu sa période préhistorique: utilisé comme terme technique de joaillerie, d’origine portugaise, il a dérivé, dans certains pays, notamment en France, dans le sens de l’irrégularité, de l’insolite ou du barbarisme. Il n’en a pas été de même dans d’autres pays, notamment en Allemagne ou en Espagne, où le terme a défini l’art d’une période historique, sans jugement de valeur. Pourtant, les premiers analystes du baroque, comme Jacob Burckhardt (1818-1897), y ont vu une forme de dégénérescence de la Renaissance. Cette conception flattait les pays où le baroque était perçu comme invasion étrangère: la théorie des siècles d’or, idée ancienne réactualisée par Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV , voit entre ces deux sommets que sont le siècle des Médicis et celui du Roi-Soleil, un creux de civilisation qu’aucune langue ne trouve utile de nommer. Cette image en creux est renforcée au XXe siècle par tous les tenants du classicisme, et par des auteurs qui réagissent idéologiquement, ou associent le baroque à des périodes de déclin qui valent pour un pays ou une région, mais ne sont pas généralisables à l’ensemble de l’Europe: ce fut le cas pour Benedetto Croce (1866-1952). Il s’agissait en fait d’une double confusion, élucidée ultérieurement: confusion entre le baroque et le maniérisme post-renaissant, et mauvaise interprétation du maniérisme lui-même, qui est seulement la période postmoderne de cette modernité appelée la Renaissance. Le baroque est tout le contraire d’une dégénérescence: il est profondément dynamisé par une volonté de régénération, qui s’établit dans le sillage de la reprise en main générale des communautés sociales, politiques et idéologiques, par les états et les églises, sur des bases renouvelées qui mettent en avant les principes d’unité et d’autorité. Il procède d’autre part de ce qu’on peut appeler la conscience de la fracture ou de l’écart entre le souhaitable et l’existant, qui aboutit à la constitution d’un univers duel à tous les niveaux de perception.
La première tentative de mise en situation du baroque, dans les arts qui concernent l’organisation et le rendu de l’espace, peut être attribuée à Heinrich Wölfflin (1864-1945). L’analyste procède, dans ses Principes fondamentaux de l’histoire de l’art , à l’établissement d’une série d’antithèses qui confrontent deux types d’esthétique. L’esthétique dite classique se caractériserait par la linéarité, le découpage de l’espace en plans séparés, la circonscription des formes et la prévalence du dessin. L’esthétique dite baroque privilégie la continuité, la matière colorée, le dynamisme des formes plus que l’harmonisation des lignes. Le classique a pour objectif une utopie de la perfection formelle, obtenue par la fermeture à l’extérieur et l’harmonisation interne des parties au tout: ce serait un espace qui renvoie à une image traditionnelle du cosmos, centré, fermé, un. Le baroque ne fait qu’indiquer des directions, créant un champ de forces ouvert et conflictuel, où tout est énergétique et in-défini, il-limité, in-terminable. Le classique a le culte de l’unité, qui est pour lui préalable et impose ses règles. Le baroque vit dans la diversité et la luxuriance, et oppose à l’unité indivisible des classiques une «unité multiple» par mise en résonance d’affinités. La quatrième opposition concerne les rapports de l’ombre et de la lumière: le classique éprouve une fascination pour un absolu de clarté, tandis que le baroque privilégie les contrastes en faisant ressortir la lumière d’une ombre qui a sa propre consistance.
Ces catégories, prises en elles-mêmes, ont une cohérence et une pertinence évidentes. Elles autorisent également une transposition dans le domaine littéraire. Analyse et synthèse, forme et force, fermeture et ouverture, multiplicité et unité, clarté et obscurité ont un sens dans le maniement littéraire du langage. Les tentatives d’étroite application qui en ont été faites, notamment dans des travaux universitaires américains, entraînent pourtant une certaine déception: mais les raisons en paraissent autres (systématisation mécanique, absence de prise en compte de la totalité de l’œuvre, qui ne se laisse mettre en catégorie que partiellement et artificiellement). C’est du côté de la spéculation esthétique générale que ces principes ont apporté la preuve de leur fécondité hors de leur domaine propre: Eugenio d’Ors (1882-1954) établit classique et baroque comme des constantes de civilisation, en y incluant des apports freudiens, et en établissant entre les deux catégories non une relation d’opposition, mais une oscillation qui les rend convertibles.
Les études effectuées par Marcel Raymond sont allées dans le sens d’une distinction entre le baroque et le maniérisme, et de l’établissement d’une thématique mise en rapport avec les caractéristiques formelles d’écriture. Parallèlement V. L. Tapié formulait les caractéristiques d’un baroque historique. Le livre fondamental de Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France: Circé et le Paon (1954), et l’Anthologie de la poésie baroque , qui a suivi, marquent l’apogée d’une période d’investigation, caractérisée par l’exploitation des catégories mises en place par les historiens de l’art et aménagées en fonction du mode spécifique d’expression de la littérature. Jean Rousset centre son étude autour de deux thèmes, le mouvement et l’apparence, comme marques distinctives de sensibilité. Le baroque est au centre d’un complexe dans lequel l’impossibilité d’atteindre à l’être est compensée par une immersion dans la fluidité de l’existence, où tout s’écoule et se métamorphose, et par les illusions spectaculaires de l’apparence, qui font de la vie une scène de théâtre.
Jean Rousset reviendra sur les bases à partir desquelles s’est constituée son étude, en particulier dans L’Intérieur et l’extérieur (1968). Ainsi s’amorce une récession dans l’utilisation de perspectives générales concernant le concept de baroque. Le livre de Pierre Charpentrat, Le Mirage baroque (1967), exprime un scepticisme ironique sur les vues synthétiques. La critique s’oriente vers des «micro-lectures», qui serrent de très près les textes, pour en faire ressortir des principes de fonctionnement, sans prétention à l’universalisation des principes. Cette critique prend le relais des méthodes élaborées en linguistique (Chomsky) et en informatique, et des modes d’investigation historique à partir du fait révélateur (Le Roy-Ladurie). L’investigation de Gérard Genette sur quelques documents de littérature baroque (Figures I et II , 1966 et 1969) prend appui sur l’approche technique pour la dépasser par une intégration dans une théorie générale de la production littéraire. Les thèmes de la fluidité et les détours du récit ne peuvent occulter une armature forte, et permettent de déceler «dans le vertige un principe de cohérence».
L’évolution historique de l’approche critique recouvre une logique: dans un premier temps, la critique littéraire se place sous la dépendance des principes énoncés par les historiens de l’art, et pose le baroque littéraire comme antithèse du classicisme. Dans une perspective d’histoire de la littérature française, le baroque apparaît comme un principe d’opposition à l’irrésistible montée d’un classicisme. Dans les pays où le baroque s’épanouit librement, c’est le classicisme, issu de France et se répandant en Europe au cours du XVIIIe siècle, qui sert de frein a ses débordements naturels. Dans un deuxième temps, qui est celui de l’affirmation d’une spécificité de la production littéraire, définissant la «littérarité», une approche technicienne approfondie permet de définir l’identité d’une œuvre par son organisation interne, ce qui brouille les pistes entre les antithèses abstraitement établies et le caractère exclusif des termes «baroque-classique». Actuellement se prépare une troisième phase, dans laquelle les études comparatistes, et l’adoption d’une perspective européenne devraient permettre de retrouver une forme de globalité.
Cette perspective amène à revenir sur la nature des relations entre baroque et classique. Le lien d’opposition révèle ses insuffisances et son caractère abstrait. On constate, par confrontation des structures internes d’œuvres arbitrairement classées suivant cette catégorisation, qu’il y a bien plus souvent indécision, ambiguïté ou superposition. Les deux notions sont étroitement imbriquées: la période du premier baroque français est appelée aussi «préclassique»; l’épanouissement du baroque allemand, qui correspond à la première moitié du XVIIIe siècle, coïncide avec une période appelée en France la naissance des «Lumières» et en Angleterre The Age of Reason. On sera par là amené à distinguer un «âge baroque» qui se développe en Europe sur deux siècles, et à l’intérieur de cette période un «baroquisme» et un «classicisme» formels, dont les caractéristiques sont bien définies, mais abstraites, et qui dans l’histoire concrète interfèrent, se superposent ou se différencient suivant un mode d’oscillations jamais pures, mais bien repérables. On distinguera deux vagues – supposant à chaque fois une intensification des caractères esthétiques – baroques (1580-1660 et 1700-1750) et deux vagues classiques, chacune mêlée de son élément contraire. Il existe bien cependant une oscillation entre deux esthétiques qui permet de distinguer des périodes de prévalence sans qu’il y ait exclusion.
Les binômes «Renaissance-maniérisme» et «baroque-classicisme»
Pour comprendre la formation simultanée des styles baroque et classique, il convient de s’appuyer sur le complexe culturel appelé Renaissance. Ce mouvement, qui se manifeste en Italie à partir du Trecento (XIVe siècle), y atteint son point d’intensité maximale au XVe siècle et se prolonge jusqu’au début du XVIe. Sa diffusion s’opère dans le reste de l’Europe à partir de la fin du XVe siècle et durant tout le XVIe siècle, simultanément à un autre mouvement, désormais bien identifié, appelé le maniérisme, qui émerge en Italie au cours du XVe siècle. De là vient le caractère ambigu des renaissances européennes, en dehors de l’Italie, car elles véhiculent à la fois les valeurs «classiques» de la Renaissance et celles, tout à fait différentes, du maniérisme, que l’on a parfois confondu, de manière anachronique, avec le baroque.
La Renaissance est une forme de classicisme, suivant les catégories wölffliniennes. C’est la recherche d’une cohérence face à l’extension des connaissances et l’inflation du savoir. Il s’agit de rendre compte de la totalité des acquisitions en procédant par syncrétisme (entre l’hellénisme et le christianisme, entre les données de la science et de la croyance) et par harmonisation (établissement de rapports qui définissent les «divines proportions», génératrices d’équilibre et de beauté). Il s’agit d’ériger cette totalité en unité par la recherche d’une solution des conflits et d’une résolution des contradictions. Les valeurs essentielles de l’esprit sont l’harmonie et la lumière.
Le maniérisme prend appui sur ces bases, et se présente comme l’exploitation et la mise en valeur des modèles légués par la Renaissance. Mais le sentiment de venir trop tard fait délaisser à ses suiveurs et épigones (qui se présentent comme tels) les questions de contenu au profit des distorsions formelles, qui sont les bases de leur créativité. L’anamorphose, les parallèles et les antithèses (culminant dans l’oxymore), les effets additifs, accumulatifs et multiplicatifs, le géométrisme renforcé, engendrent un style tout à fait différent de celui dont ils s’inspirent (ainsi en va-t-il des pétrarquistes par rapport à Pétrarque). L’art et la littérature maniéristes se caractérisent par la parcellisation et la spécialisation autour d’une trouvaille particulière. Il s’ensuit une perte du sens global et un repli sur la virtuosité technique et formelle qui élève l’art au-dessus de la nature. La déroute des sens peut être mise en rapport avec la crise de scepticisme qui affecte la deuxième moitié du XVIe siècle. La rupture des bases traditionnelles d’explication du monde et de l’homme fait que tout devient objet de questionnement, représentation énigmatique. La figure du labyrinthe, complaisamment développée, est l’emblème de la relation de l’homme au monde et de l’esprit au savoir. Il reste comme moyen de salut une attitude esthétisante, qui prend souvent un aspect provocant, excentrique ou désinvolte. Le maniérisme est l’art d’une période de crise, mais on ne peut parler ici de décadence – même si les auteurs cultivent la mélancolie, la lassitude et l’anxiété – car parallèlement on assiste à une hypertrophie de la curiosité, au goût du mystère, de la revendication de vivre dangereusement, d’exploiter toutes les ressources de la liberté et du plaisir.
Le baroque prend appui sur le maniérisme et reprend à son compte l’interrogation généralisée sur les difficultés du vivre et du savoir. Mais la réutilisation de ces thèmes ne doit pas faire illusion: il n’y a point d’arrêt en cet état. Ils sont le point de départ et le tremplin d’une nouvelle construction épistémologique et morale. «N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde», dit Malherbe, mais c’est pour ajouter aussitôt: «N’espère que de Dieu». Descartes part, avec l’hypothèse du «malin génie», du doute généralisé, mais c’est pour en déduire: «je doute, donc je pense», et de là «je pense, donc je suis». Pascal reprend, derrière Montaigne, le thème de la misère de la raison, mais c’est pour y adjoindre aussitôt l’idée de sa grandeur et faire de ce complexe un argument démonstratif. Cette manière d’envisager l’exercice de la pensée comme activité volontariste, de conduire du questionnement à l’affirmation, met en valeur un sens unitaire et ascendant qui s’exprime dans la volonté de puissance (comme le Tamerlan de Marlowe ou la lady Macbeth de Shakespeare), la volonté de science (comme dans La Tragique Histoire du docteur Faust de Marlowe) et la volonté de jouissance (comme chez Don Juan), et trouve son point maximal dans la «gloire», synthèse des deux mouvements vers l’unité (se faire un nom) et vers la hauteur. Mais à la différence du classicisme renaissant, l’unité n’est pas le résultat obtenu par l’harmonisation des contraires: elle est au début, point de départ et point ultime (on peut ainsi opposer le moi de Montaigne, résultat d’une quête tâtonnante et indécise, labyrinthe d’auto-analyse, et le moi du héros cornélien, qui s’affirme d’emblée). Pour atteindre cet état de perfection unitaire, le baroque procède par sélection et par rejet, dans un univers d’ombre et de lumières contrasté, qui est le pendant littéraire du caravagisme pictural: faire ressortir la lumière de l’ombre, faire émerger des vérités dans le chaos du savoir. Certitude et résolution: c’est le contraire du maniérisme, exploitant dans le doute les vertus des contradictoires. Par ces qualités, son aspiration à l’unité et à l’absolu, le baroque peut apparaître comme une forme de classicisme. Mais il s’agit d’aspiration: en ce sens le baroque fonde une dynamique ouverte, en mouvement, tendue vers une fin qui n’est pas acquise, et qu’il met toute sa force à réaliser.
Pour réaliser ce dessein, deux moyens sont à sa disposition: la force et la séduction. Le choix de ces moyens nous ramène aux caractéristiques formelles du baroque: venustà et terribilità . D’un côté, il y aura l’art de plaire, par l’exhibition de formes et de paroles aimables, par l’excitation du désir, et les voies contournées de la séduction (c’est la voie de Don Juan). Mais il s’agit là de moyens mis au service de l’esprit de conquête. D’un autre côté, il y aura l’art d’en imposer (depuis le vers célèbre d’Auguste dans Cinna : «je suis maître de moi comme de l’univers» , jusqu’au mot de Louis XIV: «l’État, c’est moi»). Il s’agit là de justes déductions d’une conquête effectuée, qui réalisent, sous forme conclusive, les grands rêves de pouvoir des paranoïaques du théâtre élisabéthain. En ce sens, baroque et classique se rejoignent: la grandeur du Roi-Soleil est le résultat de fait du rêve de grandeur du héros baroque, l’unité du royaume est le résultat de l’effort vers l’unité des grands ministres baroques, le triomphe classique de la raison est le résultat de l’itinéraire volontariste tracé par Descartes. Le classicisme d’État et d’Église, celui des institutions, est une forme de baroque qui trouve son identité dans l’apparat, sa règle d’action dans la gloire, et son couronnement dans les fêtes. C’est un opéra fabuleux et réel.
Il existe toutefois une autre forme de classicisme: Colbert face à Louis XIV, les jansénistes face à l’éloquence de chaire, les milieux bourgeois, rétifs à la dépense, face aux milieux de Cour. Dans l’Europe du XVIIe siècle, cet esprit se manifeste en deux régions: la Hollande, et l’Angleterre, qui surprennent la plupart des voyageurs par leurs préoccupations terre à terre. C’est là que se constitueront deux formes de «classicisme», l’un conduisant à l’épanouissement de la peinture hollandaise, l’autre à l’établissement de régimes politiques régulés par le partage des pouvoirs. La sobriété engendre la modération, la recherche d’un équilibre entre le désir et sa satisfaction, celui qui caractériserait les milieux bourgeois mis en scène par Molière, si un maniaque, qui plus est doté de pouvoir sur sa famille, ne venait perturber cet ordre dans presque chacune de ses comédies: la monomanie du héros comique (qui pourrait tout aussi bien être tragique, parce qu’il est tyrannique) représente un principe unitaire et autoritaire, une parodie de régime baroque sous un maître dévoyé, au milieu d’un microcosme où se manifeste un idéal d’équilibre entre la jeunesse et l’expérience, la passion et la raison, exprimé par les raisonneurs et donneurs de conseils d’une manière qui peut être sérieuse ou parodique. En Angleterre, après les tentatives infructueuses des Stuarts et de Cromwell pour fonder le régime sur les principes d’unité et d’autorité, on assiste, après 1688, à la mise en place d’un ordre garanti par le jeu des pouvoirs intermédiaires et de la classe marchande et industrielle qui revendique ses droits de gestion. Cette évolution politique se transcrit par l’entrée d’un certain libéralisme critique, que représente assez bien l’esprit du Spectator d’Addison et Steele, accompagné d’une confiance dans le progrès. Ce modèle, loué par les intellectuels français, alimente l’esprit philosophique (les Lettres philosophiques de Voltaire en sont un des multiples témoignages), mais l’ordre politique, dans le royaume de France, reste tributaire du schéma baroque unitaire et autoritaire. Dans les pays du centre et de l’est de l’Europe, se mettent en place des régimes dits de «despotisme éclairé», qui reprennent les méthodes de gestion baroque au service de réformes qui ne remettent pas en cause les fondements du pouvoir. C’est dire que le complexe «baroque-classique» perdure tout au long de cette période.
En définitive, le baroque qui caractérise ces deux siècles de civilisation se définit par deux figures complémentaires. La première est constituée par le principe unitaire, qui engendre un mode de pensée qui fait de l’unité le centre et le sommet de toute organisation. Affirmation d’autorité, affirmation d’une hiérarchie, organisation pyramidale autour d’un sommet ou d’un point de convergence caractérisent aussi bien l’institution politique que l’esthétique littéraire. Parallèlement, s’inscrit en creux dans cette figuration un autre principe, celui de la dualité, de la rupture ou de la faille: cet univers organisé est un univers fermé, circonscrit par des limites hors desquelles on bascule dans un ordre autre. Si on appelle classique l’ordre unitaire, le baroque est tout ce qui n’entre pas dans cet ordre ou le contredit (c’est la conception traditionnelle du baroque). Mais le baroque est aussi porteur des mêmes principes, avec cette différence qu’il les conduit à leur terme absolu: dans ce cas, le classicisme apparaît comme un effort de rééquilibrage, fondé sur la modération, le juste milieu, la relativisation des absolus. Mais en aucun cas les termes ne sont séparables puisque l’un prend appui sur l’autre pour s’établir une fonction au sein d’un système de dualité. La principale illustration de ce principe est le mythe de Don Juan, qui naît, s’établit et se diversifie au cours de cette époque, du Burlador de Sevilla de Tirso de Molina au Don Giovanni de Da Ponte et Mozart. Don Juan vit dans le siècle, est soumis à toutes les tentations de la multiplicité, de l’accumulation, de la diversification, du changement et de la métamorphose dans ses amours et ses travestissements; c’est l’homme de l’apparence, et déjà se manifeste une faille entre son comportement de façade et sa personnalité authentique. Don Juan est en même temps assoiffé d’absolu. Il exige que Dieu se manifeste à lui, de manière visible, et n’a d’autre interlocuteur valable que le Ciel: aspiration par excellence à l’Un chez un être déchiré, qui réagit par l’éparpillement de ses désirs et de ses apparences, et une attitude de provocation par impossibilité d’atteindre à l’unité.
Esquisse d’une chronologie de la littérature européenne à l’âge baroque
On distingue généralement, à l’intérieur de l’«âge baroque» européen une double oscillation qui détermine quatre phases essentielles. Cette périodisation ne coïncide pas avec les divisions traditionnellement effectuées dans les histoires de la littérature française: un «âge baroque» restreint (1610-1660), antérieurement appelé «préclassicisme», y précède le règne de Louis XIV, auquel correspond le «classicisme», suivi du «siècle des Lumières», qui comporte en sa fin des indices de «préromantisme». Dans une perspective européenne, le cas de la France est pris dans un ensemble qui amène à revoir ces contours.
Une première vague baroque se constitue en deux temps. Dans un premier temps, on assiste à l’épanouissement de quatre genres: la poésie, sous une forme épique ou lyrique (le Tasse, d’Aubigné, Malherbe, Régnier, Góngora, John Donne); le roman, sous sa forme d’itinéraire sentimental compliqué (L’Astrée d’Honoré d’Urfé), d’aventures hasardeuses (comme celles du pícaro Guzmán d’Alfarache de Mateo Alemán), culminant dans cette somme qu’est le Don Quichotte de Cervantès, où les thèmes baroques du mouvement et de l’illusion atteignent leur plus intense illustration; le théâtre, avec l’incroyable floraison des auteurs élisabéthains (Marlowe, Chapman, Webster, Ben Jonson, Tourneur) et l’œuvre de Shakespeare, qui passe du maniérisme de ses débuts à l’esthétique de la terribilità à l’anglaise dans sa période noire, illustration d’un baroque au nocturnisme clair (comme dans Le Songe d’une nuit d’été ) ou ténébreux (comme dans Macbeth ); enfin les écrits moraux ou spirituels (Charron, saint François de Sales). Cette première période atteint son sommet vers 1610. Une deuxième période voit son apogée autour des années 1630: on assiste à une extension considérable du genre dramatique, particulièrement en Espagne (Calderón, Lope de Vega, Tirso de Molina, Ruiz de Alarcón), mais aussi en France (Corneille, Rotrou), en Hollande (Vondel) et en Angleterre (John Ford); le genre romanesque se distribue en «roman précieux» à la française, dans le sillage de L’Astrée , ou en roman picaresque ou burlesque (Quevedo, Sorel, Scarron); l’essai philosophique, théologique, politique, scientifique connaît un essor lié au développement de la méthode et de la science (Campanella, Descartes, Galilée, Francis Bacon, Hobbes, Grotius, Comenius, Pascal), du mysticisme ésotérique (Jakob Böhme, Valentin André) ou de la rhétorique caractéristique de la péninsule ibérique (Gracián, Vieira); la poésie lyrique a pour représentants les «baroques» français (Théophile de Viau, Saint-Amant, Tristan L’Hermite) ou italiens (Marino).
On assiste ensuite (entre 1660 et 1690 environ) à un infléchissement du baroque vers une double normalisation: c’est d’abord que l’activité esthétique est prise en charge par des institutions, et se met sous la dépendance des principes qui président à l’organisation politique. Ainsi se renforce une littérature de Cour et même une littérature d’État, avec des genres spécifiques (opéras, ballets, pièces à machines, poésie de circonstance, historiographie officielle). En second lieu, un idéal fondé sur l’économie des moyens et une répulsion pour les extrêmes, y compris l’extraversion, favorise l’investigation de l’intériorité, de l’intimité, et d’une morale de l’équilibre. C’est dans cette double perspective qu’il faut comprendre l’épanouissement de ce «baroque à la française», doublement régulé par la conformation politique et la réaction bourgeoise vers l’austérité et l’économie des dépenses. Cette classicisation s’exporte en Angleterre, où l’influence française se fait encore sentir après le départ de Jacques II (1688), et dans l’ensemble de l’Europe qui est d’autant plus sensible à cet héritage que la langue française va devenir langue de communication entre personnes cultivées.
Une deuxième vague baroque recouvre la première moitié du XVIIIe siècle. Elle se manifeste plus particulièrement dans le domaine musical (Buxtehude, Pachelbel, Vivaldi, Rameau, Bach, Haendel, Telemann), et dans les arts plastiques. On lui donne quelquefois le nom de «rococo», encore que cette appellation s’applique surtout, en France, aux arts ornementaux. On peut la définir, littérairement, par la remontée, parallèlement à une rationalité et à un esprit critique renforcé, de l’imaginaire et de l’affectivité. L’imaginaire se manifeste par l’emploi de la fiction, dans le conte (Perrault, Mme d’Aulnoy) ou le voyage imaginaire pouvant prendre un caractère symbolique (Swift, Defoe, Voltaire) ou encore le roman libertin. L’affectivité s’exprime à travers le «roman de compassion», qui prend pour héros principal une victime (Richardson, abbé Prévost). Le théâtre de Marivaux correspond à l’illustration d’un rococo littéraire français, caractérisé par la subtilité psychologique et une fantaisie légère, venue du théâtre italien. La principale qualité requise est l’«esprit», nouvelle forme du «concettisme» appliqué à l’art de converser et d’écrire.
La deuxième moitié du siècle constitue une exacerbation simultanée des deux tendances du complexe «baroque-classique». C’est d’un côté le «néo-classicisme» (très sensible dans les arts): retour à l’esthétique gréco-latine (Delille, André Chénier); raidissement de la pensée sous forme de systèmes (Helvétius, d’Holbach), de catalogues raisonnés (Encyclopédie, dictionnaires) ou d’une froideur affectée (Choderlos de Laclos). Parallèlement on assiste à une inflation des tendances rococo, que l’on peut qualifier, par cette amplification même, de «néo-baroques»: la compassion devient larmoyante; l’imaginaire prend appui sur des mythologies exotiques (influences nordiques, orientales et extrême-orientales). Ce complexe «baroque-classique» s’exprime de manière exemplaire, par son côté lumineux, à travers les opéras de Mozart, et par son côté ténébreux, à travers l’œuvre de Sade.
5. La musique baroque
Ce n’est pas sans quelque réticence que la musicologie française a accepté l’usage du qualificatif baroque pour désigner une époque musicale, celle qui s’étend entre la Renaissance et le romantisme. On ne parla longtemps que d’art classique des XVIIe et XVIIIe siècles. Si complexe soit-elle, l’évolution des styles qui commence à l’extrême fin du XVIe siècle (Monteverdi) et se termine au milieu du XVIIIe (mort de Jean-Sébastien Bach), obéit pourtant à une unité. C’est ce que tente de signifier le concept de baroque musical, qui offre l’avantage de mieux distinguer, et donc de mieux appréhender, le phénomène artistique. Mozart, Haydn et Gluck ne sont plus rangés dans le même «classicisme» que Haendel, Couperin et Bach.
Un minimum de consensus s’avère indispensable pour que la communication s’établisse entre les chercheurs. Certes, les étiquettes sont loin de tout dire, et la richesse singulière des œuvres et des compositeurs fait éclater, à bon droit, les carcans trop durcis. Mais, à la suite de Manfred Bukofzer et de Friedrich Blume notamment, on s’accordera à analyser les particularités stylistiques majeures de ces cent cinquante années de vie musicale ouest-européenne, en distinguant trois périodes: le premier baroque, le baroque médian, le dernier baroque. Une étude plus approfondie nécessiterait une analyse des spécificités nationales de ces traits communs. Monteverdi n’est pas Lully, Purcell se distingue de François Couperin, Delalande ne sonne pas comme Vivaldi.
La naissance d’un style
C’est par opposition à l’écriture musicale de la Renaissance que naît progressivement la manière baroque. Dès 1922, Hans Joachim Moser a parlé d’un premier baroque (Geschichte der deutschen Musik , II); peu après, en 1928, Ernst Bücken publiait sa Musik des Barocks . Mais c’est Curt Sachs qui semble avoir appliqué ce terme de baroque à notre sujet. D’après Manfred Bukofzer, un des meilleurs historiens de ce style, on peut mettre en évidence quelques traits permettant de définir la nouvelle recherche par rapport à la façon traditionnelle d’écrire la musique. La Renaissance a prôné une pratique valable pour un style, quelle que soit la destination de l’œuvre musicale; le baroque propose trois pratiques – musique d’église, musique de chambre, musique de théâtre – selon deux styles: le style ancien (celui de la Renaissance précisément) ou stile antico et le style nouveau (stile moderno ). Alors que les grands compositeurs franco-flamands, depuis Guillaume Dufay jusqu’à Palestrina et Roland de Lassus, respectaient l’équivalence des voix dans la structure polyphonique, ce qui entraînait l’absence de récitatif et d’air, la musique nouvelle polarise l’attention sur les parties extrêmes – soprano et basse; l’air et le récitatif apparaissent donc (même si l’un ou l’autre ne seront pas toujours confiés à la seule voix supérieure, mais chanteront occasionnellement à l’alto, au ténor, voire à la basse), et la voix grave, comme basse continue, devient le support de l’harmonie. Par opposition à des mélodies diatoniques de faible ambitus, le baroque va cultiver des mélodies chromatiques aussi bien que diatoniques de grand ambitus, avec des sauts d’intervalles parfois considérables, sinon ignorés en théorie, du moins fort peu pratiqués dans la manière de la Renaissance. Fille de la structure modale grégorienne, la musique de la Renaissance obéissait aux principes d’un contrepoint modal; or, dès le premier baroque, l’attraction tonale va devenir le principe essentiel et ordonnateur du contrepoint. En conséquence, jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’harmonie se constitue à partir des intervalles mélodiques permis par la conduite des voix selon les règles du contrepoint; le traitement des dissonances aussi; on obtient dès lors une conception «horizontale» du discours musical. Quand les accords deviennent des entités indépendantes, c’est pris comme tels qu’ils engendrent l’harmonie et régissent le traitement de la dissonance; on est en présence d’une conception «verticale» du discours musical. Dans la polyphonie de la Renaissance, le débit rythmique est soumis à un tactus régulier à chacune des voix; ainsi naît une unité de mouvement et de tempo. Avec l’art musical baroque, des rythmes très variés peuvent être simultanément proposés dans la polyphonie. Si une unité de mouvement est respectée, la déclamation libre des récitatifs se distingue radicalement des pulsations régulières, quasiment mécaniques; les intermédiaires entre ces deux formes extrêmes sont fort nombreux. Comme il n’existe pas d’idiomes particuliers dans la musique de la Renaissance, les voix comme les instruments sont interchangeables. Dès le premier baroque, apparaissent des langages particuliers, vocaux et instrumentaux, ce qui favorise de nouveaux échanges entre voix et entre instruments comme entre voix et instruments.
L’évolution de la musique baroque
Même s’il conviendrait de faire des distinctions suivant les pays, on peut établir la chronologie de l’évolution du baroque musical en proposant trois périodes: le premier baroque, allant de 1580 à 1630; le baroque médian, conduisant à peu près jusqu’à la fin du XVIIe siècle; le dernier baroque enfin, se terminant en 1750, à la mort de Bach. Même si le baroque n’a pas inventé la musique à double chœur (cori spezzati ) qu’ont cultivée Adriaan Willaert, Roland de Lassus et beaucoup de grands Vénitiens de la Renaissance, c’est bien avec les Gabrieli que s’exprime un style concertant, à l’occasion de la technique ancienne du double chœur. Le style «concertato» caractérise le premier baroque. Le premier usage du terme «concerti» est dû à Andrea et Giovanni Gabrieli en 1587. La monodie, née de la rencontre d’un cercle d’intellectuels florentins (Camerata Bardi), la basse continue, orientant vers l’ornementation improvisée et la réalisation de ce schéma (qui verra son apogée à la fin du baroque), le tempo rubato (c’est-à-dire varié, non strict), un souci considérable d’exprimer affectivement le sens des paroles (madrigalisme) avec emploi de dissonances, de chromatismes – tout cela est cultivé, parfois de façon extrême, à la limite du maniérisme (pensons à Carlo Gesualdo), par les compositeurs du premier baroque, au premier rang desquels figure Claudio Monteverdi. La musique instrumentale prend son essor avec Girolamo Frescobaldi, qui fait bénéficier le clavier du registre multiple des contrastes dramatiques avec une liberté et un sens de l’expressivité considérables. Le baroque fut un créateur de formes étonnant, à commencer par l’opéra, qui apparaît à Florence, puis à Mantoue, et qui, de là, va envahir l’Europe entière. La musique sacrée, quant à elle, connaît une évolution polydirectionnelle; cinq manières (ou styles) la caractérisent: la monodie (cantates à une voix), le «concertato» à quelques voix, le «concertato» à grand nombre de voix, le baroque «monumental» réunissant des ensembles imposants de voix et d’instruments, enfin le style ancien qui poursuit plus ou moins dans la ligne de la Renaissance, non sans rendre rigide la vision stylisée de cette époque. C’est à l’époque baroque que l’on se met à interpréter la musique «ancienne» polyphonique uniquement a capella , ce qui est contraire à la tradition qui régnait jusqu’alors. Palestrina devient une sorte de héros infaillible, donnant des recettes d’écriture pour «faire sacré». Dans le déploiement du faste baroque, la messe polychorale – celle d’Orazio Benevoli aura cinquante-trois voix – rompt définitivement avec le passé de la Renaissance.
Le style bel canto du baroque médian italien est un apport majeur à la musique. Il réagit contre la dictature des poètes; en France, cette réaction baroquisante est plus tardive, mais une particularité du baroque français tient au rôle prédominant qu’occupe la danse. C’est, grosso modo, à la mort de Henri IV (1610) que naît le baroque musical français. Le ballet devient une forme qui recevra son unité d’écriture par une musique qui est à la fois à chanter et à danser. Nulle part ailleurs qu’en France le ballet n’acquerra sa puissance de signifier le drame, et cela jusqu’à Rameau.
Ère des contrastes, l’époque baroque, aussi bien en musique que dans les autres arts, «a tenté de dire un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles» (Philippe Beaussant). Alors même qu’il n’est pas erroné de parler d’un équilibre supérieur atteint par le baroque de la dernière période, qui culmine avec Haendel et Bach, c’est chez ces compositeurs aussi que la tension dramatique entre les extrêmes est peut-être la plus poussée. Le contrepoint devient luxuriant et retrouve alors la puissance combinatoire, parfois surprenante, qu’il avait développée à la fin de la Renaissance. Jean-Sébastien Bach est ici inégalable. La forme du concerto de soliste, avec Corelli, Torelli, Vivaldi et leurs émules, passe d’Italie dans toute l’Europe. L’esprit de l’opéra, qu’il soit de divertissement et orienté vers la fable mythologique, ou qu’il signifie plus directement le drame des passions humaines, anime aussi bien la musique instrumentale concertante que la musique vocale sacrée. Cantates, passions, motets grands et petits (rappelons que le petit motet est confié à un soliste et le grand à des chœurs) illustrent, chacun à leur manière, la volonté d’exprimer les affects doux ou violents du cœur de l’homme baroque, et cela dans une relation particulière entre l’être et le paraître, qui n’est pas toujours dénuée d’ambiguïté. L’homme baroque est un homme du spectacle, dont le souci de maîtrise des apparences importe au plus haut point. Sur ce point, le génie de Haendel, maître de l’opéra, et celui de Bach, maître de la fugue, se rencontrent.
Le dernier baroque et la réaction rococo
L’écriture musicale baroque est essentiellement savante. Que ce soit la plume à la main, pour construire l’édifice solide et précis d’une fugue «à la Bach», ou directement sur l’instrument lui-même, pour improviser un continuo alors qu’on ne possède qu’un chiffrage de la basse, le musicien doit toujours mettre en œuvre un acquis technique que certains ont jugé impressionnant et pas assez spontané, ni «naturel». Une réaction s’est donc peu à peu constituée à l’apogée même du dernier baroque, dès le début du XVIIIe siècle: c’est la naissance du style rococo, qui se subdivise principalement en rococo galant et rococo sensible. Le rococo galant naît en France dès la fin du règne de Louis XIV et s’exprime tout au long de la Régence et du règne de Louis XV, même si certains compositeurs continuent – surtout en musique sacrée – de rester fidèles aux impératifs du baroque. Le rococo sensible naît en Allemagne après la mort de J.-S. Bach. Lui correspondent les courants de l’Empfindsamkeit et du Sturm und Drang .
Quelques traits caractérisent le nouveau style: l’abandon de la basse continue et de la réalisation improvisée d’un chiffrage au clavier (clavecin, orgue, clavicorde); cela suppose que l’amateur, qui n’a pas fait d’études d’harmonie ni de contrepoint, pourra jouer cette musique, plus simple, plus «naturelle» (par opposition à savante et «artificielle»). Telemann, par exemple, est l’un des artisans du nouveau mouvement. L’air relativement simple est préféré au contrepoint et à la polyphonie. Les sentiments s’adoucissent et la «galanterie», voire parfois la mièvrerie des «bergers et bergères», obtiennent toutes les faveurs. Moins exigeant que l’art baroque, l’art rococo se veut plus divertissant, ce qui ne veut pas dire qu’il soit plus superficiel: nombre de pages de Rameau prouveraient le contraire. Le rococo stimule l’inventivité du paramètre essentiel de la musique: la mélodie. Ce que C. Girdlestone a appelé l’écriture en mosaïque, à savoir une profusion de motifs mélodico-rythmiques, avec éventuellement leur harmonie propre, simplement juxtaposés, jamais développés, est l’un des traits neufs de ce nouveau style. Parfois Couperin, souvent Rameau et Telemann, et, à leur suite, Gluck, puis Mozart, par-delà le rococo, se sont souvenus de cette manière. À l’unité d’affect qui ordonnait un mouvement de sonate ou une aria d’opéra ou de cantate, surtout à l’époque du dernier baroque, s’oppose la fréquente variation des sentiments, signe d’un mouvement psychologique qui se développe comme la vie elle-même et qui caractérise le style rococo. Le classicisme viennois en profitera directement. La théorie baroque des passions, qui tendait à faire se correspondre telle tonalité et tel sentiment, est donc abandonnée. Le rococo musical préfigure par là même ce qui ne s’accomplira plus parfaitement qu’à l’époque romantique, au siècle suivant.
baroque [ barɔk ] adj. et n. m.
• perle baroque 1531; port. barroco « perle irrégulière »; p.-ê. à rattacher à °barus « divergent » → bardane
1 ♦ Perle baroque, de forme irrégulière.
2 ♦ Par ext. (1701) Cour. Qui est d'une irrégularité bizarre, inattendue. ⇒ bizarre; biscornu, choquant, étrange, excentrique, irrégulier. Idées baroques. Notre-Dame-des-Victoires « est laide à faire pleurer, elle est prétentieuse, elle est baroque » (Huysmans).
3 ♦ (1912, repris all. barock; 1788 « nuance du bizarre » en archit.) Archit. Se dit d'un style qui s'est développé aux XVIe, XVIIe et XVIIIe s. d'abord en Italie, puis dans de nombreux pays catholiques, caractérisé par la liberté des formes et la profusion des ornements. Les églises baroques de Bavière, du Mexique. — Par ext. Sculpture, peinture, art baroque. Subst. Le baroque, ce style. Le maniérisme, le baroque et le rococo. Le baroque jésuite. — Un baroque : un artiste qui a ce style.
♢ (v. 1925) Arts Qui est à l'opposé du classicisme, laisse libre cours à la sensibilité, la fantaisie. Style baroque en peinture.
♢ Littér. Se dit de la littérature française sous Henri IV et Louis XIII, caractérisée par une grande liberté d'expression. — Par ext. Se dit de la période et des œuvres caractérisées par l'art baroque (fin XVIe -déb. XVIIIe) sous tous les aspects esthétiques. Siècle baroque. Musique baroque. N. m. Les maîtres du baroque (en musique).— Par ext. Musicien baroque (fam. un baroqueux ).
⊗ CONTR. Normal, régulier. Classique.
● baroque adjectif (portugais barroco, perle irrégulière) Se dit d'un style artistique qui s'est développé aux XVIIe et XVIIIe s., à partir de l'Italie, dans la plupart des pays d'Europe et d'Amérique latine. Se dit d'une tendance littéraire qui, au XVIIe s., par opposition au classicisme, donnait la primauté à la sensibilité. Se dit d'une esthétique qui a affecté la forme et le langage musicaux en Europe, entre 1580 et 1760 environ. Se dit parfois, dans le déroulement artistique de telle ou telle civilisation, d'une phase de liberté et de virtuosité que l'on entend opposer à une phase antérieure, classique. Qui surprend par son caractère inattendu, bizarre, ou par son comportement original, excentrique : Des idées baroques. Un personnage baroque. ● baroque (synonymes) adjectif (portugais barroco, perle irrégulière) Se dit parfois, dans le déroulement artistique de telle ou...
Synonymes :
- biscornu
- étrange
- insolite
- saugrenu
Contraires :
- naturel
- régulier
Qui surprend par son caractère inattendu, bizarre, ou par son...
Synonymes :
Contraires :
- normal
● baroque
adjectif et nom
Qui appartient au baroque.
● baroque
nom masculin
Style, littérature ou musique baroques.
baroque
adj. et n. m.
d1./d Perle baroque: perle de forme irrégulière.
|| D'une irrégularité qui étonne, qui choque. Une idée baroque, bizarre, excentrique.
d2./d BX-A Se dit d'un style exubérant (XVIIe s.-première moitié du XVIIIe s.). Une église baroque.
— n. m. Le baroque: ce style.
|| Par ext. Qui évoque ce style, à d'autres époques, en art et en littérature.
d3./d Musique baroque, qui s'est constituée vers le milieu du XVIIIe siècle.
Encycl. BX.-A. Dans son sens historique, le mot baroque s'applique au style qui a dominé les arts en Europe au XVIIe s. et qui est caractérisé par une débauche décorative et la recherche d'effets bizarres. Inauguré par le Bernin en Italie, le style baroque donna sa pleine mesure dans le domaine de l'architecture avec Borromini et dans celui de la peinture avec Pierre de Cortone et ses émules. Le baroque s'étendit en Allemagne, en Autriche, en Bohême, en Pologne, en Russie. Il fut supplanté par le classicisme en France, où il marque toutefois le château de Versailles. Les Flandres, qui au XVIIe s. sont un des bastions du catholicisme face à l'expansion protestante (V. Réforme catholique), constituent le foyer septentrional le plus important de l'art baroque, qu'il s'agisse d'architecture religieuse ou civile (Grand-Place de Bruxelles), de la sculpture ou de la peinture.
⇒BAROQUE, adj.
A.— [En parlant d'un style, d'une époque, d'une œuvre monumentale]
1. Domaine des B.-A.
— ARCHIT. Qui est caractéristique de la période qui a suivi la Renaissance classique. Style baroque, architecture baroque :
• 1. Soleure. La belle cathédrale baroque (...) toute blanche et frisée, heureuse, et même un peu triomphante avec ses statues dorées et ses inscriptions latines largement déployées au-dessus des chapelles.
GREEN, Journal, 1946-50, p. 118.
— MUS. Qui est caractéristique de la période musicale propre à l'Allemagne, à l'Angleterre, à l'Italie, et qui s'étend de 1580 à 1760.
♦ [En parlant des œuvres et des artistes] Qui illustre les principes esthétiques de ces périodes. Musique baroque.
— PEINTURE :
• 2. [Maurice Denis] On a discerné en lui l'influence conjuguée de Fra Angelico et de Poussin. Il faudrait ajouter celle de la Renaissance italienne, de Rome plus que de Florence, du clair-obscur bolonais et des peintres baroques.
Arts et litt. dans la société contemp., 1936, p. 1807.
— P. anal., LITT. Qui appartient à l'époque littéraire qui, en France, correspond aux règnes de Henri IV et Louis XIII.
2. Plus gén. [En parlant d'un artiste, ou d'une création artistique] Qui par son style rappelle celui de la période baroque :
• 3. Ses allégories [de J. B. Rousseau], sont jugées tout d'une voix : baroques, métaphysiques, sophistiquées. sèches, inextricables, nul défaut n'y manque.
SAINTE-BEUVE, Portraits littér., t. 1, 1844-64, p. 136.
• 4. Ariadne auf Naxos, (...), accentue plus encore l'évolution du musicien vers le style baroque avec son maniérisme, ses bizarreries, où la délicatesse, la grâce de Mozart se mêlent à la bouffonnerie débridée de la Commedia Dell'Arte.
R. DUMESNIL, Hist. illustrée du théâtre lyrique, 1953, p. 171.
Rem. Baroque était pris au XIXe s. dans un sens péj. (cf. ex. 3). Il qualifie en gén. un style caractérisé en archit. et en peint. par la profusion de l'ornementation, la recherche de l'effet de masses, l'emploi de la ligne courbe; en litt. et en mus. par un goût de l'emphase, du contraste, une recherche du mouvement et de la fantaisie qui s'oppose au caractère plus statique et à la rigueur de l'art classique.
3. Emploi subst.
a) [L'art, le style qui appartiennent à la période baroque] :
• 5. Hier, discussion inutile sur le Baroque (...) Toujours cette éternelle confusion entre le baroque et le rococo (...) On refuse au vrai baroque la gravité religieuse alors qu'elle est très évidente à la chapelle de la Sorbonne ou au Val-de-Grâce; ...
GREEN, Journal, 1946-50, p. 142.
• 6. Dès que l'art d'assouvissement point, notre répulsion apparaît. D'où notre admiration du grand baroque créateur, de Michel-Ange au Greco, et notre dédain du baroque établi; ...
MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 526.
— [L'art, le style, la manière qui rappellent ceux de l'époque baroque] :
• 7. Le baroque de son dessin forcené [de Van Gogh] est plus proche des proues scandinaves ou des plaques scythes que de Rubens...
MALRAUX, Les Voix du silence, 1951, p. 576.
b) Artiste dont le style rappelle cette période :
• 8. Il fallut la mort de Péguy pour familiariser Barrès avec l'idée qu'il n'était autre chose qu'un baroque...
J. et J. THARAUD, Pour les fidèles de Péguy, 1928, p. 86.
B.— JOAILL. [Se dit d'une perle] Qui est de forme irrégulière, d'une rondeur imparfaite :
• 9. En dehors de son orient et de son lustre attrayants, une perle doit avoir une couleur homogène et une rondeur aussi parfaites que possible; les beaux spécimens se vendent à la pièce (en grains); les perles baroques se vendent en sachets au poids.
A. et N. METTA, Les Pierres précieuses, 1960, p. 120.
— Emploi subst. :
• 10. ... contre les verrières étaient suspendus quelques colliers de grenat, d'ambre, de baroques, de corail, etc., objets de négoce de Judas le Lapidaire, ...
P. BOREL, Champavert, Dina la belle juive, 1833, p. 134.
Rem. Anc. pour ROB. et QUILLET 1965.
C.— P. ext., et au fig.
1. [En parlant d'une chose] Dont le caractère bizarre, inattendu, contradictoire a quelque chose de surprenant, de choquant et parfois de ridicule. Idée baroque :
• 11. La plupart avaient des traits massifs, des voix enrouées, des gorges molles et des yeux peints, et toutes (...), débitaient avec le même sourire les mêmes propos biscornus, les mêmes réflexions baroques.
HUYSMANS, À rebours, 1884, p. 230.
• 12. — Où ces militaires, demandait-on, étaient-ils allés chercher des phrases si baroques et si ridicules?
A. FRANCE, La Vie littér., t. 4, 1892, p. VIII.
• 13. M. Alfred Nathan était un professeur connu à Paris, savant éminent, en même temps très mondain, avec ce mélange baroque de science et de frivolité, si commun dans la société juive.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Antoinette, 1908, p. 885.
2. [En parlant d'une pers.] Dont le caractère ou le comportement est fait pour surprendre; original, burlesque, excentrique, etc. :
• 14. ... ils hasardèrent d'abord quelques contorsions poétiques, pour appeler la curiosité; elle ne vint pas, ils redoublèrent. D'étranges qu'ils voulaient être, ils devinrent bizarres, de bizarres baroques, ou peu s'en fallait.
MUSSET, Lettres de Dupuis et Cotonet, 1837, p. 672.
• 15. Puis, un soir que la soubrette était malade, on s'est risqué à me confier son rôle. Ensuite, j'ai continué. On me trouvait impossible, burlesque, baroque.
R. ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, p. 1169.
• 16. ... l'enfant rebelle et baroque qu'on avait quittée, on la retrouve deux ans plus tard assagie, prête à consentir à la vie de femme.
S. DE BEAUVOIR, Le Deuxième sexe, 1949, p. 124.
Prononc. :[]. BARBEAU-RODHE 1930 indique ,,[-] ou [ba-]``.
Étymol. ET HIST.
I.— Adj. 1. 1531 joaill. se dit de perles de forme irrégulière (Inv. de Charles-Quint, f° 786 à 788 dans GAY, s.v. ajorffe : 97 Gros ajorffes dictz barroques enfillez en 7 filletz pes. ens. 1 onc. 12 grains); 2. 1718 p. ext. fig. « bizarre, choquant » (AUTREAU, Port à l'Anglais, prologue, Œuvres, éd. 1749, I, 6 dans BARB. Misc. 1, n° 5 : Il est vrai qu'il a l'accent un peu baroque), attesté dans les dict. dep. Ac. 1740; spéc. 1749 B.-A. d'un style architectural et décoratif qui s'écarte des règles de la Renaissance classique (COURAJOD, Livre-journal de Lazare Duvaux, marchand-bijoutier ordinaire du Roy [1748-58], 1873, t. 2, p. 19 : Une terrasse baroque en bronze doré d'or moulu, [...], pour une dormeuse, 175 1.).
II.— Subst. p. ell. 1788 archit. « style architectural très orné et tourmenté » (QUATREMÈRE DE QUINCY, Encyclop. méthod., Archit., t. 1 cité par B. MIGLIORINI, Manierismo, baròcco, rococò, Rome, 1962, p. 46 : Le baroque, en architecture, est une nuance du bizarre. Il en est, si on veut, le rafinement, ou, s'il étoit possible de le dire, l'abus [...] Barromini a donné les plus grands modèles de bizarrerie, Guarini peut passer pour le modèle du baroque).
I 1 est empr. au port. barroco « rocher granitique » et « perle irrégulière », attesté dep. le XIIIe s. sous la forme barroca (Inquisitiones, p. 99, Portugaliae Monumenta Historica, 1856 sqq. dans MACH.), d'orig. obsc., prob. préromane en raison du suff. - très répandu sur le territoire ibérique (COR. t. 1, s.v. barroco et berrueco; FEW t. 21, 1, pp. 541-543, s.v. perle; MACH. t. 1, s.v. barroco; sur le suff. préroman -, v. J. HUBSCHMIED, Mél. Jud, 1943, p. 252). L'esp. barrueco ne peut être à l'orig. du mot fr. (KOHLM., p. 15; BRUNOT t. 3, p. 223; NYROP t. 1, p. 90; SCHMIDT, p. 183; RUPP., p. 101; WIND, p. 58), étant donné que le mot esp. n'a le sens « perle irrégulière » que dep. 1605 (d'apr. COR. s.v.). I 2 est issu de I 1 prob. croisé pour le sens avec le lat. médiév. baroco, créé artificiellement au XIIIe s. par les scolastiques pour désigner une forme de syllogisme (v. en 1210-20, P. Ispano, cité par B. MIGLIORINI, op. cit., p. 40) et qui, empl. ensuite par moquerie par les adversaires de la scolastique (v. MONTAIGNE, Essais, éd. de Bordeaux, livre I, ch. 26, p. 209, cité par B. Migliorini, loc. cit. p. 41 : C'est Barroco et Baralipton qui rendent leurs supposts [de la sagesse] ainsi crotez et enfumez) contribua à donner à baroque le sens de « bizarre, inutilement compliqué ». Il n'est pas nécessaire, comme le fait H. Lüdtke (Rom. Forsch. t. 77, pp. 353-358) de faire appel à l'all. pour expliquer le sens II, celui-ci étant moins tardif qu'il ne le pensait comme terme d'hist. de l'art, et l'évolution sém. s'expliquant à l'intérieur du fr. : l'all. a empr. le mot au fr. (cf. la 1re graphie all. Baroque, 1759 et 1766, citée par B. MIGLIORINI, loc. cit., p. 46; v. aussi KLUGE20), d'où procède aussi l'ital. barocco (v. B. MIGLIORINI, loc. cit., pp. 46-47). V. aussi O. KURZ, Lettere Italiane, t. 12, 1960, pp. 414-444.
STAT. — Fréq. abs. littér. :297. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 114, b) 293; XXe s. : a) 579, b) 659.
BBG. — BARB. Misc. 1 1925-28, p. 19. — BRÜCH (J.). Bemerkungen zum französischen etymologischen Wörterbuch E. Gamillschegs. Z. fr. Spr. Lit. 1927, t. 49, p. 299. — CHARPENTRAT (P.). De qq. accept. du mot baroque. Critique. 1964, n° 206, pp. 651-666. — [COLLOQUE INTERNAT. 1960. Rome]. Manierismo, baròcco, rococò : concetti e termini... Roma, 1962, 419 p. [Cr. BUCK (A.). Z. rom. Philol. 1964, t. 80, pp. 596-601]. — LEINER (W.). Jean-Baptiste et Jean-Jacques Rousseau et les Distillateurs d'accords baroques. St. fr. 1971, t. 15, n° 1, pp. 82-84. — LÜDTKE (H.). Zur Wort— und Begriffsgeschichte von fr. baroque. Rom. Forsch. 1965, t. 77, pp. 353-358. — KOHLM. 1901, p. 15. — MARK (J.). The Uses of the term baroque. Mod. Lang. R. 1938, t. 33, pp. 547-563. — MIGLIORINI (B.). Etimologia e storia del termine baròcco. In : Manierismo, baròcco, rococò : concetti e termini. Roma, 1962, pp. 39-54. — ROUSSET (J.). La Déf. du terme baroque. In : CONGRÈS DE L'ASSOC. INTERNAT. DE LITT. COMP. 3. 1962. Utrecht, 1965, pp. 167-178. — RUPP. 1915, p. 101. — SANTIOLI (V.). Manierismo, baròcco, rococò. In : Fra Germanica e Italia, Scritti di storia letterarica. Firenze, 1962, pp. 271-283 [Cr. BRUNEAU (J.). R. belge Philol. Hist. 1965, t. 43, pp. 634-638]. — SCHMIDT 1914, p. 183. — TAPIE (V.-L.). Le Baroque, Paris, 1963, 128 p. — WIND 1928, p. 58.
baroque [baʀɔk] adj. et n. m.
ÉTYM. 1531, perle baroque « irrégulière »; port. barroco « perle irrégulière », selon Guiraud à rattacher à barus « divergent » (→ Bardane, barder); les mots baroque et grotesque ont une orig. comparable, sémantiquement.
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1 Anciennt. || Perle baroque, de forme irrégulière.
2 (1701). Cour. Qui est d'une irrégularité bizarre, inattendue. ⇒ Bizarre; biscornu, choquant, étrange, excentrique, insolite, irrégulier, singulier. || Un accoutrement baroque. || Un comportement, des idées baroques. ⇒ Burlesque, excentrique. || Sensibilité, style baroque. — Il est baroque de…, c'est assez baroque.
1 Il était bien baroque de faire succéder l'abbé Bignon à M. de Tonnerre (…)
Saint-Simon, Mémoires, II, 438.
2 Tout ce petit monde nippon, baroque par naissance et appelé à le devenir encore plus en prenant des années (…)
Loti, Mme Chrysanthème, XXXVIII, p. 195.
REM. Pendant tout le XIXe s. (→ ci-dessous, cit. 3, Huysmans), le mot baroque appliqué à l'architecture insiste sur le caractère irrégulier, surchargé du style et garde une valeur péjorative. Le concept moderne, en art, vient d'Allemagne et ne date que du début du XXe s. (→ ci-dessous, 3.).
3 Elle (Notre-Dame-des-Victoires) est laide à faire pleurer, elle est prétentieuse, elle est baroque (…)
Huysmans, En route, p. 74.
3 (1788, « nuance du bizarre », en archit.; sens mod., 1912 repris de l'all. barock). Archit. Se dit d'un style qui s'est développé aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, d'abord en Italie, puis dans de nombreux pays catholiques, caractérisé par la liberté des formes (en particulier, recherche de l'irrégulier) et la profusion des ornements. || Les églises baroques de Bavière, du Mexique.
4 Les maisons sont basses, d'un style démodé, vaguement baroque, surchargées d'ornements en volutes, de corniches à bas-reliefs, de colonnes aux chapiteaux ciselés encadrant les portes, de balcons à consoles sculptées, de ferronneries ventrues et compliquées servant de garde-fous.
A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe, p. 183-184.
♦ Par ext. || Sculpture, peinture, art baroque. — N. m. || Le baroque, ce style. || Le baroque jésuite. ⇒ Rococo. — Un baroque : un artiste dont le style se rapporte au baroque.
♦ (V. 1925). Qui est à l'opposé du classicisme, laisse libre cours à la sensibilité, la fantaisie. || Style baroque en peinture, en musique. — Littér. Se dit de la littérature française sous Henri IV et Louis XIII, caractérisée par une grande liberté d'expression.
5 Le concept même de littérature baroque date de peu. On réservait auparavant cette épithète à l'art et l'on appelait « classiques » les œuvres littéraires du XVIIe siècle. Or, les historiens récents de la civilisation allemande considèrent qu'il est faux de parler de classicisme dans un pays qui, pour diverses raisons, notamment politiques et sociales, n'avait pas encore réussi à créer un mouvement comparable à celui de l'Italie ou de la France. Ils adoptent l'appellation de « baroque » pour une littérature qui, comme les arts plastiques, se caractérise par une ornementation surchargée, par un mouvement violent, destructeur de lignes, par le goût de l'antithèse et du contraste. Ils l'appliquent à la littérature du XVIIe siècle, qui se dissout, au début du XVIIIe dans le rococo, et dont le développement est entravé par le morcellement du pays et par la Guerre de Trente ans.
J.-F. Angelloz, la Littérature allemande, p. 18.
♦ Par ext. Se dit de la période caractérisée par l'art baroque (fin XVIe-déb. XVIIIe siècle) sous tous les aspects esthétiques. || Musique baroque. || Musicien baroque. ⇒ Baroqueux. — N. m. || Les maîtres du baroque. || Interprète de musique baroque.
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CONTR. Classique, naturel, normal, régulier.
DÉR. Baroquement, baroquerie, baroqueux, baroquiser, baroquisme, baroquiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.