MOLÉCULE
Le terme «molécule» est un concept opératoire fondamental de la pensée réductionniste. C’est un objet théorique au moyen duquel on peut dire, paraphrasant Jean Perrin, que le visible complexe de la matière se trouve représenté par de l’invisible simple. Selon la définition lapidaire de Alexander Crum Brown (1867), la molécule est l’«unité chimique d’une substance homogène». Si, étymologiquement, par dérivation du latin moles , molécule désigne bien une «petite masse» dans le français du XVIIe siècle, le terme n’acquiert sa valeur de positivité scientifique que par l’attribution à cette masse d’une grandeur propre à spécifier le corps pur dont elle est l’ultime partie caractéristique. Un tel sens ne pouvait être reçu avant que ne fussent réalisées deux conditions théoriques: la définition du concept dynamique de masse et l’hypothèse d’une limite à la divisibilité de la matière. Ou encore, il fallait admettre que la masse fût une caractéristique première des processus matériels et que ceux-ci pussent être intégralement décrits dans les termes d’une hypothèse atomique, tempérée ou intermédiaire, une hypothèse qui tienne qu’il y a pour chaque composé pur un minimum corporel. Si la molécule est désormais objectivée par un ensemble de propriétés mesurables, si elle donne lieu à des figurations de plus en plus raisonnées, c’est qu’elle fut d’abord préfigurée comme élément architectonique avant d’être tenue pour un groupement autonome et typique d’une unité matérielle inférieure, l’atome. Or, l’histoire atteste que la conception atomique actuelle dut s’imposer polémiquement, qu’elle fut contestée, en France même, jusqu’à la fin du siècle dernier. Au demeurant, la molécule peut être définie sans référence explicite à l’atome. Dans ses Notions de chimie générale , publiées en 1891, E. Gaudin, qui recourt surtout aux «équivalents» et aux «nombres proportionnels» pour définir la composition des corps, dit de la «conception des molécules» qu’elle «est due à une hypothèse faite sur la constitution de la matière. Comme on admet que la matière n’est pas divisible à l’infini, on est conduit à supposer que, pour chaque corps simple ou composé, il existe une valeur limite représentant la plus petite quantité de ce corps pouvant exister à l’état libre. Cette valeur limite s’appelle la molécule de ce corps considéré [...] Toutes les molécules sont identiques entre elles pour un même corps [...] elles possèdent toutes le même volume et la même composition chimique.» En faisant l’économie de la notion d’atome, du moins en la dissimulant, ne tient-on pas dans la molécule l’instrument conceptuel primordial pour décrire la matière et ses transformations. Les choses ne sont pas si simples; la «molécule chimique» peut différer, on le verra, de la «molécule gazeuse» dont la masse est déterminée au moyen de la densité de vapeur. Aussi, des chimistes, comme Charles Friedel en 1889, ont-ils insisté sur l’avantage théorique qu’il y a à prendre l’atome pour référentiel, «en déduisant la définition de la molécule de celle de l’atome chimique lui-même». La molécule est alors définie comme «la plus petite quantité dans laquelle, par combinaison ou par substitution, on puisse faire entrer un nombre irréductible d’atomes d’un élément quelconque».
Quelle que soit la construction de sa définition, la molécule est pour le chimiste le symbolisme opérationnel d’une masse et d’un arrangement matériels grâce auxquels la chimie peut créer son objet; mais, par ses opérations, elle a accru et diversifié la collection des objets qui tendent à échapper à la juridiction du concept pris dans sa rigueur originelle, c’est-à-dire au sens de masse minimale spécifique. Les phénomènes d’isomérie ont montré que le poids et la composition atomique ne suffisent pas toujours à caractériser des espèces pures, partant que des considérations structurales déterminent leurs molécules, que la forme rend raison de leurs propriétés. Le concours de méthodes physiques révèle des architectures moléculaires complexes variant entre divers états énergétiques; la molécule se définit alors par la description d’un ensemble de propriétés liées à des configurations. D’autre part, au-delà de certaines dimensions moléculaires, les espèces chimiques tendent à échapper aux critères d’identification qui fonctionnent exactement pour les petites molécules. Des variations discrètes de composition n’entraînent plus de différences significatives dans quelques caractères communément discriminateurs; corrélativement, les caractéristiques physiques de certaines macromolécules ressortissent à des distributions statistiques; en sorte que s’affaiblit la notion d’espèce chimique fondée sur le classement de discontinuités. Ces réserves faites, le concept de molécule n’en conserve pas moins son autorité dans la pratique actuelle des laboratoires, où il opère comme une fiction efficace pour connaître et gouverner les transactions matérielles d’une multitude de corps.
L’histoire de la notion de molécule s’est enrichie d’une nouvelle vision selon laquelle des molécules sont décrites comme des unités dotées de la qualité de quasi-sujet épistémologique. Des théoriciens de la biologie moléculaire n’hésitent pas à assigner à des molécules «stéréospécifiques» le pouvoir de «reconnaître» des structures de métabolites à engager dans des chaînes de réactions. Peut-être y a-t-il dans cette conception quelque abus de langage, et ce pouvoir nouvellement «découvert» est sans doute appelé à se dissoudre dans le concept plus général de réactivité.
Les minimums physiques et leurs formes imaginaires
Toute description atomique de la nature postule l’existence de minimums physiques; elle contredit radicalement l’idée d’une divisibilité à l’infini qui a pu être spécieusement supportée par l’apparente homogénéité des mixtes; ce fut précisément le mérite des atomistes grecs de ne voir dans cet aspect qu’une simple apparence et de supposer une composition universelle d’ultimes particules. Lucrèce, qui s’inspire de ces penseurs dans son De rerum natura , dit des atomes qu’ils sont capables de «concursus, motus, ordo, positura, figura » et rapporte les transformations de la nature à leur ordonnance variable: «mutatoque ordine, mutant naturam ».
Si, au XVIe siècle, Giordano Bruno apparaît comme l’un des restaurateurs notoires de l’atomisme antique, c’est plus précisément le Hollandais Daniel Sennert que l’on peut créditer d’avoir produit un système chimique préfigurant, en quelque manière, la conception moléculaire. Dans ses Hypomnemata physica , publiés en 1636 à Francfort, il proclame l’extension et la mobilité des corps divisibles, les corpuscules ultimes conservant des formes essentielles propres à l’espèce des corps; les prima mixta maintiennent leur individualité dans la suite des opérations chimiques. C’est surtout à Pierre Gassendi que l’atomisme dut sa restauration. Les «indivisibles parties [...] pour ainsi dire, d’une petitesse infinie», sont, dans ses vues, «infiniment au-dessous de nos sens»; aussi le philosophe se donne libre cours d’imaginer, si limitées que soient ses facultés: «Là où nostre industrie et nostre subtilité finit, c’est là que commence l’industrie et la subtilité de la nature» (François Bernier, Abrégé de la philosophie de M. Gassendi , 1675). À peine inventé, le microscope avait entrouvert les minimes textures des choses, et, donnant à voir davantage, il étendit paradoxalement le domaine de l’invisible. La figure des ultimes corpuscules, décidément trop menus, échappait aux inspections les plus perspicaces; mais la révélation du microscopique entraîna aux figurations imaginaires. Tout devint affaire d’arrangements dans l’espace rapportés aux propriétés évidentes ou supposées. En 1643, Gassendi, dans la Cinquième Contre-Méditation , loue ceux qui s’efforcent «d’exprimer la nature des choses matérielles, leurs forces ou propriétés, au moyen de la grandeur, de la figure, du mouvement, de la position et d’un certain nombre de petites qualités qui sont jointes ou ajoutées aux corpuscules ou aux principes dont est composée toute chose matérielle». Descartes développe son ambitieuse cosmologie fondée sur la distinction des matières subtile, globuleuse et irrégulière. Nicolas Lémery, Nicolas Hartsoeker et bien d’autres spéculent à l’envi sur la forme des corpuscules invisibles; ceux des acides sont vus comme des polyèdres aciculaires et tranchants, les alkalis comme des masses criblées; les soufres sont branchus, etc. Beddevole construit des «particules acides-alkalines». Toutes configurations imaginaires qui conserveront quelque crédit un siècle durant. Le Dictionnaire de physique de A. H. Paulian décrira ainsi la fermentation dans son édition de 1781: «Deux corps ne fermentent jamais ensemble que lorsque les molécules de l’un sont des acides, c’est-à-dire des particules roides, longues, pointues, tranchantes et que les molécules de l’autre sont des alkalis, c’est-à-dire des corpuscules poreux et spongieux, faits en forme de gaine ou de fourreau.» Popularisée en Angleterre par Walter Charleton, la doctrine gassendienne des atomes changera de régime au contact du newtonianisme, qui relègue les spéculations sur les formes et privilégie les phénomènes d’attraction. Dans son Opticks , Newton prononce que «la nature, simple et d’accord avec elle-même», gouverne les mouvements des particules par «la force attractive ou répulsive qu’elles exercent mutuellement les unes sur les autres». Tenues en horreur par les cartésiens, qui y voyaient des «qualités occultes», les forces s’exerçant entre des masses suffisent pour Newton à expliquer le ressort de l’air; «on aura beau se représenter les molécules de l’air comme des lames élastiques et rameuses», dit-il en récusant l’imagination configuratrice de Robert Boyle le pneumaticien, «on parviendra difficilement à expliquer l’expansibilité de l’air; on ne peut le faire qu’en attribuant aux molécules une force répulsive qui les oblige à se fuir l’une l’autre.» Ampère adoptera cette conception quand il présentera les «dernières molécules des corps (les atomes) tenues par les forces attractives et répulsives qui leur sont propres, à des distances comme infiniment grandes relativement aux dimensions de ces molécules» (1811). Quant aux phénomènes chimiques proprement dits, ils sont justiciables désormais de changements d’attraction. Antoine François de Fourcroy fera dépendre «toutes les combinaisons possibles de l’attraction de composition», cependant que Monge, dans ses articles «Affinité» et «Attraction» de l’Encyclopédie méthodique , supposera, outre les forces newtoniennes, d’autres forces que détermine la forme des particules.
Dans les représentations qui acheminent à la théorie moléculaire moderne, les atomes sont d’abord ponctualisés, assimilés à des points matériels. C’est en traitant more geometrico la distribution des «dernières molécules» que les atomistes contournent la doctrine de Claude Louis Berthollet pour qui, selon les termes de John Dalton, «il existe dans toutes les unions chimiques d’insensibles gradations dans les proportions des principes constituants». Contre cette conception, Joseph Louis Proust, dès 1799, dans ses Recherches sur le cuivre , avait justement pris pour critère décisif «les proportions toujours invariables, ces attributs constants qui caractérisent les vrais composés de l’art ou ceux de la nature». C’est bien en se fondant sur ce «fait le plus considérable de la chimie, l’immutabilité des proportions suivant lesquelles les corps s’unissent entre eux», que Dalton formera «l’hypothèse que les combinaisons chimiques résultent du rapprochement d’atomes possédant des poids invariables» (Charles Adolphe Würtz). Il infère de l’observation raisonnée que «les particules ultimes de tous les corps homogènes sont parfaitement identiques en poids, figure, etc. En d’autres termes, toute particule d’eau est pareille à toute autre particule d’eau, toute particule d’hydrogène est identique à toutes les autres particules d’hydrogène» (1808).
La définition pondérale
Ainsi, à l’homogénéité physique de l’espèce chimique répond l’identité du poids de ses ultimes particules qui permet de construire des représentations prenant en compte les proportions réglant les combinaisons. Cette décision théorique n’allait pourtant pas, à elle seule, donner une clé suffisante pour décrypter la composition atomique des molécules. La représentation purifiée de l’invisible entre et se perd dans l’équivoque, faute d’une claire distinction entre atomes et molécules. On connaît les hésitations de Jean-Baptiste Dumas à l’encontre de la doctrine atomique: «M. Dalton suppose l’existence des atomes, mais il ne la prouve pas; seulement, leur existence étant admise, il s’en sert pour rendre raison des rapports observés entre les quantités constantes de matière qui réagissent entre elles [...]. Pour expliquer les lois de la chimie quantitative [...] est-il nécessaire d’admettre l’insécabilité des particules qui réagissent? Non, parmi tous les faits de la chimie, il n’en est aucun qui donne quelque certitude, ni même seulement quelque probabilité touchant l’insécabilité de ces particules» (1836). Et faut-il rappeler le mot de Marcelin Berthelot qui, quelque quarante ans plus tard, taxera de «conception mystique [...] la combinaison d’un atome avec lui-même»? Nous savons maintenant que seule l’hypothèse d’Avogadro et d’Ampère (cf. CHIMIE - Histoire) était propre à expliquer les lois de combinaison, en faisant entre atomes et molécules une claire distinction, qui sera reformulée, sans être bien entendue, par Marc Antoine Gaudin en 1833. L’effort des chimistes tendit tout d’abord, au XIXe siècle, à formuler par des représentations adéquates la composition des corps, en attachant aux symboles littéraux des nombres proportionnels au «poids» d’un élément de référence, l’hydrogène pour Dalton, l’oxygène pour Jöns Jacob Berzelius. Le but est constant: déterminer les symboles les plus simples capables de fournir, pris tous ensemble, un rappel suffisant des propriétés chimiques des corps homogènes connus. Dans de nombreux cas, le recoupement des résultats analytiques permit de préciser le nombre relatif des atomes entrant en combinaison. C’est ainsi que Jöns Jacob Berzelius avait d’abord été conduit à noter pour deux oxydes du chrome les formules CrO et Cr2, conformément aux données analytiques. Toutefois, ayant appris que dans le chromate de potassium la quantité d’oxygène provenant de l’oxyde de chrome est triple de celle qu’apporte la potasse, il fut amené à donner à l’oxyde le plus riche en oxygène la composition Cr3 et, par voie de conséquence, la composition Cr23 à l’oxyde inférieur, afin de respecter les rapports initialement fixés entre les deux oxydes. À l’aide de telles procédures analytiques, renforcées de méthodes analogiques et de déterminations physiques (cf. CHIMIE – Histoire et ÉLÉMENTS CHIMIQUES), les chimistes ont pu assez tôt proposer des notations identiques à celles des formules de constitution retenues de nos jours. Cette concordance est le plus souvent fortuite, liée qu’elle est au choix des systèmes de transformations définissant les nombres proportionnels des «atomes» engagés dans une collection finie de molécules.
Berzelius introduit en 1834 la distinction entre «formule empirique» et «formule rationnelle», celle-ci exprimant le groupement des atomes dans la molécule, selon une procédure qui avait déjà été employée par Dumas et Polydore Boullay en 1827, puis par Eilhard Mitscherlich. Mais beaucoup de chimistes récuseront la valeur constitutive de ces formules, à l’instar de Charles Gerhardt qui, en 1853, juge «exagérée» l’importance donnée «aux formules dites rationnelles par lesquelles on représente la constitution moléculaire des corps». Ne peuvent-elles changer pour un corps selon les réactions? Représenter un corps par une formule rationnelle, écrira-t-il peu après, c’est «résumer par des signes de convention un certain nombre d’équations dans lesquelles figure ce corps, un autre corps étant pris pour unité de comparaison. Les formules ne peuvent représenter que de simples rapports ou réactions, et non l’arrangement moléculaire» (Traité de chimie organique , 1856). Les travaux des organiciens démentiront promptement ce caveat ; telle est la marche de la science, que les aventuriers de l’hypothèse en bornent souvent d’eux-mêmes la fécondité: le même Gerhardt contribua décisivement à rapporter la composition des corps à leur poids moléculaire conformément à l’usage actuel, mais sans adopter les présupposés théoriques simples qui fondent aujourd’hui cette pratique. S’il réfère les formules à des volumes égaux de vapeur (c’est-à-dire à la masse moléculaire), c’est en raison de ce que la plupart des doubles décompositions organiques se font entre volumes égaux de réactifs, en raison encore de ce que des poids équivalents d’acides et d’alcools occupent le même volume; il prend pour volume de référence celui de la molécule d’eau, présente dans la plupart des doubles décompositions. Dumas avait également manifesté une semblable indécision de théorie, au sujet de la détermination des poids moléculaires par la mesure des densités de vapeur.
Densités de vapeur et contestation de l’hypothèse moléculaire
L’hypothèse d’Avogadro et Ampère a pour conséquence immédiate que, si M et M sont les masses moléculaires de deux corps dont les densités de vapeur sont d et d , les deux masses sont liées par la relation simple: M = M d/d . Cette relation se trouve exactement vérifiée si l’on prend pour rapport d/d la valeur vers laquelle il tend quand la pression tend vers zéro. Toutefois, les valeurs expérimentales obtenues hors de cette condition suffisent communément à déterminer les compositions moléculaires, dans le système atomique. Soit un corps de composition hypothétique Am 見 Bm 廓 Cm 塚 , telle que 見, 廓 et 塚 n’aient pas de diviseur commun. Les valeurs approchées de d/d obtenues expérimentalement permettent généralement de décider entre les valeurs m et m 梁 1. Si Dumas a bien pressenti les conséquences avantageuses de l’hypothèse d’Avogadro pour déterminer les nombres proportionnels, il ne paraît pourtant pas s’être assez pénétré de la distinction fondamentale entre molécules et fractions de molécules entrant en réaction, pour tirer parti des résultats qu’il obtint en mesurant scrupuleusement les densités de vapeur.
Jusqu’au dernier quart du XIXe siècle, la mesure de ces densités demeurera le seul accès expérimental à la détermination des masses moléculaires. Or, cette procédure n’était pas sans procurer quelques résultats évidemment incohérents, les densités mesurées pouvant varier selon les conditions physiques, au premier rang desquelles figurait la température. Des savants, comme Henri Étienne Sainte-Claire Deville, en vinrent à mettre en cause la validité de l’hypothèse d’Avogadro et Ampère. Et ce doute était certes fondé si, avec Gerhardt, l’on tenait pour assuré que toutes les molécules d’un corps simple renferment deux atomes. Cependant, Stanislas Cannizzaro avait dénoncé le fallacieux arbitraire de cette règle, et il devint bientôt évident que les disparités dans les mesures de densité de vapeur devaient être rapportées à des phénomènes de dissociation thermique affectant des molécules polyatomiques ou polymères. On connaissait maint cas de transformations de corps chimiquement purs; le phosphore et le soufre, par exemple, présentent, dans diverses conditions physiques, des aspects et des propriétés différentes, sans que soit altérée leur spécificité atomique; ces espèces chimiques existent, dit-on, dans divers états allotropiques que caractérisent divers degrés de condensation atomique (un cas notoire est celui de l’ozone, dont Soret a montré en 1866 que sa densité vaut 1,5 fois celle de l’oxygène; c’en est un état allotropique correspondant à la composition 3). Toutefois, dans le cas où des molécules sont sujettes à la dissociation thermique, leur vapeur contient rarement un contingent homogène de particules; au contraire, en règle générale, les vapeurs renferment, en diverses proportions selon la température et la pression, des agrégats atomiques non dissociés à côté de molécules dissociées; d’où les variations observées dans les résultats, propres à jeter la confusion, si compte n’est pas tenu de la loi de dissociation du corps mis à l’épreuve. Le phénomène est désormais sans mystère et n’a pas mis en péril l’hypothèse d’Avogadro; bien plus, les «anomalies» de densité de vapeur sont devenues l’un des moyens d’élection de l’étude des dissociations. Cependant, la reconnaissance de diverses condensations moléculaires des solides a contribué à limiter le domaine d’extension de l’univers moléculaire. Lothar Meyer avertissait en 1864 que «si nous admettons que les corps dans leurs trois états sont formés de molécules [...] cette hypothèse n’est pas tout à fait aussi juste pour les liquides que pour les solides, elle est beaucoup moins fondée que pour les gaz». Cette vue n’a pas été infirmée par des recherches ultérieures; l’identité moléculaire se dissout dans maintes espèces cristallines où la structure matérielle doit être définie par la répétition tridimensionnelle de motifs formés du groupement d’atomes et d’ions: dans maints polysilicates, la molécule est définie par l’expression nombrée de la composition élémentaire, sans que l’on puisse assurer que ce groupement constitue un minimum physique autonome; il en est de même pour de nombreux polymères dont les longueurs et les «linkages» peuvent localement varier. En règle générale, une molécule ne peut être isolée et physiquement objectivée que dans des états de dilution. À cette condition, elle atteint sa définition, c’est-à-dire que l’on peut déterminer sans équivoque son poids moléculaire.
La molécule, «réalité objective»
On doit à Jacobus Henricus Van’t Hoff une première systématisation théorique des états dilués; inspiré par les Osmotische Untersuchungen du botaniste Wilhelm Pfeffer (1877), il aperçut que les propriétés osmotiques de maints solutés sont analogues aux caractères tonométriques des gaz; en d’autres termes, que les lois de dilatation de Boyle et GayLussac, exprimées par la relation PV = RT, peuvent être étendues aux solutions, P figurant alors la pression osmotique. Van’t Hoff montra, ce faisant, que les solutions diluées sont justiciables de l’hypothèse d’Avogadro: «À pression osmotique égale et à température égale, des volumes égaux de la plupart des solutions renferment un même nombre de molécules, identique à celui que renferme un même volume de gaz, à la même pression et à la même température» (1886). Cette importante proposition n’était vérifiée que pour des «solutions idéales», de même que la loi de dilatation des gaz ne représente que les «gaz parfaits». Par solutions idéales, Van’t Hoff entendait des solutions suffisamment diluées pour que les interactions des molécules et les volumes moléculaires pussent être négligés. En outre, l’analogie souffrait des écarts dans le cas des solutions salines; mais ces anomalies seront résorbées dans la théorie d’Arrhenius qui assimile à des individualités moléculaires les ions produits par dissociation électrolytique.
Rassemblant sous la juridiction d’une même hypothèse les phénomènes intéressant la matière diluée, la généralisation de Van’t Hoff a incorporé les observations de François Marie Raoult sur la congélation et l’ébullition des solutions. Désormais, les variations de pression osmotique, de pression de vapeur, de température de congélation ou d’ébullition relativement à la dilution des solutés appartiennent au même ensemble de théorie; en outre, les variations de ces phénomènes étant liées par des relations simples aux poids moléculaires des substances dissoutes, on en déduisit des méthodes physiques de détermination de ces poids, qui vinrent opportunément s’adjoindre à la méthode des densités de vapeur dont les résultats avaient été sujets à contestation.
Accessible à la mesure par diverses voies, la molécule devait bientôt être tenue pour une «réalité objective» par Jean Perrin. Se fondant sur ce que «les lois de Raoult sont indifféremment applicables à toutes les molécules, lourdes ou légères», il posa la question de savoir «s’il y a quelque limite de grosseur pour l’assemblage d’atomes qui vérifie ces lois». Le problème étant abordé par le biais de la théorie cinétique des mouvements moléculaires qui donne une expression de la loi de dilatation des gaz, la question était de discerner si «un granule agité par le mouvement brownien ne compte ni plus ni moins qu’une molécule ordinaire, en ce qui regarde l’action de ses chocs sur une paroi qui l’arrête. Bref, ne peut-on supposer que les lois des gaz parfaits s’appliquent encore aux émulsions faites de grains visibles?» L’observation minutieuse de l’équilibre statistique de la distribution verticale des granules d’environ 0,3 micromètre de rayon dans une colonne d’émulsion soumise au champ de pesanteur lui procure des valeurs du nombre d’Avogadro (nombre de molécules physiques contenues dans la masse de la molécule-gramme) qui concordent avec les résultats procurés par l’étude de la viscosité des gaz. «Au point de vue de l’agitation (thermique), il n’y a aucun abîme entre les molécules d’azote qui peuvent être dissoutes dans l’eau et les molécules visibles que réalisent les grains d’une émulsion.» Son modèle expérimental lui confirme la «réalité objective des molécules», cependant que l’on peut désormais «vraiment peser les atomes», mesurer les «dimensions des molécules, ou plus exactement les diamètres de leurs sphères de choc» (1913).
La méthode de Jean Perrin a inspiré Theodor Svedberg qui, à partir de 1922, a entrepris de déterminer les poids moléculaires des macromolécules protéiques. Celles-ci étant beaucoup plus légères que les granules de J. Perrin, qui réagissaient assez vite à la pesanteur, T. Svedberg développa des techniques d’ultracentrifugation procurant d’intenses champs de gravitation. L’observation du gradient de concentration des solutions protéiques centrifugées donne accès à la masse moléculaire. L’étude des équilibres de sédimentation permet encore de décider de l’uniformité d’un composé protéique. C’est ainsi que des solutions de gélatine, en milieu isoélectrique, ne donnent pas des images de centrifugation correspondant à un poids moléculaire nettement défini; la molécule cesse d’être déterminée par sa masse et se caractérise seulement par un mode d’arrangement atomique.
La molécule comme structure
La disjonction entre composition et propriétés est scientifiquement fondée du jour où Justus Liebig reconnaît en 1823 que deux sels d’argent distincts, le cyanate et le fulminate, associent dans les mêmes proportions le carbone, l’azote et l’argent. Michael Faraday, Friedrich Wöhler et Berzelius procureront peu après d’autres cas d’isomérie, notion qui, selon les termes de Louis Pasteur, offre l’intérêt d’«introduire dans la science ce principe que des corps peuvent être et sont essentiellement différents par cela seul que l’arrangement des atomes n’est pas le même». Pasteur, on le sait, contribua décisivement à expliciter les «rapports d’arrangements moléculaires» par l’étude minutieuse des tartrates doubles d’ammonium et de sodium qu’il commença en 1848, observant des corrélations entre les formes cristallines et l’activité optique des solutions d’énantiomorphes; il reconnaît notamment l’«identité parfaite et absolue entre les formes cristallines des deux tartrates droit et gauche» et prouve formellement, en 1860, la dissymétrie moléculaire responsable des variations du pouvoir rotatoire. Ses vues perspicaces seront généralisées en 1874 par Achille Le Bel et Van’t Hoff, qui systématisent une théorie du carbone asymétrique. Ainsi, par des ensembles de déductions portant sur l’observation de phénomènes macroscopiques, la stéréochimie pénètret-elle les structures moléculaires, ou du moins construit-elle des symbolismes géométriques rendant compte de la disjonction de propriétés affectant des molécules de compositions identiques.
La construction graphique des propriétés chimiques a donné à la chimie, principalement à celle des composés organiques, une impulsion décisive. La structure est manifestée dans le monde artificieux de la figuration des molécules. On crédite A. Butlerow d’avoir introduit en 1861, dans un article du Zeitschrift für Chemie , la notion de structure: «Chaque atome chimique se manifeste par un ensemble défini et borné de forces chimiques au moyen desquelles il participe à la formation des corps. Je désigne par structure chimique [...] l’arrangement de ces liaisons.» Il se référait, au demeurant, au chimiste écossais Archibald Scott Couper, qui s’était essayé à figurer les forces d’affinité, dans les formules graphiques publiées en juin 1858, et avait par ailleurs invoqué l’exemple de la structure des mots pour expliquer métaphoriquement la décomposition spéculative des corps. A. C. Brown dès 1861, puis Lothar Meyer, dans ses Modernen Theorien der Chemie de 1864, utiliseront des symbolismes très proches des formules développées actuelles qui composent le «milieu» graphique de la chimie organique. Ces formulations sont de précieux auxiliaires taxonomiques, mais elles aident encore à sélectionner des décisions; ce sont en effet des instruments économiques de simulation au moyen desquels le chimiste peut se figurer des transformations moléculaires qu’il dessine avant l’épreuve expérimentale. Le classement graphique des structures rend raison de quantité d’isoméries «géométriques» sans prétendre restituer fidèlement les configurations moléculaires.
Il y a longtemps que les sommets du tétraèdre de J. H. Van’t Hoff ne représentent plus pour de bon les positions atomiques autour de l’atome de carbone, et l’on ne tient plus pour une représentation fidèle de la double liaison éthylénique l’accolement par une arête de deux carbones tétraédriques. Le calcul des fonctions de densité électronique des mailles cristallines, les relations entre résonance électronique et tautomérie, les documents de la spectrographie et de la magnétochimie ont donné aux physico-chimistes quantité d’instruments propres à affiner leur connaissance des structures moléculaires et à en varier les représentations; cependant, les figurations «grossières» des molécules continuent de rendre d’inappréciables services dans la prédiction des synthèses organiques. En outre, le schématisme des figurations approchées s’est enrichi récemment encore de nouvelles procédures, relatives à l’analyse conformationnelle, qui considère les déformations des molécules par rotation d’atomes ou de radicaux autour de certaines liaisons (les diverses positions possibles étant corrélées à des variations discrètes d’énergie).
Enfin, la crise babélienne qui afflige l’univers des dénominations chimiques a provoqué diverses tentatives de repérage des molécules complexes; le nombre des composés actuellement connus avoisinerait quelque quatre millions.
Pour archiver cette immense collection de molécules, les ordinateurs permettent de composer une mémoire artificielle de structures moléculaires. Le traitement informatique opère par progression séquentielle d’un atome au suivant. La linéarisation des structures n’est pas une procédure simple. Plusieurs programmes de description ont été proposés pour coder la plupart des structures; mais les règles parfois complexes du codage manuel sont sources d’erreurs que l’on ne peut espérer éliminer que si l’ordinateur produit lui-même les notations en fonction des règles hiérarchiques. Mais il est probable que l’achèvement de programmes cohérents procurera des classifications souples répondant à diverses préoccupations, et qu’ils permettront d’étendre la structuration des attributs encore inexpliqués des corps. Déjà, l’ordinateur permet de simuler toutes sortes de chaînes réactionnelles entre des macromolécules complexes, notamment des acides nucléiques, évitant ainsi de mettre à l’épreuve des cas heuristiquement peu favorables. Ainsi la molécule devient-elle champ d’hypothèses qui se résolvent en calcul numérique.
Conception actuelle
Après les tâtonnements des siècles précédents, la notion de molécule s’est aujourd’hui clarifiée et épurée, débarrassée même de son contexte d’origine. Une molécule est un ensemble de particules de deux sortes: les électrons , tous identiques, porteurs d’une charge électrique négative (face=F0019 漣 e ) et les noyaux , de diverses natures, porteurs d’une charge positive, + Ze (Z étant un nombre entier), et de masse bien déterminée, plusieurs milliers de fois supérieure à celle de l’électron. Cette définition généralise celle de l’atome qui ne contient qu’un seul noyau et un nombre quelconque d’électrons.
À première vue, cette définition paraît assez éloignée de la conception classique qui fait dériver les molécules directement des atomes. En fait, il n’y a pas de contradiction entre les deux points de vue quand on reprend le problème au niveau de la structure de la molécule.
Entre les diverses particules constituant les molécules s’exercent des forces électrostatiques. La physique classique ne permet pas d’expliquer l’existence de tels systèmes, car, fondée sur l’expérience macroscopique, elle ne s’applique pas aux particules élémentaires. Pour ces dernières, on doit faire appel à la mécanique quantique, qui repose sur l’impossibilité où l’on est de connaître simultanément, à un instant donné, la position et la vitesse d’une particule. Tout ce que l’on peut en savoir se ramène à une fonction des coordonnées et du temps, appelée fonction d’onde , dont le carré du module donne la probabilité de trouver, en un instant donné, la particule en un point donné. La notion même de particule a disparu; tout se passe comme si celle-ci était remplacée par un nuage continu de densité égale au carré du module de la fonction d’onde. La notion de probabilité, aléatoire, de trouver une particule est alors remplacée par celle, statique, de densité.
La probabilité de présence d’une particule en un point donné dépend de la position de ce point. Sauf en quelques points particuliers, elle n’est jamais nulle, puisque la fonction d’onde s’étend dans tout l’espace. Cependant, en pratique, la densité est concentrée dans des domaines assez restreints à l’intérieur desquels on peut considérer la particule comme enfermée. La concentration est d’ailleurs d’autant plus grande que la masse de la particule est élevée, ce qui explique que les noyaux peuvent être localisés dans des domaines extrêmement réduits; ils pourront même être assimilés à des masses ponctuelles classiques. Les électrons, au contraire, beaucoup plus légers, donnent des nuages plus étendus. L’étude mathématique de l’énergie du système en fonction des positions relatives des noyaux montre de plus l’existence de positions d’équilibre privilégiées autour desquelles les noyaux oscillent sans cesse. À ce stade, la molécule apparaît donc comme un édifice formé de noyaux ponctuels, plongés dans un nuage électronique continu, susceptible de déformations autour de configurations géométriques bien déterminées.
Dans les atomes, les électrons se concentrent autour du noyau dans des domaines sphériques ou couches. Les couches les plus éloignées correspondent à des électrons moins liés car plus éloignés du centre attractif que constitue le noyau. Leurs nuages électroniques sont par là même plus facilement déformables sous l’effet d’un champ électrique extérieur perturbateur. Dans les molécules, comme dans les atomes isolés, certains électrons viennent se concentrer autour des noyaux alors que d’autres sont moins localisés, le nuage électronique correspondant à ces derniers englobant plusieurs noyaux. Les électrons concentrés autour des noyaux reconstituent à très peu de chose près les couches internes des atomes isolés.
Cette différenciation entre les électrons autorise à considérer la molécule comme formée d’atomes liés , la liaison étant due à la réorganisation dans l’espace des nuages électroniques correspondant à un petit nombre d’électrons. L’individualisation des atomes dans la molécule est évidemment d’autant plus poussée qu’il y a autour des noyaux plus de couches internes reconstituées. Dans la molécule H2 qui ne contient que les deux électrons utilisés pour la liaison, il est difficile de reconnaître deux atomes d’hydrogène, si ce n’est par la présence de leur noyau; cependant, l’usage reste de parler des atomes constituant cette molécule.
La localisation plus ou moins poussée des nuages électroniques correspondant aux électrons de liaison justifie les notions classiques de liaisons entre atomes, représentées conventionnellement par des tirets. Par exemple, lorsqu’on écrit la formule du méthane:
cela signifie qu’entre le noyau de carbone et chacun des noyaux d’hydrogène se trouvent concentrés deux électrons assurant la liaison entre ces noyaux. Toutefois, il est fondamental de remarquer que la notion de liaison, héritage direct de la conception antique, est inessentielle et que seul l’ensemble des particules, noyaux et électrons, a un sens précis, et cela quel que soit leur nombre, ce qui permet d’englober dans la même définition toutes les molécules, petites ou géantes, aussi bien que les édifices cristallins, tous redevables du même traitement théorique, reflétant ainsi l’unicité de la structure de la matière.
molécule [ mɔlekyl ] n. f.
• 1674; lat. mod. molecula, de moles « masse »
1 ♦ Vx Particule de matière; corpuscule. « J'ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante » (Rousseau).
2 ♦ (déb. XIXe) Mod. La plus petite quantité d'un corps simple qui peut exister à l'état libre. Molécule d'un corps simple monovalent. ⇒ atome. Molécule de masse moléculaire très élevée. ⇒ macromolécule. Molécule ionique, qui se dissocie en ions. Énergie de liaison, de dissociation d'une molécule. — Vx Molécule-gramme. ⇒ mole.
● molécule nom féminin (latin moles, masse, avec l'influence de corpuscule) Particule formée d'atomes et qui représente, pour un corps pur qui en est constitué, la plus petite quantité de matière pouvant exister à l'état libre. Littéraire. Très petite partie de quelque chose, parcelle. ● molécule (difficultés) nom féminin (latin moles, masse, avec l'influence de corpuscule) Genre Féminin : une molécule. ● molécule (synonymes) nom féminin (latin moles, masse, avec l'influence de corpuscule) Littéraire. Très petite partie de quelque chose, parcelle.
Synonymes :
- élément
molécule
n. f. CHIM Ensemble d'atomes liés les uns aux autres par des liaisons fortes.
⇒MOLÉCULE, subst. fém.
CHIM., PHYS.
A. — Vieilli. Entité matérielle extrêmement petite. Les phénomènes électriques sont dus à certains petits corps matériels, extrêmement tenus et chargés d'électricité (...). Ces molécules matérielles sont des corps solides qui se déplacent sans se déformer (H.POINCARÉ, Électr. et opt., 1901, p.422). V. arranger ex. 14, asymétrie ex. 4, cristallographique dér. s.v. cristallographie ex. de Cournot:
• 1. ... lorsqu' [un rayon lumineux] passe d'un milieu dans un autre, sa direction s'infléchit et sa vitesse change (...). La trajectoire de chaque molécule lumineuse est (...) alors l'assemblage de deux droites, dont chacune est décrite d'un mouvement uniforme...
POISSON, Mécan., t.1, 1811, p.467.
♦Molécule constituante ou élémentaire (v. constituant1 A).
B. — 1. La plus petite partie d'un corps pur (simple ou composé) qui soit capable d'exister à l'état libre et dans laquelle soient conservées la composition et les propriétés chimiques caractéristiques du corps. Lorsqu'un fluide s'écoule dans un tuyau de conduite, les molécules, en contact avec les parois, éprouvent, par le frottement, une certaine résistance qui diminue leur vitesse (SER, Phys. industr., 1888, p.286). Tous les degrés (...) existent entre la molécule organique isolée et les édifices complexes de molécules que représentent les êtres hautement organisés (J. ROSTAND, Genèse vie, 1943, p.38). Chaque molécule de saccharose est produite par la condensation d'une molécule de glucose et d'une molécule de lévulose, avec élimination d'eau (CAMEFORT, GAMA, Sc. nat., 1960, p.336). V. activation ex. 3, architecture ex. 3, atome ex. 9 et 10, évolution B 1 ex. de J. Rostand:
• 2. ... s'il existe deux atomes dans la molécule d'oxygène, de chlore, d'hydrogène, de soufre (...), il y en a quatre dans celles de phosphore et d'arsenic, un seul dans la molécule de mercure et de cadmium.
Hist. gén. sc., t.3, vol. 1, 1961, p.314.
SYNT. Molécule chimique; molécule linéaire, pyramidale, tétraédrique; molécule simple, complexe; molécule légère, lourde; molécule géante; molécule gazeuse, liquide, solide; molécule albuminoïde, lipidique, protéique, saline; molécule mono-, di-, tri-polyatomique; molécule active, activée, excitée, neutre; molécule dissymétrique; synthèse, dissociation d'une molécule.
♦Molécule marquée. ,,Molécule dans laquelle on a remplacé un ou plusieurs atomes par un ou des atomes isotopes radioactifs`` (Nucl. 1964).
2. P. ext., BIOCHIM. (Nouvelle) molécule. (Nouveau) produit. La psychopharmacologie a (...) dépassé l'époque héroïque, celle des découvertes les plus spectaculaires, mais beaucoup reste à faire. (...) dans le groupe nombreux des (...) neuroleptiques, de nouveaux composés plus actifs, plus maniables ou plus spécifiques ont été trouvés jusqu'à ces dernières années. (...) les médicaments antidépresseurs ont réduit les indications des méthodes de choc (...). En pratique, l'association des deux grands types de médicaments est fréquente, et il est possible d'imaginer que de nouvelles molécules puissent allier les deux types d'effets (P. DENIKER, La Psychopharmacologie, Paris, P.U.F., 1969, p.126).
C. — P. métaph. ou au fig. Elle est chaste, non excitante, pour ainsi dire insexuelle. Elle ne pique par rien les sens de l'homme. Autour d'elle, nulle molécule de volupté (GONCOURT, Journal, 1864, p.56). [L'homme] est une molécule vivante, incessamment excitée et modifiée par l'organisme social dont elle fait partie intégrante (SAINTE-BEUVE, Prem. lundis, t. 2, 1830, p.18). Sans doute, la dernière molécule sociale, à savoir le village, est bien encore un clan transformé (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p.159):
• 3. ... une lumière rosée (...) bientôt rayonna dans tout le ciel. La nature entière s'éveillait; des milliards de molécules joyeuses scintillaient dans l'air matinal.
MARTIN DU G., Thib., Cah. gr., 1922, p.618.
REM. -molécule, élém. de compos. V. macromolécule. Nous pouvons (...) concevoir que le passage des méga-molécules à la cellule se soit effectué presque simultanément en un très grand nombre de points (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p.96). Les groupements limités d'atomes, les micro-molécules, ont une longévité (...) presque indéfinies (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p.109).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep.1740. Étymol. et Hist. 1. 1674 «partie très petite d'un corps» (LE GALLOIS, Conversations académiques ds QUEM. DDL t. 3); 2. 1803 «petite partie organique, prétendue animée, d'un corps» (BOISTE). Dér. sav. du lat. moles «masse», sur le modèle de corpuscule. Fréq. abs. littér.:468. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 513, b) 1095; XXe s.: a) 367, b)744. Bbg. MACK. t. 2 1939, p.265.
molécule [mɔlekyl] n. f.
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1 Vx. Particule (d'une matière). || Molécules ténues de calcaire (→ Incrustation, cit. 2). || Molécules qui forment une concrétion (cit. 1). || « Molécules organiques » (→ Indestructible, cit. 1, Buffon). — Molécule intégrante (la molécule au sens moderne). || Molécules élémentaires ou constituantes (l'atome). || Attraction, affinité des molécules permettant les combinaisons chimiques (→ Attractif, cit. 2).
1 Mon esprit refuse tout acquiescement à l'idée de la matière non organisée se mouvant d'elle-même, ou produisant quelque action (…) J'ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante, sans pouvoir en venir à bout.
Rousseau, Émile, IV, p. 329, note.
2 (…) une molécule de je ne sais quelle matière étrangère, se logeant dans le coin de mon œil, me rendit, pour le moment, complètement aveugle.
Baudelaire, Trad. E. Poe, Hist. grotesques et sérieuses, « l'Ange du bizarre ».
2 Mod. (Déb. XIXe, Ampère). Chim. Ensemble électriquement neutre d'atomes unis les uns aux autres par liaison chimique. || La molécule d'un corps est formée d'atomes (⇒ Atome); sa composition est exprimée par la formule moléculaire. || Une molécule, deux molécules d'eau (H2O, 2H2O). || Molécule d'un corps simple formée de plusieurs atomes (polyatomique); de deux atomes (biatomique ou diatomique, ex. : H2 molécule d'hydrogène); d'un seul atome (monoatomique, ex. : Zn, molécule de zinc). || Mouvement des molécules de la matière. || Grande mobilité des molécules d'un gaz (→ Gazeux, cit. 1), d'un fluide (cit. 5). || Très grosses molécules. ⇒ Macromolécule, micelle. || Assemblage (cit. 18), association (cit. 1), cohésion des molécules. || Désagréger les molécules d'un corps par un liquide. ⇒ Dissoudre. || Molécule minérale, organique. || Combinaison de molécules complexes (→ Gène, cit. 1). || Synthèse d'une molécule. — Molécule-gramme (vx) : masse moléculaire d'un corps exprimée en grammes (ex. : H2O = 18 g). ⇒ Mole.
3 (…) on distingue aujourd'hui la molécule de l'atome : on suppose la première formée de plusieurs de ceux-ci, lesquels, par leur position respective, donnent à la molécule sa forme spéciale, ce qui constitue la diversité des substances (…)
Boiste, Dict. (1839), art. Molécule.
4 (…) la molécule d'un corps ou composé est la particule ultime de ce corps susceptible d'exister à l'état isolé. L'atome est la particule ultime d'un corps simple susceptible d'entrer en réaction (…) Pour les métaux à l'état de vapeur, la molécule s'identifie avec l'atome mais, pour de nombreux corps simples, la molécule est formée de plusieurs atomes identiques. Les corps composés résultent de l'union d'atomes différents (…)
G. Champetier, la Chimie générale, p. 17.
REM. Certains emplois de la langue non scientifique relèvent probablement du sens 1, mais la valeur scientifique moderne est difficile à éliminer.
5 Bogo le Muet regardait tout ça, l'immense plage de galets, le ciel, le soleil, la mer, et il ne comprenait pas pourquoi tout était si dur et féroce. Peut-être qu'il y avait une menace, quelque part, derrière les choses, dans les molécules de l'air, ou cachée dans les plis de l'eau verte.
J.-M. G. Le Clézio, les Géants, p. 101.
➪ tableau Vocabulaire de la chimie.
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DÉR. Moléculaire.
COMP. Macromolécule, micromolécule. Molécule-gramme.
Encyclopédie Universelle. 2012.