MYTHE
ETHNOLOGUES ou sociologues, culturalistes ou folkloristes, historiens des religions ou des idées, juristes ou économistes, archéologues ou philologues, linguistes ou logiciens, psychologues ou psychanalystes, théologiens ou philosophes: tout le monde, aujourd’hui, ou peu s’en faut, s’intéresse au mythe.
Pourtant, la notion de mythe, si elle a été redéfinie, approfondie, analysée de cent façons, est loin d’être élucidée. De même, la question sur le sens ou la fonction des mythes, notamment au sein des sociétés archaïques, a reçu trop de réponses, et des réponses trop divergentes pour que l’une d’elles, à l’exclusion des autres, pût s’imposer.
Sans aborder tous les domaines, tous les aspects du mythe, les articles ci-dessous (dus à des spécialistes qui sont au contact de plusieurs disciplines) présentent un large tableau de l’état actuel du problème.
Le conflit des interprétations y apparaît en pleine lumière. Deux thèses principales s’affrontent.
Pour l’une, la vérité des mythes, et même toute vérité, n’est en définitive qu’«un effet de signification».
Pour l’autre, la création des mythes, la mythogénie vécue, spontanée, n’est pas qu’un jeu logique, qu’un exercice de mise en ordre, qu’une activité combinatoire. Le mythe a sa manière de dire, et elle est logique (elle procède par distinctions, oppositions, corrélations, comme toute pensée logicienne). Mais le plus important n’est pas la manière, la forme: c’est le fond; le mythe dit quelque chose à quelqu’un sur quelque chose.
Le passage du mythos au logos , du discours mythique au discours conceptuel (lequel profite, en outre, du passage de l’oral à l’écrit, du genre parlé au genre rédigé) témoigne pour les deux thèses: il ne les départage pas. Le concept formalise davantage, mais c’est le mythe qui introduit les jeux de distinctions: il les invente, et le concept les reprend, parfois les améliore, quelquefois les durcit (quand le fonctionnel devient du substantiel, la reprise est éventuellement une méprise). En ce qui touche les contenus, on peut tenir que le sens profond est ou n’est pas dans le mythe; s’il y est, un discours rationnel a chance de l’y récupérer; mais s’il n’y est pas, on ne comptera point sur ce discours second pour proférer ce que le discours premier n’aurait pas réussi à faire entendre.
Il n’y a pas lieu pour nous d’arbitrer entre les parties. Tout au plus pouvons-nous aventurer quelques remarques.
Peut-être nos contemporains s’émerveillent-ils trop de l’habileté logique de l’homme archaïque. Là où les mythes sont la seule école de pensée, le seul laboratoire de l’expression façonnée, raisonnée, nul ne peut être surpris que tous les mécanismes de langage, toutes les procédures logico-formelles, tous les arrangements et tous les tours, à mesure qu’on les découvre, soient essayés sur eux, en eux, à leur occasion et pour leur bénéfice. Tant d’adresse et tant de pertinence méritent d’être louées, puisque les premiers observateurs n’ont pas su les reconnaître. Mais le fait du mythe ne contient pas que cette prouesse.
Le plus étonnant n’est-il pas que l’angoisse humaine ne reste pas muette et comme interdite, qu’elle soit capable de s’élaborer psychologiquement, sociologiquement, capable de symboliser, c’est-à-dire d’engendrer et d’organiser un corps de signes, capable aussi de se symboliser, c’est-à-dire de se projeter dans des représentations (d’origines, de fins, de moyens ou conditions), et aussitôt, à tort ou à raison, par ruse, par conviction ou par illusion, d’en être allégée, soulagée, rassurée? Elle devient supportable, parce qu’elle parle et se parle; et, dès que supportée, elle devient créatrice, elle ne cesse plus de l’être.
Ce phénomène autorise-t-il à conclure qu’une symbolique qui, pour la psyché , est symbolisation de soi (et pas seulement symbolisme mutuel des éléments expressifs, dans leurs différences respectives et dans leur commune indifférence à ce qui est dit) sait d’où elle vient, où elle va, le sait implicitement et cherche à le savoir explicitement?
Sur ce point, le débat reste ouvert. Car il faudrait pouvoir décider que le désir qui suscite et accompagne le symbole tend à recouvrer un objet réel ou bien qu’il est simple puissance (imaginative) de prendre figure comme perte d’objet sans qu’il y ait eu ni objet à perdre, ni objet perdu.
En bref, si l’ordre et la logique du mythe s’expliquent ou peuvent s’expliquer selon un schéma linguistique, sa certitude, sa croyance, son espérance, s’expliquent-elles par la psychanalyse, par la philosophie? par telle psychanalyse, par telle philosophie?
Poser la question n’est pas la résoudre. Mais, sans les informations qui suivent, elle ne se poserait ni avec cette force, ni avec cette précision.
mythe [ mit ] n. m.
• 1803 n. f.; bas lat. mythus, gr. muthos « récit, fable »
1 ♦ Récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine. ⇒ fable, légende, mythologie. Mythes théogoniques, cosmogoniques, eschatologiques. Mythes chrétiens, païens. Mythes amérindiens. « Un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante » (Rougemont). Mythes grecs d'Orphée, de Prométhée. « Le Mythe de Sisyphe », essai de Camus. — Par ext. Représentation de faits ou de personnages souvent réels déformés ou amplifiés par l'imagination collective, une longue tradition littéraire. ⇒ légende. Le mythe de Faust, de Don Juan. Le mythe napoléonien. Le mythe de l'Atlantide.
2 ♦ Fig. Pure construction de l'esprit (⇒ idée). « Le pécheur en soi est un mythe » (F. Mauriac). — Fam. Affabulation. ⇒ invention. Son oncle à héritage ? C'est un mythe ! il n'existe pas.
3 ♦ Expression d'une idée, exposition d'une doctrine ou d'une théorie philosophique sous une forme imagée. ⇒ allégorie. Le mythe de la caverne chez Platon.
4 ♦ Représentation idéalisée de l'état de l'humanité dans un passé ou un avenir fictif. Mythe de l'Âge d'or, du Paradis perdu. ⇒ utopie. « nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat » (G. Sorel).
5 ♦ (av. 1865) Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d'un individu ou d'un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. Le mythe du bon sauvage, du héros. Le mythe de la galanterie française. « le mythe est une parole choisie par l'histoire : il ne saurait surgir de la “nature” des choses » (Barthes). Détruire les mythes. ⇒ démystifier, démythifier.
⊗ HOM. Mite.
● mythe nom masculin (grec muthos, récit) Récit mettant en scène des êtres surnaturels, des actions imaginaires, des fantasmes collectifs, etc. Allégorie philosophique (par exemple le mythe de la caverne). Personnage imaginaire dont plusieurs traits correspondent à un idéal humain, un modèle exemplaire (par exemple Don Juan). Ensemble de croyances, de représentations idéalisées autour d'un personnage, d'un phénomène, d'un événement historique, d'une technique et qui leur donnent une force, une importance particulières : Le mythe napoléonien. Le mythe de l'argent. Ce qui est imaginaire, dénué de valeur et de réalité : La justice, la liberté, autant de mythes. ● mythe (citations) nom masculin (grec muthos, récit) Claude Aveline Paris 1901-Paris 1992 C'est une mission de l'intellectuel que d'empêcher la métamorphose d'un moyen politique en article de foi, en mythe. Les Devoirs de l'esprit Grasset Mircea Eliade Bucarest 1907-Chicago 1986 On ne devient homme véritable qu'en se conformant à l'enseignement des mythes, en imitant les dieux. Le Sacré et le profane Gallimard Valery Larbaud Vichy 1881-Vichy 1957 Et si le mythe c'était la vérité ? A. O. Barnabooth, Journal intime Gallimard Claude Lévi-Strauss Bruxelles 1908 Les mythes signifient l'esprit qui les élabore au moyen du monde dont il fait lui-même partie. Le Cru et le cuit Plon Claude Lévi-Strauss Bruxelles 1908 Nous ne prétendons donc pas montrer comment les hommes pensent dans les mythes, mais comment les mythes se pensent dans les hommes, et à leur insu. Le Cru et le cuit Plon Stéphane Mallarmé Paris 1842-Valvins, Seine-et-Marne, 1898 Jouir comme la foule du mythe inclus dans toute banalité, quel repos […]. Poèmes en prose, Un spectacle interrompu ● mythe (homonymes) nom masculin (grec muthos, récit) mite nom féminin mîtes forme conjuguée du verbe mettre ● mythe (synonymes) nom masculin (grec muthos, récit) Récit mettant en scène des êtres surnaturels, des actions imaginaires...
Synonymes :
- fable
- légende
Allégorie philosophique (par exemple le mythe de la caverne).
Synonymes :
- allégorie
Ce qui est imaginaire, dénué de valeur et de réalité
Synonymes :
- histoire
- illusion
- mensonge
- rêve
- roman
mythe
n. m.
d1./d Récit légendaire transmis par la tradition, qui, à travers les exploits d'êtres fabuleux (héros, divinités, etc.), fournit une tentative d'explication des phénomènes naturels et humains (naissance du monde, de l'homme, des institutions; acquisition des techniques). Les mythes égyptiens, dogons. Le mythe d'OEdipe, de Prométhée.
d2./d Allégorie destinée à présenter sous une forme concrète et imagée une idée abstraite, une doctrine philosophique. Le mythe platonicien de la caverne.
|| Fiction admise comme porteuse d'une vérité symbolique. Le mythe de l'éternel retour.
d3./d Représentation, amplifiée et déformée par la tradition populaire, de personnages ou de faits historiques, qui prennent force de légende dans l'imaginaire collectif. Le mythe napoléonien.
d4./d Représentation traditionnelle, simpliste et souvent fausse, mais largement partagée. Le mythe de la galanterie française.
d5./d Croyance entretenue par la crédulité ou l'ignorance. Le mythe de l'alcool qui fortifie.
⇒MYTHE, subst. masc.
A. — Récit relatant des faits imaginaires non consignés par l'histoire, transmis par la tradition et mettant en scène des êtres représentant symboliquement des forces physiques, des généralités d'ordre philosophique, métaphysique ou social. Mythe solaire; mythe de Prométhée. Les mythes grecs, parents des mythes sanscrits, n'exprimaient à l'origine que le jeu des forces naturelles (TAINE, Philos. art, t.2, 1865, p.203). Orphée est condamné à ne jamais revoir Eurydice, parce qu'il l'a regardée. Ce vieux mythe exprime bien la loi du rythme, qui ramène ainsi et entraîne de belles images du fond des abîmes, mais toujours derrière lui, et sans s'arrêter jamais (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p.93):
• 1. N'est-ce pas assez que, par ce mythe d'Adam, ce mythe de Caïn, ce mythe de la race de Caïn et de la race de Seth, et par tout ce qui suit, il [Moïse] nous ait appris véritablement en quoi consiste la vie, en quoi consiste le bien et le mal!
P. LEROUX, Humanité, 1840, p.623.
— En partic. Expression allégorique d'une idée abstraite; exposition d'une théorie, d'une doctrine sous une forme imagée. Mythe de la caverne de Platon. C'est une vieille histoire, cette dualité... Vous vous souvenez de Platon, du mythe de l'«attelage»?... L'un tire à hue, et l'autre à dia... Toute la vie, on se sent écartelé (MARTIN DU G., Souv. autobiogr., 1955, p.XCI):
• 2. Prétendre est la seule faute; mais je ne crois pas que l'on puisse apprendre cela ailleurs que dans Platon. Le lecteur sérieux croit que Platon se moque. Au vrai sa manière de parler par mythe est une précaution suivie contre le sérieux. Les appliqués sont bornés.
ALAIN, Propos, 1932, p.1059.
B. — P. ext.
1. Évocation légendaire relatant des faits ou mentionnant des personnages ayant une réalité historique, mais transformés par la légende. Mythe napoléonien; mythe de Don Juan; le mythe de Pétain. Nana tourne au mythe, sans cesser d'être réelle. Cette création est babylonienne (FLAUB., Corresp., 1880, p.388):
• 3. ... ce fut surtout le vieux quartier qui, bientôt, leur fit fête, ce quartier dont le petit peuple, touché dans son instinct, sentit la grâce de légende, le mythe profond du couple, la belle jeune fille soutenant le maître royal et reverdissant. On y adorait le docteur pour sa bonté, sa compagne fut vite populaire...
ZOLA, Dr Pascal, 1893, p.184.
2. Représentation traditionnelle, idéalisée et parfois fausse, concernant un fait, un homme, une idée, et à laquelle des individus isolés ou des groupes conforment leur manière de penser, leur comportement. Mythe du chef, du héros; mythe de l'argent, du confort, de la minceur, de la vitesse; mythe de la galanterie française; mythe de la grève générale. Il entendait l'énumération de ses propres vertus: — ... Un guerrier de race... de ceux qui brodent sur nos drapeaux l'or impérissable des victoires... Son tour était venu dans le cérémonial d'être transcendé par le mythe du bon général, ami de ses hommes, du grand général infatigable au combat comme aux travaux de paix (DRUON, Gdes fam., t.1, 1948, p.164):
• 4. Tous ensemble, ils ont ébauché le livre de la servitude et de la grandeur sportives. C'est en vain que Pierre Hamp essaye de lui opposer l'honneur du travail ouvrier, Chamson, l'honneur de la vertu paysanne, et Guéhenno, l'honneur de Caliban. Tous ces mythes sont des spéculations de l'esprit. Au contraire le sport répond à un désir organique.
J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p.130.
C. — P. anal.
1. Construction de l'esprit, fruit de l'imagination, n'ayant aucun lien avec la réalité, mais qui donne confiance et incite à l'action. La paix entre la France et l'Allemagne allait être signée le 11 novembre et les prisonniers libérés aussitôt après. Cette rumeur démente fut de toutes celle qui prit le plus de corps, et joua pendant une quinzaine à Beckersbruch le rôle d'un mythe véritable (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p.69):
• 5. ... l'économie sans rareté et (...) la société sans contrainte. Ces deux mythes exaltent la pensée et l'action de l'Occident. Notre expérience historique a été et demeure telle que ces mythes sont accueillis par les esprits lucides, réfléchis et probes à la condition seulement qu'ils prennent la mesure de leur vérité historique, dans une action éprouvée et une connaissance vérifiée par les luttes sociales.
PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p.463.
2. Fam. Chose rare, ou si rarement rencontrée, qu'on pourrait supposer qu'elle n'existe pas. Je redeviens un littérateur pur et simple. Mon oeuvre n'est plus un mythe. (Un volume de contes, rêvé. Un volume de poésie, entrevu et fredonné. Un volume de critique...) (MALLARMÉ, Corresp. 1871, p.342):
• 6. Il leur offrit une foule de choses qui jusques-là étaient restées pour eux complétement inédites. Ce fut à compter de ce dîner que le homard cessa d'être un mythe pour Schaunard...
MURGER, Scènes vie boh., 1851, p.186.
3. Aspiration fondamentale de l'homme, besoin métaphysique. Mussolini, Franco, le peuple de Rome et celui de Barcelone sont joués ici au naturel. Ô mythe du progrès! Voilà l'homme tel qu'il est, la foule telle qu'elle est (MAURIAC, Journal 2, 1937, p.200). Lui qui ne veut pas de régime populaire, lui qui respecte le mythe de la puissance, il a bien aussi son régime préféré (BRASILLACH, Corneille, 1938, p.294):
• 7. De ces quelques hommes dont je parlais, les uns m'apparaissent au XIIe et au XIIIe siècles. D'autres ont produit l'ardeur et la splendeur de la Renaissance. Les derniers, qui sont nés dans le XVIIIe siècle, s'éteignent avec les dernières espérances d'une certaine civilisation principalement fondée sur le Mythe de la Beauté, et sur celui de la Connaissance, l'un et l'autre, créatures ou inventions des anciens Grecs.
VALÉRY, Variété IV, 1938, p.95.
— Modèle parfait, type idéal représentant des symboles inhérents à l'homme ou des aspirations collectives. Mythe de la femme; mythe de l'innocence. À beaucoup, il apparut comme un revenant; à d'autres, plus jeunes, il faisait figure de mythe devenu soudain palpable (DRUON, Gdes fam., t.2, 1948, p.107).
REM. Mythicité, subst. fém. Amour, emploi du mythe, du mythisme (infra dér. 2). [Barrès] avait vécu, en artiste et en Lorrain, dans cette atmosphère de la colline de Sion, terre de légende, d'histoire et de mythicité (THIBAUDET, Princes lorr., 1924, p.62).
Prononc. et Orth.:[mit]. Homon. mite. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1803 subst. fém. «fable mythologique» (WAILLY); 1840 «exposition d'une idée, d'un enseignement sous forme allégorique» (Ac. Compl. 1842); 1874 «représentation idéalisée d'un état passé de l'humanité» (Lar. 19e). Empr. au b. lat. mythos «fable, mythe», gr. proprement «suite de paroles qui ont un sens, discours, fiction, mythe». Fréq. abs. littér.:970. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 568, b) 325; XXe s.: a) 932, b) 2905.
DÉR. 1. Mythifier, verbe. a) Emploi intrans., rare. Instaurer un mythe; faire, créer un mythe. En vérité, il y a tant de mythes en nous et si familiers qu'il est presque impossible de séparer nettement de notre esprit quelque chose qui n'en soit point. On ne peut même en parler sans mythifier encore (VALÉRY, Variété II, 1929, p.232). b) Emploi trans. Transformer (quelqu'un, quelque chose) en mythe; donner (à quelqu'un, à quelque chose) un aspect, une dimension mythique. Il est vrai que la neige restait candide sur les corniches, les becs de gaz et les stores en tôle des hôtels particuliers qui bordent cette cité minuscule [la cité Monthiers], cité que notre pente à mythifier et à grandir ce qui s'éloigne, me pousse toujours à décrire et à dessiner beaucoup plus vaste. Le gaz qui clignote ajoutait sa touche scélérate (COCTEAU, Portr.-souv., 1935, p.109). — [mitifje], (il) mythifie [mitifi]. — 1re attest. 1929 (VALÉRY, loc. cit.); de mythe, suff. -ifier. 2. Mythisme, subst. masc. a) Science des mythes. Hérodote et Tite-Live devaient être tenus pour des historiens sérieux, Homère devait passer pour un poète individuel, avant que l'étude comparée des littératures eût révélé les faits si délicats du mythisme, de la légende primitive, de l'apocryphisme (RENAN, Avenir sc., 1890, p.297). b) Esprit mythique. Le rêve nocturne est la source où s'alimente la poésie; il est en même temps celle du merveilleux et celle des mythes: le cauchemar, fait aussi bien d'enchantements que d'épouvantes, «sème des soleils dans le ciel; il bâtit pour en approcher des villes plus hautes que la Jérusalem céleste; il dresse pour y atteindre des avenues resplendissantes aux degrés de feu... Voilà tout le mythisme d'une religion» (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p.340). — []. — 1res attest. 1834 «sciences des mythes» (BOISTE), 1840 «abus des explications mythiques» (Ac. Compl. 1842); de mythe, suff. -isme.
BBG.— Symboles 1969, p.16. — HALPERN (B.). Myth and ideology in modern usage. History and theory. 1961, t.1, pp.129-149.
mythe [mit] n. m.
ÉTYM. 1803; bas lat. mythus, grec muthos « récit, fable ».
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1 Récit fabuleux, le plus souvent d'origine populaire, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects du génie ou de la condition de l'humanité. ⇒ Fable, légende, mythologie. || Importance des mythes dans les religions primitives. || Mythes solaires. || Mythes de la cosmogénie polynésienne (→ Forme, cit. 58). || Mythe grec (→ Férocité, cit. 4). || Mythe d'Antée (cit. 2), de Cybèle, d'Orphée, de Prométhée (→ Foie, cit. 5)… || Mythes chrétiens, païens, profanes. || Caractère (cit. 31) sacré du mythe. || Rôle des mythes dans les littératures populaires. || Le Mythe de Sisyphe, ouvrage d'A. Camus (1942). || Mythes et légendes. || Mythe et épopée, ouvrage de G. Dumézil. || Utilisation des mythes dans la reconstruction de l'histoire. || Étude anthropologique, structurale des mythes.
1 Le principe de Heyne : « Toute histoire d'ancien peuple commence par des mythes », me revenait sans cesse à l'esprit (…) Toutes les vieilles listes royales (…) débutent par des dieux transformés en rois (…)
Renan, Mélanges d'hist. et de voyages, Œ. compl., t. II, p. 356.
2 Un mythe grec veut qu'à l'origine du monde chaque être humain ait été composé d'un homme et d'une femme, que le démiurge ait divisé en deux chacun de ces êtres et que, depuis lors, les moitiés séparées cherchent à se rejoindre.
A. Maurois, Un art de vivre, II, I.
3 (…) on pourrait dire d'une manière générale qu'un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou moins analogues (…) Dans un sens plus étroit, les mythes traduisent les règles de conduite d'un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l'élément sacré autour duquel s'est constitué le groupe (…) un mythe n'a pas d'auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l'est en partie (…) Mais le caractère le plus profond du mythe, c'est le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu (…)
D. de Rougemont, l'Amour et l'Occident, I, 2.
3.1 De l'étude des mythes, Durkheim (p. 142) disait déjà : « C'est un difficile problème qui demande à être traité en lui-même, pour lui-même, et d'après une méthode qui lui soit spéciale. » Il suggérait aussi la raison de cet état de choses, quand plus loin (p. 190) il évoquait les mythes totémiques, « qui, sans doute, n'expliquent rien et ne font que déplacer la difficulté, mais qui, en la déplaçant, paraissent du moins en atténuer le scandale logique ». Profonde définition qu'on pourrait, croyons-nous, étendre au champ entier de la pensée mythique, en lui donnant un sens plus plein que n'eût convenu son auteur.
En effet, l'étude des mythes pose un problème méthodologique, du fait qu'elle ne peut se conformer au principe cartésien de diviser la difficulté en autant de parties qu'il est requis pour la résoudre. Il n'existe pas de terme véritable à l'analyse mythique, pas d'unité secrète qu'on puisse saisir au bout du travail de décomposition. Les thèmes se dédoublent à l'infini. Quand on croit les avoir démêlés les uns des autres et les tenir séparés, c'est seulement pour constater qu'ils se ressoudent, en réponse aux sollicitations d'affinités imprévues. Par conséquent, l'unité du mythe n'est que tendancielle et projective, elle ne reflète jamais un état ou un moment du mythe. Phénomène imaginaire impliqué par l'effort d'interprétation, son rôle est de donner une forme synthétique au mythe, et d'empêcher qu'il ne se dissolve dans la confusion des contraires.
Claude Lévi-Strauss, le Cru et le Cuit, p. 13.
♦ Par ext. Représentation de faits ou de personnages dont l'existence historique est réelle ou admise, mais qui ont été déformés ou amplifiés par l'imagination collective, une longue tradition littéraire… ⇒ Légende. || Le mythe de Faust, de Don Juan. || Le mythe napoléonien. || Le mythe de l'Atlantide.
4 Le chemin parcouru du véritable Achille à l'Iliade, du modèle de Don Quichotte à Cervantès et à ses prolongements, de Roland à la Chanson de Roland, est bien décevant pour l'histoire littéraire, qui ne trouve aucune proportion acceptable entre le point de départ et le mythe définitif.
R.-M. Albérès, Gérard de Nerval, p. 72.
♦ Par métonymie. Personnage (réel ou imaginaire) qui, par le caractère allégorique qu'on lui prête, prend figure de héros de légende (→ Héroïque, cit. 2).
5 Nana (personnage de Zola) tourne au mythe sans cesser d'être une femme (…)
Flaubert, Correspondance, 1954, 15 févr. 1880.
2 (Av. 1865). Pure construction de l'esprit, invention sans rapport avec la réalité (⇒ Idée). || La fatalité (cit. 1) n'est qu'un mythe (→ aussi Accumulation, cit. 3). — Fam. Affabulation. || Son oncle à héritage n'est qu'un mythe, c'est un mythe, il n'existe pas.
♦ Fam. Chose si exceptionnelle qu'elle paraît être un produit de l'imagination pure.
3 (1842). Expression d'une idée, exposition d'une doctrine ou d'une théorie au moyen d'un récit poétique. ⇒ Allégorie. || Le mythe de la caverne chez Platon.
6 Le mythe, introduit dans l'art de Platon, comme l'épopée par Homère, c'est une idée portée par un récit, une idée qui est une âme, un récit qui est un corps, et l'un de l'autre inséparables.
A. Thibaudet, Hist. de la littérature franç., p. 139.
4 (1874). Représentation idéalisée de l'état de l'humanité dans un passé ou un avenir fictif. || Le mythe de l'âge d'or, du Paradis perdu… || Le mythe de la cité heureuse. ⇒ Utopie.
♦ (1907, G. Sorel). Spécialt. « Image d'un avenir fictif (et même le plus souvent irréalisable) qui exprime les sentiments d'une collectivité et sert à entraîner l'action » (Lalande, Voc. de la philosophie). || Le mythe de la grève (cit. 12) générale.
7 (…) nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat pour détruire ce qui existe (…) Un mythe ne saurait être réfuté puisqu'il est, au fond, identique aux convictions en langage de mouvement, d'un groupe, qu'il est l'expression de ces convictions (…)
Georges Sorel, Réflexions sur la violence, p. 46-50.
5 (Av. 1865). Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains se forment ou acceptent au sujet d'un individu ou d'un fait quelconque, et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. || Créer des mythes nouveaux (→ Humaniste, cit. 3). || Détruire les mythes. ⇒ Démystification, démystifier. || Idée qui tend à se muer en mythe (→ Fortune, cit. 40). — Mythe du chef, du héros. || Mythe de la chaumière et du cœur. || Mythe du flegme britannique, de la galanterie française, de la lourdeur allemande.
8 Mythe est le nom de tout ce qui n'existe et ne subsiste qu'ayant la parole pour cause (…) En vérité, il y a tant de mythes en nous et si familiers qu'il est presque impossible de séparer nettement de notre esprit quelque chose qui n'en soit point. On ne peut même en parler sans mythifier encore, et ne fais-je point dans cet instant le mythe du mythe pour répondre au caprice d'un mythe ? (…) Songez que demain est un mythe, que l'univers en est un; que le nombre, que l'amour, que le réel comme l'infini, que la justice, le peuple, la poésie… la terre elle-même sont mythes (…)
Valéry, Variété II, p. 230-232-233.
9 Quels sont les mythes simples qui la remuent (cette foule), qui provoquent ses passions ? Découvrons-les dans les journaux qu'elle lit, dans les spectacles auxquels elle assiste, dans les propos qu'elle tient. Ils sont quatre, intimement mêlés : mythe de l'argent, mythe du confort, mythe de l'action, mythe de la vitesse.
Daniel-Rops, le Monde sans âme, IV.
10 Pour un très grand nombre de gens, aujourd'hui, mythe ou bien signifie pensée confuse, ou bien mensonge, ou bien erreur (…) Je pourrais aligner des douzaines de citations qui ne feraient que confirmer l'extension de ce sens et sa vulgarisation. En 1950, toute idée fausse en effet, toute interprétation erronée d'un événement, d'une doctrine, est traitée volontiers de « mythe » : « mythe », cette confiance des Français en leur ligne Maginot; « mythe », l'alliance germano-russe de 1939 (…) valeur aujourd'hui passionnelle et floue du mot (…)
Étiemble, le Mythe de Rimbaud, Introd., p. 42.
11 (…) le mythe est une parole choisie par l'histoire : il ne saurait surgir de la « nature » des choses.
R. Barthes, Mythologies, p. 194.
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DÉR. Mythique, mythographe, mythographie, mythomanie.
HOM. Mite.
Encyclopédie Universelle. 2012.