ASTÉRIDES
Les Astérides, ou étoiles de mer, constituent l’une des cinq classes d’Échinodermes représentées actuellement dans la nature. C’est un groupe prospère (2 000 espèces modernes décrites), homogène, et bien représenté dans toutes les mers du globe, de la zone des marées aux plus grandes profondeurs.
Morphologiquement, les Astérides constituent un ensemble bien défini, nettement caractérisé par rapport aux autres classes et, notamment, par rapport aux Ophiurides qui possèdent comme elles une forme étoilée. Toutefois, si la distinction entre les deux classes est bien tranchée tout au long de leur histoire, les sédiments ordoviciens nous ont livré nombre de fossiles souvent mal conservés, aux caractères mélangés, composites ou inclassables, que l’on regroupait autrefois sous le nom d’Astérozoaires et dont la signification n’était pas claire. On admettait alors, depuis Bather (1900), que les Échinodermes libres ou Éleuthérozoaires dérivaient des Édrioastérides, un groupe de formes fossiles assez homogènes, apparues au Cambrien moyen et disparues au Carbonifère. À la suite, cependant, de la découverte d’un groupe très archaïque, les Somastéroïdes (Ordovicien inférieur), le problème de l’origine des Astérides a été relancé. Il semble en effet très probable que celle-ci doive être recherchée au sein des Somastéroïdes et que l’hypothèse de Bather ne soit plus soutenable. Mais certains auteurs ont voulu voir également dans ce groupe les ancêtres des Ophiurides, de telle sorte que, selon cette conception, Somastéroïdes, Astérides et Ophiurides constitueraient les sous-ensembles d’une classe unique que l’on a nommée Stellérides.
1. Anatomie: distinction entre Astérides et Ophiurides
Le corps des Astérides, aplati selon l’axe de symétrie, a la forme d’une étoile à cinq branches, parfois plus (cf. ÉCHINODERMES, pl. I, 3 et I, 4); celle-ci est constituée d’un disque central où s’ouvre la bouche (face orale ou ventrale) et à partir duquel rayonnent les bras. Contrairement à ce que l’on observe chez les Ophiures, la limite entre le disque et les bras n’est pas nette (certaines espèces ont même une silhouette pentagonale et semblent dépourvues de bras: Sphaeriomaster ); les bras sont peu mobiles et, en particulier, incapables de mouvements latéraux. La face inférieure des bras est creusée (fig. 1) d’une gouttière longitudinale (ou radiale) où est logé le complexe radial, c’est-à-dire ruban nerveux, lacune hémale et canal ambulacraire. Cette gouttière est largement ouverte chez les Astérides mais protégée latéralement par des épines; elle est fermée par une plaque calcaire chez les Ophiures. Le disque, diversement ornementé, porte sur sa face aborale et en position interradiale, une plaque spéciale, d’aspect granuleux et percée de multiples pores microscopiques, la madréporite . La face aborale du disque porte en outre les orifices génitaux en position interradiale et l’anus lorsqu’il existe. Chez les Ophiures, madréporite(s) et fentes génitales s’ouvrent sur la face ventrale; l’anus est absent.
2. Biologie: les Astérides dans leur milieu
Bien que l’on oppose, au sein des Échinodermes, les formes fixées plus anciennes (Pelmatozoaires) aux formes libres plus « modernes » (Éleuthérozoaires), les caractéristiques biologiques de ce groupe demeurent, pour l’essentiel, celles d’espèces benthiques sédentaires: persistance d’une symétrie radiaire corrélative du développement d’un système nerveux diffus et peu centralisé; locomotion limitée; nutrition fréquemment microphage; reproduction sans rapprochement des sexes avec libération des gamètes au hasard dans le milieu.
Cependant, par leur vélocité plus grande et leur nutrition macrophage, les Astéries apparaissent comme les Échinodermes les plus nettement dégagés des contingences de la vie sédentaire. Il n’en demeure pas moins que l’organisation de leurs principaux systèmes organiques respecte la relative stabilité anatomique de l’embranchement ainsi que son originalité et son «non-conformisme» sur le plan fonctionnel.
La paroi du corps: barrière élaborée et zone d’échanges
La texture tégumentaire des étoiles de mer est très variable d’une espèce à l’autre, mais sa structure histologique est constante: un épiderme cilié recouvre un derme conjonctif à l’intérieur duquel sont sécrétés des ossicules calcaires (fig. 2 et 3). Ceux-ci apparaissent sous forme de spicules de calcite au sein de cellules spécialisées, les scléroblastes; la structure se complique au fur et à mesure de la transformation du scléroblaste en un énorme syncitium dans lequel le spicule reste inclus. Le squelette tégumentaire répond à un schéma type qui n’est interprétable que chez une très jeune Astérie et qui se complique au cours de la croissance de l’animal par adjonction de plaques nouvelles ou apparition d’appendices variés (tubercules, épines...). Le tégument porte en outre de minuscules organes préhensiles en forme de pince, les pédicellaires (fig. 4), qui assurent l’hygiène de la paroi du corps.
Quelle que soit la texture définitive du squelette, les ossicules dermiques ne fusionnent jamais et restent contigus. À la mort de l’animal ils se disjoignent; aussi la structure des Astérides est-elle exceptionnellement conservée au cours de la fossilisation, expliquant l’indigence de nos connaissances sur l’organisation des espèces éteintes.
Les mouvements ciliaires déterminent, à le surface du corps, des courants centrifuges sauf au niveau des gouttières ambulacraires. Cette circulation d’eau joue un rôle respiratoire essentiel; des adaptations locales facilitent la diffusion de l’oxygène vers le liquide cœlomique qui en assure la distribution vers les tissus: les pieds ambulacraires ont un rôle respiratoire important; les papules sont de petites vésicules saillantes à la surface du tégument et contiennent une évagination du cœlome, dont le liquide est lui-même animé de mouvements circulatoires; chez les Phanérozonides, les papules sont regroupées dans des «chambres nidamentaires» où l’eau circule grâce à des mouvements musculaires pariétaux.
Le tégument des Astérides n’a aucune aptitude à contrôler les échanges d’eau et d’ions minéraux à travers la paroi du corps; l’absence d’osmorégulation leur interdit la colonisation d’habitats à salinité variable et les confine exclusivement au milieu marin plus stable.
Système nerveux et sensibilité
Le système nerveux est un réseau sous-épidermique de neurones (type épithélio-neurien), plus dense sur la face orale, et présentant quelques concentrations locales: un anneau oral et cinq «nerfs» radiaires qui courent au fond des gouttières ambulacraires.
En dépit de cette structure diffuse et peu centralisée, le système nerveux assure une certaine coordination, notamment au cours de la locomotion et des mouvements de retournement.
L’équipement sensoriel est pauvre, cellules tactiles ou chimio-sensibles étant disséminées dans le tégument. L’extrémité de chaque bras est dotée d’un organe photorécepteur rudimentaire.
La locomotion
L’appareil locomoteur des Astérides est constitué par l’ensemble des pieds ambulacraires (ou podia), insérés en deux ou quatre rangées au fond des gouttières «ventrales» des bras, et terminés chacun par une ventouse. Les podia représentent la partie externe d’un système hydraulique caractéristique des Échinodermes, le système aquifère. Ce dérivé cœlomique est constitué d’un anneau périœsophagien d’où s’échappent cinq canaux radiaires (fig. 5); l’anneau comporte en outre cinq renflements interradiaires (vésicules de Poli) et communique avec l’extérieur par un canal (canal hydrophore) qui débouche sur la face «dorsale» au niveau de la madréporite. Les podia sont des ramifications des canaux radiaires qui traversent le squelette de la gouttière ambulacraire; leur partie interne est renflée en vésicule. La musculature de chaque pied et de sa vésicule assure la turgescence, la rétraction ou la déformation de l’appendice. Au niveau d’un bras, les mouvements des podia sont coordonnés par le nerf radiaire correspondant; l’anneau nerveux oral assure la coordination générale.
La nutrition
Seules de tous les Échinodermes, les Astérides sont carnivores. Leur régime est rarement spécialisé, bien que cantonné à la faune fixée ou peu mobile; en outre, elles pratiquent volontiers la nécrophagie.
Les Bivalves constituent leurs proies favorites et, à ce titre, elles constituent une gêne sérieuse pour les activités conchylicoles lorsqu’elles sont abondantes. Certaines espèces s’attaquent à des proies réputées peu comestibles comme les Cnidaires, les Éponges ou les Tuniciers. Ainsi, sur les côtes australiennes, la pullulation d’une grande étoile épineuse (Acanthaster ), prédatrice de coraux, met en péril, depuis plusieurs décennies, l’équilibre de certains ensembles récifaux.
Certaines Astéries avalent leurs proies et rejettent les déchets (tests, coquilles) par la bouche, l’intestin étant très réduit et l’anus minuscule. D’autres espèces dévaginent leur estomac par la bouche grâce au jeu de muscles pariétaux qui augmentent la pression du liquide cœlomique. La paroi stomacale est appliquée contre la proie qui est digérée in situ.
Une opinion couramment développée admet que la consommation des Bivalves par les étoiles de mer est le fruit d’une victoire sportive contre les muscles adducteurs de ces proies. Les recherches de C. E. Péquignat (1970) ont montré que la traction des pieds ambulacraires sur les valves ne peut provoquer qu’un écartement de 0,1 mm, mais que celui-ci est suffisant pour que l’étoile introduise la muqueuse de son estomac extroverti et libère ses sécrétions gastriques. La proie «n’est pas digérée parce qu’elle est ouverte mais s’ouvre parce qu’elle est digérée».
Les enzymes digestives sont produites par d’importants cœcums glandulaires logés dans les bras et débouchant dans la partie profonde de l’estomac. Les cellules des cœcums participent également à la phase finale (intracellulaire) de la digestion ainsi qu’au stockage des réserves. La distribution des métabolites aux tissus est assurée principalement par des cellules mobiles, les cœlomocytes. On a également soupçonné le système hémal (fig. 6), annexe cœlomique étroitement associée à l’appareil digestif, de participer à la circulation des aliments; son rôle n’est sans doute pas essentiel, le transport interne empruntant en fait tous les mouvements des fluides cœlomiques; cette méthode «diffuse» est d’ailleurs caractéristique de toute la physiologie des Échinodermes.
Enfin, comme tous les Échinodermes, les Astérides pratiquent une importante assimilation transcutanée de molécules organiques prélevées dans le milieu extérieur. Celles-ci peuvent être produites par la digestion extracorporelle de petites proies maintenues par les pédicellaires et enrobées d’un mucus dans lequel cheminent des cœlomocytes.
Reproduction et développement
Les Astérides possèdent dix gonades, à raison de deux par bras, encloses dans un dérivé cœlomique. Les orifices génitaux s’ouvrent dorsalement à la base des bras.
Les sexes sont séparés (à quelques exceptions près comme Asterina gibbosa des côtes méditerranéennes et atlantiques: cf. ÉCHINODERMES, pl. I, 6). Il n’y a pas d’accouplement et les gamètes sont évacués dans le milieu extérieur. Toutefois, l’énorme gâchis de cellules sexuelles consécutif à ce mode de reproduction est quelque peu atténué par un relatif synchronisme de l’émission des gamètes chez les individus mûrs d’une même population.
L’ontogenèse est caractéristique de l’embranchement des Échinodermes. Elle aboutit à la formation d’une larve nageuse particulière aux Astérides (larve bipinnaria ), identifiable par la structure de sa région préorale. L’évolution cœlomique de cette larve à symétrie bilatérale prépare la métamorphose et annonce la symétrie radiaire de la future étoile. Après plusieurs semaines de vie planctonique, la larve acquiert trois bras adhésifs (stade brachiolaria ) grâce auxquels elle se fixe sur le fond. La jeune Astéride se forme à partir de deux ébauches distinctes dans la partie postérieure arrondie de la brachiolaria, dont elle se libère après rupture du tégument.
Quelques Astérides font incuber leurs œufs, qui sont alors peu nombreux et riches en vitellus; dans ce cas, le développement est condensé et conduit parfois à une véritable viviparité. Les jeunes peuvent en outre rester fixés à leur mère soit directement, soit par l’intermédiaire d’un court pédoncule (Podasterias des eaux antarctiques).
3. Classification et évolution
Les Astérides apparaissent à l’Ordovicien. Le groupe archaïque des Somastéroïdes est considéré comme le précurseur phylétique de la classe. Il renferme des animaux pourvus d’un large disque central entouré de bras pétaloïdes, courts et trapus, dépourvus de sillons (non locomoteurs?).
Deux autres groupes exclusivement fossiles (Platyastérides et Hémizonides ) sont apparus à l’Ordovicien pour s’éteindre avant la fin des temps paléozoïques.
Trois ordres ont des représentants dans la faune actuelle. Ils se distinguent les uns des autres par les caractères de leur squelette, la localisation des papules et la structure des pédicellaires:
– Les Phanérozonides constituent le groupe le plus ancien et le plus primitif. On y range notamment les Astropecten qui hantent les fonds meubles de nos côtes, les Luidia aux couleurs chatoyantes, et pourvues d’au moins sept longs bras flexueux.
– Les Spinulosa , d’origine beaucoup plus récente, renferment les Asterina , les Solaster aux nombreux bras courts, les Palmipes dont le corps foliacé et pentagonal ne dépasse pas quelques millimètres d’épaisseur.
– Les Forcipulata sont considérés comme les formes les plus évoluées. Le type en est Asterias , commune dans toutes les mers tempérées et froides.
L’évolution des Astérides est marquée par une substitution progressive des formes «modernes» aux formes archaïques paléozoïques. Un véritable «relais faunique» (Ubaghs, 1953) semble s’être effectué entre le Permien et le Jurassique, où toutes les familles actuelles sont à peu près représentées. Toutefois, si l’évolution des Astérides est relativement bien connue et si le problème de leur origine semble résolu, leurs affinités avec les autres classes d’Éleuthérozoaires sont encore très controversées. Suivant que l’on s’attache à l’étude des formes larvaires ou à celle des animaux adultes, les Astérides sont considérées comme un groupe isolé (les Ophiures étant, dans cette hypothèse, apparentées aux Oursins) ou, au contraire, comme un groupe frère des Ophiures issu d’une même souche commune (Somastéroides?). Cette seconde théorie connaît actuellement la faveur de nombreux spécialistes.
Encyclopédie Universelle. 2012.