PALESTINIENS
Il y a une culture palestinienne arabe originale depuis quelques décennies, dans le creuset de la culture arabe moderne. Au sein du réveil culturel et politique arabe, voire panarabe, depuis les années 1860, un mouvement palestinien se singularise du fait de la confrontation concrète au «foyer national juif» puis, depuis 1948, à l’État d’Israël. Les moments forts de ce mouvement sont d’abord la révolte de 1936-1938 contre la puissance mandataire britannique et contre le foyer juif sioniste, puis la guerre israélo-arabe de 1948 et, en conséquence de la dispersion et dépossession partielles de nombreux Palestiniens, la formation de mouvements organisés de résistance, qui se coalisent et s’affirment après la nouvelle défaite arabe de 1967. Troisième moment fort: confrontation avec les armées jordanienne en Jordanie en 1970-1971 et syrienne au Liban en 1976. Quatrième moment: le démantèlement systématique des forces palestiniennes concentrées au Liban-Sud et dirigées à Beyrouth, par les offensives israéliennes en 1978 et 1982 et syriennes (ou libanaises prosyriennes) en 1983 et 1986-1988. Le cinquième moment fort commence en décembre 1987 avec le Soulèvement général à Gaza et en Cisjordanie (Judée-Samarie) qui se heurte à l’armée israélienne. Échec devant Israël, échec face aux États arabes voisins? Le «Soulèvement» pourrait-il finalement limiter ce double échec?
1. Les Palestiniens face au mouvement sioniste
À partir de 1516, la Palestine fait partie, dans l’État musulman des Turcs ottomans, de la province de Damas. Après 1888, elle est administrativement divisée entre le département (vilayet ) de Beyrouth au nord et le sanjak autonome de Jérusalem au sud, qui s’étend à l’ouest jusqu’à Jaffa et Gaza.
En 1914, la Palestine, du littoral méditerranéen (depuis Gaza au sud jusqu’aux approches de Tyr au nord) au fleuve Jourdain, compte environ 730 000 habitants, dont 60 000 à 80 000 Juifs. Parmi ces derniers, la plupart sont récemment immigrés d’Europe et de Russie, certains sont palestiniens (résidant en Palestine) depuis des siècles et arabophones.
En effet, l’arabisation de la Palestine et son islamisation sont un fait culturel et religieux, à peine un fait de peuplement. Le même Palestinien – le même «Hébreu» , au cours du temps, a changé de langue (cananéenne, hébraïque, araméenne, grecque, latine quelque peu, arabe, puis, parfois, turque) et de religion majoritaire (polythéiste, juive, chrétienne, musulmane).
Le sentiment national palestinien avant 1914
Avant la Première Guerre mondiale, peut-on parler d’un sentiment national palestinien arabe? Oui, au sens d’un attachement local déterminé à la Galilée, à la région de Jérusalem et au littoral méditerranéen. La seule autre loyauté «nationale» connue concerne alors la vaste communauté musulmane qu’Istanbul incarne depuis plusieurs siècles de manière prestigieuse. Certes, un nationalisme arabe – panarabisme – est latent, du fait de la langue arabe, mais il ne s’exprime vraiment qu’à la fin de la première décennie du XXe siècle. Or, au même moment, le mouvement du sionisme politique, né en Europe à la fin du XIXe siècle, crée, en Palestine même, une discrimination progressive entre les Palestiniens juifs, grossis de colonies agricoles européennes de plus en plus nombreuses, et les Palestiniens non juifs. Les premiers adoptent peu à peu la langue hébraïque revivifiée, à la place de leur langue arabe traditionnelle et du turc.
Aussi, en Palestine, le réveil de la conscience nationale arabe prend-il l’accent propre d’une résistance à une poussée nationale contraire très concrète. C’est pourquoi les Palestiniens occupent une place importante dans les manifestations du nationalisme arabe au cours du XXe siècle. Il s’agit pour eux, en effet, non seulement de revendiquer une indépendance politique contre le Turc ottoman puis, après 1918, contre l’Anglais, mais aussi, et plus fondamentalement, de ne pas laisser s’échapper la terre et la vie palestiniennes entre les mains des immigrants juifs. Depuis 1871, notables palestiniens puis partis politiques et groupes de paysans, tant musulmans que chrétiens, demandent expressément, de manière récurrente, la prohibition de l’immigration juive européenne en Palestine et l’interdiction de leur appropriation des terres palestiniennes. C’est surtout aux grands propriétaires, souvent absentéistes, que les colonies juives achètent. Les paysans métayers ou fermiers qui cultivent ces terres doivent les quitter et s’installer ailleurs en Palestine, car les colons agricoles sionistes ont pour devise «le travail juif sur des terres juives». D’où, de la part des paysans arabes palestiniens, quelques réactions violentes entre 1896 et 1914, et une résistance légale auprès de l’autorité ottomane, sans succès appréciable malgré l’interdiction par le sultan de l’installation de colonies agricoles juives. De manière lucide et prémonitoire, hélas, un ancien gouverneur du sanjak de Jérusalem, Nijib Azouri – un Libanais maronite, l’un des initiateurs du mouvement panarabe –, écrit dès 1905 que «l’effort latent des Juifs pour reconstituer sur une très large échelle l’ancienne monarchie d’Israël [...] se heurtera inéluctablement au réveil de la nation arabe».
Déclaration Balfour et protestations palestiniennes
Les années 1915-1922 déterminent le sort de la Palestine et le drame futur des Palestiniens non juifs. En effet, la Grande-Bretagne, en 1915-1916, promet l’indépendance arabe de la région syrienne entière (hormis la zone libanaise, qui est déclarée non uniformément arabe et d’influence française), moyennant l’engagement arabe contre les Turcs dans la guerre mondiale. Mais, dans le même temps, un accord secret français, britannique et russe découpe les provinces arabes de l’Empire ottoman en train d’éclater en zones française, anglaise et russe sous la forme de mandats.
Le mandat britannique sur la Palestine, confié officiellement par la Société des Nations en 1922, est effectif dès 1918, lors de la victoire anglo-arabe sur les Turcs Ottomans en Palestine et en Syrie. Une déclaration Balfour, le 2 novembre 1917, cautionne d’avance la création en Palestine d’un «foyer national pour le peuple juif», «sans atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine», engagement intégré dans l’acte du mandat. Contrairement à l’attente du mouvement sioniste, la Transjordanie, à l’est du Jourdain, n’est pas incluse dans la Palestine mandataire par l’autorité britannique en 1922. Un haut-commissaire britannique gouverne directement cette Palestine. Profondément déçus dans les espérances nourries par des promesses de la Grande-Bretagne en 1915-1919, les nationalistes arabes palestiniens manifestent aussitôt une résistance à l’autorité britannique et à l’immigration juive: en 1919-1920, Congrès des associations islamo-chrétiennes palestiniennes; en mars-avril 1920 et mai 1921, manifestations violentes de Tibériade, Nazareth, Naplouse et Hébron, puis Jaffa, au moment même où deux congrès nationaux arabes se tiennent à Damas (juill. 1919 et mars 1920) pour proclamer le Royaume constitutionnel arabe indépendant de la Grande Syrie sous le roi Fayçal. Ce dernier, dans la perspective de ce grand royaume, avait même accepté l’application des clauses de la déclaration Balfour, sous son autorité souveraine. Au contraire, l’application des mandats britannique et français annule ces espoirs et cette générosité. D’où, de nouveau, des violences à coloration musulmane, en août 1929. Des congrès arabes palestiniens prennent à Jérusalem la relève des congrès arabes (syriens) de Damas, de 1920 à 1928, avec un exécutif arabe qui, devant l’autorité britannique, fait pendant à l’exécutif sioniste. Deux partis politiques principaux voient le jour, l’un se réclamant du clan des Nash sh 稜bi, le plus modéré envers les Anglais, l’autre du clan des Husayni, plus extrémiste, tandis qu’un Congrès de la jeunesse, dans les années trente, s’efforce de conjurer les antiques rivalités familiales.
Mais c’est dans la révolte paysanne de 1935, la grève générale de 1936 et la révolte armée de 1935-1939 que culmine la protestation nationale palestinienne. Les partis, les congrès, les clans propres à la société palestinienne ont à affronter une révolte paysanne de large ampleur. Les solutions politiques envisagées sont dépassées par cette révolte populaire qu’exploite finalement le mufti Amin Al-Husayni. Cette rébellion contre la puissance mandataire prend l’allure d’une guerre civile entre Arabes et Juifs, et aussi entre Arabes palestiniens eux-mêmes. On dénombre plus de cinq mille tués arabes, deux mille blessés et quelque deux mille cinq cents incarcérés ou exilés. Une littérature populaire palestinienne a fleuri en ces années; elle garde une valeur d’épopée nationale originelle et exemplaire: la figure du cheik Qass m, organisateur suicidaire des premiers groupes rebelles en 1935 en Galilée, la ténacité d’une grève générale d’avril à octobre 1936, encouragée par l’Association des femmes palestiniennes, sont notamment des symboles de la résistance nationale palestinienne à venir.
Après les interventions armées de large ampleur et les compromis politiques britanniques, la coexistence judéo-arabe paraît impossible en Palestine. C’est ce que déclare l’Angleterre en 1937; elle prévoit alors un plan de partage de la Palestine mandataire en vue de l’indépendance politique prochaine. Mais la révolte palestinienne arabe armée se poursuit, au point que l’état d’urgence est proclamé. Aux troupes britanniques renforcées se joignent même des milices sionistes, d’abord clandestines. Finalement, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la guérilla palestinienne arabe est défaite militairement, démantelée politiquement par des déportations et désamorcée par le Livre blanc de 1939 qui revient à une Palestine unitaire binationale. La guérilla sioniste, en 1940-1941 et surtout en 1945-1948, lui succède, et avec succès.
La colonie juive, en effet, a acquis, en 1943, 1 500 kilomètres carrés de superficie agraire; et si, en 1946, elle ne détient qu’environ 6 p. 100 du territoire palestinien, il s’agit de près du tiers des terres cultivées. La localisation de ces acquisitions inscrit une partition de fait par l’appropriation des sols. La population juive s’accroît considérablement en raison de l’immigration, atteignant quelque cinq cent cinquante mille personnes, soit environ le tiers de la population totale. Et pourtant, la conjoncture mondiale et l’opposition palestinienne ont conduit la puissance mandataire à une politique nettement moins favorable au programme sioniste, lequel se radicalise. Aussi, en novembre 1942, l’Agence juive et l’Organisation sioniste mondiale adoptent-elles une ligne extrémiste, le «programme de [l’hôtel] Biltmore» qui exige, en opposition avec le Livre blanc de 1939, l’immigration illimitée sous le seul contrôle de l’Agence juive, l’unification d’une armée juive autonome, enfin «l’établissement de la Palestine [entière] comme Commonwealth juif».
2. Les Palestiniens et l’État d’Israël
La création de l’État d’Israël
Le génocide nazi des Juifs d’Europe a désormais fourni au programme sioniste en Palestine la valeur d’un droit humain international, imprescriptible et urgent. Le mouvement sioniste se rallie même à une option modérée: un État juif sur une portion seulement de la Palestine, l’autre portion pouvant devenir un État palestinien arabe souverain. Un plan de partage est en effet adopté par l’O.N.U. en novembre 1947, en dépit des Britanniques et grâce aux États-Unis et à l’Union soviétique. Les sionistes l’acceptent avec enthousiasme.
Les États arabes indépendants, regroupés dans la Ligue arabe depuis 1945, rejettent en bloc cette résolution de l’O.N.U. et son application. Quand le mandat britannique prend fin en mai 1948, l’État d’Israël est aussitôt proclamé par Ben Gourion, le 14 mai. Les États arabes entrent alors en guerre. Interrompue en juillet et septembre, elle reprend jusqu’aux armistices des premiers mois de 1949. Les volontaires palestiniens n’y participent qu’avec peu d’armes et sous le commandement syrien. La défaite arabe a permis l’agrandissement d’Israël. Sous la pression des groupes sionistes extrémistes comme lors des massacres de Deir Yasin, de Haïfa et de villages galiléens, mais aussi sur les conseils du Commandement de l’Armée arabe de sauvetage à Damas, environ sept cent mille Palestiniens s’enfuient, temporairement pensent-ils.
Étant donné les projets politiques particuliers et concurrents de la Transjordanie, de la Syrie, de l’Égypte et du Liban, les armistices consacrent une nouvelle, durable et complexe configuration de la Palestine: une Palestine sioniste, c’est-à-dire l’État d’Israël, à population soudain très majoritairement juive, avec 12 p. 100 seulement d’Arabes palestiniens (devenus 15 p. 100); une Palestine d’influence égyptienne, la bande de Gaza, dont le peuplement consiste principalement en réfugiés des camps; une Palestine unie à la Transjordanie, en 1949, dans le Royaume hachémite de Jordanie. Beaucoup de Palestiniens ont émigré dans les autres pays voisins, au Liban et en Syrie surtout, soit à titre de réfugiés assistés par un organisme spécialisé de l’O.N.U., l’U.N.R.W.A., soit intégrés dans les sociétés d’accueil, dans les États du Golfe notamment. Les centres d’études palestiniens estiment à plus de quatre millions d’individus l’ensemble de la population palestinienne à travers le monde (tabl. 1).
Certes, le retour dans leurs maisons, ou l’indemnisation, des Palestiniens arabes déplacés ou réfugiés est prescrit à Israël par l’O.N.U. au début de 1949, qui l’admet en son sein comme État souverain. Mais Israël n’en envisage pas l’application en dehors de traités de paix (et non seulement d’armistices) avec les États arabes voisins qui, d’ailleurs, expulsent directement ou indirectement hors de leur territoire quelque six cent mille de leurs citoyens de confession juive. La plupart des Palestiniens arabes natifs du territoire de l’État d’Israël gardent donc le statut d’émigré, soit sans nationalité, soit de nationalité jordanienne. Quelques naturalisations libanaises ont lieu également.
L’organisation de la résistance palestinienne
Après la funeste prise en charge, en 1947-1949, de la cause palestinienne par les États de la Ligue arabe, après le choc immense de l’exode et de cette guerre entre le nouvel État s’installant dans la majeure partie de la Palestine sous mandat et les États arabes voisins s’installant dans le reste, naissent alors en Égypte, en Jordanie et en Syrie-Liban, au cours des années 1950 – en liaison avec des partis politiques nouveaux de tendance panarabe (Mouvement des nationalistes arabes, Ba’ath, nassériens) –, les deux grandes organisations de résistance palestinienne, le Mouvement de libération de la Palestine, dit le Fath , et le Front populaire de libération de la Palestine (F.P.L.P.). C’est pour les domestiquer, en quelque sorte, que les sommets arabes de 1964 favorisent la création d’une Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.), dans le cadre et avec les finances de la Ligue arabe, c’est-à-dire, à l’époque, sous le contrôle de Nasser. En juin 1967, la débâcle de Nasser face à Israël offre au Fath et au F.P.L.P. l’occasion de conquérir l’O.L.P. Voilà dans quel contexte s’est reconstituée, ponctuée par les Conseils nationaux palestiniens, une résistance palestinienne relativement autonome, après une trentaine d’années de dépendance, sinon de silence et d’inaction. En effet, la guerre israélo-arabe de juin 1967 a comme résultat, pour les Palestiniens, l’occupation israélienne de la totalité du territoire de la Palestine sous mandat. La résistance palestinienne armée organisée, refusant le cessez-le-feu et la résolution 242 de l’O.N.U. (nov. 1967) prévoyant un cadre de négociation pour un règlement définitif, se manifeste alors de manière plus vive à partir de la Jordanie et du Liban, mais aussi à l’intérieur des territoires palestiniens occupés par les troupes israéliennes, la Cisjordanie et la bande de Gaza.
On trouve deux grandes tendances, dès l’origine, dans la résistance palestinienne organisée. L’une, la plus radicale (tabl. 2), est celle de Georges Habache et de son Front populaire de libération de la Palestine (F.P.L.P.). Issu du Mouvement des nationalistes arabes, formé dans les années 1950 au sein des milieux palestiniens de la Péninsule arabe, le F.P.L.P. adopte en 1967 la théorie marxiste d’une guérilla populaire de longue durée au sein de laquelle s’opérerait une révolution sociale radicale, avant-garde d’une révolution arabe globale. Le F.P.L.P. connaît plusieurs scissions, notamment celle qui donne naissance au Front démocratique (F.D.P.L.P., puis F.D.L.P.) de Nayef Hawatmeh, moins nationaliste et considéré comme plus à gauche et plus proche des groupuscules israéliens d’extrême gauche. L’autre grande tendance, à l’idéologie beaucoup plus vague et plus souple, est celle, très majoritaire, de Yasser Arafat et de son organisation, le Fath, formé à Gaza puis à Koweït avec pour principale préoccupation l’autonomie de la résistance par rapport aux régimes arabes. La doctrine du Fath se concentre en effet sur le nationalisme palestinien et la libération de la patrie palestinienne par les Palestiniens eux-mêmes. Le panarabisme et la révolution sociale sont laissés en sourdine et les références à l’islam sont cultivées. Il y a désormais dans l’O.L.P. trois instances: le Conseil national (C.N.P.), qui tient lieu de Parlement regroupant des représentants des différents groupes et organisations palestiniens et qui n’est convoqué que tous les deux ans (tabl. 3); le Comité exécutif de l’O.L.P. (C.E.O.L.P.) élu par le C.N.P. et qui a pratiquement tout pouvoir; enfin, à partir de 1970, le Conseil central palestinien, d’une quarantaine de membres, qui sert de substitut au C.N.P. en cas d’urgence. Depuis 1968, luttes et compromis se sont succédé dans ces trois instances entre la tendance Arafat, la tendance Habache et, aussi, la tendance héritée de l’O.L.P. de 1964, tendance restant par définition très dépendante des États arabes (principalement la Sa’ïqa, organisation d’obédience syrienne, et l’Armée de libération de la Palestine, A.L.P., d’obédience soit syrienne, soit jordanienne, soit égyptienne selon les lieux de ses cantonnements). Sauf exception, le F.P.L.P. ne participe pas au C.E.O.L.P., soit par exclusion, soit par démission. Quelle est l’évolution de cette O.L.P. si composite? Elle dépend en grande partie de la personnalité des trois principales figures, Arafat, Habache, Hawatmeh.
Arafat
Arafat (Abou Amm r), né au Caire en 1929, a vingt-sept ans quand, à Gaza – où il s’est réfugié depuis 1948 venant de Jérusalem, sa «ville natale» selon sa propre légende –, il a l’idée, avec son ami Salah Khalaf (Abou Iyad), d’un mouvement palestinien autonome de libération nationale. Il a participé aux combats de Jérusalem en 1948. Il a fréquenté plusieurs années, en tant qu’élève ingénieur, l’université du Caire, et, après avoir participé peut-être à la guérilla populaire antibritannique de la zone du canal en 1951 et 1952, il est élu président de l’Union des étudiants palestiniens en Égypte; à ce titre, il inquiète passablement le pouvoir policier de Nasser, surtout à la fin de 1954, lors de la chasse aux Frères musulmans avec lesquels il a eu et garde des liens. Il a participé, comme officier de réserve de l’armée égyptienne, à la guerre de Suez, en octobre-novembre 1956. Au contact de l’occupation israélienne de Gaza en cette fin de 1956 naît son projet du Fath (qui signifie conquête et anagramme de Mouvement de libération de la Palestine). Il s’échappe à Koweït où il retrouve la petite et moyenne bourgeoisie palestinienne qui commence à y affluer. C’est là qu’en 1959 est diffusé le premier programme du Mouvement de libération de la Palestine, bientôt surnommé Fath. Programme nationaliste, qui affirme la nécessité d’une lutte armée menée par les Palestiniens eux-mêmes en vue d’une Palestine démocratique judéo-arabe. Arafat, avec sa bonhomie, son sens du marchandage et du compromis, s’impose comme le chef du Fath et, deux ans après la défaite de 1967, comme celui de toute la résistance dans sa nouvelle formule. C’est un homme modeste, de petite taille, d’une santé de fer, courageux, et qui n’hésite pas à se porter en plein cœur du combat, comme à Karameh le 21 mars 1968 dans une opération jordanienne contre Israël et à Amm n en septembre 1970 face au siège de l’armée jordanienne. C’est pour gagner le contrôle de l’O.L.P. que, à la veille du cinquième Conseil national palestinien au Caire (févr. 1969), il diffuse un manifeste au contenu nationaliste, se gardant de toute idéologie révolutionnaire, sans pour autant l’exclure expressément. Il y déclare surtout que le Fath est le seul représentant de toute la résistance palestinienne. De fait, en février, l’O.L.P. passe dans les mains du Fath, à l’exclusion du F.P.L.P.
Habache
Georges Habache se trouve au même moment à Amm n, boudant des assises qui ne tiennent pas compte de son propre mouvement, le F.P.L.P., lequel a un programme à la fois nationaliste arabe et «marxiste révolutionnaire». Habache est un médecin pédiatre, homme doux, dévoué, artiste et bon vivant. En 1956, il a trente ans quand il se dépense jour et nuit à soigner les enfants palestiniens dans un «dispensaire du peuple». Il garde en lui le souvenir de ce jour de juillet 1948 – il avait vingt-deux ans – où il fut expulsé de sa ville, Lydda (devenue Lod), avec tous les habitants, au cours de la trêve israélo-arabe d’un mois. C’est à Beyrouth que, étudiant en médecine à l’université américaine grâce aux ressources de sa famille, il fonde en 1951 avec quelques camarades le Mouvement des nationalistes arabes (M.N.A.). Il n’envisage de solution palestinienne que par l’union nationale arabe et la mobilisation de la nation arabe entière. Il anime lui-même à Amm n et dans les villes jordaniennes, principalement en milieu palestinien, de fortes sections du M.N.A. Ce parti panarabe doit, bien entendu, naviguer entre le parti ba’ath et les nassériens en Syrie, en Jordanie, en Irak, au Liban, surtout à partir de l’union syro-égyptienne de 1958 à 1961. Condamné en Jordanie, il gagne la Syrie en février 1958 et y développe des sections de son parti, qui est alors pronassérien, avec enthousiasme. Le Ba’ath syrien, dès son accession au pouvoir à Damas, le juge indésirable en 1963. Habache se replie à Beyrouth où il se consacre à un commandement régional du M.N.A. pour la Palestine en 1964, qui devient, en décembre 1967, le Front populaire de libération de la Palestine (F.P.L.P.), en s’agrégeant plusieurs groupuscules récents, le Front de libération de la Palestine, groupe militaire de Ahmad Jibril, les Héros du retour et les Jeunesses de la vengeance, de Nayef Hawatmeh. Ce F.P.L.P. disparate se déclare alors marxiste et entend mener de front une lutte armée de libération nationale de la Palestine et une révolution socialiste dans les masses palestiniennes, en particulier dans les camps de réfugiés, dans les masses arabes et jusque dans la société israélienne. Les régimes arabes, tous bourgeois et réactionnaires, ou trop modérément révolutionnaires, doivent être la cible de la «révolution palestinienne», et, au sein de la «révolution arabe» générale, la résistance palestinienne représente l’avant-garde. La direction du Fath et de l’O.L.P. est considérée elle-même comme bourgeoise et réactionnaire, et on ne doit la tolérer que provisoirement, comme on utilise la «petite bourgeoisie» dans la première phase de la révolution. Il entre donc dans le programme de Habache, dès 1967, de prendre tôt ou tard le pouvoir dans l’O.L.P. à la place de Arafat. À défaut d’y parvenir, Habache harcèle son rival au moyen d’actions tactiques habiles qui, souvent, imposent au Fath et à l’O.L.P. l’action «aventureuse» qu’ils auraient voulu éviter. Le cas de Septembre 1970, à Amm n, est l’exemple le plus frappant. Habache est un homme convaincu, qui ne dévie pas de ses certitudes et qui les applique sans compromis. C’est à peu près l’inverse de Arafat.
Hawatmeh
Il en va tout autrement de Nayef Hawatmeh, qui se sépare de Habache après une année de fusion dans le F.P.L.P., à la suite de combats de rues dans Amm n en janvier et février 1969. Né en 1935 à Salt, en Transjordanie, d’un milieu très modeste, il parvient à commencer des études de médecine au Caire en 1954, où il adhère au M.N.A. Son militantisme dans ce mouvement, en Jordanie, où il est petit professeur dans une école chrétienne, le prive rapidement de son emploi. Condamné à mort par contumace, il parvient à s’échapper au Liban où il participe, avec le M.N.A. (pronassérien), à la guerre civile de juillet 1958; puis il se retire à Bagdad, où il est le chef de la section irakienne du M.N.A. Expulsé en 1963, il participe à la lutte du Front de libération nationale du Sud-Yémen. Il rentre en Jordanie à la faveur d’une amnistie qui suit la guerre de juin 1967 et retrouve Habache, qu’il rejoint dans le F.P.L.P. où, comme déjà dans le M.N.A., il est le chef de file d’une tendance de gauche marxiste-léniniste. Sa tendance fait sécession dès 1969 et devient le F.P.D.L.P. En 1970, c’est Hawatmeh qui, dans un langage net et sans ambiguïté, appelle au renversement du régime hachémite au profit d’un «État national démocratique» propalestinien et décidé à reconquérir la Palestine israélienne pour la transformer en un État démocratique où coexisteraient deux cultures nationales. Il rejoint donc Habache tactiquement au cours des confrontations de février, juin et septembre 1970 avec la Jordanie. Mais l’échec de Septembre 1970 et ses suites l’amènent à un examen de conscience tellement radical qu’il identifie presque son Front démocratique pour la libération de la Palestine (F.D.L.P.) au Fath et qu’il poussera à l’idée du mini-État palestinien (Cisjordanie et Gaza) comme première étape décisive vers son idéal de l’État démocratique unitaire de toute la Palestine. Il n’hésite pourtant pas à organiser de cruelles opérations de fedayin en Galilée contre des villages israéliens.
Tels sont les trois principaux chefs de cette résistance palestinienne. Ils réussissent d’abord à faire admettre à l’opinion arabe la réalité nationale d’Israël, à concentrer la lutte sur l’opposition entre Juifs israéliens et Palestiniens plutôt qu’entre Israël et les États arabes, à prôner en principe un avenir palestinien qui admette la persistance de l’existence juive en Palestine. Cependant, le programme commun est foncièrement radical et ne peut contribuer, en toute logique, qu’à des confrontations armées. En effet, la Charte nationale palestinienne de 1964, révisée en 1968, et les programmes politiques des Conseils nationaux palestiniens jusqu’en 1973 déclarent la nullité de la création de l’État d’Israël et envisagent prochainement, par la lutte armée de guérilla, l’établissement d’un État palestinien arabe sur l’ensemble de la Palestine historique, c’est-à-dire à la place à la fois de l’État israélien légal et des territoires palestiniens qu’il occupe et administre depuis 1967. «État démocratique», est-il précisé toutefois. En fait, c’est Hawatmeh qui, au sixième Conseil national palestinien, en septembre 1969, fait adopter l’objectif d’un État palestinien démocratique non pas multiconfessionnel comme l’entendait le Fath, mais à structure binationale. Malheureusement, cet objectif ne peut être qu’une utopie et cède, dans l’immédiat, à des objectifs de lutte armée de commandos contre Israël et contre toute solution partielle du conflit israélo-arabe. Profondément déçus, bafoués même par les États arabes, beaucoup de Palestiniens, ceux des camps de réfugiés notamment, croient avoir trouvé la réponse: c’est un fusil, une mitraillette, un uniforme, un drapeau, un entraînement militaire à la guérilla, la participation à des opérations de commando, une éducation politique parfois orientée vers la doctrine de la guerre révolutionnaire du peuple. Comment faire éclore cette mobilisation, dans le cas d’une solution de compromis, avant même d’avoir mené effectivement une lutte de guérilla sur le prestigieux modèle vietnamien? Qui plus est, la solution de compromis est celle d’États arabes dont, précisément, on se désolidarise après qu’ils ont si lamentablement échoué en 1948 et en 1967. Davantage même, l’opinion arabe non palestinienne, elle aussi, ressent qu’en 1967 il y a eu défaite sans guerre réelle, sans participation sérieuse des armées arabes. La lutte armée palestinienne supplée à ces manques, répare les frustrations. Le rêve renaît. L’État palestinien rêvé devient donc aussi une base révolutionnaire pour le Proche-Orient tout entier, mettant en cause les «États bourgeois» arabes autant que l’«État raciste et impérialiste» israélien, dans le programme commun de 1970 inspiré par Habache.
Tout cela est fort compréhensible, et probablement inévitable. Il n’empêche que la solution modeste et réaliste, trop timidement revendiquée depuis 1974 par l’O.L.P., aurait eu plus de chances lors de la négociation ouverte à l’O.N.U. en 1967 et relancée par Rogers en 1970. Comme s’il s’agissait d’une fatalité attachée à la cause palestinienne depuis le début du mouvement sioniste, chaque solution partielle mais réaliste est rejetée au moment où elle est encore possible, et chaque rejet se solde par une perte à chaque fois plus considérable pour les Palestiniens. Il semble bien que l’une des raisons pour lesquelles la direction de la résistance ne va pas, en 1970, jusqu’à tenter la prise du pouvoir jordanien, c’est le même refus d’avoir, à la tête d’un État présent à l’O.N.U., la responsabilité d’un règlement avec Israël. C’est la même raison qui expliquera le refus persistant de former un gouvernement provisoire palestinien en exil.
Outre le Fath, le F.P.L.P. et le F.D.L.P., d’autres organisations armées sont créées par les États arabes voisins, notamment, créée en 1968, la Sa’ïqa, sous commandement syrien et intégrée au parti Ba’th syrien, et aussi le groupe d’Ahmad Jibr 稜l qui s’agrège au F.P.L.P. puis s’en sépare en 1970 sous le nom de F.P.L.P.-Commandement général, inconditionnellement prosyrien, et spécialiste des opérations de piraterie aérienne internationale. Notons encore le Front de libération arabe de la mouvance irakienne, aujourd’hui nommé Front de libération de la Palestine (F.L.P.) de Aboul-Abbas. L’Armée de libération de la Palestine, créée dès 1964, est intégrée aux Armées arabes et donc dépend directement du commandement soit jordanien, soit syrien ou égyptien. L’autonomie palestinienne «résistante» est donc fortement limitée.
3. Résistance palestinienne et États arabes
Les actions de guérilla, fréquentes, ont un effet limité. Elles permettent à l’armée israélienne de renforcer le contrôle militaire sur les habitants de Cisjordanie et de Gaza et d’exercer des offensives de représailles très meurtrières contre les États arabes voisins et contre des camps palestiniens de réfugiés qui, depuis 1967-1968, se sont tous armés de manière plus ou moins importante. Le résultat, du côté arabe – où, par ailleurs, une solution négociée est recherchée en 1970, en 1973 et ultérieurement sous la houlette de Nasser puis de Sadate –, est le contrôle accru des unités de la résistance par les états-majors arabes. Exemplaire à cet égard est la grande opération jordanienne, de septembre 1970 à juillet 1971, de réduction et d’expulsion de ces unités. Une opération semblable est menée au Liban de 1975 à 1990.
Ajoutons un autre type d’action: la piraterie aérienne internationale et les prises d’otages hors d’Israël ou en Israël même, à partir de 1968 et surtout en 1970-1973, puis en 1978-1982, enfin de 1985 à 1990. L’initiative en général vient du F.P.L.P. et est poursuivie, après l’hiver de 1970, contre les décisions du F.P.L.P. lui-même, par des groupes sécessionnistes, notamment le groupe nommé «F.P.L.P.-commandement général» et le groupe ultrasecret, issu du Fath lui-même, nommé «Septembre noir». Ces actions de terrorisme international visent à marquer l’autonomie d’action par rapport aux États arabes, à réveiller l’opinion publique palestinienne, arabe et mondiale, à inquiéter gravement cette dernière et, plus particulièrement, l’opinion juive. Enfin et surtout, ces actions servent aux extrémistes à contrer les modérés ou même à les faire disparaître physiquement parmi les responsables palestiniens. Le drame palestino-jordanien de septembre 1970 résulte clairement des deux types d’action de la résistance et le drame libanais également.
La confrontation armée palestino-jordanienne de septembre 1970
Au long de l’année 1970, c’est le F.P.L.P. qui, par sa force croissante sur le terrain en Jordanie et par des prises d’otages en juin dans des hôtels d’Amm n et en septembre dans des avions de ligne près de Zarka, s’impose bon gré, mal gré à l’O.L.P. et au Fath. L’O.L.P. elle-même sécrète alors des organes de commandement plus larges, dans lesquels s’engouffre le F.P.L.P. Ainsi le Commandement unifié (C.U.R.P.) en février, dominé par Habache, et chargé de mettre en application le modus vivendi négocié avec le roi Hussein. Ainsi surtout le Conseil central (C.C.O.L.P.) qui, créé en juin, supplante pratiquement le comité exécutif où le F.P.L.P. n’était pas représenté. Il y a même un haut comité politique restreint où se retrouvent les chefs des principaux groupes de résistance, Arafat, Habache et Hawatmeh notamment. C’est le fameux septième Conseil national palestinien, fin mai-début juin 1970 au Caire, qui adopte un programme politique élaboré en mai par Habache, avec le soutien de Hawatmeh. Ce document donne à la lutte nationale palestinienne un contenu de révolution sociale armée qui implique la lutte contre les régimes arabes réactionnaires en place. Le message est si réel et si clair que ce septième Conseil n’est pas encore clos au Caire que les graves combats jordano-palestiniens de juin éclatent à Amm n, prélude à ceux de septembre.
La confrontation de septembre 1970 connaît deux phases. Du 1er au 15 septembre, c’est la tragi-comédie d’avions de ligne détournés avec leurs passagers gardés en otages «dans des conditions de vie de réfugiés palestiniens ordinaires», selon les termes du F.P.L.P., sur un aéroport désaffecté baptisé alors «zone libérée» en Transjordanie. Du 15 au 28 septembre, c’est la confrontation systématique entre l’armée jordanienne et les fedayin à Amm n et dans le nord du pays, avec un cessez-le-feu préparé dès le 23 par un groupe d’États arabes, Égypte et Arabie Saoudite principalement. Aux termes de cet accord, apparemment, c’est la résistance qui s’en sort honorablement.
En réalité, ce mois de septembre a marqué le deuil de la résistance, même si c’est en janvier, avril et juillet 1971 que les fedayin sont proprement expulsés un à un du territoire jordanien, sous l’effet d’une guerre d’usure intérieure. Le groupe terroriste constitué en juillet 1971 pour venger les martyrs palestiniens de Jordanie s’intitule lui-même Septembre noir, marquant par là que c’est en septembre 1970 que tout s’est décidé en Jordanie. En fait, tout s’est décidé lorsque, réuni en session extraordinaire les 27 et 28 août à Amm n même (et non au Caire comme à l’ordinaire), le Conseil national palestinien déclare «rejeter sans équivoque et catégoriquement la conspiration américaine dénommée plan Rogers». Évitant Le Caire, où trône Nasser qui engage le monde arabe dans cette négociation Rogers, la résistance tient ses assises à Amm n, dans l’un des quartiers qu’elle contrôle totalement par ses propres forces. Il est important de signaler que les instances supérieures de la résistance ont bien conscience de se poser contre les États arabes modérés, contre Nasser autant que contre Hussein. La résistance se place ainsi elle-même dans un étau sans fissure réelle qui va du Caire à Damas et à Bagdad, en passant par Amm n et Tel-Aviv, avec l’accord plus que tacite de Moscou et de Washington exprimé par la «formule Rogers de négociation». Aventurisme irresponsable? Cet étau, le F.P.L.P. le veut et le refuse à la fois, et, par une mise en scène remarquablement conduite dans le désert transjordanien et à travers le monde, il entraîne la résistance entière et, par contrecoup, le pouvoir jordanien dans des positions extrémistes. Résultat: de 600 à 3 400 tués en septembre et de 1 200 à 10 800 blessés graves selon les évaluations minimales ou maximales finales, après les chiffres gonflés de 10 000 morts fournis par la presse au cours de ce qu’on a appelé «génocide palestinien». Surtout, toutes les unités palestiniennes armées sont systématiquement expulsées du territoire jordanien jusqu’en juillet 1971. Elles se replient en majorité au Liban et aussi en Syrie. Ces événements jordaniens, désignés en général du nom de Septembre noir, suivis d’événements de même ordre au Liban dès mai 1973, amènent l’O.L.P. à modérer sensiblement ses programmes. La victoire partielle de l’offensive arabe d’octobre 1973 (guerre de Ramadan-Kippour) lui permet de poser le problème palestinien en des termes plus réalistes. Sous la pression à peu près unanime des États arabes vaincus finalement, l’O.L.P. admet que la bonne solution consiste dans un État palestinien aux côtés et non plus à la place de l’État israélien, en Cisjordanie et à Gaza reliées pacifiquement à travers le désert du Néguev israélien. Cette modération d’intention contribue fortement à la reconnaissance internationale rapide de l’O.L.P., au sein de l’O.N.U. notamment. Elle provoque aussi une scission sans précédent dans le mouvement, scission qui entraînera les Palestiniens, contre leur intérêt propre, dans la guerre civile libanaise, aux côtés du camp des partis libanais de gauche et avec l’aide irakienne. Au sein du Fath lui-même, un groupe Fath-Conseil révolutionnaire de Abou Nidal, soutenu par l’Irak, fait sécession du Fath et de l’O.L.P. lui-même. Il est proche du F.P.L.P., qui groupe autour de lui, à partir de 1974, une coalition désignée sous le nom du Front du refus. Cette coalition refuse toute idée de solution négociée avec Israël dans le cadre de la conférence de Genève qui succède à la guerre d’octobre 1973, et il s’oppose à l’État palestinien de Cisjordanie-Gaza.
Les Palestiniens dans le drame du Liban
La présence palestinienne armée militante dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban (à Saïda, Beyrouth et Tripoli) met en danger l’État libanais dès 1968 du fait des représailles israéliennes contre l’aéroport de Beyrouth, contre les responsables de l’O.L.P. à Beyrouth et contre les villages du Liban-Sud «occupés» par des unités de fedayin. Des affrontements entre ces derniers et l’armée libanaise en 1969 se soldent par un compromis, l’Accord du Caire (nov. 1969), qui laisse une assez large autonomie aux fedayin. À partir de 1971, ils installent un véritable État militaire souverain dans l’extrémité sud-orientale du Liban, nommé le «Fatahland». Une nouvelle confrontation, en plein Beyrouth, en mai 1973, n’est ajournée que par la préparation de la guerre d’octobre 1973 entre l’Égypte, la Syrie et Israël, avec une participation palestinienne notable sous commandement syrien dans le mont Hermon, à la frontière israélo-libano-syrienne.
Les unités irrédentistes du Front du refus, dont certaines du Fath lui-même, au Liban – dans le sud notamment – ont contribué pour une part essentielle au malaise puis à l’agressivité de la droite libanaise. Une union sacrée palestinienne se fait au Liban sur des conditions qui sont en réalité celles du Front du refus. En effet, quand ils sont violemment attaqués par les phalangistes (le principal parti de la droite libanaise), les Palestiniens ne défendent alors, en 1975, que leurs propres camps de réfugiés et leurs bases militaires face aux milices de la droite libanaise et à une fraction importante de l’armée libanaise. Mais, quand ils poussent leur avantage vers une sorte de conquête révolutionnaire du Liban entier, en mai 1976, ils s’exposent alors, immanquablement, à une répression à la fois syrienne et israélienne. Du coup, le tournant palestinien vers le réalisme modéré, pris en 1974 déjà, perd beaucoup de sa crédibilité, aux yeux du moins des Israéliens et des chefs d’État arabes à la recherche d’une négociation de paix. La guerre d’octobre 1973, certes, laissait au second plan la cause palestinienne, puisque l’objectif déclaré de l’offensive était la récupération de quelques territoires égyptiens et syriens qu’occupait Israël depuis 1967. Cette récupération limitée devait servir de base pour une négociation globale avec Israël, y compris, bien entendu, en ce qui concerne le territoire palestinien de Cisjordanie et de Gaza et le sort des Palestiniens. La perspective restait celle dans laquelle s’était placé Nasser depuis la négociation Rogers de l’été de 1970. L’ombre et la leçon de Septembre noir 1970 étaient donc toujours là. Le contrôle maximal des mouvements et des désirs palestiniens restait indispensable à la bonne marche des négociations. En somme, il apparaît après coup que les objectifs de la guerre d’octobre 1973 étaient bien autant antipalestiniens qu’anti-israéliens de la part de l’Égypte et de la Syrie. Mais les données et les faits montrent qu’il n’y a pas de différence essentielle entre l’offensive jordanienne de 1970-1971 contre la résistance, l’offensive libanaise de 1973 et de 1975 (phalangiste), puis syro-libanaise de 1976 contre la même résistance, enfin l’offensive de guerre et de paix syro-égyptienne de 1973-1976, et égyptienne seule depuis 1977-1979. Davantage même: l’offensive israélienne de 1978 au sud du Liban et l’invasion de 1982 jusqu’à Beyrouth suivie de l’occupation jusqu’en 1985 couronnent toutes les offensives arabes antérieures.
Si l’armée syrienne, avec certaines unités palestiniennes qui sont prosyriennes depuis toujours (la Sa’ïqa bien entendu, et une partie de l’A.L.P. basée en Syrie), intervient contre l’O.L.P. au Liban le 31 mai 1976, c’est que la Syrie, pas plus que la Jordanie, l’Arabie Saoudite et Israël, et pas plus que l’Égypte, ne peut tolérer un Liban «palestino-progressiste». C’eût été la fin de toute la politique syrienne depuis 1970 et surtout depuis octobre 1973, comme de celle du bloc arabe. Ainsi depuis l’été de 1976, après des drames humains devant lesquels pâlissent ceux de Septembre 1970 en Jordanie, la résistance est de plus en plus contrôlée dans ses mouvements et dans sa politique par l’armée et les autorités syriennes, assorties d’un contingent panarabe symbolique. La résistance, désormais, se voit cantonnée dans la zone du Sud-Liban devenu le champ clos d’une bataille directe entre elle et Israël, sans intervention syrienne, mais avec participation irakienne (clandestine), du côté palestinien, et maronite extrémiste du côté israélien. Les deux temps forts de cet affrontement seront l’offensive israélienne de mars 1978 et celle, beaucoup plus ample, de juin-septembre 1982, dite «paix pour la Galilée», qui a pour but, en somme, de poursuivre le nettoyage syrien en parquant la résistance armée dans un réduit entre l’armée syrienne et les forces israélo-phalangistes.
Depuis la fin de 1976, l’évacuation du Sud-Liban par l’O.L.P. est le leitmotiv à la fois de la Syrie, d’Israël et de la droite maronite au Liban. Avec la Syrie, entendons également l’Arabie Saoudite, la Jordanie et l’Égypte, bref le bloc de la guerre de Ramadan d’octobre 1973 et de son règlement négocié. Peut-on encore parler de ce bloc modéré après l’initiative de paix égyptienne en 1977-1979 (Camp David et traité de paix isréalo-égyptien)? Apparemment non, puisque l’Égypte est mise en quarantaine et exclue de la Ligue arabe en 1979. Il n’empêche que la politique syrienne à l’encontre de l’O.L.P. au Liban non seulement se poursuit, mais s’accentue même, l’O.L.P. ayant perdu, en refusant Camp David, le recours égyptien dans cet équilibre entre Le Caire et Damas qu’elle avait su pratiquer jusqu’alors. La traque israélo-syrienne de l’O.L.P. est alors presque sans contrepoids extérieur.
4. La guerre israélo-palestinienne au Liban (1978-1985)
L’initiative de paix égyptienne en 1977-1979 est désavouée assez vite (mais pas immédiatement) par presque toutes les tendances de l’O.L.P., qui l’estiment très insuffisante. Le refus total officiel de l’O.L.P. paraît pourtant avoir été déterminé par les refus syrien et saoudien. Ces refus isolent l’Égypte et favorisent une interprétation israélienne restrictive du volet palestinien des accords de Camp David (sept. 1978) et du Traité de paix de Washington entre Égypte et Israël (mars 1979). Ces deux documents impliquent la mise en place, concurremment à l’évacuation progressive (en trois ans) du Sinaï, d’une «autorité d’autogouvernement» (self-government authority ) définie comme un «Conseil administratif» en Cisjordanie et à Gaza pour une durée intérimaire de cinq ans, «dans le but d’assurer pacifiquement et dans l’ordre le transfert d’autorité», cela après que, engagés dès la troisième année de la période intérimaire, des négociations entre Israël, l’Égypte, la Jordanie et «des représentants palestiniens» auront permis de définir «le statut définitif de la rive Ouest et de Gaza», statut qui sera ensuite soumis au vote de représentants élus de ces deux territoires. Ce sont là des résultats considérables. Mais ce qui gêne l’O.L.P. c’est, d’abord, de n’être pas mentionnée expressément comme représentant des Palestiniens de Gaza et Cisjordanie et, ensuite, l’instauration prévue d’une «force de police locale» en liaison avec des forces israéliennes, égyptiennes et (en principe) jordaniennes chargées d’assurer la sécurité pendant les cinq années intérimaires. Le «transfert de l’autorité» militaire et civile israélienne, qui doit être remplacée par celle du Conseil administratif palestinien élu, est en effet compensée, aux termes de l’accord-cadre, par un «redéploiement des forces israéliennes restantes sur des points spécifiés de sécurité». Et l’autodétermination palestinienne est, certes, annoncée dans le préambule de Camp David, qui ne mentionne pas ultérieurement de souveraineté palestinienne sur Gaza et la Cisjordanie, car, en effet, Israël en revendique aussi la souveraineté. Le refus de Camp David par l’O.L.P. fait l’affaire à la fois de Begin en Israël et de Assad à Damas. Collusion «objective» d’intérêts: elle ira jusqu’à la collusion concertée par l’intermédiaire des États-Unis en mars 1978 et en juin 1982. Voilà qui rappelle très directement mai 1976, quand Israël avait laissé les Syriens se déployer au Liban jusqu’au fleuve Litani, dans un partage de contrôle étroit sur l’O.L.P. au Liban.
L’invasion israélienne du sud du Liban et le siège de Beyrouth
L’opération israélienne du 15 mars-13 juin 1978 jusqu’au fleuve Litani permet la création d’enclaves maronites extrémistes armées à l’extrême sud du Liban, qui deviennent l’armée du Liban-Sud (A.L.S.), rebelle à l’armée libanaise et soumise à l’armée israélienne qui l’équipe. Cette A.L.S. règne sur une «ceinture de sécurité» (israélienne), et le retrait israélien s’accompagne de l’installation d’une force onusienne (F.I.N.U.L.) entre la ceinture de sécurité et la zone sous contrôle palestinien, aux termes de la résolution 425 de l’O.N.U. Un cessez-le-feu est ainsi assuré, mais non l’évacuation israélienne totale du Sud-Liban, demandée par cette résolution. Des opérations palestiniennes, sous la forme d’attentats très graves anti-israéliens malgré la F.I.N.U.L., ou antijuifs à travers l’Europe, ont pourtant lieu du fait, semble-t-il, du groupe dissident d’Abou Nidal (Fath-Conseil révolutionnaire), ennemi juré d’Arafat, de l’O.L.P. et du cessez-le-feu israélo-palestinien au Liban de 1978. Il attente aussi à la vie de plusieurs représentants de l’O.L.P. en Europe. L’aspect antisémite évident de certaines de ces actions (en particulier à Vienne, Rome, Paris) émeut profondément l’opinion occidentale, et mobilise une partie de l’opinion israélienne en faveur d’une action militaire. Des représailles israéliennes au Liban en 1981, dans le cadre d’une tension syro-israélienne vive dite crise des missiles déployés au sud du Liban dans la Bekaa par la Syrie, conduisent à un nouveau cessez-le-feu israélo-palestinien (par le truchement américain), rejeté par Abou Nidal et d’autres extrémistes.
Dès l’offensive israélienne jusqu’au fleuve Litani le 6 juin 1982 lors du déclenchement de l’opération «paix en Galilée», la totalité de la moitié sud du Liban se trouve, le 11 juin, envahie et occupée par l’armée israélienne jusqu’aux abords de la route Beyrouth-Damas, et jusqu’à l’intérieur même des faubourgs sud-ouest de la capitale. Toutes les bases palestiniennes, considérablement armées, sont démantelées. Les forces syriennes mènent une résistance armée limitée dans la Bekaa mais quittent Beyrouth. La bataille israélo-palestinienne a lieu principalement aux abords de Saïda et dans Beyrouth où les fedayin se sont repliés autour d’Arafat. Ces derniers tiennent seuls jusqu’au 20 août face aux forces israéliennes et à l’A.L.S., puis, sous la protection d’une force multinationale dépêchée à Beyrouth (américaine, française, italienne, anglaise), ils sont évacués du 21 août au 1er septembre vers la Tunisie, siège de la Ligue arabe depuis 1979, et vers la Syrie, le Soudan, le Yémen. La moitié, environ dix mille hommes, rejoint les unités syriennes de la Bekaa (Liban-Est et Nord-Est). En riposte à l’assassinat du nouveau président libanais Bechir Gemayel, les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth sont victimes, dans la nuit du 16 au 17 septembre, d’un épouvantable massacre de quelque huit cents vieillards, enfants, femmes, Palestiniens pour la plupart. C’est l’œuvre des hommes de l’A.L.S. et des Forces libanaises (phalangistes, maronites extrémistes) de Beyrouth avec la protection, ou du moins la passivité israélienne, alors que ni les fedayin (évacués hors du Liban), ni les forces syriennes, ni l’armée libanaise n’interviennent. La force multinationale, elle, vient de quitter Beyrouth.
Les interventions syriennes
Un accord israélo-libanais, le 17 mai 1983, prévoit un traité de paix annulant toute présence palestinienne et syrienne armée au Liban. Il provoque un retrait limité des forces israéliennes, en septembre 1983, jusqu’au fleuve Awali, au profit des milices druzes et chiites (Amal). Mais les pressions syriennes sur Beyrouth, favorisées par une opinion israélienne majoritairement opposée à l’occupation prolongée du Liban, annulent l’accord du 17 mai 1983, et, sans retrait syrien de la Bekaa et du Liban-Nord, le retrait israélien unilatéral est achevé en juillet 1985, à l’exclusion de la «ceinture de sécurité». La Syrie arme ostensiblement les milices chiites qui prennent le contrôle de Beyrouth-Ouest (aux dépens des populations et des milices sunnites) et s’efforcent de rallier les camps de réfugiés palestiniens. Damas suscite, en Syrie et dans les zones libanaises sous son occupation, la dissidence de Abou Moussa, également contre Arafat au sein même du Fath, au cours de 1983, à laquelle se rallient un temps le F.P.L.P. (Habache) et même le F.D.L.P. (Hawatmeh), outre les fronts palestiniens traditionnellement prosyriens, dans un Front de salut national (F.S.N.). Arafat et des unités armées loyalistes, revenus clandestinement au Liban-Nord, suscitent, en riposte à ce mouvement et à Damas, un mouvement islamique (sunnite) pro-iranien et antisyrien à Tripoli, capitale du Liban-Nord, le mouvement Tawh 稜d (unification), allié aux groupes chiites extrémistes Hizb-All h à Beyrouth et Amal isl mi à Baalbek. Tous trois assurent la protection du Fath et de l’O.L.P. loyaliste face aux offensives syriennes directes à Tripoli à la fin de 1983. Des agressions de grande ampleur de la part des milices chiites prosyriennes, Amal , et des milices druzes aussi parfois (la «guerre des camps»), du printemps de 1985 à la fin de 1987, prennent le relais du siège de Tripoli et renforcent également l’emprise syrienne. Ainsi, l’opération israélienne «paix en Galilée» est relayée immédiatement et continûment par les opérations syriennes directes ou indirectes contre les forces palestiniennes autonomes. Le F.S.N. d’Abou Moussa penche pour la Syrie, et non pour la réconciliation avec l’Égypte ni pour la solution jordanienne du «processus de paix israélo-arabe». Certes, le dix-huitième Conseil national palestinien d’avril 1987 scelle une réunification laborieuse de l’O.L.P.; Arafat en garde la direction: l’unité reste précaire dans les rangs palestiniens.
Les lendemains de la guerre «paix pour la Galilée» redonnent une chance au processus de paix israélo-arabe. Le sommet arabe de Fès (sept. 1982) adopte, en dépit de la Syrie, les termes du plan Fahd d’abord rejeté en 1981, très proche d’une proposition Reagan et d’une déclaration Brejnev: la représentation palestinienne est à nouveau envisagée au sein d’une délégation jordanienne. Le seizième Conseil national palestinien de février 1983, juste avant la dissidence, a même adopté le projet d’une future Confédération jordano-palestinienne, comme en 1978, mais, cette fois, sans la Syrie, avec, en revanche, les soutiens égyptien, irakien et saoudien. Un accord jordano-palestinien est enfin signé en février 1985 à Amman mais au prix d’une non-participation du F.S.N. au dix-septième Conseil national palestinien, à la fin de 1984: Arafat est alors isolé. Une représentation palestinienne modérée des territoires et de l’extérieur est certes rapidement mise sur pied en vue d’une conférence mondiale. Mais l’opposition syrienne, et palestinienne radicale, jointe à l’extrémisme en Israël et à une position américaine anti-O.L.P. intransigeante, rejette Arafat un an plus tard, en février 1986, dans un refus de la mise en œuvre de cet accord d’Amm n. Les autorités jordaniennes, une fois de plus, ferment les bureaux de l’O.L.P. en Jordanie. Une faction projordanienne voit le jour dans le Fath, à Amm n, en 1986, et rencontre un soutien assez notable dans les territoires, contre les tendances prosyriennes ou islamistes. La longue «guerre des camps» au Liban affaiblit sensiblement pourtant ces deux dernières tendances.
Un plan quinquennal (qui ne sera pas appliqué) pour 1986-1991 d’aide et de développement économique de la Cisjordanie et de Gaza par la Jordanie est même décidé, avec un financement international, en accord tacite avec les autorités israéliennes, et contre l’avis de l’O.L.P., mais non contre celui des maires ou représentants palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Israël accepte même en 1987 une aide spécifique de la C.E.E. aux «territoires» et l’exportation vers la C.E.E. de produits de ces derniers. C’est l’ébauche d’une autonomie palestinienne sous domination israélienne en liaison organique avec la Jordanie. En février 1987, Arafat et la Jordanie reprennent leurs relations dans cette perspective et avec le soutien égyptien. Mais une rupture institutionnelle a lieu le 31 juillet 1988 quand le roi Hussein décide la renonciation du royaume aux territoires de Cisjordanie. Le plan quinquennal jordanien pour les territoires est annulé. Dans le même temps, au printemps de 1988, éclate au Liban une nouvelle guerre des camps, de la main même du Front d’Abou Moussa, qui expulse des camps de réfugiés de Beyrouth les arafistes vers Saïda: la «paix syrienne» règne sur la capitale libanaise et sa grande banlieue Sud à partir du 8 juillet, grâce à cette guerre fratricide guidée par Damas.
En fait, la souricière est sans issue: ni la Jordanie, ni la Syrie, ni l’Égypte ne peuvent, ne veulent recevoir l’O.L.P. en armes. Il en va, en effet, de l’intérêt de ces États, de la sécurité de leurs populations. Malgré les années de lutte et des milliers de victimes (en majorité civiles) en Jordanie et au Liban, les Palestiniens – en dépit de la remarquable infrastructure militaire qui fut la leur au Sud-Liban jusqu’à l’été de 1982: un véritable État militaire palestinien dans l’État libanais – restent à la merci des intérêts concurrents de Damas, de Amm n, du Caire et de Riyad, comme en 1948 et comme en 1936 et 1939. L’aventure – souvent l’aventurisme – militaire des Palestiniens se solde ainsi par une impasse face à Israël comme face aux États arabes voisins d’Israël et hôtes des Palestiniens. Et pourtant l’O.L.P. n’avait-elle pas pris, en principe, le tournant du réalisme dès avant son aventurisme militaire au Liban et le refus total qu’elle opposa à Camp David? Ces deux décisions sont en contradiction avec l’option réaliste de l’O.L.P. Cette option prise lors du douzième Conseil national palestinien (juin 1974, Le Caire) est confirmée au treizième C.N.P. (mars 1977, Le Caire) et aux quatorzième et quinzième C.N.P. à Damas en janvier 1979 et avril 1981. Le seizième C.N.P. à Alger en 1983 ne la met pas en cause. L’O.L.P. est prête à instaurer «une autorité nationale indépendante» sur «toute portion de territoire libéré», et elle veut bien participer, au moment opportun, à une conférence internationale pour négocier la paix avec Israël, «de manière autonome et sur un pied d’égalité». Elle accepte un «État national indépendant» de Gaza-Cisjordanie en bon voisinage avec Israël.
C’est seulement dans ce cadre, à partir de 1974, que l’O.L.P. est admise à part entière par la Ligue des États arabes et que le sommet arabe de Rabat, en octobre 1974, reconnaît l’O.L.P. comme «le seul représentant légitime du peuple palestinien sur tout territoire palestinien libéré». Arafat est convié à l’Assemblée générale de l’O.N.U. en novembre 1974, et l’O.L.P. reçoit alors le statut d’observateur. Les «droits palestiniens à l’autodétermination sans interférence extérieure» et «à l’indépendance et à la souveraineté nationales» sont aussi écrits dans une résolution et contrôlés par un comité ad hoc permanent créé en 1976. Une autre conséquence de ce tournant vers la modération, c’est un rapprochement entre les Palestiniens de Cisjordanie-Gaza et ceux de l’extérieur, ceux de l’O.L.P. institutionnelle. Même les Palestiniens israéliens (les «Arabes d’Israël» restés après 1948) se rapprochent de leurs «cousins» cisjordaniens et gaziotes, et aussi de l’O.L.P. extérieure. Ainsi se forme une espèce de front palestinien émanant des «Palestiniens de l’intérieur», qui compense un peu la perte des bases palestiniennes de Jordanie depuis 1970-1971 et le contrôle étroit des bases palestiniennes du Liban par la Syrie. En Israël même, certes, des mouvements juifs en faveur de la négociation avec les Palestiniens et de la reconnaissance des droits nationaux palestiniens se forment et sont crédibles du fait de la nouvelle modération palestinienne. Ce qui sert l’extrémisme des «refusards» palestiniens et réciproquement, c’est l’extrémisme de la droite israélienne qui accède au pouvoir avec Begin au printemps.
5. L’intif size=5da, soulèvement de Cisjordanie et de Gaza
C’est chez les Palestiniens de l’intérieur qu’un sursaut remarquable a lieu, dans les territoires occupés par Israël depuis 1967. Sursaut spontané à l’origine, débordant à la fois l’O.L.P. (qui est à l’extérieur), Israël (habitué à un calme relatif depuis vingt ans d’administration de la Cisjordanie et de Gaza), la Syrie et la Jordanie. Grèves et révoltes non armées caractérisent ces événements et évoquent la grande révolte palestinienne de 1936-1939. L’enjeu déclaré est clairement la souveraineté sur la Cisjordanie et Gaza, rarement sur Israël dans ses frontières de 1949. Tous les partenaires arabes concurrents s’efforcent, dès janvier 1988, de prendre en charge le mouvement, d’empêcher un leadership local autonome et d’utiliser le capital politique qu’il acquiert sur la scène internationale et face à Israël. C’est finalement l’O.L.P. de Arafat (et non celle de Abou Moussa) qui y réussit, à travers une direction unifiée du Soulèvement (intif da ), que la tendance syrienne ne renie pas d’abord. La tenaille syrienne (au Liban), comme l’israélienne (en Cisjordanie et à Gaza), s’accentue cependant d’autant contre l’O.L.P. arafatiste et, à terme, contre l’État palestinien autonome.
À la racine du Soulèvement est le sentiment de la perte croissante de la terre elle-même et de toute perspective d’autonomie réelle et de souveraineté sur cette terre.
Et, en effet, la «doctrine Begin» sur les territoires cisjordaniens et de Gaza comporte un préalable juridique selon lequel la résolution 242 de l’O.N.U. ne s’applique pas à Israël en ce qui touche la notion de territoire occupé. Outre les justifications mystiques concernant «Eretz Israël», cette doctrine estime que, juridiquement, d’une part la Cisjordanie n’appartient légalement à aucun État, et donc qu’elle n’est pas «occupée» par Israël depuis 1967, et que, d’autre part, elle n’est concernée par aucune des résolutions de l’O.N.U. antérieures à la résolution 242 puisque les Arabes ont rejeté et la résolution de partage (181, nov. 1947) qui prévoyait un État arabe palestinien, et la résolution du retour des réfugiés (194, déc. 1948). Donc, conclut-on, primo la Convention de Genève sur les territoires occupés ne s’applique pas en ce cas, secundo la résolution 242 n’implique ni l’évacuation ni le respect d’une entité palestinienne, tertio le peuplement juif et les colonies agricoles en Cisjordanie (Judée-Samarie) sont légaux, même après Camp David.
De fait, le mouvement des implantations juives en Cisjordanie, à Gaza et au Golan s’accroît considérablement depuis la guerre du Kippour. En 1993, elles contrôlent quelque 35 p. 100 de la totalité du territoire occupé de Cisjordanie, dont 90 p. 100 en propriétés privées et 10 p. 100 en propriétés d’État. Il s’agit non seulement de la confiscation de terres domaniales de l’État jordanien, mais aussi de terres de propriétaires arabes absents depuis la conquête de 1967. Ajoutons le procédé, éprouvé de longue date en Galilée, des expropriations pour raisons militaires ou de sécurité ou d’intérêt public. Le Bloc de la foi (Gush Emunim) en 1976 et la Ligue de défense juive du rabbin Meïr Kahana en 1977 animent des marches et procèdent à des «implantations sauvages», illégales jusqu’à l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Begin.
En Israël même, des expropriations provoquent des manifestations qui se soldent par la mort de quelques Palestiniens en Galilée le 30 mars 1976. Depuis cette date, chaque année est fêté le 30 mars, jour de la terre, dans l’ensemble du peuple palestinien, en Israël, dans les territoires occupés et dans le reste de la Jordanie et au Liban. Toutefois, le peuplement juif israélien dans ces points de colonisation est assez faible, sauf dans la Jérusalem-Est et ses environs immédiats, où il s’agit vraiment, depuis l’été de 1967, d’un dessein de peuplement urbain juif. Il faut compter (en excluant les 120 000 Juifs de la grande Jérusalem-Est) quelque 90 000 personnes en Cisjordanie en 1993, 4 500 dans la bande de Gaza et 12 000 dans le Golan. Depuis Camp David (1978), refusé par les maires palestiniens (pro-O.L.P.) élus en 1976, des «ligues de village» sont suscitées par les autorités israéliennes en 1981, comme responsables de l’«autonomie palestinienne» pratiquée unilatéralement. Les habitants ne suivent que très peu ce mouvement. C’est un échec israélien.
Un autre point d’importance est l’évolution récente des Arabes d’Israël, cette fraction du peuple palestinien restée en Israël après 1948, qui, peu à peu, se soude à nouveau à la fraction de Cisjordanie et aussi, dans une moindre mesure, de Gaza (anciens habitants de l’agglomération de Jaffa pour beaucoup d’entre eux). Sur ce fonds éclate le Soulèvement (intif da ).
La «guerre des pierres»
Les événements marquants sont déjà passés dans la légende nationale palestinienne. Le Soulèvement est conduit par des jeunes gens de toutes les classes, d’abord indépendamment des maires et conseillers municipaux, des intellectuels et du Conseil islamique. Ces jeunes ont joué adroitement le jeu de l’appareil démocratique israélien (la presse notamment et la télévision) d’une part, de l’administration militaire et des Règlements d’urgence, d’autre part. Ils savent qu’une répression massive, sanglante et non discriminée comme au Liban en 1983 et 1986-1988, en Syrie en 1982 et en Irak depuis 1980 n’est pas admise en Israël du fait des médias et des exigences des mouvements de défense des droits de l’homme. Les actions sont populaires et non pas isolées comme précédemment. La violence est limitée (avec des pierres puis des bouteilles incendiaires artisanales, sans armes à feu, et sans volonté de tuer, sauf incidemment ou, à partir de 1990, plus continûment). Actions dirigées contre des voitures de l’armée (le premier soldat tué l’est le 20 mars 1988 seulement), rarement contre des civils (civils poignardés par surprise à Gaza et à Jérusalem notamment). Assez rapidement se produisent aussi des actions de résistance passive assez largement suivies: refus d’acheter des produits israéliens dès le 7 janvier 1989, refus de payer les taxes et les impôts, grèves quasi générales des 100 000 travailleurs des «territoires» journaliers en Israël même, et des commerces pendant plusieurs jours ou longtemps à certaines heures (à partir du 8 février), grèves et même démissions (provisoires) le 11 mars de policiers et d’autres fonctionnaires palestiniens de l’administration israélienne d’occupation, incendies de champs ou de forêts, etc. Concurremment s’organisent localement l’approvisionnement, la sécurité et l’action revendicative en marge des dispositifs habituels grippés par les grèves et par les mesures répressives, notamment les couvre-feux prolongés. Des assassinats d’agents palestiniens locaux du pouvoir israélien ont lieu à partir de mars 1988 et iront en s’accentuant.
L’administration militaire et civile israélienne réagit par des arrestations administratives de plusieurs mois (1 000 d’un coup le 24 décembre, quelque 5 000 au total à la mi-avril), de très jeunes gens souvent, avec tortures attestées; couvre-feux très largement appliqués à partir du 13 janvier, dynamitage ou mise sous scellés de maisons suspectées d’héberger des «terroristes», expulsion de quelques suspects, amendes, fermeture d’écoles et de centres universitaires dès le 24 décembre, renouvellement obligatoire des cartes d’identité à Gaza en avril; ripostes armées quotidiennes entraînant la mort (250 morts les huit premiers mois), parfois par des civils israéliens eux-mêmes venus des «implantations» (notamment de Hébron le 10 mars, et de Elon Moreh le 4 avril). Notons l’assassinat à Tunis, le 16 avril, sur décision gouvernementale israélienne, du numéro deux de l’O.L.P. responsable de l’action dans les territoires occupés, Ab Jih d. Chasse policière, en septembre, aux «Comités populaires» de villages, de camps et de quartiers, qui s’instaurent très rapidement, et reconnaissent une Direction unifiée du Soulèvement à partir du 4 janvier 1988. Les bouclages prolongés imposés en 1991 puis en 1993, et de nouveau au printemps de 1994, réduisent quasi à l’oisiveté et à la misère la presque totalité de la population de Gaza et une grande portion de celle de Cisjordanie. Un État palestinien affamé et terrorisé existe ainsi bel et bien, défini par les forces israéliennes elles-mêmes, État auquel ne manque qu’un gouvernement souverain. En 1993, l’intif da se solde par 1 260 Palestiniens tués par l’armée israélienne ou des colons, 970 Palestiniens «collaborateurs» et 205 Israéliens tués par les Palestiniens, 277 maisons palestiniennes mises sous scellés et 423 dynamitées par l’armée israélienne en représailles, 12 000 prisonniers, des milliers de blessés, enfants ou adolescents souvent. Le sort des 3 000 «collaborateurs» restants est préoccupant pour l’O.L.P. comme pour Israël.
Les Arabes d’Israël, eux aussi, se «palestinisent» (selon l’expression populaire israélienne) en manifestant leur soutien dès le 23 janvier à Nazareth, en décrétant des grèves générales, en provoquant des incendies de forêts en juillet, en intervenant au Parlement israélien contre les excès de la répression et pour une solution politique négociée avec l’O.L.P. Jérusalem-Est (annexée depuis juillet 1967) connaît de vives et nombreuses protestations autour des deux prestigieuses mosquées de l’esplanade Al-Aqs , en particulier en avril, juin et juillet 1988. Au Soulèvement lui-même s’ajoutent quelques actions pour ainsi dire habituelles, venues de l’extérieur soit à partir du Liban, soit même, le 7 mars, à partir du territoire égyptien. À la fin de l’été de 1988, la tendance d’inspiration islamique extrême intervient en concurrence avec la Direction unifiée du Soulèvement, sous le nom de Hamas (Mouvement de la résistance islamique), qui lance des communiqués de grève (les 8-9 septembre 1989 par exemple) ou d’action différents de ceux de la Direction unifiée. Un groupe Jihad se déclare, aussi, plus violent.
Reconnaissance et intervention des arafatistes
Les effets de ce Soulèvement sont assez rapides: Israël déclare publiquement que la situation est nouvelle de manière irréversible; quelques rares partis et mouvements d’opinion prennent une position ultranationaliste d’annexion des territoires, voire d’expulsion massive de tous les Palestiniens, quoi qu’il en coûte en violence et en temps; d’autres courants manifestent au contraire pour l’urgence d’une solution négociée, voire avec l’O.L.P. elle-même, sur la base de l’évacuation des territoires occupés. Le plan Allon de 1976 réapparaît, qui comporte la restitution d’une Cisjordanie entourée d’une ceinture de sécurité annexée, plan qui suppose le démantèlement des autres implantations que celle qui assure cette ceinture de sécurité.
Le gouvernement d’union nationale se trouve fortement divisé sur ce point, et les élections de novembre 1988 ont pour enjeu principal, pour la première fois depuis 1967, la politique palestinienne d’Israël. Il est temps. Les États-Unis proposent, et même signent un moment, un plan d’application très rapide, en un an, des dispositions palestiniennes de Camp David. C’est le Plan Shultz de février. Mais le rejet, assez surprenant, de ce plan par l’O.L.P. (qui entend être présente elle-même à une telle conférence), par les Palestiniens du Soulèvement eux-mêmes et par le gouvernement israélien (mais non par son ministre de l’Étranger Péres) l’ajourne pour plusieurs mois. Un «plan Shamir», en revanche, est produit au début de 1989 proposant de prochaines élections municipales palestiniennes à fonctions politiques ultérieures en Cisjordanie et à Gaza en vue de négociations sur le statut définitif de ces territoires, sans pourparlers directs avec l’O.L.P. ni reconnaissance préalable d’un État palestinien distinct de la Jordanie. Ce plan, repris par le plan du secrétaire d’État américain Baker qui insiste sur les modalités des élections palestiniennes, n’est accepté que conditionnellement par le Soulèvement et par l’O.L.P., dans le cadre d’une conférence internationale de l’O.N.U. seulement. C’est Arafat, traqué par la Syrie, qui est reconnu par le Soulèvement, et non pas la Jordanie ni la dissidence prosyrienne d’Abou Moussa. Aussi, l’effet sans doute le plus lourd de conséquence est la décision jordanienne solennelle, le 31 juillet, de renoncer à sa souveraineté sur la Cisjordanie. Malgré les conséquences économiques et financières immédiates très négatives de cette mesure, la Direction unifiée du Soulèvement y voit l’occasion de s’imposer comme l’interlocuteur unique d’Israël et pousse l’O.L.P. elle-même, lors d’une session extraordinaire du Conseil national palestinien du 15 au 20 novembre 1988 à Alger, à proclamer la Cisjordanie et Gaza «État indépendant de Palestine» et à reconnaître les résolutions 181 (de «partition» en 1947), 242 et 338 (de «frontières sûres et reconnues» d’Israël, en 1967 et 1973). En décembre, après des déclarations plus précises d’Arafat à Stockholm reconnaissant Israël et renonçant au terrorisme, les États-Unis nouent avec l’O.L.P. des relations suivies à Tunis puis à Washington jusqu’en juin 1990. «Caduque» (selon le mot d’Arafat à Paris, le 3 mai 1989) est déclarée la Charte nationale palestinienne de 1968, qui excluait la partition de novembre 1947, et donc l’existence même de l’État israélien. Le Soulèvement de Cisjordanie et Gaza représente ainsi une nouvelle phase du conflit séculaire israélo-palestinien, qui désormais se distingue beaucoup plus nettement du conflit israélo-arabe et qui achemine l’O.L.P. vers la seule solution politique acceptable par Israël.
6. Les Palestiniens dans la crise du Golfe et dans les négociations israélo-arabes de paix (1990-1994)
Comme le reconnaissent quelques intellectuels palestiniens, tel Walid Khalidi, et quelques acteurs politiques de premier plan, tel Abou Iyad qui paya de sa vie le 15 janvier 1991 à Tunis son point de vue, l’implication de l’O.L.P. aux côtés de l’Irak dans la crise du Golfe d’août 1990 à février 1991 représente l’un des plus cuisants revers palestiniens. Mais il en résulte aussi le vaste réseau de la négociation israélo-arabe (et même israélo-palestinienne directe) à plusieurs niveaux et en plusieurs rubriques interdépendantes qui obligent à des traités de paix globaux depuis la Conférence internationale de Madrid le 30 octobre 1991. Dès le sommet arabe de Bagdad le 28 mai 1990, Arafat prend une position dure anti-américaine et assez antisaoudienne, et annonce sa confiance dans les ambitions militaires panarabes de Saddam Hussein. Le 3 août 1990, l’O.L.P. s’abstient, à la Ligue arabe, de condamner l’«agression irakienne» contre l’État du Koweït, et, le 10 août, il vote contre les résolutions condamnant l’annexion du Koweït et approuvant le droit d’autodéfense des États du Golfe, se rangeant ainsi aux côtés de l’Irak et de la Libye seules. L’O.L.P. suit alors les positions des extrémistes palestiniens traditionnels, celle de Georges Habache notamment, qui met en avant l’arme arabe du pétrole contre les sionistes. La position officielle de l’O.L.P. est précisée à la fin d’août: elle adopte le «lien», proposé par Saddam Hussein sous forme d’ultimatum le 12 août, entre le retrait du Koweït (en dernier) et les retraits préalables de la Palestine (entendue seulement comme Cisjordanie-Gaza, Jérusalem incluse) ainsi que du Golan syrien et du Liban-Sud par Israël, mais aussi du reste du Liban par la Syrie. L’Irak, il est vrai, verse à l’O.L.P. depuis 1990 quelque 50 millions de dollars annuellement et est, après Tunis, la seconde base politique de l’O.L.P. depuis son expulsion de Beyrouth en 1982, cependant que l’Arabie Saoudite et le Koweït notamment préfèrent depuis 1989 soutenir financièrement le mouvement concurrent Hamas dans les territoires occupés eux-mêmes. Comme quelques responsables palestiniens s’en inquiètent très vite, rarement l’O.L.P. et la cause palestinienne, en cet été de 1990, ont été à ce point prisonnières d’un État arabe et d’un seul, et de ses intérêts et ambitions propres. Des slogans démagogiques de ferveur envers Saddam surgissent dans les masses palestiniennes de Jordanie et de Cisjordanie-Gaza, particulièrement désespérées en cette période de répression implacable contre l’intif da et de consolidation des implantations juives en Cisjordanie par un gouvernement le plus à droite qu’on puisse concevoir et qui, de plus, doit caser plusieurs centaines de milliers de nouveaux immigrants venus de Russie (500 000 de 1988 à 1993).
Le résultat de la guerre pour le Koweït est désastreux pour les Palestiniens. Même si la forte majorité des Palestiniens implantés au Koweït (depuis les années 1960 en général) reste loyale et anti-Saddam, les déclarations des quelques activistes pro-Habache et les positions officielles de l’O.L.P. provoquent une réaction koweïtienne massive contre les «traîtres» palestiniens. Un exode important – un de plus dans l’histoire palestinienne – a lieu au cours de l’hiver et du printemps de 1991. De quelque 400 000, les Palestiniens du Koweït sont réduits à 30 000, les retours n’étant permis qu’au compte-gouttes. C’est en Jordanie qu’environ 250 000 de ces nouveaux réfugiés prennent pied, ayant en général perdu leurs ressources. 30 000 autres environ se réfugient dans leurs familles restées en Cisjordanie-Gaza qui, soumises à un couvre-feu de longue durée, subissent, faute de travail en Israël même, une dégradation catastrophique de leur revenu. Ils ne reçoivent plus non plus de fonds venus de leurs frères ou cousins travaillant au Koweït.
Politiquement, l’O.L.P. perd la plupart des atouts auprès de ses interlocuteurs arabes (autres que l’Irak), israéliens, américains. Paradoxalement, c’est probablement cette disparition politique de l’O.L.P. qui permet la mise en œuvre de l’ample négociation arabo-israélienne sous la houlette américaine. L’O.L.P., dévaluée, est mise au pied du mur. Elle ne peut que s’engouffrer dans la petite porte qui lui est ouverte. Elle accepte de n’être pas présente elle-même. Les Palestiniens sont en effet réduits aux seuls «Palestiniens de l’intérieur», et ceux-ci, à la conférence de Madrid le 30 octobre 1991, n’apparaissent qu’au sein de la délégation jordanienne. La lettre américaine d’invitation qui sert de cadre à cette conférence précise bien que l’objectif prioritaire est une solution palestinienne, dans des termes tout à fait voisins de ceux de l’accord de Camp David: «En ce qui concerne les négociations entre Israël et les Palestiniens qui font partie de la délégation commune jordano-palestinienne, les négociations auront lieu par étapes et débuteront par des discussions sur un projet d’autogouvernement transitoire. Ces discussions seront menées dans l’objectif de la conclusion d’un accord d’ici à une année. Les arrangements touchant à l’autogouvernement transitoire seront valables pour une période de cinq ans. Dans la troisième année de la période d’application de ces accords d’autogouvernement transitoire débuteront des négociations sur un statut permanent qui, ainsi que les négociations entre Israël et les pays arabes, se dérouleront sur la base des résolutions 242 et 338» (Lettre d’invitation des États-Unis et de l’Union soviétique à la conférence de Madrid du 30 octobre 1991). En fait, la délégation palestinienne, avec la complicité jordanienne, à la fois s’impose rapidement de manière autonome et revendique son alignement sur l’O.L.P. La délégation israélienne accepte cette autonomie et cette identification, surtout après l’arrivée au pouvoir d’une équipe travailliste Rabin-Pérès en juin 1992. Pour hâter la négociation, grâce à une médiation norvégienne, Pérès et Arafat parviennent même à un programme précis d’autonomie palestinienne totale progressive en quelques mois. C’est la Déclaration de principes israélo-palestinienne, élaborée à Oslo et solennellement signée à Washington le 13 septembre 1993. La première poignée de mains entre Rabin et Arafat devant Clinton est diffusée sur toutes les télévisions du monde. La grande majorité des Palestiniens et des Israéliens y sont très favorables. Les difficultés de l’application, au cours de l’hiver de 1993-1994, culminent dans le massacre d’une trentaine (peut-être une cinquantaine) de Palestiniens à Hébron sur leur lieu de prière le 25 février, par un ou deux fanatiques israéliens de l’implantation voisine, érodent beaucoup le soutien populaire palestinien, mais accélèrent la progression réelle du processus. De quel processus s’agit-il?
Les négociations israélo-arabes lancées à Madrid et poursuivies à Washington et, à certains niveaux, dans d’autres capitales du monde sont multiples et interdépendantes. Avec le Liban, la Syrie, la Jordanie et les Palestiniens, des négociations bilatérales menées par Israël à Washington mettent au point, peu à peu, les conditions de l’évacuation israélienne de territoires occupés depuis 1967 ou, au Liban, depuis 1978, moyennant la sécurité israélienne. C’est avec la Jordanie (qui, rappelons-le, depuis 1988 ne revendique plus la Cisjordanie) que le règlement est le plus aisé. Il se sera conclu que lorsque ceux avec la Syrie et le Liban le seront. La négociation avec les Palestiniens est particulièrement ardue, puisqu’il s’agit de tout le territoire revendiqué par ceux-ci, Cisjordanie entière, Jérusalem-Est comprise (qui inclut la «vieille ville» des lieux saints juifs, chrétiens, musulmans), et territoire de Gaza. Les lenteurs de la négociation et les susceptibilités syriennes conduisent à ce coup de pouce inespéré qu’est la Déclaration de principes israélo-palestinienne dite accord d’Oslo. Il est fondé sur un nombre assez appréciable d’études israélo-palestiniennes très précises déjà effectuées depuis plusieurs années et qui n’attendaient que d’être adoptées et paraphées.
L’objectif de cette «Déclaration de principes sur les dispositions intérimaires d’autogouvernement» consiste à «établir une autorité palestinienne d’autogouvernement intérimaire, à savoir un Conseil élu pour le peuple palestinien de Cisjordanie et de la bande de Gaza durant une période transitoire ne dépassant pas cinq ans et menant à un règlement permanent» (art. 1er). Ce Conseil sera élu librement, au plus tard en juillet 1994 (en réalité en novembre ou décembre), «sous une supervision agréée et une observation internationale, la police palestinienne assurant l’ordre public» (art. 3 al. 1). L’évacuation de l’armée israélienne et le déploiement d’une police palestinienne à sa place sont compliqués par la protection à maintenir par Israël des nombreuses implantations juives en Cisjordanie-Gaza, qui ne doivent pas être soumises à l’autorité palestinienne tout de suite. Aussi commencera-t-elle par la «bande de Gaza et le secteur de Jéricho» (art. 5 al. 1). Au cours du mois de juillet 1994, une police palestinienne de 9 000 hommes remplace l’armée israélienne dans ces deux territoires, une fois conclu au Caire l’accord israélo-palestinien sur Gaza-Jéricho (4 mai). Arafat s’installe à Gaza en juillet et son «gouvernement» à Jéricho. L’Accord global sur la période intérimaire préconisé par l’article 7 pour l’ensemble de la Cisjordanie aussi a lieu en septembre, mais incomplètement. C’est bien en effet l’ensemble du «territoire de Cisjordanie et de la bande de Gaza» qui est concerné et considéré «comme une unité territoriale unique, dont l’intégrité sera préservée durant la période intérimaire» (art. 4). Sont exceptés de ce territoire pendant cette période Jérusalem-Est et l’ensemble des implantations juives, qui seront deux des objets de la négociation sur le statut permanent de Gaza-Cisjordanie. Cette troisième négociation doit impérativement débuter au plus tard au cours de la troisième année de la période intérimaire, soit en 1997, et aboutir au plus tard la cinquième année (art. 5), c’est-à-dire en 1999. On reconnaît là l’essentiel des accords de Camp David de 1978.
Les opposants palestiniens à cette Déclaration sont inspirés par le F.P.L.P. de Georges Habache et par le Hamas principalement. Une division assez grande s’instaure au sein même du Fath. Il est reproché à Arafat d’avoir quasi imposé cet accord au Comité exécutif de l’O.L.P. parfois élargi et en passant par quelques réunions du Conseil général. Sur le fond, on refuse les délais prévus par l’accord et les restrictions considérables de «l’autogouvernement intérimaire» palestinien, qui apparaît comme à la merci des forces de sécurité israéliennes et de la politique israélienne de défense, les forces israéliennes n’étant que «redéployées» et non pas totalement évacuées. Les Palestiniens de la diaspora – les «réfugiés» – ne sont pas pris en compte tout de suite, et l’idée d’«État palestinien» souverain n’est pas mentionnée; enfin, le partage de la Palestine est accepté, et l’hégémonie israélienne sur l’ensemble de l’Orient arabe, y compris le pétrole arabe, à la faveur des accords économiques de coopération israélo-arabe en cours, est vue comme très facilitée par ce processus. Ce dernier et en effet bel et bien aux antipodes de la rhétorique de Saddam Hussein et de l’O.L.P. elle-même en 1990-1991, et c’est la dynamique de Camp David qui est reprise dans une cohésion interarabe renforcée et non pas diminuée par la crise du Golfe. Les opposants estiment précisément que tout ce qui ressemble à Camp David ne peut être que capitulation des États arabes devant un complot israélo-américain, avec complicité saoudienne et égyptienne. Israël resterait de plus foncièrement de mauvaise foi et guetterait le prétexte le plus favorable, lors de la période intérimaire, pour reprendre et renforcer sa domination sur le Grand Israël. L’opposition du mouvement Hamas provoque des actions violentes et une répression par la police en août 1994, mais Hamas annonce à la fin de septembre sa participation aux élections du Conseil palestinien. Rien ne justifie sérieusement la mise en doute de la volonté israélienne de paix avec ses voisins et de la volonté américaine d’en finir avec les menaces de guerre (nucléaire cette fois) au Moyen-Orient. La crise du Golfe aura accéléré cette volonté, et les règlements israélo-palestinien et israélo-arabe sont, a posteriori, la justification fondamentale de l’ampleur de l’offensive américaine au Koweït et en Irak en 1991.
L’accord israélo-palestinien et son application programmée, de même que les accords presque prêts concernant la Jordanie, la Syrie, le Liban, ne sont pas séparables des négociations multilatérales qui, elles, mettent en cause toutes les grandes puissances du monde et les autres États arabes, en particulier l’Arabie Saoudite et le Conseil de coopération du Golfe, le Maroc, la Tunisie. Elles entendent régler, pour la région entière, les problèmes de la répartition de l’eau, de l’économie en général, des réfugiés palestiniens, du désarmement (nucléaire en particulier). Ces négociations multilatérales et globales mettent en œuvre des financements arabes, américains, japonais, européens. Elles ne peuvent évidemment aboutir que si les accords bilatéraux politiques sont conclus. Ce sont sans doute elles qui, en réalité, font pression pour accélérer la conclusion de ces accords de paix bilatéraux. L’État palestinien qui, selon le vœu de l’O.L.P. et de la gauche israélienne radicale, émergera de la négociation finale dans trois ou cinq ans, sera puissamment concerné par les accords multilatéraux sur l’eau palestinienne (actuellement presque toute utilisée par Israël), sur le développement économique palestinien, sur le faible armement de l’État palestinien et la limitation des armements israéliens et, bien sûr, sur le retour ou le dédommagement des réfugiés palestiniens de 1948 et de 1967. Des réunions israélo-palestiniennes et européennes se tiennent à Paris dès la fin de 1993 pour les questions économiques, dans une perspective de coopération avec Israël et la Jordanie. Et des organismes palestiniens en Cisjordanie et Gaza se mettent en place très vite (tabl. 3), comptant sur cette espèce de «plan Marshall» pour la Palestine et toute la région dont parle la Déclaration de principes du 13 septembre 1993, article 16.
Palestiniens arabes et Palestiniens juifs, frères siamois, se voient franchement acculés au compromis, et ils sont en train d’y aboutir. Ils se savent inséparables, l’avenir d’Israël et celui du futur État palestinien sont finalement identiques.
Palestiniens
peuple arabe originaire de Palestine (env. 4 millions de personnes). Relig.: islam, christianisme (10 %). La majorité fut contrainte de quitter, à partir de 1948, le nouvel état d'Israël. Les Palestiniens vivent auj., souvent regroupés dans des camps, en Cisjordanie et à Gaza (en tout, 1 million), en Jordanie (1 million) et dans les autres états arabes du Proche-Orient, dans les pays du Golfe et dans des pays occidentaux. V. Palestine.
Encyclopédie Universelle. 2012.