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RADIOCHIMIE
RADIOCHIMIE

Le terme de radiochimie pris au sens littéral conduit à associer «radioactivité» et «chimie», mais toutes les opérations chimiques, qui portent sur la matière radioactive, ne relèvent pas toujours de la radiochimie, comme cela était le cas avant la mise en œuvre massive de l’utilisation de l’énergie nucléaire de fission. Aujourd’hui, l’objectif de la radiochimie est essentiellement l’utilisation de la radioactivité, c’est-à-dire des phénomènes de désintégration eux-mêmes, et des rayonnements émis par les radionucléides, pour étudier les propriétés des systèmes chimiques qui ne peuvent pas être obtenues par les moyens conventionnels.

Les systèmes chimiques que les radiochimistes étudient sont donc essentiellement:

– Ceux dans lesquels la matière radioactive soumise à étude est présente en quantité impondérable, c’est-à-dire en quantité inférieure à 10–7 gramme. Pour de tels systèmes, les méthodes classiques d’investigation, même les plus sensibles, ne peuvent délivrer de signal permettant de connaître le comportement de si peu de matière, malgré les performances des systèmes de détection moderne. La limite inférieure de matière, qui peut être étudiée, peut aller jusqu’à quelques atomes radioactifs, si on sait les détecter.

– Ceux dans lesquels la matière soumise à étude, radioactive ou non, est en quantité pondérable, les radionucléides particuliers qu’ils renferment en quantité impondérable servant alors de sondes «chimiques» (radionucléides marqueurs, radionucléides émetteurs de positrons) ou de sonde «nucléaire» (radionucléides pour corrélations angulaires, radionucléides Mössbauer d’émission).

– Ceux, enfin, dans lesquels la matière soumise à l’étude est en quantité pondérable radioactive et radiotoxique, et/ou pour laquelle l’activité nécessite de tenir compte des effets des rayonnements.

Les domaines couverts par la radiochimie sont:

– l’étude des propriétés physico-chimiques de tous les éléments à l’échelle des quantités impondérables dont on peut préparer un isotope de période convenable pour obtenir une grande activité spécifique;

– l’étude des propriétés physico-chimiques des radioéléments dont l’isotope de plus longue période ne permet pas son accumulation;

– l’étude des conséquences chimiques des transformations nucléaires, c’est-à-dire l’étude des modifications de propriété et de structure des entités ou des solides au cours des processus nucléaires;

– l’étude des propriétés nucléaires en relation avec les propriétés chimiques, c’est-à-dire des modifications des caractéristiques des noyaux, dues aux interactions de celui-ci avec son environnement chimique;

– l’étude des propriétés des radioéléments disponibles en quantités pondérables mais dont l’activité spécifique est très élevée.

La radiochimie s’appuie sur deux techniques, au sens large: celle de la production appréciable de radionucléides avec des réacteurs nucléaires et des accélérateurs de particules, et celle de la détection des rayonnements et de la mesure de leurs énergies et intensités.

Il existe des liens entre la chimie sous rayonnement, la chimie nucléaire et la radiochimie.

L’objectif de la chimie sous rayonnement est l’étude des conséquences chimiques dues au passage, dans la matière, de rayonnements ionisants. Aujourd’hui, la chimie sous rayonnement est proche de la photochimie et de la photolyse par laser pulsé, et elle relève de la chimie physique. Elle ne met plus en œuvre de radionucléides.

Le terme de chimie nucléaire pris au sens littéral conduit à associer «chimie» et «noyau». Son objectif est l’étude de la structure et des propriétés des noyaux considérés comme un ensemble statistique de nucléons en équilibre thermodynamique, et celle de la transformation spontanée ou provoquée des noyaux, radioactifs ou non, en adoptant le point de vue qu’ont les chimistes de la transformation des molécules à partir des atomes. Les systèmes, que les chimistes nucléaires étudient, sont des systèmes subatomiques où les cortèges électroniques ne jouent aucun rôle. L’intervention de la chimie et des méthodes radiochimiques, qui a été importante par le passé, est maintenant limitée.

Les radiochimistes ont besoin de connaître les effets des rayonnements sur la matière afin de se prévenir des effets physiques et chimiques secondaires, et ils ont souvent besoin d’utiliser les gros équipements de l’instrumentation, dite nucléaire.

L’utilisation des «traceurs radioactifs», c’est-à-dire l’utilisation d’un radionucléide isotope d’un élément pour marquer celui-ci en très faible proportion (facteur d’environ 10–10), en tant qu’indicateurs spatiaux et temporels, a envahi toutes les branches de la science. La mise en œuvre banale des radionucléides ne fait pas typiquement partie de la radiochimie. Elle relève plutôt de la méthodologie des traceurs.

L’analyse par activation neutronique, l’analyse par activation par particules chargées et l’analyse par excitation pour provoquer l’émission de rayons X ont connu un essor exceptionnel. L’apparition de détecteurs gamma à haute résolution a rapidement conduit à abandonner les opérations chimiques de séparation des radionucléides formés par réactions nucléaires et, aujourd’hui, l’analyse multiélémentaire par activation ou excitation est purement instrumentale. Ces méthodes ne donnant aucun renseignement sur les degrés d’oxydation et ne nécessitant pas d’opérations chimiques ne relèvent pas spécialement de la radiochimie.

Enfin, il faut faire une distinction entre radiochimie et chimie dans l’industrie nucléaire.

Le développement de l’utilisation de l’énergie de fission à des fins civiles a donné lieu à la production de quantités impressionnantes de matière radioactive que l’on trouve, pour l’essentiel, localisée dans les réacteurs nucléaires et les usines du cycle du combustible nucléaire. L’industrie du cycle du combustible met en œuvre des procédés chimiques conventionnels, mais adaptés à la forte ambiance radioactive et à la prévention de l’apparition de conditions de criticité. Elle porte, annuellement, sur des tonnes de matière plus ou moins radioactive. Il est clair que toutes ces opérations chimiques ne relèvent pas de la radiochimie mais de la «chimie de la matière radioactive éventuellement fissionnable». En revanche, la dispersion dans l’environnement de certains radionucléides lors de la mise en œuvre de l’énergie nucléaire pose des problèmes qui relèvent de la radiochimie. La gestion des déchets radioactifs aussi.

Radioéléments et radionucléides naturels et artificiels

Il existe des éléments pour lesquels la totalité des isotopes naturels sont radioactifs; ce sont des radioéléments. Un radionucléide est un isotope radioactif d’un élément; par abus de langage, on parle aussi de radioélément. Le nombre des nucléides stables est de 274, tandis que le nombre des radionucléides actuellement connus est supérieur à 1 500. Parmi ces derniers, une cinquantaine seulement se trouvent dans la nature, les autres étant produits par transmutation (cf. chimie NUCLÉAIRE).

On peut classer les radioéléments et radionucléides naturels d’après leur origine et d’après leur masse. Selon leur origine , ils peuvent être répartis en trois groupes:

– Les radioéléments primaires , dont les périodes de désintégration sont suffisamment longues par rapport à l’âge de la Terre pour qu’ils aient pu subsister jusqu’à nos jours. Exemples: 238U (T1/2 = 4,5 憐 109 ans); 235U (T1/2 = 7,13 憐 108 ans); 232Th (T1/2 = 1,39 憐 1010 ans); 40K (T1/2 = 1,3 憐 109 ans), etc.

– Les radioéléments secondaires , de périodes plus courtes, qui n’existent dans la nature que parce qu’ils y sont formés par filiation à partir de radioéléments primaires. C’est le cas par exemple de 226Ra, de 1 622 ans de période, en filiation avec 238U, ou de 228Ac, de 6,13 h de période, descendant de 232Th.

– Les radionucléides induits , qui sont produits de manière continue par des réactions nucléaires provoquées soit par le rayonnement cosmique, soit par le rayonnement 見 émis par les radioéléments naturels ou encore par les neutrons résultant de processus de fission spontanée. Les traces de 7Be (T1/2 = 53 j) que l’on détecte dans les eaux de pluie sont ainsi formées dans l’atmosphère.

Des radioéléments artificiels ont été introduits dans l’atmosphère lors des essais nucléaires. Dans les retombées sont présents des produits de fission dont certains ont des périodes assez longues: 137Cs (T1/2 = 30 ans), 90Sr (T1/2 = 28,1 ans).

On peut aussi classer les radioéléments et radionucléides naturels d’après leur masse . Les radioéléments lourds, de nombre atomique Z compris entre 81 et 92, sont groupés en trois familles dont les substances mères sont 232Th (famille 4n ), 238U (famille 4n + 2) et 235U (famille 4n + 3). Par émissions successives 見 et 廓, ces trois radionucléides se transforment en isotopes stables du plomb: 208Pb, 206Pb et 207Pb respectivement.

Les radionucléides de masse moyenne qui se trouvent dans la nature ont tous des périodes supérieures à 108 ans et sont mélangés à des isotopes stables. Leur présence n’a été d’aucune aide pour la découverte des éléments et l’étude de leurs propriétés. Exemples: 40K, émetteur 廓 de 1,3 憐 109 ans de période. Le potassium 40, malgré sa très faible abondance isotopique (0,012 p. 100), joue un rôle important dans le régime thermique de la Terre. Le dégagement de chaleur dû à sa radioactivité est comparable à celui des éléments des trois familles radioactives. Sa contribution était relativement plus importante au début de la formation de la Terre, sa période étant plus courte que celles de l’uranium 238 et du thorium 232. L’énergie libérée suffisait à maintenir la Terre en fusion.

Parmi les radionucléides naturels légers, le tritium (3H, 1/2 = 12,3 ans) et le carbone 14 (T1/2 = 5 720 ans) sont produits dans les couches supérieures de l’atmosphère par interaction de la composante neutronique du rayonnement cosmique avec l’azote:

Le 14C est rapidement oxydé en 14C2 qui se mélange au gaz carbonique inactif présent dans l’atmosphère. Il pénètre ensuite par photosynthèse et métabolisme dans le règne végétal et animal. Par ailleurs, il s’établit un équilibre chimique avec les carbonates dissous dans les eaux naturelles. Par suite des échanges continuels de la matière vivante avec l’atmosphère, l’activité spécifique du carbone qui entre dans sa constitution est maintenue constante: environ 16 désintégrations par gramme de carbone et par minute. À la mort de l’organisme, les échanges cessent et cette activité décroît selon la période du carbone 14, d’où la possibilité de datation de l’échantillon.

Depuis la découverte de la radioactivité artificielle par Irène et Frédéric Joliot-Curie, en 1934, plus d’un millier de radionucléides artificiels ont été produits par transmutation. Ce développement a permis non seulement d’obtenir des radio-isotopes de chaque élément connu, mais aussi de synthétiser des radioéléments qui n’existent pas dans la nature ou qui sont présents seulement à l’état de traces difficilement décelables. Ce sont le technétium (Z = 43), le prométhéum (Z = 61) et les éléments transuraniens (Z 礪 92) dont tous les isotopes sont radioactifs [cf. TRANSURANIENS]. Actuellement, le système périodique s’étend jusqu’à l’élément 111. Les éléments 110 et 111 ont été découverts en 1995. Si, pour les éléments les plus lourds, on ne produit dans chaque expérience que quelques atomes, d’autres sont obtenus en quantités importantes. Ainsi le plutonium (Z = 94) est synthétisé à l’échelle de la centaine et même du millier de kilogrammes, tandis que les quantités de californium (Z = 98) isolées sont de l’ordre du gramme. La limite actuelle de production en quantité pondérable (microgramme) par irradiation neutronique du plutonium dans les réacteurs nucléaires, dont les flux peuvent, pour certains d’entre eux, atteindre et même dépasser 1015n . cm–2 . s–1, se situe vers le fermium (Z = 100).

L’existence dans la nature de certains éléments a pu être établie après qu’ils ont été découverts comme produits de synthèse: astate (Z = 85), neptunium (Z = 93), plutonium (Z = 94). Des isotopes d’astate sont formés dans des branches latérales des familles radioactives. Le 237Np et le 239Pu sont produits par réactions (n , 塚) et (n , 2n ) [cf. ISOTOPES] sur l’uranium par les neutrons résultant de la fission spontanée de ce dernier. Leur proportion dans les minerais est d’environ 10–11 à 10–12 par rapport à l’uranium. Vers 1970, l’isotope 244 du plutonium, de 8 憐 107 ans de période, a été identifié dans un minerai de terres rares du Nouveau-Mexique dont la teneur serait approximativement de 10–18 g/g.

Le neptunium 237 est la substance mère de la famille 4n + 1. L’origine de cette famille est donc très différente de celle des trois autres puisque, la période de 237Np n’étant que de 2,2 憐 106 ans, ce radionucléide a disparu en tant que radioélément primaire. Il en sera de même, lorsque l’âge de la Terre aura doublé, de la famille 4n + 3 issue de 235U, dont la période est seulement de 7,13 憐 108 ans.

Sur les 111 éléments naturels ou artificiels connus à ce jour, 30 ne possèdent pas d’isotope stable. Aussi l’étude des radio-éléments constitue-t-elle pour la chimie un domaine d’investigation important. Toutefois, elle nécessite des méthodes particulières.

Méthodologie

Quantités pondérables de matière

La manipulation de quantités pondérables d’éléments radioactifs de période relativement courte nécessite de travailler dans des enceintes blindées et en dépression: «cellules chaudes» qui assurent une protection contre les rayonnements ionisants et éventuellement les neutrons (252Cf) et qui évitent les risques d’inhalation ou d’ingestion. Des activités de cet ordre et même très supérieures se rencontrent couramment dans le traitement des produits de fission et dans les opérations de chimie préparative de composés solides de 227Ac, 242Cm, 238Pu, qui sont destinés en particulier à la confection de sources d’énergie.

À ces difficultés, liées à la radioprotection, s’en ajoutent d’autres. À des niveaux d’activité élevés, des effets secondaires chimiques ou physiques peuvent se produire sous l’influence du rayonnement. Cela impose une limite à l’emploi de certaines techniques. Ainsi des réactifs sont dégradés par le rayonnement, en particulier les composés organiques. Il faut donc utiliser des réactifs peu radiosensibles, diluer les solutions et travailler le plus rapidement possible. En outre, les produits de radiolyse des solutions aqueuses réagissent avec les solutés et peuvent provoquer des phénomènes redox . Exemples: 239Pu (VI) est réduit à l’état tétravalent de son propre rayonnement 見. Enfin, il faut éviter l’accumulation de quantités de matière fissile atteignant la masse critique, ce qui entraînerait une réaction en chaîne. La masse critique de 239Pu est de 2 à 6 kilogrammes suivant les conditions.

Quantités impondérables de matière

La nécessité d’opérer bien souvent sur des quantités de matière extrêmement faibles résulte de ce que certains radioéléments n’existent dans la nature qu’à l’état de traces (polonium, radon, francium) ou ne sont produits artificiellement qu’en très faibles quantités (astate, éléments transuraniens lointains). D’autres impératifs conduisent à choisir une échelle de concentration dite échelle des indicateurs , en particulier pour éviter des phénomènes radiolytiques et aussi des phénomènes de polymérisation en solution aqueuse. Actuellement, l’instabilité des derniers noyaux synthétisés et les faibles sections efficaces des réactions qui permettent de les produire imposent des expériences ne mettant en jeu que quelques atomes, c’est-à-dire de réaliser une chimie à l’échelle de l’atome.

Chimie à l’échelle des indicateurs

On désigne par échelle des indicateurs les quantités de matière inférieures aux quantités microchimiques, c’est-à-dire généralement inférieures à 10–7 g (face=F0019 黎 1014 atomes), ce qui correspond, pour les volumes de phases sur lesquelles on opère habituellement, à des dilutions inférieures à 10–7 M et pouvant atteindre 10–16 M et même moins. Dans ce domaine de concentration, les caractères analytiques des éléments ou des ions qui en dérivent et des entités auxquelles ils donnent naissance sont évidemment sans valeur pour leur détection. La mesure du rayonnement émis reste le seul moyen d’observation, mais les techniques modernes de détection de la radioactivité sont d’une telle sensibilité qu’elles permettent, pour certains nucléides, de déceler la désintégration d’un seul atome.

Les premières indications sur les propriétés chimiques des radioéléments ont généralement été obtenues à l’échelle des indicateurs.

Sauf dans des cas particuliers de formation de radiocolloïdes, il est impossible d’isoler un composé pur du microcomposant et, par là même, d’atteindre certaines données cristallographiques, magnétiques, électriques et diverses constantes qui ne peuvent être mesurées que sur une phase solide. Malgré cette restriction, les méthodes de la chimie à l’échelle des indicateurs permettent de résoudre les problèmes analytiques que pose la préparation de radioéléments chimiquement et radiochimiquement purs, c’est-à-dire qui ne sont souillés ni par des matières inactives en quantité décelable, ni par d’autres radioéléments en quantité impondérable. Elles fournissent en outre des renseignements qualitatifs et quantitatifs à partir desquels peut être définie la physionomie chimique des éléments qui n’ont pas d’isotope stable ou qui ont une vie assez longue pour pouvoir être étudiés à l’échelle macroscopique.

Les méthodes de la chimie à l’échelle des indicateurs sont soit des méthodes adaptées de la chimie classique , soit des méthodes spécifiques . Les premières reposent sur l’étude du partage d’un élément entre deux phases avec ou sans entraîneur, ou sur celle de sa migration sous l’action d’un potentiel chimique, électrochimique ou électrique. En effet, les équilibres pouvant s’établir au sein d’une même phase entre différentes espèces chimiques d’un même radioélément à l’échelle des indicateurs ne sont pas directement accessibles à l’expérimentateur. Cela provient de ce que la détection de la radioactivité, propriété nucléaire, ne permet pas de distinguer des entités dont les caractéristiques sont liées à la structure électronique. Il faut les séparer soit en opposant à la solution une deuxième phase, soit en appliquant un potentiel. Aussi, c’est par l’étude des variations de la distribution d’un radioélément entre deux phases que peuvent être atteintes certaines de ses propriétés thermodynamiques. Autrement dit, à l’échelle des indicateurs, une deuxième phase ou un potentiel joue le rôle des perturbations extérieures nécessaires à la connaissance d’un système.

L’addition d’un entraîneur est indispensable pour précipiter un radioélément en solution extrêmement diluée. Le radioélément et son entraîneur ont le plus souvent des propriétés semblables. Outre son intérêt pratique d’ordre analytique, l’étude du partage d’un microcomposant entre une solution et un précipité fournit des renseignements sur les propriétés du microcomposant et permet notamment de conclure s’il est isomorphe du macrocomposant.

Les méthodes applicables sans entraîneur sont variées: extraction par solvant, échange sur résine, chromatographie de partage, dépôt spontané, électrolyse, polarographie radiochimique, etc. Elles conduisent à l’obtention de données thermodynamiques caractéristiques des entités impliquées dans les équilibres. En particulier, l’extraction par solvant d’un radioélément à l’état de chélate est une méthode d’investigation extrêmement intéressante pour connaître la nature des espèces en solution et étudier leur hydrolyse, leur polymérisation et leur complexation.

L’expérience montre que, tant que les phénomènes se produisent en l’absence de phase solide, le comportement de la matière en solution extrêmement diluée reste gouverné par les lois physico-chimiques établies à l’échelle macroscopique. En revanche, en présence d’une phase solide, des effets de surface peuvent perturber les équilibres de partage dont l’interprétation doit être conduite avec prudence.

Les méthodes mettant en jeu un champ électrique (électromigration et électrophorèse) donnent généralement des indications précieuses sur la charge des entités présentes dans la phase étudiée.

Toutes les méthodes dont il vient d’être fait mention ne sont applicables pour les études fondamentales qu’à des radioéléments dont la période est de l’ordre de la minute ou supérieure à celle-ci, mais elles permettent de réaliser des séparations d’éléments de durées de vie bien plus brèves.

Les méthodes de séparation par recul sont spécifiques à la radiochimie. Un atome produit par filiation ou par réaction nucléaire peut avoir une énergie de recul suffisante pour être arraché du support sur lequel se trouvait la substance mère ou l’élément irradié. L’exemple de la première identification du nobélium par son descendant, le fermium, est significatif: ainsi, les atomes 252No, produits par la réaction 246Cm (12C, 4 n ) 254No (T1/2 = 65 s), sont recueillis sur un ruban mobile qui se déroule rapidement devant la cible de curium. À leur tour, les atomes de 250Fm (T1/2 = 30 min), formés par désintégration de 252No, sont collectés à la suite d’un deuxième recul. La période de 250Fm étant supérieure à celle de 254No, il est plus facile de l’identifier.

Le recul en phase homogène d’un isotope radioactif de l’élément cible formé par exemple par réaction (n , 塚) peut entraîner la rupture de la liaison chimique qui le maintenait au reste de la molécule, ce qui permet alors sa séparation chimique d’avec l’isotope inactif (effet Szilard et Chalmers).

Il convient de signaler, pour terminer, que la chimie à l’échelle des indicateurs se différencie de l’ultramicrochimie, laquelle consiste à adapter les techniques de manipulation pour permettre l’observation directe de propriétés physico-chimiques sur des quantités de matière de l’ordre du microgramme ou inférieures à celui-ci. En utilisant des volumes de solution très faibles, jusqu’au centième de centimètre cube, on peut obtenir des solutions aussi concentrées qu’en chimie usuelle (10–4 à 10–5 M). La structure de 249Bk2 a été déterminée par diffraction des rayons X sur 0,02 猪g et la susceptibilité magnétique de 253Es sur 0,01 猪g. Les spectres d’absorption de Bk (III) et Bk (IV) ont été mesurés à partir de 35 microgrammes de 249Bk contenus dans une goutte de solution. La première synthèse de plutonium métallique (1943), aujourd’hui produit par tonnes, a porté sur la réduction de 35 microgrammes de Pu4 réduit par du baryum et a fourni des globules de 3 microgrammes.

Chimie à l’échelle de l’atome

La chimie à l’échelle de l’atome limite l’utilisation des méthodes valables à l’échelle des indicateurs à celles qui sont les plus rapides. Cet impératif est dicté par les courtes périodes des éléments qui ne peuvent être étudiés que dans ces conditions: éléments 102 à 105.

Deux sortes d’expériences peuvent être tentées: celles qui mettent en jeu un seul équilibre entre deux phases et celles qui sont fondées sur l’établissement d’un grand nombre d’équilibres consécutifs entre les deux phases. Les premières doivent être répétées de nombreuses fois pour atteindre la probabilité de présence de l’atome dans l’une ou l’autre phase. Pour établir l’existence des formes ioniques No2+ et Lr3+ du nobélium et du lawrencium en milieu aqueux, pas moins de deux cents expériences d’extraction par solvant à l’état de chélate de ces éléments ont été nécessaires. Les expériences de partage entre deux phases, réalisées en régime dynamique (chromatographie sur résine, chromatographie en phase gazeuse), qui sont du deuxième type, conduisent en une seule manipulation à un résultat significatif puisque celui-ci est en lui-même un résultat statistique. Elles sont donc particulièrement bien adaptées à la chimie à l’échelle de l’atome. Ainsi, l’élution chromatographique de quelques atomes de l’élément 104 conduit toujours à recueillir ces derniers dans la fraction d’éluat qui est caractéristique des éléments tétravalents, hafnium et zirconium.

Principales étapes de la radiochimie

En 1898, Pierre et Marie Curie découvrirent le polonium et le radium dans la pechblende en procédant selon une méthode d’analyse qui est restée à la base de la radiochimie [cf. RADIUM]. La seule propriété connue et accessible des éléments qu’ils recherchaient étant leur radioactivité, ils effectuaient des fractionnements chimiques sur le minerai et mesuraient l’activité de chacune des fractions obtenues. Cette nouvelle science connut un rapide développement en France et à l’étranger avec les travaux de Pierre et Marie Curie, André Debierne leur collaborateur, Friedrich Giesel, Ernest Rutherford, Otto Hahn, Frederick Soddy, Kasimir Fajans, György Hevesy, Friedrich Paneth, pour ne citer que les noms les plus illustres. Pendant les quinze années qui suivirent la découverte de la radioactivité, les radiochimistes identifièrent dans les minerais d’uranium et de thorium plus d’une quarantaine de radionucléides caractérisés par leur période de désintégration et leur rayonnement. L’introduction de ces radionucléides dans le système périodique a posé un difficile problème qui a conduit à la notion d’isotopie [cf. ISOTOPES]. Il ne restait en effet que sept cases inoccupées à la fin du système périodique entre le bismuth et l’uranium. Mais l’étude chimique des radionucléides qui venaient d’être isolés montra que certains manifestaient des propriétés extrêmement voisines de celles d’éléments déjà connus: Tl, Pb, Bi, Th, U, voire identiques. Par ailleurs, l’inséparabilité de divers radionucléides entre eux fut aussi constatée. Cela amena Soddy à conclure, en 1912, que les radionucléides inséparables étaient chimiquement identiques, et il leur assigna la même place dans la classification périodique, d’où le nom d’isotope qui fut donné aux différentes variétés d’un même élément chimique. La notion fondamentale d’isotopie acquise par l’étude des radioéléments naturels a été rapidement étendue aux éléments stables, grâce en particulier aux travaux de Joseph John Thomson et de Francis William Aston. Elle a été confirmée par la loi de Moseley , établie en 1913, qui limite définitivement le nombre des éléments entre l’hydrogène et l’uranium.

Jusqu’à la découverte de la radioactivité artificielle, en 1934, par Irène et Frédéric Joliot-Curie, les recherches furent limitées à l’étude des substances radioactives naturelles. Cette période fut néanmoins très féconde. La théorie des transformations radioactives , formulée en 1910 par Rutherford et Soddy, et la loi des déplacements radioactifs , énoncée par Soddy et Fajans quelques années plus tard, ont permis de préciser les filiations entre les radionucléides identifiés dans les minerais d’uranium et de thorium, de les classer par familles radioactives et par groupes d’isotopes. Ces travaux ont conduit à la découverte de cinq éléments: le polonium, le radon, le radium, l’actinium et le protactinium.

Après la découverte de la radioactivité artificielle, le nombre des isotopes radioactifs synthétiques augmenta très rapidement, et le domaine de la radiochimie se trouva considérablement élargi. En particulier, le champ d’application de la méthode des indicateurs radioactifs, dont le principe avait été établi pendant la première décennie de ce siècle par Hevesy et Paneth, qui utilisèrent tout d’abord le RaD (210Pb) comme traceur du plomb, put être étendu pratiquement à tous les éléments. Cette méthode est maintenant employée dans différents secteurs de recherche scientifique et technique [cf. RADIOÉLÉMENTS ET RAYONNEMENTS IONISANTS]. C’est également pendant la période qui précéda la Seconde Guerre mondiale que fut découvert et étudié par Carlo Perrier et Emilio Segrè le premier élément produit artificiellement, le technétium, tandis que Marguerite Perey identifiait le premier isotope de francium (Z = 87) dans les produits de filiation de l’actinium. Par ailleurs, les recherches sur les produits résultant de l’action des neutrons lents sur l’uranium, commencées par Enrico Fermi et ses collaborateurs, en 1934, aboutirent, après de nombreux travaux de radiochimie développés notamment par Irène Curie et Paul Savitch en France, Otto Hahn et Fritz Strassmann en Allemagne, à la découverte du phénomène de fission, en 1939.

À cette découverte d’une extrême importance est liée celle du premier élément transuranien, le neptunium (1940), par Edwin Mattison McMillan et Philip Hauge Abelson, qui marqua une nouvelle étape dans le développement de la radiochimie, parallèle à celui de la chimie nucléaire déterminé par la construction de réacteurs à haut flux et d’accélérateurs de particules de plus en plus lourdes. Les cases 61 (prométhéum) et 85 (astate) de la classification périodique furent remplies à la suite de travaux qui sont dus respectivement aux équipes de Charles D. Coryell et de Segrè. Mais c’est surtout la connaissance des éléments transuraniens produits par Glenn T. Seaborg et ses collaborateurs à Berkeley (États-Unis) et par Georgii N. Flérov et ses collaborateurs à Dubna (U.R.S.S.) qui constitue un apport considérable à la chimie minérale, tant les propriétés de ces nouveaux éléments sont originales et variées. Leur étude est à l’origine du développement de méthodes radiochimiques.

radiochimie [ radjoʃimi ] n. f.
• 1905; de radio- et chimie
Sc. Partie de la chimie traitant des atomes radioactifs.

radiochimie nom féminin Étude des propriétés physico-chimiques des radioéléments et des aspects chimiques des transmutations et des réactions nucléaires.

⇒RADIOCHIMIE, subst. fém.
CHIMIE
A. — Étude des réactions chimiques produites par des radiations ionisantes, par les rayonnements en général. On peut utiliser avec profit en radiochimie les déchets radio-actifs fournis par les piles atomiques. Ce sont surtout les rayons bêta et gamma qui se révèlent efficaces; ils jouent souvent le rôle d'initiateurs dans des réactions en chaîne (Lar. encyclop. Suppl. 1968).
B. — Chimie des substances radioactives. La chimie des radioéléments ou radiochimie, jointe à l'étude des transformations radioactives est la Science de la structure des atomes et de leurs relations génétiques (Radium, 1919, p. 246). En utilisant les méthodes de la radiochimie, Fermi et ses collaborateurs purent séparer, en quelques mois, un grand nombre de radioéléments légers et lourds (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 349):
La radiochimie. 5 méthodes d'étude. Adsorption, entraînement, cristallisation, distillation, solubilité. — Examinons maintenant quelle est la source de nos renseignements sur la nature chimique des éléments radioactifs, et comment on a pu établir qu'à une position analogue dans la série des transformations radioactives correspond une analogie de propriétés chimiques.
Mme P. CURIE, Isotopie, 1924, p. 19.
Rem. 1. DUVAL 1959 note qu'en ce sens ,,on dit plutôt chimie des radiations``. 2. Nucl. 1964 constate ,,ce terme est parfois improprement appliqué à la branche de la chimie étudiant les propriétés chimiques des corps radioactifs``.
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1906 (J. Chim. Phys., p. 193). Comp. de radio-1 et de chimie. Cf. l'angl. radiochemistry, de même sens, att. dep. 1904 ds NED Suppl.2
DÉR. Radiochimique, adj. a) [Corresp. à supra A] Qui se rapporte à la radiochimie, qui emploie la radiochimie. Des mesures de sections efficaces par diverses méthodes radiochimiques, on est allé à l'étude des distributions angulaires (sections efficaces différentielles) au moyen de divers détecteurs, notamment de télescopes, de scintillateurs et d'analyseurs magnétiques (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 368). b) [Corresp. à supra B] Qui est relatif à la radiochimie, à l'aspect chimique considéré sous l'angle de la radioactivité. Dans l'histoire des éléments fortement radioactifs, par exemple celle de l'uranium, nous observons des processus chimiques réversibles pour ses combinaisons et des processus irréversibles radiochimiques pour ses atomes (VERNADSKY, Géochim., 1924, p. 21). []. 1re attest. 1923 (J. Phys. et Radium, p. 252D); de radiochimie, suff. -ique, cf. l'angl. radiochemical, de même sens, att. dep. 1915 ds NED Suppl.2

radiochimie [ʀadjoʃimi] n. f.
ÉTYM. 1913, in Rev. gén. des sc.; de 1. radio-, et chimie.
Sc. Étude des réactions chimiques produites par les radiations ionisantes ou sous leur influence.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
DÉR. Radiochimique.

Encyclopédie Universelle. 2012.