RÉGENCE
RÉGENCE
Régime établi pendant la minorité de Louis XV (1715-1723) et dans une période de réaction contre le Grand Siècle, le Conseil de régence est dominé par trois hommes: le régent Philippe d’Orléans, le banquier Law et l’abbé Guillaume Dubois. Louis XIV avait réglé dans son testament l’organisation du Conseil de régence de son arrière-petit-fils âgé de cinq ans. Il devait comprendre les princes légitimes: le duc du Maine et le comte de Toulouse aux côtés du duc d’Orléans. Ce dernier fait casser le testament par le parlement de Paris qui l’autorise, contre l’octroi du droit de remontrance, à composer le Conseil de son gré. Philippe d’Orléans veut s’assurer la succession en cas de mort du jeune roi, d’où sa politique à l’égard des parlements, de l’Église, des puissances étrangères. Inspiré par l’opposition aristocratique de la fin du règne de Louis XIV, il inaugure le système de gouvernement par conseils: la polysynodie. Il a vite conscience de l’affaiblissement de son autorité et revient, sur les conseils du garde des Sceaux, Voyer d’Argenson, à une politique de fermeté envers les parlements et les jansénistes. La situation financière catastrophique, léguée par le règne précédent, l’engage à accueillir favorablement les vues audacieuses de l’Écossais John Law. Il se prête à l’expérimentation du système en 1718. Le succès de la banque et des sociétés par actions bouleverse les habitudes et l’économie du pays. Law, converti au catholicisme, est nommé, au sommet de sa carrière, contrôleur général des Finances. Il ne gère pas seulement les finances de l’État, mais accapare aussi le commerce et la mise en valeur des colonies. La hausse des actions et l’inflation des billets, la modicité des dividendes provoquent la panique et l’effondrement du système en 1720. Cette expérience suscite, à son apogée, une frénésie de spéculation et d’agiotage. Nobles, roturiers, laquais, Parisiens, provinciaux se pressaient à la banque, rue Quincampoix. Au temps de la panique, le mouvement dégénéra en véritable émeute permanente avec morts et blessés. Des fortunes se constituent ou s’effondrent en quelques heures. Les plus avisés purent emporter jusqu’à plusieurs millions or en réalisant leurs actions. Cette expérience créa un appétit de jouissance et contribua au relâchement des mœurs, voire à une vague de criminalité (Cartouche, comte de Hornes). Certains, comme le marquis de Mirabeau, en gardèrent la haine de l’argent et le mépris des affaires. L’échec de Law a reculé l’entrée du crédit dans les mœurs et provoqué la défiance pour le papier-monnaie. Toutefois, le système suscite un boom économique. La mobilité de la richesse favorise l’écoulement des produits, la hausse des prix enrichit les producteurs, l’agiotage stimule les goûts somptuaires et le mécénat. La création des compagnies de commerce ranime l’économie et favorise le développement des ports de l’Atlantique. La Nouvelle-Orléans est fondée en 1718. Le Régent, sous l’influence du cardinal Dubois, tente une diplomatie audacieuse; ancien précepteur de Philippe d’Orléans, archevêque de Cambrai en 1720, cardinal en 1721, Premier ministre en 1722, Dubois rompt la Triplice de Louis XIV: Versailles, Vienne, Madrid liguées contre l’Angleterre. Ami du ministre anglais Stanhope, il négocie l’alliance de La Haye en 1717. Les menées espagnoles contre le Régent déclenchent quelques arrestations spectaculaires (notamment celle de l’ex-ambassadeur Cellamare); après une petite guerre démonstrative, Philippe V, désabusé, traite avec l’habile Dubois. La Régence n’est pas seulement cette période de luxe et de débauche dont a profité l’entourage du Régent, elle correspond à un style nouveau de vie et de décor. Dans les salons parisiens, la marquise de Lambert inaugure ses réunions philosophiques, le duc de Sully réunit Fontenelle, spirituel vulgarisateur scientifique, la savante helléniste Mme Dacier, Voltaire, le président Montesquieu. Partout, on cherche moins la grandeur que le charme et la fantaisie. Dans le costume, l’architecture, le mobilier, la décoration est reine, le style «rocaille» fleurit. Watteau, peintre des fêtes galantes, créateur de rêve et d’irréel, symbolise cette époque. 1720 marque la fin de la Régence: Philippe d’Orléans et Dubois reviennent aux traditions. La cour quitte le Palais-Royal pour Versailles. C’est le gouvernement effectif de Pâris-Duverney, une nouvelle déclaration impose la bulle Unigenitus . Louis XV, sacré à Reims au mois d’octobre 1722, est déclaré majeur en février 1723.
régence [ reʒɑ̃s ] n. f.
• 1549; « gouvernement » 1403; de régent
1 ♦ Gouvernement d'une monarchie par un régent. Exercer la régence pendant la minorité du roi. Conseil de régence.
♢ Fonction, dignité de régent; durée de cette fonction. La régence d'Anne d'Autriche.
2 ♦ Absolt (1732) La Régence : régence du duc d'Orléans (1715-1723), en France après la mort de Louis XIV. Les mœurs de la Régence.
3 ♦ (commode à la Régence 1768) Appos. Qui appartient à l'époque de la Régence ou en rappelle le style souple et gracieux. Les « amours joufflus d'un vaste lit Régence » (Maurois).
♢ Qui appartient à l'époque de la régence de George, prince de Galles (1810-1820), en Angleterre, ou en rappelle le style très simple et élégant (on dit aussi Régence anglaise,REGENCY [ reʒɛnsi ] ). Table, bibliothèques Régence.
4 ♦ Adj. inv. Vieilli Qui a des manières élégantes et courtoises rappelant celles de l'Ancien Régime (cf. Vieille France). Ils sont un peu régence. « Tout à fait régence, Mamouchka » (Aymé).
● régence nom féminin (de régent) Gouvernement d'une monarchie établi pendant la minorité, l'absence ou l'incapacité du souverain. Fonction du régent ; durée de cette fonction. (En France, la régence, en cas de minorité, durait jusqu'à ce que le roi ait atteint sa quatorzième année.) Synonyme de Protectorat (avec une majuscule). ● régence adjectif invariable Qui se rapporte à l'époque, au style, aux mœurs de la Régence (avec une majuscule) : Un fauteuil Régence.
Régence
(la) la période de l'histoire de France pendant laquelle, après la mort de Louis XIV (1715), son neveu Philippe d'Orléans fut régent du royaume jusqu'à la majorité de Louis XV, à 13 ans, en 1723. La réaction contre le siècle précédent fut complète: libération des moeurs, alliance avec l'Angleterre et les Provinces-Unies contre l'Espagne, etc.
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Régence
n. f.
d1./d Direction d'un état par un régent. Conseil de régence.
|| Dignité, fonction de régent; durée de cette fonction.
d2./d (En appos.) Qui appartient à l'époque de la Régence. Style Régence.
d3./d (Luxembourg) Fonction exercée par un professeur principal. (V. régent, sens 3.) Il a été chargé d'une régence.
⇒RÉGENCE, subst. fém. et adj. inv.
I. — Subst. fém.
A. — 1. Gouvernement d'un état monarchique exercé par un régent. Sous l'administration de Colbert, la France sortit de la misère où l'avaient plongée deux régences et un mauvais règne (SAY, Écon. pol., 1832, p. 66). P. métaph. Le voici maintenant dedans votre régence. Vous êtes reine et mère et saurez le montrer. C'était un être pur. Vous le ferez rentrer Dans votre patronage et dans votre indulgence (PÉGUY, Tapisserie N.-D., 1913, p. 685).
♦ Être en régence. Le gouvernement aristocratique est une monarchie dont le trône est vacant. La souveraineté y est en régence (J. DE MAISTRE, Souveraineté, 1821, p. 452).
2. Dignité donnant pouvoir et autorité d'exercer la régence; fonction de régent. Refuser la régence du royaume. Renaud de Châtillon (...) ne s'était pas associé à la démarche des grands vassaux qui avaient arraché la régence à Guy de Lusignan (GROUSSET, Croisades, 1939, p. 228).
— P. méton.
♦ Ensemble des personnes constituant le gouvernement. Les ministres, les membres de la régence, les frères de Napoléon, sa femme et son fils, arrivèrent pêle-mêle à Blois emportés dans la débâcle (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 499).
♦ Temps durant lequel est exercée la régence. Je croirais volontiers (...) que depuis la régence d'Anne d'Autriche, jusque vers le milieu du second empire (...) Paris (...) a moins changé (A. FRANCE, Vie fleur, 1922, pp. 321-322).
— Absol., HIST. La Régence
♦ En France, régence exercée à la mort de Louis XIV par son neveu Philippe II d'Orléans de 1715 à 1723. L'aïeule tournait son rouet. Elle portait une coiffe et un bavolet de dentelle du temps de la régence (A. FRANCE, Dieux ont soif, 1912, p. 133):
• La Régence fut une réaction contre la piété, les confesseurs, les jésuites, et le duc d'Orléans, homme d'ailleurs agréable et généreux, devint l'idole d'une grande partie du public...
BAINVILLE, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 268.
♦ En Angleterre, régence exercée par le Prince Régent de 1811 à 1820 (on dit également régence anglaise). La marche de Londres vers l'ouest (...) du Londres de la Régence vers Hyde Park, du Londres de la reine Victoria vers Kensington, s'est maintenant infléchie vers le sud (MORAND, Londres, 1933, p. 70).
B. — HISTOIRE
1. Conseil exerçant le gouvernement de certaines villes d'Allemagne, de Belgique et de Hollande. La régence d'Amsterdam; la régence de Kiel (Ac. 1835, 1878). Mon permis de la police de Bruxelles n'a pas été vu par la régence de cette ville. Le bourgmestre se charge de me l'envoyer à Breda (MICHELET, Journal, 1837, p. 228).
2. Gouvernement de petits états musulmans de la côte d'Afrique du bassin méditerranéen, exercé par délégation du sultan de Constantinople jusqu'au XIXe siècle. Régences barbaresques. Le projet de la France est d'empêcher que la Turquie ne reprenne son ascendant sur les régences, parce que, de là, elle pourrait menacer la colonie d'Alger (BALZAC, Œuvres div., t. 3, 1836, p. 114). Le colonel Pelissier, ancien colonel de Sousse, a publié un tas de choses sur la régence de Tunis (FLAUB., Corresp., 1857, p. 226).
— P. méton. Territoire administré par cette régence. Un jour je partis pour Benghazi, dans la régence de Tripoli (DU CAMP, Nil, 1854, p. 205). La souveraineté dans l'empire du Maroc et dans la régence de Tunis se confond avec leurs souverains (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 223).
C. — Vieilli. ,,Exercice des fonctions de régent dans un collège`` (Ac. 1835, 1878).
D. — Région. (Normandie). Pain à café. (Ds LITTRÉ, GUÉRIN 1892). Elle prit une aile de poulet et, délicatement, se mit à la manger avec un de ces petits pains qu'on appelle « régence » en Normandie (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 125).
II. — Adj. inv. ou en appos. Qui appartient à l'époque de la Régence de Philippe d'Orléans ou la rappelle.
A. — Dans le domaine de l'art, de la décor. Qui appartient au style de transition entre Louis XIV et Louis XV. À sa mort je suis restée avec une salle à manger Renaissance, trois fauteuils Régence qu'on avait toujours crus vrais, et qui étaient faux (ANOUILH, Répét., 1950, II, p. 57). Elle (...) prit place tout à côté d'elle sur un grand canapé Régence en soie gorge-de-pigeon (GREEN, Malfaiteur, 1955, p. 209).
— Empl. subst. masc. Le style régence. Un tout jeune homme dans un cadre baroque, à la limite du régence et du modern-style (ARAGON, Beaux quart., 1936, p. 141).
B. — Dans le domaine de la morale. Digne des mœurs galantes des Roués ou de la cour du Régent; d'une grande liberté de mœurs. Mais cette profession d'athéisme et de royalisme lui paraissait témoigner d'une grande liberté d'esprit; il se trouvait très régence (AYMÉ, Brûlebois, 1926, p. 23). Cet homme m'intriguait (...) son air régence, son air éveillé de flâneur des rues de Paris à la manière du Neveu de Rameau, son air vicieux, l'œil à l'affût (...) oui, j'avais déjà dû rencontrer cet oiseau (CENDRARS, Main coupée, 1946, p. 277).
C. — Vieilli. [En parlant d'une pers., de son comportement] Qui est distingué; qui a des manières raffinées, un peu surannées, rappelant celles de l'Ancien Régime. L'habit noir de Rodolphe allait au-devant des dames et leur baisait la main avec une grâce toute régence (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 75). La langue japonaise ne possède pas un seul mot injurieux et, dans le monde des marchandes de poissons ou des portefaix, les formules les plus régence sont d'usage (LOTI, Exilée, 1893, p. 258).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: re-; 1740: ré-. Étymol. et Hist. 1. a) 1403 « gouvernement d'un État pendant la minorité ou l'absence du souverain » (Ordonnance Charles VI ds ISAMBERT, Rec. gén. des anc. lois fr., t. 7, p. 54); b) 1687 « pouvoir et autorité de celui ou de celle qui gouverne pendant la minorité ou l'absence du souverain » (BOSSUET, Oraisons funèbres, Prince de Condé, éd. J. Truchet, p. 376); c) 1694 « période pendant laquelle un état est ainsi gouverné » (Ac.); 2. 1466 « exercice du droit d'enseigner dans une université » (P. MICHAULT, Doctrinal, XXXIX, éd. Th. Walton, p. 107, l. 12); 3. a) [2e moit. XVIIe s. « gouvernemnt municipal dans certains pays d'Europe » (Mme DE SÉVIGNÉ d'apr. FEW t. 10, p. 205a)] 1752 « gouvernement local » (Trév. Suppl.: Régence, s. f. se dit aussi en quelques villes ou Républiques, du corps des Officiers ou Magistrats qui en ont l'administration. Les trois Régences de Barbarie, sont Alger, Tunis et Tripoli. On dit aussi la Régence de Kiel); b) 1773 « pays ou principauté arabe administré par un tel gouvernement local par délégation du pouvoir ottoman » (BERN. DE ST-P., Voyage, p. 89); 4. a) 1740 la Régence absol. « période de la régence du Duc d'Orléans pendant la minorité de Louis XV » (VARENNE, Mém. du Chevalier de Ravanne, Liège, 1740, t. 1, p. 118); b) 1838 en appos. ou attribut « qui est caractéristique de cette période » (BALZAC, Mais. Nucingen, p. 629); 5. 1856 norm. « petit pain au levain de bière » (DUBOIS, Gloss. du pat. norm.). Formé sur régent; suff. -ance, -ence. Au sens 2 d'apr. le lat. médiév. regentia utilisé en concurrence avec regimen dans les universités (v. O. WEIJERS, Terminol. des universités au XIIIe s., Rome, 1987, pp. 293-299). Sens 5 prob. de 4, sans témoignage permettant de le préciser. Fréq. abs. littér.:323. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 742, b) 412; XXe s.: a) 155, b) 425. Bbg. QUEM. DDL t. 14.
régence [ʀeʒɑ̃s] n. f. et adj.
ÉTYM. 1403, « gouvernement »; de régent.
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b (1549). Gouvernement d'une monarchie par un régent. ⇒ Régent. || Exercer la régence pendant la minorité du roi. || Conseil de régence (→ Comité, cit. 1). — Fonction, dignité de régent, durée de cette fonction. || La régence d'Anne d'Autriche. || Pendant sa régence (→ Indiscipline, cit. 3).
1 Il laissa la Régence du Royaume à la Reine sa mère, et lui recommanda fort sa femme et ses enfants : il devait être à la guerre tout l'été (…)
Ch. Perrault, Contes, « La belle au bois dormant ».
2 Absolt (avec une majuscule). || La Régence : la régence du duc d'Orléans (1715-1723), en France, après la mort de Louis XIV, époque célèbre par ses plaisirs raffinés et son libertinage. || Les roués de la Régence.
2 Ce qu'on faisait la nuit, dans des échappées hypocrites de Versailles à Paris, aux orgies effrénées des petites maisons, on le fait en plein jour, chez soi. Le scandale, le bruit, l'ostentation et la fatuité du vice, souvent bien plus que le vice même, c'est la Régence (…) Au total, les mœurs valaient mieux sous cette Régence que sous les deux régences du XVIIe siècle.
Michelet, Hist. de France, t. XVII, III.
3 (1768, commode à la Régence). Arts décor. a Appos. Qui appartient à l'époque de la Régence ou en rappelle le style. || Le style Régence « conserve… l'équilibre et la majesté de l'âge précédent; mais il s'en distingue par plus de liberté et de souplesse » (Réau). → aussi Ligne, cit. 14. || Amours joufflus (cit. 2) d'un lit Régence.
b Appos. Qui appartient à l'époque de la régence de George, prince de Galles (1810-1820), en Angleterre, ou en rappelle le style. || Table, bibliothèques Régence. — On dit aussi Régence anglaise, ou Regency [ʀeʒɛnsi] (1960, in Höfler), pour éviter toute confusion.
4 Adj. (1841). Fig., fam. (vx). « Digne des roueries galantes de la cour du Régent » (Littré). — (XXe). Mod. Se dit d'une personne qui a une politesse raffinée, des manières élégantes rappelant celles de l'Ancien Régime. || Il est un peu régence.
2.1 Tout à fait régence, mamouchka, avec un je ne sais quoi d'un peu sec, d'un peu gourmé, très dans la note anglaise.
M. Aymé, Travelingue, p. 192.
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II
1 (Fin XVIIe). S'est dit de l'administration municipale de certaines villes d'Europe. || La régence d'Amsterdam.
2 (1835). Hist. Nom des trois petits États musulmans d'Afrique qui dépendaient du sultan de Turquie, avant la colonisation (Tunis, Alger, Tripoli). || Les régences barbaresques. || La régence d'Alger; la Régence.
3 (…) en dehors de la clause qui prévoyait l'intervention de la France dans les affaires financières de la Régence (…) le traité du Bardo ne concernait que la souveraineté extérieure de la Tunisie dont il était fait abandon partiel à la France.
André Raymond, la Tunisie, p. 31.
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III Anciennt. Fonction d'un régent de collège.
Encyclopédie Universelle. 2012.