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SPIN
SPIN

On appelle «spin» le moment angulaire ou cinétique intrinsèque des particules quantiques ou quantons. Ce terme anglais évoque le mouvement de rotation propre que peuvent posséder les objets physiques, telles les planètes ou les balles de tennis, qui tournent sur eux-mêmes tout en décrivant leurs trajectoires. Il est caractérisé par une grandeur physique adéquate, appelée le moment angulaire intrinsèque; celle-ci a un double rôle: d’une part, elle caractérise un mouvement propre de l’objet, un «degré de liberté» autonome; d’autre part, elle entre dans l’évaluation du moment angulaire total du système physique dont fait partie l’objet considéré, moment angulaire total qui obéit à l’une de ces importantes et précieuses lois de conservation cinématiques gouvernant tout phénomène physique. Cette loi de conservation du moment angulaire est intimement associée à l’invariance des lois physiques par rotation.

Dans le cadre de la théorie quantique, l’idée géométrique et mécanique de mouvement de rotation propre perd sa signification intuitive, mais la notion de moment angulaire intrinsèque garde sa validité et son double rôle.

Le spin est donc un moment angulaire quantique, et, comme tel, il est soumis aux règles spécifiques qui régissent cette grandeur par suite de l’incompatibilité (non-commutativité) de ses composantes. Ainsi, le module du vecteur spin, c’est-à-dire sa longueur, prend-elle une valeur s (s + 1) 寮, où 寮 est la constante quantique (face=F0019 寮 = h /2 神, où h est la constante de Planck) et s est un nombre entier (0, 1, 2, ...) ou demi-entier (1/2, 3/2, ...); on dira alors couramment par abus de langage que le spin «vaut s ». L’incompatibilité des composantes ne permet ensuite d’en spécifier qu’une à la fois. Les valeurs possibles de celle-ci sont quantifiées, discrètes, et de la forme m 寮, où m est l’une des (2s + 1) valeurs 漣 s , 漣 s + 1, ..., s 漣 1, s . On peut dire qu’un spin s est susceptible de prendre (2s + 1) «orientations» possibles – en comprenant bien que ce mot ne se réfère ici qu’à la projection du vecteur spin sur un seul axe. La valeur m de la projection (en unité 寮) est entière ou demi-entière comme s , et la multiplicité des orientations (soit 2s + 1) est impaire ou paire selon le cas. Ainsi, l’électron, de spin 1/2, est-il susceptible de posséder deux états de spin.

Il existe une profonde relation entre le caractère entier et demi-entier du spin d’un quanton et le comportement collectif d’un ensemble de tels quantons identiques. C’est ce qu’on appelle, un peu abusivement, la «connexion spin-statistique»: les quantons de spin entier sont des bosons et les quantons de spin demi-entier sont des fermions. Par là, le spin, grandeur quantique d’échelle microphysique de l’ordre de 寮 力 10-34 S I, a un effet majeur sur le monde macroscopique. Outre ces effets, de nature essentiellement cinématique, indépendants des interactions mises en jeu, le spin intervient également dans la dynamique des processus quantiques. Propriété structurale des quantons, il conditionne les mécanismes de leurs couplages interactifs. Le cas le plus simple, et d’une grande importance, est celui des interactions électromagnétiques. Les quantons soumis à ces interactions possèdent un moment magnétique colinéaire à leur spin, ce qui donne à ce dernier un rôle dynamique crucial dans les phénomènes électromagnétiques, par exemple l’effet d’un champ magnétique sur les spectres atomiques – effet Zeeman – ou sur le mouvement d’un jet atomique – expérience de Stern-Gerlach.

1. La découverte du spin

Historiquement, la notion de spin a d’abord été introduite pour les électrons, par George Eugene Uhlenbeck et Samuel Abraham Goudsmit en 1925, pour rendre compte de propriétés particulières des spectres atomiques, notamment les dédoublements de raies. Wolfgang Pauli dégagea cette idée de ses représentations physiques initiales trop classiques, et donna la formulation algébrique spécifique de la théorie quantique du spin pour le cas le plus simple, celui de l’électron. Paul Dirac montra ensuite, en 1928, comment écrire, pour l’électron toujours, une équation d’onde qui décrive correctement le spin, tout en respectant les contraintes de la relativité einsteinienne. Eugene Paul Wigner, en 1939, donna enfin au spin sa caractérisation intrinsèque par l’analyse générale de l’invariance relativiste en théorie quantique. Pauli, en 1940, proposa la première démonstration de la connexion spin-statistique, dans le cadre de la théorie quantique des champs.

2. Spin et rotations

Commençons par insister sur le fait que le spin d’un quanton doit être dégagé des représentations cinématiques classiques, et ne saurait être conçu comme lié à un mouvement de rotation propre au sens usuel du terme. D’ailleurs, il est clair qu’un corps de masse m et de rayon caractéristique R , puisque les vitesses linéaires sont bornées par la vitesse limite c , ne saurait prendre un moment angulaire intrinsèque supérieur à J maxmRc . En inversant ce raisonnement, on voit que l’existence d’un spin S de l’ordre de 寮 conduirait à attribuer à un quanton un rayon au moins égal à R 力 寮/mc , comparable à sa longueur Compton. Le cas de l’électron, pour lequel 力 3.10-13 m, alors que l’électron n’a certainement pas de structure dynamique à une échelle supérieure à 10-18 m, montre bien la nécessité de concevoir la notion de spin, et celle de rayon, en des termes spécifiquement quantiques, nécessairement plus abstraits.

La théorie quantique opère la synthèse des concepts qui, classiquement, sont liés d’une part à la physique des particules (par la mécanique) et d’autre part à celle des ondes (par la théorie des champs). À tout groupe de transformations géométriques (translations, rotations, etc.) laissant invariantes les lois physiques correspond une loi de conservation. La théorie quantique identifie alors, par l’entremise de la constante quantique 寮, la grandeur conservée selon le concept mécanique et la périodicité d’un phénomène harmonique selon le concept ondulatoire. S’introduisent ainsi, en conséquence de l’invariance par translation de temps et d’espace respectivement, les relations suivantes (avec E : énergie et p : quantité de mouvement):

= 2 神/T et k = 2 神/ sont des taux d’harmonicité correspondant aux périodes temporelle T et spatiale , qui est la longueur d’onde. On écrit aussi traditionnellement (cf. mécanique QUANTIQUE) E = h 益 et p = h / .

De même, l’invariance par rotation spatiale implique tout naturellement la relation analogue pour une composante J du moment angulaire J = 寮m , où m = 2 神/ est un taux d’harmonicité angulaire lié à la période angulaire . Une telle période angulaire est a priori un sous-multiple de 2 神, de sorte que 2 神/ , soit m , est un nombre entier. On comprend ainsi la quantification des composantes du moment angulaire, en unité 寮. Cependant, contrairement à l’intuition immédiate, c’est un double tour, et non un simple, qui dans les conditions les plus générales est requis pour ramener un objet à sa situation initiale. Cette propriété profonde du groupe des rotations peut s’exprimer de façon savante en disant que «le revêtement universel du groupe des rotations SO(3, face=F9796 R) est le groupe unitaire SU(2, face=F9796 C) et que l’homomorphisme correspondant est bivalué». Pour des objets et des concepts strictement géométriques cependant, leur inscription spatiale les oblige à revenir à leur état initial après un simple tour. C’est pourquoi les moments angulaires orbitaux, qui caractérisent des mouvements dans l’espace ordinaire, obéissent bien à la règle ci-dessus et sont donc des entiers, en unité 寮.

Mais le spin, traduisant une propriété intrinsèque des quantons et n’étant pas lié à leurs déplacements spatiaux, n’est pas assujetti à cette restriction, et ne relève que de la règle la plus générale, celle du double tour. Dans ce cas, la période angulaire ne doit être qu’un sous-multiple d’un double tour complet, soit = 4 神/N , où N est entier. Il en résulte que, pour l’harmonicité m associée à un spin, on doit avoir: m = 2 神/ = N /2. La composante S d’un spin peut donc prendre, comme annoncé, des valeurs aussi bien demi-entières qu’entières.

Pour le reste, le spin obéit à la théorie quantique générale du moment angulaire. L’incompatibilité de ses composantes, c’est-à-dire l’impossibilité de les spécifier simultanément par des valeurs numériques déterminées, qui sont les valeurs propres, découle des relations de commutation non triviales entre les opérateurs correspondants. Ces relations de commutation, bien entendu, sont celles de l’algèbre de Lie du groupe des rotations, dont le moment angulaire opère comme générateur infinitésimal. Indiquons, par exemple, dans le cas le plus simple, celui du spin 1/2, comment sont représentées les composantes du vecteur spin S . On pose:

est un opérateur vectoriel dont les composantes sont les fameuses «matrices de Pauli»:

On vérifiera aisément les relations de commutation usuelles:

On note également que Sz a bien les valeurs propres 寮/2 et 漣 寮/2 correspondant aux deux états de spin prévus, puisque 2s + 1 = 2 pour s = 1/2, et que S 2 est un multiple de l’identité de valeur numérique 3/4 寮2, de la forme attendue s (s + 1) 寮2, avec s = 1/2.

Le spin, enfin, entre dans le cadre général de la combinaison des moments angulaires en théorie quantique. Le moment angulaire total d’un système composé s’obtient en ajoutant, suivant les règles de cette théorie, les spins de chaque quanton composant, et leurs divers moments angulaires orbitaux. Ces derniers étant toujours entiers, on se convainc aisément que le moment angulaire total d’un système est entier ou demi-entier suivant qu’il comprend un nombre pair ou impair de quantons à spin demi-entiers. C’est ainsi que le deutéron, noyau composé d’un proton et d’un neutron, possède un spin entier, s = 1.

Dans le formalisme développé de la théorie quantique, la différence de nature entre moments angulaires entiers et demi-entiers, due aux spins des quantons composants, se traduit par un changement de comportement de l’état sous l’effet d’une rotation. En particulier, une rotation d’un tour complet laisse invariant le vecteur d’état d’un système de moment angulaire entier, alors qu’elle affecte d’un signe (face=F0019 漣), ou, plus précisément, d’un facteur de phase ei size=1 = 漣 1, le vecteur d’état d’un système de moment angulaire semi-entier; cela, bien sûr, ne modifie pas les propriétés physiques de l’état, le vecteur d’état n’étant défini qu’à une phase près. Naturellement, un double tour ramène tout vecteur d’état à son expression initiale. Plus généralement, les systèmes de moment angulaire entier sont décrits par les représentations «vraies» du groupe des rotations, et ceux de moment angulaire demi-entier par les représentations «à un signe près». Cette différence entraîne une conséquence essentielle, l’invalidation du principe de superposition quantique: la combinaison linéaire de deux vecteurs d’état correspondant respectivement à des valeurs entières et demi-entières du moment angulaire n’a pas de sens physique. On dit que les deux espaces des états sont «incohérents», ou encore qu’une règle de supersélection sépare ces deux types de systèmes, ce qui souligne la profondeur de cette dichotomie.

Indiquons enfin que la théorie générale de la combinaison des moments angulaires quantiques régit, via la loi de conservation du moment angulaire total, la répartition des moments angulaires, de spin et orbitaux, des produits d’une réaction entre particules. Dans la mesure où les moments angulaires orbitaux sont liés aux mouvements relatifs des particules et donc à leur agencement dans l’espace, c’est finalement la distribution angulaire des produits de la réaction, c’est-à-dire la répartition de leurs directions de déplacement, qui dépend des spins individuels des particules, tant initiales que finales. L’étude de ces distributions angulaires est donc la méthode expérimentale essentielle de mesure des spins. Ainsi, l’analyse des directions des mésons 神 issus de la désintégration 諸神+ + 神0 + 神- montret-elle que le spin du méson 諸 est nul, cependant que l’analyse de la distribution angulaire des particules finales dans la réaction 神- + p炙0 + K0 permet de prouver que l’hypéron 炙0 possède un spin 1/2, où interviennent le proton p et le méson K0.

3. Spin et relativités

Le spin, s’il est, comme tout moment angulaire quantique, étroitement lié au groupe des rotations spatiales, prend un sens encore plus spécifique et plus profond dans un cadre spatio-temporel plus large. Les rotations ne forment en effet qu’un sous-groupe d’un ensemble plus large: le groupe de toutes les symétries cinématiques, c’est-à-dire toutes les transformations spatio-temporelles laissant invariantes les lois de la physique. Ce groupe (en laissant de côté les symétries discrètes, telle la réflexion d’espace, ou parité) comprend les translations d’espace, de temps, les rotations spatiales et enfin les transformations inertielles, c’est-à-dire celles qui existent entre référentiels en mouvement relatif uniforme. Ces dernières sont les transformations dites de Lorentz, qui forment le cœur de la relativité einsteinienne. Elles peuvent, pour des mouvements à faible vitesse devant la vitesse limite, dite «de la lumière», être remplacées par les transformations classiques de Galilée qui en offrent, dans ces conditions, une bonne approximation. Le groupe de relativité complet ainsi composé est appelé «groupe de Poincaré» ou «groupe de Lorentz inhomogène», qui, à petite vitesse, dans les conditions de validité de la mécanique newtonienne classique, peut être remplacé par le «groupe de Galilée», inhomogène.

Ce groupe de relativité régit la cinématique des systèmes physiques. En théorie quantique, l’invariance des lois physiques se traduit par l’existence d’une représentation unitaire du groupe agissant dans l’espace de Hilbert des états du système. Il est donc naturel d’associer les représentations irréductibles du groupe, celles à partir desquelles n’importe quelle autre peut être construite, aux systèmes physiques les plus simples, disons élémentaires, en ne donnant ici à ce mot qu’un sens cinématique indépendant de toute considération sur la dynamique interne du système. On aura donc une description intrinsèque et un répertoire systématique des quantons «élémentaires» en procédant à une classification des représentations unitaires irréductibles du groupe de relativité. C’est Wigner, en 1939, qui a proposé ce point de vue, et procédé à la construction des représentations unitaires irréductibles du groupe de Poincaré. Le résultat est aussi profond que naturel: une telle représentation est entièrement caractérisée par un nombre positif M et un nombre entier ou demi-entier s , qui s’interprètent tout naturellement comme la masse et le spin du quanton décrit par cette représentation. Il faut insister sur l’apparition naturelle de ces grandeurs physiques comme les caractéristiques propres d’un quanton à partir de la seule structure de son environnement spatio-temporel. Les (2s + 1) degrés de liberté d’un quanton de spin s sont donc bien une propriété spécifique et intrinsèque d’un tel objet, de nature géométrique. La situation est absolument similaire, en ce qui concerne le spin, si l’on considère l’approximation galiléenne. Les représentations du groupe de Galilée (Wightman 1962, Lévy-Leblond 1963), si elles exhibent une assez subtile différence avec celles du groupe de Poincaré concernant la signification de la masse, donnent par contre au spin un rôle tout à fait similaire. Il est donc complètement erroné d’affirmer, comme on le fait parfois encore, que le spin est «un effet relativiste». Certaines propriétés particulières du spin, cependant, sont spécifiquement liées à la relativité einsteinienne et n’apparaissent pas à l’approximation galiléenne. Ainsi, le spin d’un quanton reste invariant dans son propre référentiel où il est «immobile»; si ce quanton décrit un circuit fermé du point de vue d’un autre référentiel, la relation nécessairement non inertielle de ces deux référentiels entraîne dans le second une précession apparente dite «précession de Thomas» du spin moyen. Cet effet, purement cinématique d’ailleurs, n’est en rien lié à la nature quantique du spin; il se manifeste aussi bien pour un moment angulaire propre classique. Dans le cas des quantons de masse nulle tels que le photon ou les neutrinos, les représentations irréductibles du groupe de Poincaré, construites également par Wigner, sont caractérisées, outre la valeur M = 0 de la masse, par un nombre entier ou demi-entier , qui n’est pas la longueur du spin, mais la valeur de sa projection sur un axe. Il est naturel et usuel de choisir pour axe celui de la direction de la quantité de mouvement; la composante correspondante prend alors le nom d’«hélicité». En d’autres termes, les diverses valeurs possibles pour une composante du spin sont alors découplées, et seule l’une d’entre elles caractérise une représentation irréductible. Un quanton de masse nulle n’a donc, quelle que soit la valeur de son hélicité , qu’un degré de liberté interne au lieu de (2s + 1) pour un quanton de masse non nulle et de spin s . Ce découplage est lié à l’impossibilité de définir un référentiel où le quanton, de masse nulle et donc toujours animé de la vitesse limite c , soit au repos, et où il serait alors possible de modifier son orientation. Si la théorie des interactions auxquelles est soumis le quanton est de plus invariante par réflexion d’espace, alors il possède les deux valeurs symétriques et 漣 de son hélicité. C’est donc par abus de langage que l’on dit du photon qu’il possède un spin 1 et du neutrino un spin 1/2. En réalité, le photon possède deux états d’hélicité, de valeurs + 1 et 漣 1 respectivement, par suite de l’invariance par parité des interactions électromagnétiques. Mais il n’a pas d’état d’hélicité nulle, ce qui est la transcription quantique du caractère transverse du champ électromagnétique classique. Ce fait se manifeste macroscopiquement dans la formule de Planck donnant la densité d’énergie du corps noir, où intervient un facteur 2 (et non 3) pour la multiplicité des états. En ce qui concerne les neutrinos, soumis aux seules interactions faibles qui violent la conservation de la parité, ils n’ont qu’une valeur = 1/2 de leur hélicité, et les antineutrinos = 漣 1/2; ils se comportent donc comme des «tire-bouchons» de sens bien déterminé.

Mentionnons enfin que l’on peut étendre l’étude des symétries d’un système quantique de façon à inclure non seulement ses symétries spatio-temporelles, mais aussi ses symétries internes, c’est-à-dire les invariances de jauge conduisant aux lois de conservation non géométriques, telles que celles du nombre «quarkien» G , du nombre leptonique L ou de la charge électrique Q . On voit alors apparaître, si la relation entre le groupe de relativité et le groupe interne n’est pas triviale (en termes mathématiques, si l’extension d’un groupe par l’autre n’est pas un simple produit direct), un lien entre le caractère entier et demi-entier du spin et la valeur des charges du quanton. L’existence d’une telle relation a été établie par François Lurçat et Louis Michel (1965). Concrètement, elle s’exprime, pour tous les quantons connus, sous la forme:

En d’autres termes, un quanton de spin demi-entier doit être un lepton ou un quark, ou bien comprendre un nombre impair de tels objets (par exemple: pour l’électron, G = 0, L = 1; pour un quark, G = 1, L = 0; pour un nucléon, G = 3, L = 0). De même, un quanton de spin entier doit comprendre un nombre pair de leptons ou de quarks (par exemple: pour le photon, G = 0, L = 0; pour les mésons, G = 2, L = 0).

4. La connexion spin-statistique

Il existe une relation capitale entre le caractère entier ou demi-entier du spin des quantons d’une certaine espèce – ou de leur hélicité, dans le cas d’une masse nulle – et leur comportement collectif. On sait, en effet, que l’invariance par permutation d’un système composé de quantons identiques conduit à une dichotomie cruciale. On a, d’une part, les systèmes dont les états sont «totalement symétriques», c’est-à-dire invariants par toute permutation. Les quantons correspondants sont appelés bosons , car ils obéissent, en physique statistique, à la statistique de Bose-Einstein, qui conduit à des comportements «grégaristes». D’autre part, il y a les systèmes dont les états sont «totalement antisymétriques», c’est-à-dire qu’ils changent ou non de signe sous une permutation respectivement impaire ou paire. Ces quantons sont appelés fermions , car ils obéissent à la statistique de Fermi-Dirac, qui conduit à des comportements «individualistes» – ce qu’exprime le principe de l’exclusion de Pauli qui régit les fermions. Il existe la correspondance suivante, universellement valide:
DIR
\
fermions 兩 spin demi-entier, bosons 兩 spin entier.
Cette connexion est d’abord un fait d’observation, sans aucune exception: ainsi les électrons et les nucléons (spin 1/2) sont des fermions; les photons («spin» 1) et les mésons (spins 0, 1, 2, ...) sont des bosons. Bien que baptisée «connexion spin-statistique», elle concerne le comportement collectif des quantons, même s’ils sont en petit nombre (au moins deux...) et ne peuvent être décrits de façon statistique à proprement parler. Elle établit, en fait, une liaison entre une propriété individuelle, qui est la valeur du spin de chaque quanton, et une propriété collective, qui est la «permutabilité» paire ou impaire de l’état de plusieurs quantons./DIR

C’est Fierz, en 1939, puis Pauli, en 1940, qui ont été les premiers à établir la nécessité théorique d’une telle connexion dans le cadre de la théorie quantique relativiste des champs. La démonstration de ce qui est donc maintenant un véritable théorème a été plus tard approfondie (A. S. Wightman, 1964) et repose aujourd’hui sur des axiomes d’une très grande généralité, faisant intervenir les principes fondamentaux de la théorie quantique et l’invariance relativiste einsteinienne. C’est même l’un des résultats les plus puissants et les plus profonds, avec le «théorème CPT» (charge parité temps) qui assure la dualité particule-antiparticule, que fournit l’alliance des idées quantiques et relativistes. Il n’en reste pas moins que les démonstrations actuelles de ce théorème sont très générales, mais d’une sophistication mathématique quelque peu frustrante eu égard à la simplicité de son énoncé. On peut espérer voir apparaître une démonstration peut-être moins rigoureuse et moins générale, mais plus simple et plus intuitive. Cependant, une telle justification, pour être probante, devra faire appel aux spécificités de la relativité einsteinienne. En effet, la théorie quantique galiléenne des champs est parfaitement compatible avec l’absence de toute connexion spin-statistique (J.-M. Lévy-Leblond, 1967). Les propositions d’élucidation de la connexion spin-statistique fondées sur les seuls arguments d’invariance rotationnelle (par exemple, celles de R. Feynman en 1989) sont donc nécessairement viciées. On peut cependant comprendre que, s’il existe une connexion spin-statistique, la seule possibilité est celle qui prévaut effectivement. En effet, la règle de combinaison des fermions et bosons qui énonce le caractère bosonique ou fermionique d’un système composé est très simple et découle seulement d’une règle des signes. Puisque, dans l’échange de deux systèmes composés identiques, chaque couple de fermions donne un facteur (face=F0019 漣 1), le facteur résultant dans l’état final sera (+ 1) ou (face=F0019 漣 1) suivant la parité du nombre de ces couples. Ainsi, un système composé est bosonique ou fermionique suivant qu’il comprend un nombre pair ou impair de fermions constituants. L’homologie exacte de cette règle avec celle qui établit le caractère entier ou demi-entier du spin d’un système composé à partir de celui de ses constituants montre que la connexion spin-statistique, si elle existe , ne peut être que celle qui a été énoncée.

5. Spin et interactions électromagnétiques

Les degrés de libertés internes que donne à un quanton son spin lui confèrent une complexité structurale d’autant plus grande que ce spin est élevé. On conçoit donc qu’un quanton possède des propriétés électromagnétiques plus ou moins riches selon la valeur de son spin. On montre qu’un quanton de spin s possède des moments électriques et magnétiques jusqu’à l’ordre 2 s . L’invariance par réflexion d’espace (parité) entraîne de plus que les moments électriques sont nécessairement d’ordre pair: monopôle (charge électrique), quadrupôle, etc., et les moments magnétiques d’ordre impair: dipôle (moment magnétique), octopôle, etc. Ainsi, un quanton de spin 1/2 peut-il porter une charge et un moment magnétique, alors qu’un quanton de spin 1 peut, de plus, présenter un moment quadrupolaire électrique? Limitons-nous au cas le plus simple et, de toute façon, de plus grand intérêt, puisque c’est celui des électrons, des nucléons, etc., qui sont caractérisés par leur seul moment magnétique M, colinéaire au spin S, dont la valeur est souvent écrite = 塚s , où est le «rapport gyromagnétique»; le rapport gyromagnétique d’un quarton est = gq /2m . Cette formule est calquée sur celle de la physique classique: class. = q /2m , où q et m sont respectivement la charge et la masse du corps chargé en rotation.

Dans le cas d’un quanton assujetti aux seules interactions électromagnétiques, son moment magnétique peut être calculé à partir de son équation d’onde, où le champ magnétique est introduit par le procédé de couplage minimal (ou invariance de jauge). C’est ainsi que Dirac put démontrer qu’un quanton de spin 1/2 possède un moment magnétique 1/2 = q 寮/2m , puisque son spin vaut s = 1/2, soit un rapport gyromagnétique «anormal» 1/2 = q /m (g 1/2 = 2). De façon plus générale, pour des spins plus élevés, et malgré certaines difficultés non résolues de la théorie des équations d’onde dès que le spin s est supérieur à 1, il semble que le moment magnétique intrinsèque prenne toujours la valeur s = q 寮/2m ; ce qui implique un rapport gyromagnétique s = (1/s )(q /2m ), soit un coefficient gs = 1/s . Ce résultat contraste, par sa simplicité, avec la complexité des calculs qui y conduisent. Cela est d’autant plus vrai que le même résultat peut être obtenu dans des théories relativistes galiléennes, et non einsteiniennes. On peut donc penser qu’il existe une approche plus directe, caractérisant sans doute le couplage électromagnétique d’une façon essentiellement géométrique, et qui reste à découvrir. Les résultats, par ailleurs, ne valent qu’en première approximation et doivent être corrigés si l’on tient compte des «corrections radiatives», c’est-à-dire si l’on traite le champ électromagnétique lui-même de façon quantique. Ce fut l’un des premiers succès de l’électrodynamique quantique (R. Feynman, J. Schwinger, S. Tomonaga, 1946) que de calculer la correction du premier ordre au moment magnétique d’un quanton de spin 1/2, à savoir:

= q 2/ 寮c est la constante de couplage électromagnétique. On a, depuis lors, calculé les corrections aux ordres suivants, et l’accord excellent entre la théorie et l’expérience dans les expériences dites «g 漣 2» est l’un des grands succès de l’électrodynamique quantique.

L’existence d’un moment magnétique de l’électron a de nombreuses conséquences physiques, tant sur le spectre des atomes (avec la structure fine, la structure hyperfine, l’effet Zeeman, etc.), que sur le comportement des atomes dans un champ magnétique. Ainsi faut-il citer, pour son importance historique, l’expérience de Stern et Gerlach en 1922. Le principe consiste à faire passer un jet atomique dans un champ magnétique inhomogène. L’énergie de couplage entre le moment magnétique 猪 des atomes et le champ magnétique B, soit:

dépendant alors de la position, conduit à une force de déflexion non nulle:

Pour un objet classique, la composante Sz d’un spin de longueur S pourrait prendre un continuum de valeurs entre 漣 S et + S , et l’effet de la force F serait donc d’élargir le faisceau dont l’impact sur l’écran où sont recueillis les atomes désignerait une tache allongée. Mais la quantification du spin, à savoir l’existence de (2s + 1) valeurs discrètes de Sz (soit m = 漣 s , 漣 s + 1, ..., s 漣 1, s ), conduit en fait à décomposer le faisceau initial en (2s + 1) faisceaux distincts produisant autant de taches sur l’écran.

Pour des quantons soumis également à des interactions autres qu’électromagnétiques, en l’occurrence aux interactions nucléaires fortes, les effets de structure internes dus à ces interactions régissent la valeur des moments magnétiques. C’est ainsi que le proton possède un moment magnétique p = 2,79 N N = q 寮/2m N, avec m N la masse nucléonique, est appelé magnéton nucléaire. Le neutron, bien qu’il n’ait pas de charge électrique, possède également un moment magnétique n = 1,91 N. Un champ magnétique, de par l’effet d’orientation qu’il exerce sur ces moments magnétiques, crée un couple qui agit sur le spin et entraîne un mouvement moyen de précession semblable à celui d’un gyroscope dans un champ de gravité. Cette «précession de Larmor» du spin est à la base des phénomènes de résonance magnétique (résonance magnétique nucléaire ou R.M.N. et résonance paramagnétique électronique ou R.P.E.), désormais largement exploités par la technologie, telle l’imagerie médicale.

spin [ spin ] n. m.
• 1938; mot angl. (1926) « rotation »
Phys. nucl. Moment cinétique intrinsèque d'une particule. L'unité de spin est h/2 π(h étant la constante de Planck). « L'électron devait posséder une autre caractéristique, le spin, qui serait une sorte de rotation interne et qui le douerait d'un moment cinétique propre » (Broglie). Spin isotopique : grandeur vectorielle d'un espace à trois dimensions, que possèdent seuls les hadrons. ⇒ isospin.

spin nom masculin (anglais spin, de to spin, faire tourner) Moment angulaire intrinsèque des quantons.

spin
n. m. PHYS NUCL Mouvement de rotation des particules élémentaires sur elles-mêmes.

⇒SPIN, subst. masc.
PHYS. NUCL. Moment cinétique propre d'une particule en rotation sur elle-même. Spin d'un corpuscule, d'un neutron, d'un proton; particule de spin entier, de spin nul; spin négatif, positif. Le spin est défini par une direction et un sens (L. DE BROGLIE, Théorie quanta, 1959, p. 250). Pour l'électron, le spin est 1/2 (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 388). V. antiparallèle ex. 2 et 3, orbital ex.
Spin axial, orbital. Spin d'une particule tournant autour de son axe, autour d'un centre de gravité. Le quantum du spin orbital est égal à la constante universelle h/2 , et celui du spin axial à 1/2 h/ (PIR. Atom. 1959).
Prononc.:[spin]. Étymol. et Hist. 1928 (spin) gl. de giration (Électrons et photons. Rapports et discussions du cinquième conseil de physique, 213 ds HÖFLER Anglic.); 1931 le spin de l'électron (P. A. M. DIRAC, Les Principes de la mécanique quantique, 159, ibid.). Empr. à l'angl. spin att. comme terme de phys. dep. 1926 (ds NED Suppl.2) dans un empl. partic. du sens « tournoiement, rotation » (1831 ds NED) de spin, subst. de to spin « élaborer un fil par assemblage et torsion de fibres, filer » d'où « faire tourner, faire tournoyer » et « tourner, tournoyer » (v. NED).

spin [spin] n. m.
ÉTYM. 1938, cit. 1; 1926 en angl., Uhlenbeck et Goudsmit; mot angl., « rotation ».
Phys. nucl. Moment de la quantité de mouvement d'une particule élémentaire. || L'unité de spin est (h étant la constante de Planck). || Spin axial (quand la particule tourne sur elle-même), orbital (quand elle tourne autour d'un centre de gravité). || Spin nucléaire (rotation du noyau sur lui-même). || Nombre quantique de spin. || Deux électrons peuvent présenter des axes de rotation parallèles, avec des spins de mêmes directions (spins parallèles) ou de directions opposées (spins anti-parallèles). || Fonctions de spin : fonctions spéciales introduites en mécanique ondulatoire dans la fonction d'onde.
1 Il y a pour l'électron, une dernière donnée que nous connaissons avec certitude : c'est sa « rotation propre » ou son « pivotement » [en note : ou encore son « spin » (mot qui, en anglais, veut dire « faire tourner »)].
Marcel Boll, les Deux Infinis, p. 97 (1938).
2 L'impossibilité d'expliquer exactement par les théories quantiques les détails, la structure fine comme on dit, des spectres lumineux et X ainsi que certains phénomènes magnétiques complexes tels que les effets Zeeman anomaux, avait conduit à penser (en 1925) qu'en dehors de sa charge et de sa masse, l'électron devait encore posséder une autre caractéristique, le spin, qui serait une sorte de rotation interne et qui le douerait d'un moment cinétique propre et d'un moment magnétique propre.
L. de Broglie, Physique et Microphysique, p. 22.
tableau Vocabulaire de la chimie.

Encyclopédie Universelle. 2012.